2. Instaurer un taux directeur pour rendre plus cohérentes les décisions de gestion de l'Etat et des établissements dans le secteur social et médico-social

Votre commission vous propose de mettre en oeuvre dès le 1 er janvier 1998 un taux directeur opposable à l'évolution des dépenses des établissements sociaux et médico-sociaux financés par le budget de l'Etat et par les départements.

Le but est de restaurer un cercle vertueux en matière de gestion où l'Etat assumera ses choix en toute cohérence et où les établissements eux-mêmes seront naturellement conduits à peser sur les facteurs externes d'évolution de leurs dépenses.

a) Restaurer la cohérence de l'action de l'Etat concernant toutes les mesures, notamment de revalorisation salariale, de nature à influer sur les dépenses du secteur

Les personnels des établissements et services sociaux et médico-sociaux (hors personnels des structures associatives) sont évalués à 421.000 personnes , ce qui correspond à 347.000 équivalents temps plein selon les enquêtes périodiques du ministère de l'Emploi et de la Solidarité. Ils relèvent d'un régime de droit public pour 36 %, et d'un régime de droit privé pour 64%.

Les personnels de droit public (137.958 personnes, soit 123.787 équivalents temps plein) relèvent de trois références : la fonction publique de l'Etat, la fonction publique territoriale, la fonction publique hospitalière.

En revanche, les personnels de droit privé -283.042 personnes, soit 223.293 équivalents temps plein- relèvent majoritairement de conventions collectives.

La convention collective " des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées " de 1966 s'applique à 148.993 personnes, soit 114.776 équivalents temps plein.

La convention collective " des établissements privés d'hospitalisation et de soins, de cure et de garde à domicile à but non lucratif " dite FEHAP, de 1951, s'applique principalement aux établissements sanitaires privés participant au service public hospitalier, mais aussi de manière significative aux établissements et services sociaux et médico-sociaux. Sur ce seul champ, 69.373 personnes, soit 56.387 équivalents temps plein, sont concernées.

Trois autres conventions collectives sont appliquées: celle de la Croix Rouge française propre à cette association, celle de 1965 pour les établissements sociaux et médico-sociaux, et les " accords SOP " pour les centres d'hébergement et de réadaptation sociale concernent ensemble 7.106 personnes, soit 5.688 équivalents temps plein.

S'agissant des dépenses de personnel en particulier, le taux directeur va obliger l'Etat à trouver une cohérence entre les décisions qu'il prend en matière de rémunération de certaines catégories de personnels et les objectifs généraux qu'il s'impose en matière d'évolution de la dépense médico-sociale .

Il ne devrait plus être possible, comme cela a été le cas lors de l'extension du protocole Durieux-Durafour, qu'une simple circulaire prise en fin d'année, et confirmée ultérieurement par deux décrets, puisse bouleverser sensiblement l'équilibre des relations financières entre les établissements et les collectivités qui les financent.

La transposition des protocoles " Durieux-Durafour "

Une circulaire du 23 décembre 1991 et deux décrets du 2 janvier 1992 ont étendu aux agents du secteur social et médico-social le bénéfice du protocole " Durieux-Durafour " sur l'amélioration des conditions de vie et de travail des personnels de la fonction publique hospitalière.

Le but poursuivi était d'aligner le régime salarial des personnels des établissements sociaux et médico-sociaux avec celui des personnels salariés des établissements publics sanitaires.

Il convient de rappeler que les salariés des établissements privés assumant une mission de service public relèvent principalement de deux conventions collectives nationales (CCN) : la convention du 31 octobre 1951 des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif et la convention du 15 mars 1966 des établissements et services pour les personnes inadaptées et handicapées.

Cet objectif de parité entre le personnel de droit privé des institutions sociales et médico-sociales et celui du personnel sous statut de la fonction publique hospitalière est, au demeurant, reconnu par les conventions collectives. C'est ainsi que l'article 36 de la convention du 15 mars 1966 prévoit que " les organisations signataires se réuniront au moins chaque fois qu'interviendra une modification des traitements et classements du secteur public de référence, pour en déterminer obligatoirement les incidences sur la présente convention ".

Sur la base du décret de janvier 1992, les partenaires sociaux ont conclu en mars 1992 des avenants aux conventions collectives de 1951 et 1966, lesquels, conformément à l'article 16 de la loi du 30 juin 1975 ont obtenu un agrément du ministre en 1992 et 1993. Ces décisions semblent avoir été prises, selon la Cour des Comptes, sans que les services du ministère ne puissent appréhender l'incidence de cette extension du protocole " Durafour " sur les finances départementales et sans que les marges de manoeuvre budgétaires des départements ne soient prises en compte.

Ces accords ont un coût salarial direct auquel s'est surajouté le caractère rétroactif de certaines augmentations ce qui a conduit à creuser de soudains déficits dans le budget des établissements. La rétroactivité fonctionne comme un véritable piège budgétaire et comptable en conduisant à créer de soudains déficits dans la gestion du budget social des établissements.

Les accords Durafour sont largement à l'origine de la forte dérive des coûts dans le secteur social et médico-social constatée à partir de 1992.

La mise en place d'un taux directeur est d'autant plus urgente que le Gouvernement risque de se trouver confronté à des interprétations extensives de l'objectif de la semaine " de 35 heures " qu'il souhaite inscrire dans la loi.

Certes, comme M. Emile Zucarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, l'a encore rappelé devant le Sénat le 23 octobre 1997, le Gouvernement considère que " la question du temps de travail dans la fonction publique ne peut être abordée par la transposition pure et simple du régime applicable au secteur privé ".

Il reste que les " 35 heures ", comme l'ont reconnu certains de nos interlocuteurs au contact avec le secteur social et médico-social, pourraient bien se propager " par contagion " aux personnels du secteur social et médico-social, où les contraintes liées à des services à la personne se prêtent pourtant mal à une annualisation du temps de travail.

Si les 35 heures devaient être étendues au secteur social et médico-social, il en résulterait immédiatement un surcoût de 10 % environ, hors gains de productivité.

Or, on sait par ailleurs que les gains de productivité dans le secteur public ne générerait pas de recettes supplémentaires et que l'Etat ne pourrait " s'entraider " en se versant à lui-même des subventions à l'embauche comme il souhaite le faire au bénéfice du secteur privé.

Rien ne s'oppose aujourd'hui légalement à ce que l'Etat renouvelle, en appliquant les 35 heures au personnel du secteur social et médico-social, la même méthode que celle utilisée pour la transposition du protocole Durafour. Un texte réglementaire d'initiative purement ministérielle peut déclencher la signature d'un avenant sur lequel les départements qui sont des financeurs essentiels du système, ne seraient jamais consultés.

Le taux directeur obligera également l'Etat à être cohérent et à tirer les conséquences financières des décisions qui sont prises à son échelon en matière de renforcement des normes d'encadrement des établissements sociaux.

La même démarche doit être suivie pour la fixation des normes techniques de sécurité dont les révisions périodiques génèrent des coûts d'investissement importants dans ce secteur.

Il n'est pas inutile de rappeler que les dépenses de fonctionnement, hors dépenses de personnel, représentent 32,37 % de l'ensemble des dépenses générales dans les centres d'hébergement et de réadaptation sociale, 23 % dans les établissements pour enfants handicapés, 26 % dans les maisons d'accueil spécialisées et de 10 à 16,5 % dans les différents services de prise en charge à domicile.

Il est tout à fait souhaitable que les taux directeurs d'évolution des dépenses prévoient, en toute clarté et préalablement, des marges spécifiques de financement pour mettre en oeuvre la rénovation des normes techniques dans les diverses catégories d'établissements.

b) Inciter les établissements sociaux et médico-sociaux à relever le défi du glissement-vieillesse-technicité

Les associations gestionnaires des établissements sociaux et médico-sociaux, elles-mêmes, sous l'effet du taux directeur, seront incitées à une meilleure gestion et prendront conscience de la nécessité de peser sur l'évolution de leurs facteurs structurels de dépenses.

S'agissant des coûts de fonctionnement, comme votre rapporteur l'avait souligné dans son avis de l'année dernière, les institutions médico-sociales, qui ont été mises en place dans les années 70, comprennent souvent des personnels qui arrivent maintenant à maturité dans leur carrière et induisent une forte progression des rémunérations du fait du glissement-vieillesse-technicité.

Les effets du glissement-vieillesse-technicité

D'une manière générale, le coût des mesures individuelles, c'est-à-dire des mesures d'ancienneté et de promotion des agents est mesuré par le glissement-vieillesse-technicité.

La masse des rémunérations évolue en raison des variations des caractéristiques des personnes employées ; ce phénomène est connu sous le nom de glissement-vieillesse-technicité (GVT), qui se compose :

- d'un effet de carrière (ou GVT positif), qui retrace l'incidence positive sur la masse salariale des avancements et promotions dont bénéficient régulièrement les fonctionnaires ;

- d'un effet de noria (ou GVT négatif) qui traduit l'incidence généralement négative sur la masse salariale du jeu des entrées-sorties.

La somme algébrique des deux effets constitue l'effet de structure (ou GVT solde) : il permet d'apprécier l'évolution effective de la masse salariale due aux variations de structure de la population étudiée.

Il est frappant de constater que de 1991 à 1996, le GVT " positif " de la fonction publique de l'Etat n'est jamais inférieur à 1,8 % et que de 1993 à 1996 il a toujours été supérieur à la hausse de l'indice des prix à la consommation.

L'effet " GVT positif " est également non négligeable dans le secteur couvert par les conventions collectives du secteur social et médico-social puisque la rémunération moyenne des personnels en place (RMPP) varie ces dernières années entre 0,8 % et 1,3 %.

Il apparaît aujourd'hui que pour les prochaines années même en tenant compte de " l'effet de noria " c'est à dire du GVT négatif résultant de l'économie à la suite des départs à la retraite, le GVT ne saurait descendre en dessous de 1%, ceci avant même toute augmentation du pouvoir d'achat des agents.

Cette constatation est encore plus vraie pour les agents des institutions sociales et médico-sociales qui forment un corps plus jeune dans lequel les départs sont moins fréquents que dans la fonction publique de l'Etat. Il en résulte donc une contrainte mécanique pour les budgets des établissements.

Evolution de la rémunération moyenne des personnels en place

- du personnel relevant de la convention collective du 31 octobre 1951

1991

1992

1993

1994

1995

G.V.T. positif

1,30

1,30

1,10

0,80

0,80

Autres mesures

3,31

3,16

6,75

2,21

2,98

R.M.P.P.

4,61

9,46

7,85

3,01

3,78

- du personnel relevant de la convention collective du 15 mars 1996

G.V.T. positif

1,30

1,30

1,10

0,80

0,80

Autres mesures

5,67

5,89

5,22

2,95

3,70

R.M.P.P.

6,97

7,19

6,32

3,75

4,50

Le taux directeur devra intégrer les effets du GVT qui continuera à évoluer sous l'effet du vieillissement des personnels et de la poursuite des effets des revalorisations indiciaires prévues par les accords Durafour.

A terme, la mise en place du taux directeur ouvre la voie à une réflexion d'ensemble sur les conventions collectives qui régissent le secteur.

Sans doute des progrès pourraient être accomplis en termes de déroulement des carrières, d'effectif des établissements et d'horaires, tout en assurant une meilleure formation des agents et en favorisant le recours à de nouveaux recrutements plus homogènes dès lors que la décision serait prise de " remettre à plat " les conventions actuelles.

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