II. DES ORIENTATIONS BUDGÉTAIRES DONT LA POURSUITE SERAIT PORTEUSE DE GRAVES INCERTITUDES POUR L'AVENIR DE LA DISSUASION NUCLÉAIRE
Avec une enveloppe de l'ordre de 16,5 milliards de francs
consacrée à la dissuasion nucléaire, le projet de budget
pour 1998 se situe
en recul de près de 13 % et de 2,3 milliards de
francs
par rapport au budget voté de 1997 mais également par
rapport à l'annuité prévue par la loi de programmation.
Cette forte diminution intervient alors que la loi de programmation avait
déjà largement revu à la baisse les moyens financiers
destinés au nucléaire, confirmant une tendance amorcée
dès le début des années 1990.
Les crédits pour 1998 resteront donc très en-deçà
du niveau défini par la loi de programmation, pourtant
considéré comme calculé au plus juste, pour garantir la
modernisation de composantes, réduites de trois à deux, et mener
à bien le programme de simulation.
Compte tenu de l'ampleur de cette réduction de crédits, la
question du respect des objectifs définis en 1996 est incontestablement
posée. A l'évidence, la réponse à cette question ne
peut être identique selon que la baisse des crédits du
nucléaire présentera un caractère exceptionnel,
limité à la seule année 1998, ou qu'elle sera
confirmée au cours des exercices futurs. Il est clair que, bien que
n'étant pas à ce stade formellement remises en cause, les grandes
orientations qui fondaient la modernisation de notre dissuasion
nucléaire risquent d'être fragilisées par la poursuite des
orientations retenues pour 1998.
Votre rapporteur analysera l'évolution des crédits avant d'en
évaluer l'incidence, à court et à moyen terme, sur la
poursuite des programmes.
A. LA DIMINUTION DES CRÉDITS DU NUCLÉAIRE S'ACCÉLÈRE
S'inscrivant dans une tendance amorcée au début
de la décennie, la loi de programmation avait prévu une
diminution régulière des crédits de la dissuasion
nucléaire.
Le projet de budget pour 1998 représente une
nette rupture
au
regard de cet échéancier et il accélère la
décrue des crédits du nucléaire qui atteindront l'an
prochain un niveau exceptionnellement bas.
1. L'évolution générale des crédits consacrés au nucléaire : un niveau exceptionnellement bas en 1998
Les crédits consacrés à la dissuasion
nucléaire inscrits dans les budgets de l'armée de l'air, de la
Marine, de la DGA et de la DIRCEN représentent un
montant global de
16,56 milliards de francs pour 1998.
Les mêmes crédits se montaient à 18,95 milliards de francs
dans le budget voté de 1997 (hors BCRD). Selon la loi de programmation,
et après application des coefficients représentant la hausse des
prix, ils auraient dû atteindre 18,89 milliards de francs en 1998.
On constate donc un
recul de près de 13 % et de plus de 2,3 milliards
de francs, par rapport au budget voté de 1997 et au niveau prévu
pour 1998 par la programmation.
Dans l'ensemble des dépenses en capital du ministère de la
défense, le nucléaire ne représente plus que 20,4 % contre
21,4 % en 1997, ces dépenses en capital étant par ailleurs
inférieures de près de 10 % en francs constants à celles
de 1997.
L'impact des réductions de crédits est donc plus fort
sur le nucléaire que sur le reste du budget de la défense
. La
part du nucléaire sur un budget d'équipement lui-même en
forte baisse, diminue nettement.
Toujours en francs constants, les crédits de la dissuasion
nucléaire ne représenteront plus en 1998 que la moitié de
ce qu'ils étaient en 1992, ce qui signifie qu'en volume,
l'enveloppe
destinée au nucléaire aura été divisée par
deux en six ans.
Cette décrue s'inscrit dans une tendance amorcée au début
de la décennie, avec la révision progressive à la baisse
du format des forces nucléaires et de plusieurs programmes.
Evolution de la part des crédits du nucléaire
dans les dépenses en capital du budget de la défense
(1990-1996)
Année |
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
Nucléaire/TV-VI |
31,4 % |
30,1 % |
29,0 % |
25,7 % |
22,8 % |
21,8 % |
21,9 % |
Quoique de manière moins nette, cette évolution devait se poursuivre dans le cadre de la loi de programmation. Sur la base d'une enveloppe constante pour les dépenses en capital sur toute la durée de la programmation (86 milliards de francs en 1995), la part du nucléaire devait passer de 21,4 % en 1997 à 19,7 % en 2002.
Evolution des crédits du nucléaire prévue par la loi de programmation 1997-2002
MF 95 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
Crédits nucléaires |
18 361 |
18 103 |
17 789 |
17 447 |
17 142 |
16 943 |
Nucléaire TV-VI |
21,4 % |
21,1 % |
20,7 % |
20,3 % |
19,9 % |
19,7 % |
En francs constants, les crédits consacrés au
nucléaire en 1998 sont inférieurs de 12,3 % au niveau
prévu pour cette même année 1998. Ils sont d'ores et
déjà très inférieurs au montant qui aurait dû
être atteint en 2002, après 6 années de diminution
régulière.
Enfin, la réduction de crédits opérée en 1998
représente à elle seule une diminution de 2,1 % de l'ensemble de
l'enveloppe prévue sur toute la durée de la programmation pour
les programmes nucléaires.
2. Les crédits de la direction des applications militaires du CEA
Le CEA, par l'intermédiaire de sa direction des
applications militaires (DAM), remplit trois types de missions dans le domaine
du nucléaire militaire :
-
la conception, la fabrication et la maintenance des armes
, qui
constituent l'essentiel de son activité et qui couvrent la livraison des
TN 75 équipant les SNLE/NG, la conception des futures têtes
nucléaires pour la composante océanique et la composante
aéroportée et la mise en oeuvre du programme de simulation.
-
la fourniture de matières
pour les armes nucléaires et
surtout désormais le démantèlement et l'assainissement des
usines de production,
- enfin, la mise au point des systèmes de
propulsion
nucléaire,
c'est-à-dire des chaufferies nucléaires
équipant les sous-marins et le porte-avions Charles de Gaulle.
Globalement, les crédits inscrits au budget de la Défense qui
seront transférés à la DAM en 1998
s'élèveront à 6,651 millions de francs. Ils seront
inférieurs de 4,5 % à ceux transférés en 1997,
et de près de 600 millions de francs au niveau attendu
en
application de la loi de programmation.
Si l'on se limite aux crédits inscrits au chapitre 51-70 (articles 16 et
30) et relatifs aux missions concernant les armes et les matières, les
crédits prévus pour la DAM en 1998 s'élèvent
à 5,979 milliards de francs, soit 4,7 % de moins qu'en 1997. Les
crédits prévus pour la mission " armes ", qui
concernent notamment les études et la réalisation du programme de
simulation s'établissent à 4,538 milliards de francs et reculent
de près de 13 %, alors que ceux concernant la mission
" matières " s'élèvent à 1,441 milliard
et augmentent de plus de 30 % en raison du coût des
démantèlements et du traitement des déchets
nucléaires.
La forte diminution des crédits de la DAM intervient après
plusieurs exercices difficiles en raison d'annulations de crédits
importantes survenues en cours d'année. Pour 1997, ces annulations ont
représenté 250 millions de francs et elles ont
entraîné un ralentissement des opérations d'assainissement
des usines de Marcoule et de Pierrelatte, ainsi que des reports dans le
lancement ou le déroulement de certaines études.
Pour 1998, s'agissant des crédits relevant de la mission
" armes ", ils devraient pour l'essentiel être affectés
au programme de simulation, auquel sera consacré 1,7 milliard de francs
(dont 1 milliard de francs d'études et près de 700 millions de
francs pour les investissements liés aux calculateurs, à la
section radiographique AIRIX, et à la ligne d'intégration laser)
ainsi qu'à la production de la TN 75.
Les crédits relatifs à la mission "matières" sont
ajustés à la suite de l'arrêt de la production
matières fissiles et sont consacrés à la
récupération de matières sur les armes retirées du
service et aux crédits d'assainissement et de
démantèlement des usines en production de la vallée du
Rhône.
Par ailleurs, le CEA poursuivra en 1998 l'importante
restructuration de la
DAM
, dont les effectifs doivent être ramenés de 5 700 à
4 500 agents sur la période 1996-2000.
Cette restructuration se justifiait à la fois par l'arrêt des
essais nucléaires et la diminution de l'ampleur des programmes d'armes
mais aussi par la nécessité de privilégier l'effort
d'investissement très important lié au programme de simulation.
Elle se traduit :
- par une diminution des effectifs de 1 200 postes environ entre 1996 et 2000,
effectuée sans licenciements grâce aux nombreux départs en
retraite sur la période,
- par la fermeture de plusieurs sites d'implantation dont la charge d'entretien
et de maintenance risquait de devenir trop lourde au regard du budget de la
DAM, et par le regroupement des activités autour de quatre grands
pôles.
La restructuration de la DAM bénéficie de crédits au titre
du Fonds d'adaptation industrielle (219 millions de francs en 1997 et 241
millions de francs en 1998).
Après la fermeture du Centre d'Expérimentations du Pacifique en
1996, le centre de Vaujours sera fermé à la fin de
l'année, celui de Limeil-Valenton cessant son activité fin 1999.
Le CESTA en Aquitaine, où sera réalisé le laser
mégajoule, ainsi que les sites du Ripault en Touraine (matières
non nucléaires) seront renforcés par des mutations de personnels
des sites fermés en région parisienne. L'implantation en Ile de
France sera concentrée à Bruyères le Chatel, qui
accueillera l'autre partie des personnels des sites arrêtant leur
activité. Le site de Moronvilliers en Champagne sera consacré aux
expérimentations sur la machine radiographique AIRIX.
Une fois réalisée, la restructuration devrait permettre un
allégement de 350 millions de francs des charges annuelles de
fonctionnement de la DAM. D'ores et déjà, compte tenu des
opérations engagées, l'économie pourrait être de
l'ordre de 250 millions de francs en 1998.
A ce propos, votre rapporteur tient à souligner que
les
dépenses de rémunérations et de charges sociales
ainsi
que les dépenses de fonctionnement courant représentent environ
la moitié du budget de la DAM. Or, ces dépenses, comme l'ensemble
du budget de la DAM, sont
intégralement financées sur le titre
V du budget de la Défense.
Cette situation n'est guère justifiée. En effet, la DAM ne peut
être considérée comme un industriel fournisseur de l'Etat
alors qu'elle assure pour ce dernier des missions fondamentales, exigeant une
continuité dans le temps.
Alimentée exclusivement par le titre
V,
la DAM subit de plein fouet le contrecoup des annulations de
crédits qui frappent régulièrement les crédits
d'équipement de la défense.
On remarque que pour ses activités civiles, le CEA perçoit une
subvention de fonctionnement inscrite au titre III du budget de l'Etat. De
même, et de manière tout à fait justifiée, des
crédits seront inscrits en 1998 au titre III du budget de la
Défense pour le fonctionnement des activités étatiques de
la Direction des constructions navales, nettement séparées des
activités industrielles pour lesquelles la DCN reçoit des
crédits du titre V.
Il serait tout à fait utile -et logique- qu'une telle séparation
des dotations budgétaires distinguant les charges de fonctionnement et
celles d'investissement puisse à l'avenir s'opérer pour la DAM.
3. Les autres crédits
Les autres crédits sont tout d'abord ceux de la
Force océanique stratégique (FOST)
qui passent de 5,692
à 4,235 milliards de francs de 1997 à 1998, soit un
recul de
25,6 %.
Les dotations de la FOST devaient certes légèrement
décroître au cours de la programmation, mais la diminution est
beaucoup plus forte que prévu, les crédits
étant
inférieurs de plus de 700 millions de francs au montant prévu
pour l'annuité 1998 de la programmation.
Le programme de construction du SNLE/NG type le Triomphant (y compris les
crédits de recherche et de développement et ceux liés
à l'environnement des bâtiments) représente à lui
seul près de 2,6 milliards de francs. L'entretien programmé des
matériels de la FOST bénéficie de crédits d'un
montant de près de 1,2 milliard de francs. Enfin, le programme
d'adaptation des SNLE/NG au futur missile M 51 fait l'objet d'un
décalage et ne mobilise que 54 millions de francs en 1998.
Les
crédits relatifs aux systèmes d'armes
(hors
têtes nucléaires), s'élèvent à
1,9
milliard de francs
, dont 305 millions de francs pour le missile M45, 1,052
milliard de francs pour le missile M 51 et 215 millions de francs pour l'ASMP
amélioré.