II. LE SURENDETTEMENT CROISSANT DES MÉNAGES LES PLUS FRAGILES
Votre commission soulignait déjà, l'année
passée
1(
*
)
, l'aggravation
préoccupante du problème du surendettement des ménages et
surtout son changement de nature, avec une précarisation très
nette des publics concernés, qui " plongent " dans le
surendettement à la suite d'une perte de revenu ou d'un divorce et non
d'achats inconsidérés. Il s'agit bien souvent d'une
incapacité durable à faire face aux dépenses de la vie
courante.
Votre Haute Assemblée est restée attentive à la dramatique
amplification d'un phénomène révélateur des
difficultés croissantes de certains de nos concitoyens. Elle a
contribué à enrichir le débat public par la constitution
d'un groupe de travail sur ce thème, qui a récemment remis ses
conclusions
2(
*
)
et
formulé de nombreuses et intéressantes propositions, au moment
où le Gouvernement propose de réformer le dispositif du
traitement du surendettement.
Un groupe de travail sur ce sujet a, par ailleurs, été mis en
place en septembre dernier au Conseil national de la consommation.
A. L'AUGMENTATION DU NOMBRE DE CAS DE SURENDETTEMENT " PASSIF "
Une forte croissance du nombre de dossiers
déposés
On observe
une croissance très forte ces dernières
années
du nombre de dossiers déposés devant les
commissions de surendettement, comme le montre le tableau suivant :
NOMBRE DE DÉPÔTS ANNUELS DE DOSSIERS DE SURENDETTEMENT
1990* |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
90 174 |
68 075 |
68 830 |
68 863 |
68 608 |
70 112 |
93 942 |
* Entrée en application de la loi Neiertz
Des profils multiples
Le centre de recherche sur l'épargne (CREP) a effectué,
d'octobre 1994 à janvier 1995, une enquête auprès
de trois échantillons de " surendettés ", qui a permis
de déterminer qu'il s'agissait d'une population plutôt jeune,
faisant une grande place aux employés et ouvriers ainsi qu'aux
chômeurs, et constituée aux 3/4 par des personnes ayant au moins
une personne à charge (familles, personnes mariées ou en instance
de divorce). On retrouve souvent des personnes propriétaires d'un
logement ainsi que des titulaires de revenus sociaux. Cette étude
affirme, en outre, que les situations de surendettement résultent
pratiquement toutes du multi-endettement (crédit à la
consommation, crédit immobilier...).
Le groupe de travail présidé par nos collègues
MM. Jean-Jacques Hyest et Paul Loridant analyse, dans son rapport
précité, le processus infernal qui conduit au
surendettement :
"
les ménages confrontés
à un problème de surendettement semblent être
des
personnes déjà fragilisées par leur situation
économique. La survenance d'événements
extérieurs
(chômage, divorce, dégradation de la
situation financière, nécessité de changer de
véhicule), les pousse à s'endetter davantage et à aggraver
ainsi leurs difficultés, alors même que ce recours au
découvert bancaire et aux crédits de trésorerie
constituait une tentative pour desserrer une contrainte de budget devenue
insupportable
"
.
La montée en puissance du surendettement " passif "
Votre commission avait, l'année passée, décelé un
changement de nature du surendettement. Cette analyse a été
confirmée depuis par plusieurs rapports.
3(
*
)
Ainsi le rapport de l'ODAS
4(
*
)
précité souligne-t-il que, dans le département de la
Savoie, un de ceux que cet organisme a particulièrement
étudiés, on a pu assister à partir de 1993 à
une très nette montée en puissance du surendettement passif. Le
nombre de cas d'excès d'endettement à ressources
inchangées (surendettement actif), a diminué proportionnellement
pour n'atteindre plus qu' 1 cas sur 6 en 1995.
Toutefois, le rapport précité du groupe de travail du
Sénat sur le surendettement indique que la réalité est
plus contrastée et que les deux composantes sont bien souvent
mêlées.
Votre commission juge quant à elle fort préoccupante la
croissance du nombre de dossiers de surendettement
" passif ", qui
révèle la fragilité de certains de nos concitoyens face au
chômage et aux accidents de la vie (divorce, maladie...). On rencontre en
effet une proportion croissante de situations désespérées
caractérisées par l'absence totale de capacité de
remboursement.
B. LES PROPOSITIONS DE VOTRE HAUTE ASSEMBLÉE POUR RÉFORMER LE DISPOSITIF ACTUEL DE TRAITEMENT DE SURENDETTEMENT
Prenant acte des limites du dispositif actuel de lutte contre le surendettement, jugé par ailleurs globalement satisfaisant, le groupe de travail précité de notre Haute Assemblée a formulé de nombreuses propositions pour mieux faire face à ce grave problème, comme cela est résumé dans l'encadré ci-dessous :
LES PROPOSITIONS DU RAPPORT HYEST-LORIDANT : " LE SURENDETTEMENT, PRÉVENIR ET GUÉRIR "
I. Les propositions ponctuelles :
1. Mettre en place des outils statistiques permettant une analyse quantitative
et qualitative périodique de l'évolution du
phénomène du surendettement :
2. Mettre à la disposition des commissions de surendettement, d'une part
les instruments permettant d'optimiser la gestion des dossiers et d'harmoniser
les méthodes de travail, d'autre part les outils d'évaluation de
nature à faciliter l'élaboration des plans amiables et des
mesures recommandées (systèmes experts, méthodes de
" score " comparables à celles utilisées par les
organismes de crédit) ;
3. Inscrire le débiteur surendetté au fichier des incidents de
paiement (FICP) dès le dépôt du dossier au
secrétariat de la succursale de la Banque de France ;
4. Interdire à un débiteur qui a déjà saisi la
commission de surendettement mais qui a refusé le plan proposé de
pouvoir redéposer un dossier, sauf changement significatif de sa
situation ;
5. Prévoir la présence d'un travailleur social siégeant
aux réunions de la commission de surendettement avec voix
consultative ;
6. Harmoniser la procédure de traitement du surendettement et la
procédure de saisie immobilière en clarifiant les
compétences respectives du juge de l'exécution et du juge de la
saisie immobilière en matière de suspension des procédures
d'exécution : ouvrir à la commission de surendettement la
faculté de demander la remise de l'adjudication pour causes graves et
dûment justifiées ;
7. Préciser le libellé de l'article L.331-5 du code de la
consommation afin qu'en cas d'échec de la procédure amiable, la
suspsension des poursuites soit prolongée dès que le
débiteur demande à la commission de surendettement de faire des
recommandations, et non à partir du moment où ces recommandations
sont effectivement prescrites ;
8. Modifier le libellé de l'article L.331-7 du code de la
consommation afin, en cas de vente forcée ou amiable du logement
principal du débiteur surendetté, de proroger la
possibilité offerte à la commission de surendettement de
recommander la réduction du montant de la fraction des prêts
immobiliers restant due après la vente jusqu'à l'expiration d'un
délai de deux mois à compter de l'exercice de leurs droits par
les organismes de crédit ;
9. Introduire dans le code de la consommation une disposition prévoyant
que les gérants dont la société a été mise
en liquidation judiciaire (alors que celle-ci n'est pas clôturée)
ne peuvent prétendre au bénéfice de la procédure
sur le surendettement des ménages tant que la première
instruction n'est pas terminée.
10. Afin d'éviter que la caution ne soit tenue plus
sévèrement que le débiteur principal, introduire dans le
code de la consommation un article disposant que la caution puisse se
prévaloir des mesures consenties par le créancier dans le plan
conventionnel de règlement .
11. Imposer que les mentions légales obligatoires devant figurer dans
l'offre de crédit à la consommation soient également
inscrites dans les documents publicitaires et, dans chaque cas, soient bien
mises en évidence.
II - Les orientations préconisées par le groupe de travail
1. Enrichir la liste des mentions figurant au FICP pour
généraliser le recensement des impayés au-delà des
seuls incidents de paiement constatés par les organismes de
crédit ;
2. Afin d'éviter un engorgement des commissions de surendettement
risquant de compromettre leur efficacité reconnue par l'ensemble des
acteurs, compléter le dispositif en vigueur en prévoyant une
procédure spécifique applicable aux cas les plus
désespérés ;
3. Développer une coopération plus étroite entre les
secrétariats des commissions de surendettement et l'ensemble des acteurs
sociaux dans la phase d'instruction des dossiers de surendettement ;
4. Instaurer un mécanisme contractuel de suivi de la mise en oeuvre des
plans confié à un conseiller en économie sociale et
familiale ;
5. Développer des campagnes de sensibilisation sur le coût des
crédits à la consommation associant les services sociaux et les
associations de consommateurs et lancer des campagnes nationales d'information
sur les droits des consommateurs et les réglementations en vigueur
concernant le crédit ;
6. Encourager une réflexion au sein de la profession bancaire sur
l'adoption de règles déontologiques applicables à l'octroi
du crédit ;
7. Étendre la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 sur le
redressement et la liquidation judiciaire des entreprises aux professions
libérales.
III - Les mesures tendant à sécuriser l'accession à la
propriété
1. Encourager la souscription, par les emprunteurs accédants, de la
garantie perte d'emploi en recourant à la technique de la pollicitation,
qui consiste à diffuser simultanément plusieurs garanties se
rapportant au même objet (ex : proposer systématiquement la
garantie perte d'emploi en même temps que les garanties
décès-invalidité qui ont déjà un taux de
diffusion élevée) ;
2. Supprimer la distorsion entre le neuf et l'ancien en étendant le
prêt zéro aux achats de logements anciens, en réduisant les
taux des droits de mutation à titre onéreux et en tenant plus
compte du caractère neuf ou non du logement dans l'octroi des aides
personnelles ;
3. Mettre en place un système de sécurisation du prêt
à taux zéro, financé par l'Etat, et qui pourrait s'appuyer
sur les entreprises d'assurance et les organismes d'HLM ;
4. Engager une réflexion sur le remboursement anticipé des
emprunts immobiliers, de façon à ne pas pénaliser les
ménages contraints par les difficultés de la vie à
effectuer un remboursement anticipé ;
5. Renforcer la couverture du territoire national par les ADIL en créant
les 58 agences manquantes (une agence par département).
Rappelons en outre qu'une proposition de loi renforçant la protection
des personnes surendettées en cas de saisie immobilière est en
cours d'examen au Parlement (en instance en 2ème lecture au
Sénat).
Ce texte, rapporté par notre collège M. Jean-Jacques Hyest,
traduit le souci d'assurer la vente à un meilleur prix du
logement
principal du débiteur surendetté.
A titre strictement personnel, votre rapporteur souhaite que le débat
sur la réforme annoncée du traitement du surendettement permette
d'avancer dans le sens de l'effacement de la dette du débiteur face
à ses créanciers, sous certaines conditions, comme cela peut
être le cas pour les entreprises. Cette mesure contribuerait à
redonner aux plus démunis de nos concitoyens de meilleures perspectives
d'avenir ; sans cette " issue de secours ", leur situation
ne
pourrait être réglée dans des délais raisonnables.
A ce sujet, on peut noter que les associations de consommateurs et les
différents acteurs ont des avis différents. Le débat
existe sur le bien-fondé de l'extension du système de
" faillite civile " existant en Alsace-Moselle, qui permet
aux
personnes placées en situation d'insolvabilité notoire de
bénéficier des procédures collectives de redressement et
de liquidation judiciaire des entreprises. Votre rapporteur, pour sa part,
partage les réserves du groupe de travail sur le surendettement
animé par nos collèges MM. Jean-Jacques Hyest et Paul
Loridant sur l'application de ce système au reste de notre pays.