B. DEUXIÈME PRIORITÉ : AMÉLIORER LA COMPÉTITIVITÉ SPATIALE FRANÇAISE ET EUROPÉENNE
Le Centre national d'études spatiales (CNES) a connu au
cours des dernières années des difficultés
financières importantes. A la fin de l'année 1995, le CNES
enregistrait une dette à l'Agence spatiale européenne de
1.734 millions de francs ainsi qu'un résultat négatif de la
section de fonctionnement (-208 millions de francs) et de la section en
capital (- 141 millions de francs).
Les dotations du CNES pour 1998 diminuent de 7,6 % et son budget se
répartit comme suit :
- 915 millions de francs de dépenses ordinaires,
- 7.400 millions de francs d'autorisations de programme,
- 7.560 millions de francs de crédits de paiement.
Une telle évolution répond à la volonté du ministre
de l'Education nationale, de la recherche et de la technologie de
procéder à une modification significative des orientations de la
politique spatiale nationale.
Le secteur spatial a connu, au cours des dernières années, des
mutations qui modifient profondément ses enjeux stratégiques.
Perçu à l'origine comme un mode d'expression de la puissance
stratégique et militaire, l'espace est devenu aujourd'hui un instrument
de domination économique.
L'élément déterminant
est sans conteste le recours
de plus en plus fréquent à l'espace pour les
télécommunications et l'audiovisuel
. En effet, les services
de télécommunications mobiles personnels et la
télédiffusion directe d'images numérisées viennent
s'ajouter aux services de télécommunications fixes et mobiles et
à la télédiffusion analogique.
Comme le souligne le rapport présenté en septembre 1997 par
M. Michel Carpentier au nom du Conseil économique et social sur
"
la politique spatiale de la France dans le contexte européen
et mondial
", "
les satellites et leurs relais
terrestres sont
désormais partie intégrante des autoroutes de
l'information
".
Les nouvelles applications de l'espace ont pour effet d'entraîner un
développement spectaculaire du marché spatial. On prévoit
pour les dix ans à venir un volume de ventes cumulées de l'ordre
de 80 milliards de dollars pour le segment spatial (fabrication et
lancement de satellites, revenus des exploitants), de 100 milliards de
dollars pour le segment sol (stations sol, équipements et terminaux) et
un montant compris entre 200 et 450 milliards de dollars pour les services
applicatifs. Les études réalisées sur le marché
mondial des satellites de plus de 100 kilos constituent également
un indicateur laissant espérer un développement
considérable de ce secteur à forte valeur ajoutée et
créateur d'emplois.
ÉVOLUTION DU MARCHÉ MONDIAL (HORS CEI ET
CHINE) DES
SATELLITES DE PLUS DE 100 KILOS
SUR LES PÉRIODES
1990-1994 ET 1995-1999
Type de satellite
|
Périodes |
Evolution
|
|
1990-1994 |
1995-1999 |
||
Navigation | 21 | 14 | - 33 |
Sciences et technologies | 40 | 42 | + 5 |
Observation et météo | 31 | 59 | + 90,5 |
Communication | 83 | 236 | + 184,3 |
Total | 175 | 352 | + 101 |
dont - civil | 114 | 282 | + 147 |
- militaire | 61 | 70 | + 15 |
(Source : Euroconsult)
Ces chiffres indiquent que l'essor du marché international des
satellites se situera essentiellement dans le domaine des
télécommunications.
Les nouvelles utilisations de l'espace qui apparaissent, par ailleurs, comme
les plus susceptibles de se développer conduisent à une
multiplication des acteurs du développement spatial et exigent qu'aux
côtés des agences spatiales étroitement liées aux
Etats souverains, se développent, d'une part, des grands groupes
industriels capables d'affronter la concurrence internationale et, d'autre
part, un réseau de PME-PMI innovantes et dynamiques.
Les États-Unis ont acquis en ce domaine une avance considérable
et disposent d'un secteur spatial capable de jouer un rôle
déterminant dans le développement de la société de
l'information. Les actions entreprises au niveau fédéral lui ont,
en effet, permis de bénéficier d'une forte
compétitivité sur les marchés extérieurs et d'un
niveau satisfaisant de rentabilité des investissements
réalisés.
L'Europe, et en particulier la France, bénéficient d'atouts
considérables. Leur engagement ancien dans le secteur spatial leur
permet de bénéficier d'infrastructures scientifiques et
techniques performantes, d'opérateurs de satellites compétitifs
et d'une industrie de dimension mondiale. Rappelons que l'Europe maîtrise
60 % du marché mondial du lancement grâce au succès du
programme Ariane.
Néanmoins, l'
effort d'adaptation à la nouvelle donne spatiale
reste insuffisant
.
La France, qui possède 40 % de la capacité industrielle
européenne, et qui contribue à hauteur de 30,7 % au budget
de l'Agence spatiale européenne, est en position de jouer un rôle
déterminant dans cette restructuration.
Le contexte de rigueur budgétaire constitue un argument
supplémentaire pour que soient définies des priorités
susceptibles d'améliorer en ce domaine la
compétitivité
et l'indépendance nationales.
Votre rapporteur souhaite donc que deux secteurs de la politique spatiale, dont
les enjeux lui semblent décisifs pour l'avenir, fassent l'objet d'un
effort particulier. Il s'agit, d'une part, des systèmes de lancement et,
d'autre part, des satellites de télécommunications.
·
Les systèmes de lancement
La réussite d'Ariane a donné à l'Europe un accès
privilégié à l'espace. Le programme
Ariane 5-Evolution permet d'adapter le lanceur européen aux
exigences engendrées par l'évolution du marché.
Le succès du vol 502 le 30 octobre 1997 ouvre en ce domaine des
perspectives intéressantes.
En effet, ce programme porte la performance du lanceur à 7,4 tonnes
pour un lancement double en orbite géostationnaire, ce qui lui permet de
répondre à la concurrence des lanceurs américains Atlas
2 AR et Delta 3 qui visent 3,8 tonnes en lancement simple. Par
ailleurs, le potentiel d'Ariane 5 est susceptible d'être
exploité en vue du développement du marché des
constellations de satellites (programme Versatile) et des lancements doubles en
orbite héliosynchrone.
Enfin, il convient, au-delà du succès d'Ariane, d'élargir
la gamme des lanceurs européens. Cette politique se réduit
aujourd'hui à la commercialisation des lanceurs moyens Soyouz dans le
cadre de la coopération franco-russe.
La concurrence internationale est d'ores et déjà très
vive. Les premiers satellites Iridium de Motorola ont été
lancés à partir des lanceurs russe Proton, chinois Longue Marche
et américain Delta. Ceux de Globalstar de Loral seront portés par
des Delta.
La poursuite de l'effort s'avère nécessaire pour
garantir la
compétitivité du lanceur européen
.
·
Les satellites de télécommunications
Les services offerts par les satellites de télécommunications se
multiplient : au-delà des systèmes de messagerie et de
téléphonie mobile personnelle à vocation mondiale, est
envisagé le développement des services offrant des
capacités de communication à très large bande compatibles
avec des applications multimédia qui devraient se développer dans
des domaines diversifiés dans les années à venir
(télémédecine, télé-éducation,
télétravail, Internet haut débit,
visioconférence...).
Les États-Unis possèdent, en ce domaine, une avance
décisive
. En effet, beaucoup d'initiatives en ce domaine sont venues
des États-Unis sous l'impulsion des concepts de NII (National
information infrastructure) puis de GIS (Global infrastructure system). Ces
initiatives font appel à de nouvelles constellations de satellites, soit
géostationnaires, soit en orbite basse. Elles bénéficient
des soutiens indirects importants qu'assurent à l'industrie
américaine les contrats de recherche et de développement et les
grands programmes fédéraux. C'est le cas, en particulier, du
projet américain Teledesic, initié notamment par M. Bill
Gates, président de Microsoft.
Au niveau européen et national, plusieurs initiatives concurrentes sont
proposées par des grands maîtres d'oeuvre : Skybridge par
Alcatel associé à l'Aérospatiale, West par Matra Marconi
Space, Globalstar (groupe FT), Euroskyway par Alenia Spazio. Il importe de
mettre en évidence l'intérêt du projet Skybridge et de
mobiliser des partenaires de poids non seulement européens mais aussi
américains et japonais. La constellation Skybridge s'appuiera sur
74 satellites. Si le nombre est moins élevé que le
système Teledesic, il semble essentiel qu'il se mette en place
rapidement.
Néanmoins, l'effort consenti dans le domaine des
télécommunications est appelé à se renforcer pour
soutenir les développements nationaux et européens face à
l'offensive américaine. La volonté de préserver
l'indépendance nationale et européenne doit tenir lieu de
priorité dans ce domaine caractérisé par
l'évolution rapide des technologies et des besoins du marché dans
un environnement très concurrentiel.
Le programme technologique en télécommunications STENTOR
fédère les efforts de la délégation
générale à l'armement, de
France Télécom, du CNES et des industriels maîtres
d'oeuvre. Engagé à la fin de l'année 1995, il est
destiné à améliorer la compétitivité des
industriels français. Il comprend des activités de recherche et
développement, des développements au sol, un satellite et
l'insertion de technologies nouvelles à application industrielle.
L'échéancier du programme prévoit le lancement du
satellite au premier semestre 2000 et une phase d'expérimentation en vol
des technologies nouvelles pendant au moins les deux premières
années de la vie du satellite (qui sera de 9 ans).
Au delà de cette première étape, l'effort doit être
intensifié afin de
renforcer la position de la France dont la part
sur le marché international des satellites de
télécommunications ne s'élève aujourd'hui
qu'à 15 %
.
Parallèlement à l'effort de recherche et
d'expérimentation, il apparaît indispensable que la France puisse
ainsi que ses partenaires,
bénéficier de fréquences
suffisantes pour lancer les nouveaux systèmes satellitaires
placés en moyenne ou basse orbite. Ceux-ci exigent, en effet, des
fréquences plus nombreuses que les satellites géostationnaires,
compte tenu du nombre important de satellites nécessaires à leur
fonctionnement. Il convient donc de rechercher des alliances avec d'autres pays
demandeurs et de mener une concertation poussée avec les Etats membres
de l'Union européenne pour, d'une part, obtenir plus facilement les
orbites et fréquences nécessaires aux systèmes de
satellites de télécommunications construits par les industriels
européens ou positionnés sur des réseaux exploités
par des sociétés européennes et, d'autre part, pour
négocier une révision des méthodes et procédures
actuellement en vigueur au sein de l'UIT, agence spécialisée des
Nations Unies chargée de gérer la répartition des
fréquences. En effet, celle-ci est aujourd'hui sous l'influence quelque
peu hégémonique des Etats-Unis comme l'ont montré les
récentes conférences mondiales des
radio-télécommunications organisées dans son cadre. Cette
préoccupation géopolitique doit guider tous les responsables
politiques, français ou européens.