2. L'émergence d'un droit du paysage
Les paysages remarquables, sites classés ou inscrits, parcs nationaux, réserves et terrains du Conservatoire du littoral qui recouvrent 2 à 3 % de notre territoire présentent un caractère d'exception. L'essentiel du paysage français est en effet régi par le droit de l'urbanisme, le droit rural et le droit de l'environnement à défaut d'un véritable droit du paysage qui se présente encore comme un corpus diffus dont l'application demeure imparfaite.
a) Un corpus juridique diffus
Le décret n° 58-1467 du
31 décembre 1958, à l'origine de l'article R.111-21 du
code de l'urbanisme, introduisit l'atteinte aux " paysages naturels et
urbains " comme motif légal du refus du permis de construire. Il
constitue le premier pas en faveur de la reconnaissance du caractère
d'intérêt public de la politique des paysages qui sera
consacré par la loi du 10 juillet 1976 relative à la
protection de la nature, la loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture ou
encore la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la
protection de l'environnement.
La loi du 8 janvier 1993 s'inscrit, en ce qui concerne ses dispositions
modifiant le code de l'urbanisme, dans la continuité de cette
évolution. Elle a, à ce titre, introduit des innovations
décisives : extension aux paysages des zones de protection du
patrimoine architectural et urbain, prise en compte dans les plans d'occupation
du sol de l'aspect paysager, création des directives paysagères
destinées à protéger les lointains.
En dépit de ces évolutions législatives et d'une prise de
conscience dont témoigne la multiplication des " plans
paysage ", le droit du paysage se présente encore aujourd'hui comme
l'addition de multiples prescriptions empruntées au droit rural, au
droit de l'urbanisme ou aux lois d'aménagement du territoire.
b) Une efficacité aléatoire
Les nouveaux instruments juridiques destinés à
protéger les paysages ne sont pas à ce jour pleinement
utilisés.
Certaines dispositions législatives ne sont pas appliquées.
C'est le cas des directives de protection et de mise en valeur des paysages
qui ont pour vocation de déterminer les orientations et principes
fondamentaux de protection des structures paysagères des territoires
remarquables pour leur intérêt paysager. Ces directives s'imposent
à la fois aux documents d'urbanisme et aux autorisations de
défrichement, d'occupation et d'utilisation du sol en l'absence de plans
d'occupation du sol ou lorsque le plan d'occupation des sols est incompatible
avec leurs prescriptions. Depuis l'adoption de la loi sur le paysage,
voilà quatre ans, aucune directive paysagère n'a
été élaborée ; trois directives seulement sont
à l'étude (Alpilles, Côtes de Meuse et vues sur la
cathédrale de Chartres). Ces résultats modestes résultent
essentiellement de la lourdeur de leur procédure d'élaboration.
En effet, celle-ci s'avère trop centralisée : la mise
à l'étude des directives relève du ministre de
l'environnement ; la concertation associant collectivités locales,
associations et organes professionnels s'effectue sous l'autorité du
préfet, la directive étant ensuite approuvée par
décret en Conseil d'Etat.
Par ailleurs,
certaines prescriptions législatives sont souvent mal
appliquées
. C'est le cas en particulier de la loi du
29 décembre 1979 sur la publicité.
c) Un droit encore incomplet
Le droit du paysage reste encore à construire, en
particulier dans le domaine des grandes infrastructures.
C'est le cas notamment de
l'enfouissement des réseaux
électriques ou téléphoniques
où les
prescriptions législatives ne sont que très partielles et n'ont
guère permis d'accélérer les actions conduites par les
opérateurs dans le cadre d'une politique contractuelle.
En effet, l'article 91 de la loi de 2 février 1995 relative au
renforcement de la protection de l'environnement précise que
"
sur le territoire d'un parc national, d'une réserve naturelle
ou d'un site classé au titre de la loi du 2 mai 1930 (...), il est
fait obligation d'enfouissement des réseaux électriques ou
téléphoniques ou, pour les lignes électriques d'une
tension inférieure à 19.000 volts d'utilisation de
techniques de réseaux torsadés en façade d'habitation,
lors de la création de lignes électriques nouvelles ou de
réseaux téléphoniques nouveaux
". Cette
disposition n'apporte qu'une réponse très partielle aux
problèmes posés par les réseaux
téléphoniques ou électriques : en effet, la loi ne
concerne pas les lignes existantes qui semblent désormais devoir faire
partie du paysage et ne s'applique qu'à une portion très
limitée du territoire national.
En dehors de cette prescription législative, les opérations
engagées résultent des engagements pris par France
Télécom et Électricité de France dans le cadre
d'engagements contractuels. L'annexe au contrat d'entreprise pour les
années 1997-2000 conclu entre l'Etat et EDF signée le 22 mai
1997, reprend les principales dispositions du protocole du 25 août
1992 ; il est à noter qu'il prévoit notamment la
résorption de la moitié des " points noirs paysagers "
qui avaient fait l'objet en 1995 de listes départementales
hiérarchisées établies par les préfets. En ce qui
concerne les réseaux téléphoniques, un nouveau protocole
qui devrait succéder à celui signé le 19 janvier 1993
est en cours de négociation.
Il s'avère, en ce domaine que, pour des raisons tenant essentiellement
au coût de ces opérations, ce sont les opérateurs qui
déterminent le rythme de leur effort en faveur de la protection du
paysage.
Le développement de la téléphonie mobile
, qui
s'accompagne d'une multiplication de nouvelles infrastructures dont l'impact
très négatif sur le paysage est évident, exige
que le
ministère de l'environnement tire les enseignements de la politique
conduite dans le domaine des lignes électriques et
téléphoniques
.
Pour l'heure, aucune action décisive n'a été menée.
Certes, la loi du 26 juillet 1996 portant réglementation des
télécommunications subordonne l'autorisation d'établir et
d'exploiter un réseau à l'application de règles contenues
dans un cahier des charges dans lequel figurent notamment les prescriptions
exigées par le respect de l'environnement. Cependant, cette disposition
n'est pas applicable aux licences accordées avant cette loi, ce qui
laisse une certaine liberté aux opérateurs de réseaux,
France Télécom Mobile, SFR et Bouygues Télécom. Par
ailleurs, il n'existe aucune réglementation spécifique sur
l'installation des pylônes. Afin de remédier dans un premier temps
à cette lacune, une circulaire devrait être prochainement
adressée aux préfets pour que les projets d'installation donnent
lieu à un examen plus systématique.