B. LA NÉCESSITÉ DE LÉGIFÉRER

1. Des urgences

L'entrée dans la société de l'information a d'ores et déjà modifié, comme on l'a vu, la structure et l'économie de l'audiovisuel. L'évolution n'est qu'amorcée, elle prend actuellement une ampleur encore inattendue il y a quelques mois, comme en témoigne le succès commercial des bouquets satellitaires français. Il est devenu indispensable d'adapter le cadre juridique des activités audiovisuelles à ce contexte profondément transformé. Ainsi, le développement de la diffusion satellitaire se produit dans un vide juridique que l'on serait tenté de qualifier de sidéral, ses conséquences sont multiples sur des aspects essentiels de la législation de l'audiovisuel, le régime des entreprises en particulier.

Ces problèmes sont parfaitement identifiés et la discussion, au début de 1997, d'un projet de loi sur la communication audiovisuelle a permis de faire l'inventaire des solutions juridiques disponibles.

Votre rapporteur considère particulièrement urgent de traiter trois dossiers en attente de solutions.

a) La réglementation des nouveaux moyens de diffusion

· La diffusion des services de radiodiffusion sonore et de télévision par satellite

Elle est actuellement soumise à un régime juridique différent selon que les fréquences utilisées sont gérées par le CSA ou par une autre autorité, le plus souvent le ministre chargé des télécommunications assisté par l'Autorité de régulation des télécommunications, en application des dispositions de la loi de réglementation des télécommunications du 26 juillet 1996.

Les fréquences gérées par le CSA sont utilisées par les satellites de radiodiffusion directe du type TDF 1 et TDF 2 qui, initialement, devaient seuls diffuser des programmes de télévision directement reçus par les usagers. L'article 31 de la loi de 1986 et son décret d'application prévoient la délivrance des autorisations d'utiliser ces fréquences à l'issue d'une procédure d'appel à candidature diligentée par le CSA, lourde et peu adéquate compte tenu du préfinancement fréquent des projets par les candidats à l'autorisation. En outre, ce régime juridique a été frappé d'obsolescence par l'échec de la filière des satellites de radiodiffusion directe.

La seconde catégorie de fréquences, celles non gérées par le CSA, est soumise au régime juridique institué par l'article 24 de la loi de 1986, qui s'applique aux satellites de télécommunication diffusant des programmes de radio et de télévision. Cette procédure prévoit la délivrance d'un agrément et le conventionnement des services par le CSA. Le décret d'application qui devait préciser le contenu des conventions n'a cependant pas été pris, dans la crainte de pénaliser, en leur appliquant les obligations de programmation impliquées par la loi, les diffuseurs français par rapport à la concurrence étrangère, et de les inciter à délocaliser leurs activités. Or, l'essor remarquable que connaît actuellement en France la diffusion par satellite de services de télévision grâce à l'utilisation des techniques numériques, est lié à l'utilisation de satellites de télécommunications diffusant sur ces fréquences.

Cette évolution profonde du paysage audiovisuel a lieu en l'absence d'un régime juridique permettant à l'Etat d'encadrer ce phénomène en tenant compte de l'intérêt général, et permettant aux opérateurs de disposer d'informations claires sur leur marge de manoeuvre.

Il est donc indispensable d'élaborer dans de très brefs délais un cadre juridique précisant à quelles conditions et selon quelles procédures un opérateur français ou étranger peut utiliser des fréquences satellitaires françaises pour diffuser des services de radio ou de télévision, quelles obligations de contenu doivent respecter les programmes diffusés, les procédures permettant de fixer ces obligations et d'en assurer le contrôle et la sanction, le champ d'application du régime des contenus conformément aux critères de compétence des Etats membres fixés par la directive Télévision sans frontière en juin dernier, l'opportunité d'introduire dans le régime des contenus des services satellitaires une souplesse tenant compte de la commercialisation de ces services par bouquets et des distorsions de concurrence qui résulteront de la mondialisation de la diffusion dans ce secteur et de la facilité des délocalisations d'opérateurs.

· La réglementation des nouveaux services de communication

Ici encore, l'entrée dans la société de l'information suscite des innovations auxquelles la législation actuelle ne fournit pas un cadre juridique satisfaisant.

Les " nouveaux services ", qui seront pour l'essentiel des services " en ligne " accessibles sur appel de l'utilisateur, dérivés soit des services de radio ou de télévision traditionnels (comme la vidéo à la demande) soit de la télématique (accès à des banques de données associé à des prestations de téléachat...), entrent dans le champ d'application de la loi du 30 septembre 1986, mais avec un régime juridique très différent de celui des services traditionnels.

Ils répondent en effet pour la plupart à la définition de la communication audiovisuelle donnée au second alinéa de l'article 2 de la loi du 30 septembre 1986 : " on entend par communication audiovisuelle toute mise à disposition du public ou de catégories de public, par un procédé de télécommunication, de signes, de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature qui n'ont pas le caractère d'une correspondance privée ".

Une circulaire du 17 février 1988 a tenté de préciser la notion de communication audiovisuelle en retenant trois critères : le message délivré par le service est destiné indifféremment au public en général ou à des catégories de publics, le contenu du message n'est pas fonction de considérations fondées sur la personne destinataire du message, le message est à l'origine mis à la disposition de tous les usagers du service gratuitement ou non.

Cette définition englobe la plupart des contenus diffusés sur Internet, à l'exception manifeste de ceux des services de messagerie électronique. En revanche, il semble que les " groupes de discussion " d'Internet soient assimilables à des services de communication audiovisuelle.

En conséquence du caractère extensif de la notion de communication audiovisuelle en droit français, la plupart des " nouveaux services " relèvent de l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 qui énonce le principe de la liberté de la communication audiovisuelle, définit les limites de l'exercice de cette liberté, énonce un certain nombre de principes dont il confie au CSA la mise en oeuvre.

Au-delà de ce rattachement aux " grands principes " de la loi de 1986, le régime applicable à ces services est extrêmement libéral.

En ce qui concerne les conditions d'accès aux supports de diffusion et le contrôle des contenus, les " nouveaux services " sont soumis au régime juridique défini à l'article 43 de la loi de 1986, qui institue une procédure de déclaration préalable au procureur de la République quand les services utilisent les réseaux de télécommunications, au producteur de la République et au CSA dans les autres cas. Aucun mécanisme de contrôle des contenus n'est institué. Les services télématiques mis à la disposition du public sont cependant soumis à un code de déontologie dans le cadre des conventions qui les lient à France Télécom pour l'accès au " système kiosque ". Ce système constitue un palliatif de portée limitée à l'absence de procédures légales de contrôle des contenus et ne saurait en outre être considéré comme résolvant la question du contrôle pour l'ensemble des " nouveaux services " de la société de l'information. En effet, le développement fulgurant des usages d'Internet, qui fait de plus en plus figure d'épine dorsale du système mondial de communication, et le foisonnement concomitant des contenus illégaux, parfois très attentatoires à l'ordre public, rend absolument nécessaire l'adaptation de dispositions législatives formulées il y a quelques années en vue du télétexte et des services du minitel.

M. Hervé Bourges, président du CSA, auditionné par votre commission le 14 octobre 1997, a fortement insisté sur la nécessité de remédier à cette situation, et a préconisé l'extension et l'adaptation aux services diffusés par les nouveaux moyens de diffusion, les réglementations, les procédures, les principes et les sanctions applicables aux services traditionnels. Il a cité notamment, parmi ces principes, le droit de réponse, la protection des mineurs, le renforcement de nos industries culturelles. Il a aussi estimé que le CSA, seul compétent sur les contenus, devaient disposer du pouvoir d'autoriser, de conventionner, de contrôler et de sanctionner les services radiophoniques et audiovisuels qui seront proposés sur les réseaux téléphoniques, ce qui vise en particulier les services d'Internet.

Votre rapporteur rejoint M. Hervé Bourges sur la constatation de l'urgence d'une initiative législative. Il estime que le régime juridique des " nouveaux services " devra être élaboré en fonction de plusieurs critères :

- L'opportunité d'instaurer un contrôle administratif

Même si l'on ne considère pas comme un impératif catégorique la tradition " libertaire " des acteurs de l'Internet, cette opportunité mérite d'être examinée, compte tenu de la spécificité des " nouveaux services " au regard de l'ensemble des services de communication audiovisuelle.

En effet, la diffusion numérique des " nouveaux services " va largement atténuer, sinon faire à terme disparaître, la rareté des capacités de transport des messages tandis que leur multiplication, leur mode de commercialisation faisant appel à l'initiative du consommateur, une mise à disposition du public qui se fera de plus en plus de " point à point " et non plus de " point à multipoints ", feront progressivement perdre toute consistance à l'argument de l'impact social. Les deux caractéristiques qui ont justifié le dirigisme relatif du droit de la communication audiovisuelle par rapport à celui de la presse, ne se rencontrent pas dans les " nouveaux services ".

- La conformité au droit européen des solutions adoptées

Il convient de tenir compte, spécialement si une réglementation des contenus devait répondre à un objectif de protection des industries culturelles nationales, des difficultés que peut provoquer la non application de la directive Télévision sans frontière aux " nouveaux services ". Si ceux-ci sont régis par la réglementation des services de télécommunications, dominée par le principe de liberté de circulation et soumis à la plus large concurrence, la marge de manoeuvre réglementaire des pouvoirs publics français sera restreinte à la protection, vraisemblablement étroitement entendue, de l'ordre public.

- La possibilité technique et l'opportunité économique d'un contrôle administratif

Le fonctionnement d'Internet montre la difficulté pratique d'opérer un contrôle administratif des contenus des nouveaux réseaux de distribution de l'information. L'Etat peut ainsi couper certaines liaisons, mais non empêcher qu'elles soient reconstituées par d'autres voies, interdire des sites, mais pas empêcher qu'ils soient repris par des sites miroirs disséminés dans le monde entier, rechercher et poursuivre les éditeurs de contenus illicites, mais ceux-ci ont la possibilité d'utiliser des logiciels permettant de naviguer sur Internet sans laisser de traces : les réseaux sont hors du contrôle de l'Etat et les réglementations ne concernent en définitive que ceux qui veulent bien s'y soumettre.

Il convient de tenir compte de cet état de fait.

- Les modalités juridiques de la mise en oeuvre d'un contrôle

A priori, il est concevable d'appuyer un contrôle des contenus des nouveaux services par le CSA sur le régime juridique de la déclaration préalable institué par l'article 43 de la loi du 30 septembre 1986, à la condition que les services entrant dans le champ d'application de cet article se plient à cette formalité, ce qui semble n'être pas systématiquement le cas. On peut envisager par exemple de soumettre à une obligation de conventionnement les services déclarés et de les faire adhérer à cette occasion à un certain nombre d'obligations relatives à la déontologie des contenus.

b) Les réglementations de contenu

L'évolution du paysage audiovisuel va imposer des initiatives sur deux plans.

· L'harmonisation des règles de contenu applicables à la diffusion satellitaire et à la distribution par câble, va s'imposer puis s'étendre aux règles applicables à la diffusion terrestre dans la mesure d'une part où le câble et le satellite vont transporter indifféremment les mêmes services, ce qui implique la suppression des éléments de distorsion de concurrence existant dans la réglementation (régime des quotas, procédures de modification des plans de services du câble...), dans la mesure d'autre part où les progrès de la réception satellitaire vont placer les chaînes hertziennes terrestres en situation de véritable concurrence avec les chaînes thématiques empruntant d'autres modes de diffusion, ce qui impliquera aussi d'égaliser les conditions de concurrence. Ajoutons que la numérisation de la diffusion hertzienne terrestre effacera tôt ou tard la distinction actuelle entre les chaînes hertziennes terrestres et les autres : tous les programmes seront à terme diffusés sur l'ensemble des supports, ce qui retirera une part de sa pertinence à la distinction actuelle des régimes juridiques selon le support pour lequel les services sont initialement conventionnés.

· Une autre conséquence cruciale de l'évolution actuelle du paysage audiovisuel sera très prochainement la remise en cause des quotas de diffusion d'oeuvres françaises et européennes et plus généralement des diverses obligations de contenu dont la directive Télévision sans frontière précitée ne garantit pas véritablement le maintien, sous l'influence de deux facteurs.

D'une part, la diffusion satellitaire, internationale par nature, jouant un rôle de plus en plus important dans l'économie de l'audiovisuel, va rendre les frontières particulièrement perméables dans ce secteur. Il faudra bien aligner les règles françaises de contenu sur une moyenne internationale afin d'éviter d'infliger des distorsions de concurrence trop sévères aux entreprises françaises.

D'autre part, la négociation de révision de la directive Télévision sans frontière n'a pas permis d'améliorer un texte très laxiste. La condition d'application " chaque fois que cela est réalisable ", une assiette de calcul incluant les émissions de plateau, la possibilité de remplir les quotas aux heures de faible écoute, permettront aux chaînes nord-américaines désireuses d'exploiter le marché européen d'obtenir leur naturalisation dans tel ou tel Etat membre sans subir de graves contraintes d'adaptation. En outre, le recours au critère de lieu d'établissement du siège social (avec d'autres critères subsidiaires) pour déterminer la compétence des Etats membres sur les chaînes de télévision, va obliger un Etat comme la France à renoncer à conventionner en leur imposant ses règles de contenu des organismes établis dans l'Union et souhaitant être distribués par le câble et éventuellement diffusés par la voie hertzienne terrestre, sans même parler de la diffusion satellitaire peu facile à appréhender comme on l'a vu ci-dessus.

Il convient de tenir compte de ces remises en cause. Il semble que les incitations financières joueront à l'avenir un rôle plus important encore qu'à l'heure actuelle.

c) le pluralisme de l'offre des programmes

On a vu que l'entrée dans l'ère numérique s'accompagnait d'une tendance à l'intégration verticale des entreprises audiovisuelles désireuses de contrôler les différentes étapes de la filière de l'image, depuis la disponibilité de catalogues de droits permettant d'approvisionner en programmes attractifs les services mis en nombre croissant à disposition du public, jusqu'à la gestion de populations d'abonnés assurant une part de plus en plus significative des ressources financières du secteur. Cette logique de développement, conjuguée avec la donne nouvelle que représente le passage d'une situation de rareté des moyens de diffusion à une situation d'abondance, amène à poser sur des fondements nouveaux le pluralisme de l'offre audiovisuelle. Il convient de tenir compte de plusieurs aspects :

· la réglementation anti-concentration devra être adaptée afin de réaliser un bon compromis entre des objectifs divergents : la sauvegarde du pluralisme des courants d'expression, objectif de valeur constitutionnelle dont la démultiplication de l'offre de programme devrait faciliter la réalisation si la tendance à la cartellisation des entreprises n'y fait pas obstacle ; le freinage de la cartellisation, non seulement en vue d'assurer le pluralisme, mais aussi pour assurer une saine concurrence entre les opérateurs ; la constitution de groupes puissants capables de développer et d'exporter une offre française de programmes numériques. Le rôle grandissant des industries de l'information et particulièrement de celle des contenus dans la croissance économique, la suprématie de la production américaine et le recul inéluctable de nos protections réglementaires imposent de ne pas perdre de vue cet objectif.

D'ores et déjà, l'explosion de la télévision numérique par satellite a rendu caduc le dispositif anti-concentration de la loi du 30 septembre 1986, qui comporte deux séries de mesures : des restrictions à la détention par une personne de parts de capital des services de télévision autorisés et la limitation du cumul par une même personne d'autorisations relatives à des services de télévision.

Ce dispositif a été conçu en fonction de la rareté des capacités de diffusion. Il fait désormais obstacle au développement de bouquets français de programmes satellitaires.

Il convient de le réorienter dans deux directions largement explorées, en particulier par le Sénat, lors de l'examen du projet de loi sur la communication audiovisuelle au début de 1997 :

- la limitation de la part de marché détenue par une même personne sur chaque segment de marché de la télévision ;

- l'obligation pour tout opérateur de bouquet de chaînes de réserver à des services indépendants une part de l'offre de programmes qu'il commercialise.

· La course aux catalogues de programmes impose de réfléchir aux moyens d'assurer la fluidité de ce marché en empêchant le gel des droits d'exploitation par un nombre limité de diffuseurs et en rééquilibrant les relations entre diffuseurs et producteurs dans cet esprit. Les entrants sur le marché de la diffusion numérique doivent avoir accès aux programmes. Par ailleurs, il est important, comme le prévoit la nouvelle directive " télévision sans frontière ", que les chaînes à abonnement ne s'assurent pas l'exclusivité de certains grands événements intéressant l'ensemble de la société, qu'ils soient sportifs ou autres.

La tendance à l'intégration verticale des diffuseurs signalée ci-dessus et la concurrence acharnée que se livrent les opérateurs de bouquets et de chaînes thématiques afin de s'assurer le contrôle des catalogues de droits les plus intéressants, l'opportunité de prévenir la croissance déraisonnable du coût des programmes (l'expérience des retransmissions sportives est éloquente à cet égard), imposent d'approfondir un dossier que la loi du 30 septembre 1986 ne permet actuellement d'aborder que de façon biaisée.

· L'exploitation des systèmes d'accès sous condition (les décodeurs permettant de recevoir les programmes cryptés) doit aussi être réglementée en fonction de la nécessité de prévenir la constitution ou la perpétuation de positions dominantes sur le marché de la télévision payante par le biais des systèmes d'accès sous condition. L'objectif est de permettre aux opérateurs entrant dans ce marché d'utiliser contre une juste rémunération les logiciels qui permettent de gérer la fonction de contrôle d'accès aux programmes cryptés. Les détenteurs des droits d'exploitation de ces logiciels sont parfois éditeurs de programmes audiovisuels, diffuseurs et opérateurs de bouquets de chaînes satellitaires. Cette situation liée à la tendance à l'intégration verticale relevée ci-dessus porte en germe des pratiques anti-concurrentielles qu'il appartient au législateur de prévenir.

Il lui appartient aussi d'encourager les convergences nécessaires afin de favoriser les synergies entre les matériels de décodage à la disposition des consommateurs et d'orienter le marché vers la généralisation d'un boîtier unique de décodage permettant une parfaite égalité de concurrence entre les opérateurs.

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