CHAPITRE V : LE SECTEUR PUBLIC DE LA RADIO
Dans les années 90, les radios privées musicales
ont été les premières à utiliser les régies
numériques, ouvrant ainsi la voie au DAB. Mais ce sont elles aussi qui,
avec le secteur public, au début des années 80, avaient cru en
l'avenir de la bande MF, conduisant le législateur, dès la loi du
9 novembre 1981, à ouvrir la première véritable
brèche dans le monopole de la communication audiovisuelle.
La politique poursuivie dans le secteur radiophonique a encouragé cette
évolution. Les dispositions réglementaires n'ont fait que de
donner un contexte légal à des situations de fait. Une des
conséquences de cette évolution en terme de contenu de
programmation (augmentation de la musique anglo-saxonne) a dû, par
exemple, être en partie contrecarrée par des décisions
politiques. Les quotas de chansons appliqués sans exception à
toutes les stations ont été très controversés mais
leur application s'est effectuée de manière relativement
réussie, malgré la désapprobation de certains
réseaux musicaux.
Le CSA se trouve néanmoins dans une situation difficile, entre la
nécessité de conduire une politique radiophonique
équilibrée et les souhaits de l'industrie radiophonique.
Même s'il est parvenu à en contenir les demandes excessives, il
n'a pu changer fondamentalement le processus d'évolution de la radio.
Quinze ans après l'introduction des radios privées, le
marché radiophonique est très loin des prévisions faites
en 1982. Et si le mode de régulation a globalement bien
fonctionné, il n'en suscite pas moins des controverses, ce qui est
inévitable s'agissant de
la gestion de ressources rares, les
fréquences radiophoniques.
I. LA RÉGULATION DU PAYSAGE RADIOPHONIQUE N'A PU EMPÊCHER D'INÉLUCTABLES ÉVOLUTIONS
Plus de seize ans après l'abandon du monopole
d'émission radiophonique, dû à la loi du 9 novembre 1981,
quel bilan tirer de l'évolution du paysage radiophonique ?
Au moment où la situation de relative pénurie des
fréquences appelle une remise en ordre profonde de la bande MF, qui a
nécessité l'intervention du législateur, il est utile de
préciser l'évolution du secteur.
A. LE DÉVELOPPEMENT DES RADIOS PRIVÉES : UN BILAN CONTRASTÉ.
En matière radiophonique, les objectifs fondamentaux de
la loi de 1982, tels que le pluralisme, la création de nombreuses
stations indépendantes et la diversité journalistique (au niveau
local) n'ont pas été pleinement atteints.
Certes, la législation a permis la constitution d'un paysage
radiophonique diversifié. Cependant, des menaces pèsent sur le
pluralisme en raison de l'évolution économique du secteur.
1. La loi de 1982 a permis la constitution d'un paysage radiophonique diversifié
Il est vrai que le réalisme économique s'est peu
à peu imposé.
Le principe des radios privées fut très rapidement admis
après l'éclosion des radios libres pendant l'été
1981
: la loi du 9 novembre 1981 a permis de déroger au monopole
établi en faveur des radios locales non commerciales. Le
législateur était, à l'époque, favorable aux radios
associatives et d'opinion, afin de favoriser une liberté locale de
communication et d'expression.
A cet effet, la loi du 29 juillet 1982 avait posé des conditions
très strictes :
- une seule fréquence par opérateur,
- puissance d'émission fortement limitée,
- interdiction de la publicité (pour tenir compte de l'opposition de la
presse quotidienne régionale).
Sur le moment, les radios existantes, qu'il s'agisse de celles du secteur
public ou des radios périphériques, n'ont pas cru que les
nouvelles radios pourraient les concurrencer.
Progressivement, le caractère commercial des radios privées a
été admis. Malgré l'interdiction, des messages
publicitaires sont diffusés à l'antenne (Coluche sur RFM). Les
puissances d'émission augmentent et les brouillages de TDF n'y font
rien. Dès 1982, les radios privées captent 20 % de l'audience.
Puis la loi du 1984 autorise la publicité sur les radios commerciales
et le paysage radiophonique évolue profondément après
1986. L'amateurisme s'estompe. Le professionnalisme lui succède. Les
radios périphériques, constatant le caractère attractif de
la MF et l'érosion de leur audience, changent de stratégie et
cherchent :
· à dupliquer leurs programmes en MF (à partir de 1989 le
CSA leur réserve un certain nombre de fréquences),
· à constituer des réseaux de radios thématiques.
Les radios périphériques vont développer trois formats :
- radios jeunes (-25 ans),
- radios adultes (25-35 ans),
- radios destinées à un public âgé, afin d'assurer
leur pérennité. Cette évolution leur permet d'enrayer
l'érosion de leur audience.
Puis, le législateur s'est attaché à renforcer le
pluralisme radiophonique,
objectif constitutionnel, rappelé
à l'article 29 de la loi du 30 septembre 1986. Après avoir
tenté d'empêcher la mise en place d'un secteur radiophonique
commercial, le législateur s'est efforcé de préserver le
secteur indépendant. Dans ce but, il a laissé une importante
marge de manoeuvre à l'autorité de régulation.
2. L'autorité de régulation s'est attachée à élaborer et conserver ce paysage, sous le contrôle du juge administratif
L'article 29 de la loi du 30 septembre 1986 donne, en
effet, un large pouvoir au CSA pour aider à la composition du paysage
radiophonique, en n'imposant aucun contrôle de type capitaliste, à
charge pour lui de "
dessiner un paysage diversifié, cohérent
et durable, permettant à chaque auditeur d'écouter le programme
de son choix
".
Avec le communiqué n° 34 datant de 1989, le CSA avait
créé 5 catégories de radios privées. Cette
classification, qui a dû être rénovée en 1994,
constitue les bases de la régulation du paysage radiophonique.
Le classement des radios
résultant du communiqué 281 du CSA du 10 novembre 1994
Catégorie A
Les radios associatives (de proximité, communautaires, culturelles ou
scolaires) bénéficiant du Fonds de soutien à l'expression
radiophonique et dont les recettes publicitaires ne dépassent pas
20 % du chiffre d'affaires.
Exemples : Radio-Libertaire,
Fréquence-Mutine, Radio-Campus.
Catégorie B
Les radios locales ou régionales indépendantes, productrices de
leurs programmes (ne diffusant aucun programme national identifié) et
vivant de leurs propres recettes publicitaires.
Exemples : Contact-FM,
Vibration, Wit-FM, ou Radio-Nova.
Catégorie C
Les radios locales ou régionales diffusant le programme d'un
réseau thématique à vocation nationale, et produisant au
minimum trois heures de programmes locaux.
Exemples : NRJ-Caen,
Europe 2-Music-West-FM, Africa n°1.
Catégorie D
Les radios thématiques à vocation nationale (sans aucun programme
local).
Exemples : Fun-Radio, NRJ, Skyrock
.
Catégorie E
Les radios généralistes à vocation nationale (ex-stations
périphériques).
Exemples : RTL, France Inter,
Europe 1, RMC.
Cependant, en
réservant la publicité aux radios diffusant
des programmes d'intérêt local
(catégories A, B et
en partie C)
, le communiqué n°34 a encouru la censure du juge
administratif.
Rappelant que l'autorité de régulation ne disposait pas du
pouvoir réglementaire, le Conseil d'Etat a dénié au CSA le
droit de décider des règles d'accès au marché
publicitaire local. Dans un arrêt
Société Performance
RFM du 18 février 1994
, il a considéré que le CSA
avait excédé le pouvoir qu'il détenait de la loi pour la
définition des catégories de services, en décidant d'une
répartition des ressources publicitaires.
Cet arrêt a obligé le pouvoir réglementaire à
intervenir, par un décret du 9 novembre 1994 :
· en confirmant le principe "
à programme local,
publicité locale
" ; de ce fait, la publicité locale est
réservée aux radios qui diffusent des programmes
d'intérêt local au moins 3 heures par jour entre 6 heures et
22 heures,
· en définissant la notion de "publicité locale" et de
"programme local",
· limitant à 25 % la durée de diffusion des messages
publicitaires.
Sur le fondement de ce décret, le communiqué 281 du 10 novembre
1994, qui distingue 5 catégories de service, a exclu les
catégories D et E du marché publicitaire local (les radios D ne
diffusent pas de programme local et les radios E ne réalisent que des
décrochages d'une heure). Il exige des radios A et B un programme
minimum local de 4 heures. Par le biais de la catégorie C, les
réseaux peuvent donc avoir accès au marché publicitaire
local.
La définition de programme d'intérêt local contenue dans le
décret était toutefois si peu contraignante (un animateur
décidant localement de l'ordre de passages de disques diffusés
par une tête de réseau était considéré comme
local) que le CSA a dû introduire un
seuil maximal de programmation
musicale
et obliger les opérateurs à
prouver que le
programme est effectivement produit localement.