B. TROIS IMPÉRATIFS
1. Clarifier les responsabilités de gestion par deux réformes urgentes : la procédure de nomination des présidents de chaînes et la transformation de France Télévision en holding
Votre rapporteur estime regrettable que l'on n'ait pas
donné à la présidence commune de France 2 et
France 3 voulue par la loi du 2 août 1989, la
personnalité juridique ni les structures de pilotage et donc de
contrôle qui en découlent, comme il le demandait dans sa
proposition de loi n° 477 du 27 juin 1996.
Actuellement, France Télévision constitue une fiction juridique.
Il est bon de le rappeler. Elle n'a ni personnalité morale, ni budget
propre. Le groupe dit " France Télévision "
résulte d'une sorte " d'union personnelle " à la
manière de l'ancienne Autriche-Hongrie où l'empereur d'Autriche
était également roi de Hongrie.
La création d'une société holding s'accompagnerait de
la mise en place d'un conseil d'administration et donc naturellement d'un
renforcement des contrôles et d'une responsabilisation accrue du
président.
On doit souligner que cette réorganisation pourrait utilement
s'accompagner d'une
clarification de la procédure de nomination de
président de France Télévision.
Les dispositions actuelles de la loi du 30 septembre 1986 ne fixent aucune
condition pour révoquer un président d'une société
nationale de programme.
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel dispose d'une totale
liberté d'appréciation quant à l'opportunité d'une
révocation. Celle-ci s'opère néanmoins sous le
contrôle que pourrait exercer le Conseil d'État.
L'éviction d'un président de chaîne doit constituer la
sanction majeure du non-respect par celle-ci de ses obligations ou d'une faute
lourde de gestion de la part du président. En réalité, la
révocation est d'un maniement délicat et d'un usage improbable,
dans la mesure où le Conseil supérieur de l'audiovisuel n'est que
consulté pour la rédaction du cahier des charges des
chaînes publiques et où il ne dispose pas de compétence
pour contrôler leur exécution, y compris sous l'angle de la
gestion. Le contrôle des actes de gestion est, en effet, de la
responsabilité des conseils d'administration où siègent
quatre représentants de l'État-actionnaire.
L'État, unique actionnaire, se trouve dans la situation paradoxale de
devoir contrôler la gestion d'un président d'une entreprise
publique qu'il ne peut ni nommer ni révoquer, tandis que l'instance qui
le nomme et peut le révoquer, ne peut contrôler sa gestion.
L'État fixe déjà les statuts, approuve les comptes, joue
un rôle prépondérant au sein du conseil d'administration de
France 2 et de France 3, et contrôle, via le contrôleur
d'État et la direction du Budget, la gestion de ces deux entreprises. Il
détermine le montant des ressources publiques, approuvées par le
Parlement, et établit les charges et les missions de chaque chaîne.
Dans le même ordre d'idées, il conviendrait de
relancer le
projet d'allongement de la durée du mandat des présidents de
chaînes
qui avait fait l'objet d'une
proposition de loi
adoptée par le Sénat le 15 novembre 1995
( au scrutin public
à l'unanimité moins une voix). En dépit de l'accord des
ministres concernés, ce texte ne fut jamais inscrit à l'ordre du
jour de l'Assemblée Nationale. Pour votre rapporteur, il y a là
une inertie regrettable, car l'allongement de la durée du mandat des
présidents de chaîne serait de nature à clarifier les
responsabilités et à leur permettre de mener des politiques
à long terme.
Cette situation explique nettement les conséquences regrettables que
chacun peut constater.
2. Élargir l'assiette de la redevance et réduire la dépendance vis-à-vis de la publicité
Il est impératif d'alléger pour les
sociétés du secteur public la contrainte de l'audimat, en
réduisant la part des ressources publicitaires de France 2, afin
d'assurer plus d'indépendance à cette chaîne à
l'égard du pouvoir politique, comme à l'égard du pouvoir
commercial
. De façon générale, il serait
nécessaire de garantir les moyens de financement du secteur public, en
améliorant les cahiers des charges et en veillant au respect des
missions de service public. On doit également savoir que
l'évolution des technologies risque de faire disparaître la base
réglementaire de la redevance, puisque, bientôt, on pourra
recevoir les programmes sur les ordinateurs.
Le montant annuel des pertes de recettes dues aux exonérations de
redevance est estimé à 2 614 millions de francs en
1997.
3. Soutenir les exportations des industries de programmes
Si les quotas constituent une protection nécessaire,
celle-ci est certainement provisoire. En effet, l'exception culturelle ne sera
pas forcément durable, tant la France se trouve souvent seule - ou
presque - à la défendre ;
la renégociation de la
nouvelle directive Télévision sans Frontières l'a bien
montré ; chacun a conscience que les quotas présentent tous les
caractères d'une ligne Maginot, dont le destin est d'être
contournée ; et ceci, en raison même de l'évolution de
la technologie.
La seule solution durable consiste donc à favoriser l'apparition d'une
forte industrie française de programmes audiovisuels exportables.
La France peut y parvenir, si elle en a la volonté et si elle se donne
les moyens opérationnels et financiers de passer à l'offensive.
Madame la ministre de la culture et de la communication a annoncé fin
septembre au MIPCOM de Cannes le lancement d'un plan en faveur de la production
audiovisuelle. L'intention est louable mais les mesures envisagées
sont-elles à la hauteur de la situation ?
Réformer le COSIP
, dont le mode de fonctionnement fait une trop
large place aux mécanismes automatiques,
n'est pas suffisant
.
La solution pourrait être de
créer un fonds d'aide à
l'exportation de produits audiovisuels français
" exportables ",
construits selon les normes
internationales de
durée, d'épisodes, de rythme, de scénario, comme l'ont
fait les Canadiens, depuis le début des années 80 et comme
le font les Brésiliens depuis le début des années 90.
L'objectif est de réduire notre dépendance dans les domaines de
l'animation, des documentaires et de la fiction . Mais, la
compétitivité ne se décrète pas. Le rôle de
l'État, c'est de préparer, d'organiser l'adaptation au
marché. Et c'est bien la leçon que l'on peut tirer des
expériences réussies hier au Canada aujourd'hui au Brésil,
qui peuvent servir de référence.
Il s'agit d'opérer pour les industries françaises de programmes
audiovisuels une révolution du même ordre que celle voulue par
l'agriculture française des années 60 : lorsqu'elle a
cessé de produire essentiellement pour le marché domestique et
qu'elle s'est résolument tournée vers les marchés
extérieurs faisant passer la France au deuxième rang mondial des
exportations agro-alimentaires.
La mondialisation n'est pas seulement économique. Elle prend
également l'allure d'une
américanisation culturelle
. Avec
l'avènement de la technologie numérique et des satellites, le
flot va prendre l'allure d'un véritable cyclone : les vagues
d'images et de sons, que les satellites commencent à déverser,
vont mettre à l'heure américaine nos modes de consommation et,
bientôt, nos modes d'expression.
Sans verser dans un anti-américanisme de mauvais aloi, il existe
là un risque mortel pour notre pays, car, si on se relève d'une
défaite diplomatique ou d'une défaite militaire, on ne se
relève jamais d'une défaite culturelle. L'histoire des
civilisations est là pour le rappeler.
Enfin, votre rapporteur voudrait évoquer
l'action audiovisuelle
extérieure
de la France - non pas sur le fond, il y a
beaucoup à dire et le rapport écrit comporte de longs
développements à ce sujet - mais sur le plan du
contrôle parlementaire.
L'an passé, les Assemblées ont adopté à
l'initiative de votre rapporteur, à l'occasion du vote du budget, une
disposition insérant un nouvel article 53-1 dans la loi du
30 septembre 1986 relative à la liberté de
communication :
" Art. 53-1. - Un document retraçant les crédits, de toute
nature, qui concourent au fonctionnement des opérateurs intervenant dans
le domaine de l'action audiovisuelle extérieure et dont l'État ou
les sociétés nationales de programme mentionnées à
l'article 44 détiennent directement plus de la moitié du
capital, à la clôture du dernier exercice, est annexé au
projet de loi de finances de l'année.(...). "
Or la parution du fascicule " jaune " prévue par ce texte
ne
semble pas avoir été envisagée. Le directeur de cabinet du
secrétariat d'État au Budget m'a fait savoir que les trois pages
consacrées au sujet dans le jaune " audiovisuel "
constituaient la mesure d'application de l'article 79 du projet de loi de
finances pour 1997. Il y a là une attitude quelque peu désinvolte
au regard de la volonté du Parlement à être mieux
informé sur des interventions extrêmement diverses
dispersées sur des multiples chapitres budgétaires.
Il est
regrettable qu'une disposition concernant l'exercice du contrôle
parlementaire, qui ne soulève pas de difficulté matérielle
particulière, ne soit pas suivie d'effet.