ARTICLE 66 - Suppression de l'exonération de cotisations d'assurance maladie -maternité instituée par l'article 37 de la loi du 11 février 1994 relative à l'entreprise individuelle
Commentaire : le présent article propose de supprimer l'exonération de 30 % de leurs cotisations d'assurance maladie-maternité dont bénéficient les travailleurs non salariés non agricoles créant ou reprenant une entreprise.
I. HISTORIQUE DE LA MESURE
La loi du 11 février 1994 relative à l'initiative et à l'entreprise individuelle a prévu que les travailleurs non salariés non agricoles créant ou reprenant une entreprise seraient exonérés, pendant les vingt-quatre premiers mois de leur activité, de cotisations d'assurance maladie-maternité dans une proportion qui a par la suite été fixée, par décret, à 30 %. Cette exonération est entièrement compensée par l'État.
Pour les chômeurs créateurs d'entreprise qui bénéficient d'une exonération totale pendant les douze premiers mois de leur activité, le dispositif s'applique entre le treizième et vingt-quatrième mois.
Cette mesure s'inscrit dans la philosophie de la loi quinquennale pour l'emploi de 1993, selon laquelle la baisse du coût du travail doit permettre de créer des emplois.
En l'espèce, l'exonération d'une fraction des cotisations d'assurance maladie-maternité a pour but de résoudre les problèmes de trésorerie auxquels sont confrontés les entrepreneurs au début de leur activité. L'idée est que la période de deux ans permettra aux entreprises de s'installer et de se stabiliser. Elles pourront alors commencer à s'acquitter sans risque de leurs cotisations sociales.
Sur le plan des principes, réduire le coût du travail par des exonérations de charges, limitées dans le temps, est plus satisfaisant que des aides financières directes aux entreprises.
II. BILAN DE LA MESURE
1. Un effet quantitatif important
L'exposé des motifs de l'article 66 de la loi de finances pour 1998 considère que « la mesure n `ayant pas produit les effets attendus, il est proposé de mettre fin aux nouvelles entrées dans le dispositif à compter du 1er janvier 1998. »
La loi de 1994 ne fixait aucun objectif chiffré, ni en terme de nombre de faillites évitées, ni de bénéficiaires concernés par la mesure. Il est donc inadéquat de parler d'« effets attendus ».
En outre, cette mesure a coûté plutôt plus cher que prévu puisque la dotation en loi de finances initiale pour 1997 destinée à son financement était de 400 millions de francs alors que les prévisions de la CANAM font état d'un coût final de 700 millions de francs. Le nombre de bénéficiaires est passé de 185 630 en 1995 à 388 339 en 1996. chiffre qui devrait être stable en 1997.
2. Un détournement de l'esprit du texte
Un décret, devenu l'article 612-6 du code de la sécurité sociale, a prévu qu'une même personne ne peut bénéficier une nouvelle fois de l'exonération qu'à l'issue d'une période de cinq ans à compter de la cessation d'activité non salariée non agricole. Cette disposition permet d'éviter, efficacement semble-t-il, les abus.
Les détournements de l'esprit du texte invoqués par le gouvernement proviennent d'entrepreneurs qui ont imposé à leurs salariés de prendre le statut de travailleur indépendant pour contourner le code du travail.
III. LES ARGUMENTS DU GOUVERNEMENT EN FAVEUR DE LA SUPPRESSION DU DISPOSITIF
Le gouvernement développe, implicitement ou explicitement, quatre arguments à rencontre du dispositif :
1. La suppression de la mesure permettrait une économie budgétaire
L'économie attendue de l'arrêt des entrées dans le dispositif prévu à l'article L. 612-5 du code de la sécurité sociale est estimée à 243 millions de francs en 1998 et à 500 millions de francs à partir de 1999.
2. La mesure permettrait de contourner le code du travail
Le fait que des chefs d'entreprises incitent leurs salariés à prendre le statut de travailleurs indépendants, sans pour autant que le lien de subordination entre l'employeur et l'employé (caractéristique du contrat de travail) disparaisse, a conduit le ministre de l'emploi et de la solidarité à estimer, devant les députés, que « cette exonération n `a pas de sens » .
3. Le dispositif serait mal ciblé
Tous les travailleurs indépendants débutant une activité ont droit à exonération de 30 % sur la cotisation d'assurance maladie-maternité, quel que soit le montant de leur revenu au cours de ces deux premières années exercice. Or, certaines professions libérales procurent assez rapidement des revenus très élevés.
La mesure serait donc source « effets d'aubaine ».
4. Le basculement de la cotisation maladie sur la CSG devrait avantager les travailleurs indépendants aux revenus modiques
Les cotisations d'assurance maladie des travailleurs indépendants sont forfaitaires, donc dégressives avec le revenu. Ce système pénalise les faibles revenus. Pour eux. le basculement va entraîner une réduction de ces cotisations supérieure à l'augmentation de la CSG.
La cotisation minimale d'assurance maladie, à laquelle sont soumis près de 40 % des travailleurs non salariés, devrait pratiquement diminuer de moitié, passant d'environ 7500 francs à moins de 4000 francs par an. Pour les travailleurs non salariés non agricoles qui disposent d'un revenu de moins de 25 000 francs par an et sont donc, compte tenu des seuils de recouvrement, exonérés de CSG, le gain devrait être de 3600 francs.
Le ministre de l'emploi et de la solidarité a relevé à l'Assemblée nationale que les gains du basculement seront plus importants, pour les travailleurs indépendants aux faibles revenus, que ceux procurés par l'exonération de 30 % en vigueur actuellement.
IV. UN AMÉNAGEMENT DU DISPOSITIF EST PRÉFÉRABLE À SA SUPPRESSION
1. La nécessité d'un aménagement n'est pas contestable
Le maintien du dispositif en l'état est envisageable car, compte tenu du basculement vers la CSG d'une partie des cotisations d'assurance maladie, le coût de la mesure diminuerait sensiblement. Il passerait de 700 millions de francs (prévision 97) à 375 millions de francs.
Cependant, deux raisons plaident en faveur d'un aménagement du dispositif :
- le basculement vers la CSG des cotisations d'assurance maladie modifie considérablement les termes du débat ;
- l'attachement du Sénat à la maîtrise des dépenses publiques, ainsi que les effets d'aubaine constatés, plaident en faveur d'un ciblage du dispositif.
2. Le maintien d'un régime spécifique aux créateurs ou repreneurs d'entreprises est nécessaire
La suppression du dispositif au motif qu'il serait détourné de son objet par certains employeurs n'est pas un argument recevable. En effet, si de tels comportements ont été constatés, le droit du travail dispose de tous les outils nécessaires à la requalification de la relation entre l'employé présumé et l'employeur présumé en contrat de travail de droit commun.
La loi du 11 février 1994 contenait des dispositions tendant à limiter le champ des requalifications mais, en pratique, les juges n'ont pas véritablement modifié leur jurisprudence.
Le basculement vers la CSG ne compenserait pas les pertes liées à une suppression de l'exonération de 30 % pour tous les travailleurs indépendants. Ainsi, selon la CANAM, les travailleurs indépendants dont les revenus se situent entre 50 et 65 000 francs par an perdraient, selon leur niveau de revenu et leur catégorie socioprofessionnelle, de 1160 à 2220 francs par an si l'exonération était supprimée.
Ni les évolutions récentes, ni les abus éventuels, ne remettent en cause la nécessité de soutenir les 250 000 créateurs ou repreneurs d'entreprise annuels, qui prennent des risques et sont le moteur de l'innovation et du dynamisme dans notre économie, et dont les problèmes de trésorerie ne disparaîtront pas quoi qu'il arrive.
3. La solution préconisée : le maintien du régime actuel pour les travailleurs indépendants dont les revenus n'excèdent pas 40 % du plafond de la sécurité sociale
L'Assemblée nationale avait adopté en première lecture un amendement déposé puis retiré par M. Gérard Bapt, avant d'être repris par M. Jacques Barrot.
Il consistait à réserver le bénéfice de l'exonération de 30 % des cotisations d'assurance maladie aux travailleurs indépendants dont les revenus n'excèdent pas 40 % du plafond de la sécurité sociale, soit 65 856 francs (plus ou moins le SMIC).
Son coût a été estimé à 190 millions de francs, donc substantiellement inférieur au coût du dispositif actuel.
Le gouvernement a intégré la suppression du dispositif dans le projet de loi de finances pour 1998. Cependant, son rétablissement partiel n'aurait pas pour conséquence de dégrader le solde budgétaire pour l'année à venir. En effet, la charge sera supportée par la CANAM en 1998, la régularisation par l'État n'intervenant qu'en 1999.
Cet amendement a été rejeté au cours d'une deuxième délibération. Votre rapporteur général estime souhaitable de le reprendre.
Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi amendé.