II. LES RECETTES DU PROJET DE BUDGET POUR 1998
Evolution des recettes de la Communauté entre 1997 et 1998
(en millions d'écus)
Origine des recettes |
Budget 1998
|
Projet budget 1998 (en écus) |
% |
Ecart |
Prélèvements agricoles |
786,1 |
623,9 |
0,75 |
- 0,25 |
Cotisations sucre/isoglucose |
1.229,4 |
1.047,1 |
1,25 |
- 0,25 |
Droits de douane |
12.203,2 |
11.144,3 |
13,5 |
- 1,6 |
Ressources propres TVA |
34.587,7 |
34.134,5 |
41,5 |
+ 1,2 |
Ressources propres fondées sur le PNB |
32.224,2 |
35.362,9 |
43 |
+ 3,2 |
Recettes diverses |
615,7 |
627,6 |
||
TOTAL |
81.646,3 |
82.940,3 |
100,00 |
Le montant total des ressources propres
s'élève à 1,13 % du PNB communautaire prévu pour
1998.
Ce pourcentage est inférieur à celui prévu l'an dernier
-1,16 %- et aussi au plafond fixé par la décision relative
aux ressources propres du 31 octobre 1994 qui est de 1,26 % pour 1998.
A. L'ARCHITECTURE DES RECETTES
La structure des recettes continue à se
déformer sous l'effet de la mise en oeuvre de la décision
"ressources propres". Le phénomène de renforcement de la part de
la contribution des Etats assise sur leur PNB se poursuit et s'accompagne d'une
baisse de celle de leur contribution assise sur la TVA. Il faut observer
d'emblée que ce n'est que par commodité de langage qu'on nomme
ces deux recettes "ressources propres".
En ce qui concerne la ressource TVA
, qui représenterait
41,5 % du total des ressources communautaires, s'il est encore loisible de
la considérer comme une ressource propre des Communautés en ce
sens qu'elle est perçue sur la base d'une assiette unifiée et
selon un système de taux fixé par la décision du
31 octobre 1994, on doit toutefois observer que les pouvoirs de
décision de la Communauté sont aujourd'hui réduits
à la constatation d'une assiette et à l'application d'un taux
prédéterminé.
Mais, qualifier de "ressource propre"
la ressource assise sur le
PNB
c'est pousser trop loin "l'impropriété". La "quatrième
ressource" n'est en fait rien de plus qu'une recette permettant de solder
le
budget communautaire compte tenu des plafonds de recettes applicables et du
niveau des dépenses. Le calcul de son taux apparaît ainsi purement
arithmétique.
La question de la responsabilisation de l'Europe en matière de
prélèvements reste donc posée et l'on peut même
affirmer qu'elle se pose de plus en plus. Le système actuel des
ressources des Communautés peut être considéré de ce
fait comme transitoire.
Compte tenu, d'une part, de la pression qui devrait continuer de s'exercer en
matière de gestion des finances publiques en Europe et, d'autre part,
des perspectives d'élargissement de l'Union européenne, ce
dossier doit être ouvert et faire d'urgence l'objet d'un vrai
débat en France pour préparer les échéances de
1999. Ce débat a d'ailleurs été ouvert par le ministre
allemand des finances qui a annoncé que son pays présenterait en
temps opportun un projet de réforme du système de calcul des
contributions financières des pays membres.
Le système actuel a cependant le mérite d'une certaine
cohérence. Faute d'une vraie légitimité politique et
étant donnée l'architecture politique de l'Europe, il est
justifié que le pouvoir de prélever l'impôt soit
refusé aux institutions européennes. En outre, la montée
en puissance de la contribution assise sur le PNB témoigne du choix
d'une assiette de contribution plus équitable que d'autres car
correspondant mieux à la capacité contributive des Etats.
Mais,
si les institutions européennes étant dépourvues
d'une vraie légitimité démocratique, sont à bon
droit privées de la compétence fiscale, il ne faut pas en
déduire que les Parlements nationaux exercent effectivement leur
souveraineté en matière de prélèvements
européens.
Le contrôle des Parlements nationaux est
enfermé dans un système ; il n'est qu'épisodique et
contraint. Les Parlements nationaux ont un pouvoir d'adresse et de
contrôle très indirect. Ils n'ont en aucun cas un pouvoir de
décision et encore moins de censure.
En outre, l'approfondissement de la réflexion sur les recettes
des Communautés européennes doit également concerner les
problème posés par les recettes actuelles.
L'amélioration de la connaissance des bases taxables
doit
être poursuivie afin que tous les Etats soient traités sur un pied
d'égalité.
S'agissant de la TVA
, le problème essentiel concerne le taux
moyen pondéré (TMP) de celle-ci. Toute variation du TMP d'un Etat
membre se traduit par une modification de sa base TVA et, le cas
échéant, par une modification de sa situation au regard du seuil
d'écrêtement en fonction d'un pourcentage du PNB. Or, le TMP n'est
pas calculé de manière uniforme dans les Etats, ainsi que l'a
relevé la Cour des Comptes des Communautés européennes.
C'est ainsi qu'aux termes de l'article 89 du Règlement CEE-Euratom
n° 1533/89, les taux pris en considération doivent être
ceux qui influent sur les recettes de la TVA encaissées durant
l'année considérée. Cette disposition vise à
permettre un calcul précis du TMP en assurant la cohérence entre
taux et recettes.
Or, la Cour constate de façon récurrente que les Etats membres
ne ventilent pas les recettes selon l'exercice au cours duquel la taxe est
devenue exigible. Les recettes d'une année contiennent donc des
éléments concernant des exercices antérieurs.
Dans ces conditions, les bases TVA qui résultent du calcul de TMP ne
sont pas conformes aux assiettes fiscales réelles des Etats membres.
Par ailleurs, le calcul de la pondération des taux pour
l'établissement du TMP suppose pour chaque taux la mesure
complète des opérations taxables à ce taux. Or tel n'est
pas le cas. Certains Etats ne disposent pas d'un appareil statistique leur
permettant de satisfaire cette condition.
La Cour des Comptes des Communautés estime que les Etats membres ont
certes progressé dans la comparabilité des données et des
méthodes, mais considère que
"le degré de
fiabilité de la base de"
-ce qui était alors
- "la plus
importante ressource communautaire reste insuffisant"
2(
*
)
.
De plus la recette fait l'objet de sérieuses présomptions de
fraude fiscale. Ainsi, depuis la mise en place du marché unique, la TVA
appliquée à des produits faisant l'objet d'échanges entre
Etats membres n'est plus acquittée dans les bureaux de douane par les
transporteurs, mais par les entreprises acheteuses, une fois les marchandise
livrées. Le contrôle de l'acquittement de la TVA s'effectue par
coopération des administrations fiscales. Or on constate la
difficulté d'opérer de tels contrôles dans certains Etats
membres, ce qui laisse à penser que leur vigilance en matière de
TVA n'est pas ce qu'elle devrait être.
C'est ce qu'invite à considérer le dernier rapport de la Cour
des Comptes des Communautés européennes du 12 novembre 1996, qui
a noté de très graves dysfonctionnements dans le
prélèvement de la TVA en Europe, comme l'a rappelé un
récent rapport de la Délégation du Sénat pour
l'Union européenne.
3(
*
)
"Dans le cadre de l'échange d'informations sur les numéros de
TVA et la valeur des échanges entre Etats membres, les
vérifications de la Cour ont montré que, globalement, au moins
20 % des états récapitulatifs des entreprises sont fournis
avec un retard ou ne sont pas du tout transmis. En 1993, dans neuf Etats, plus
de 5 % du nombre total de données incorrectes (c'est-à-dire
pouvant faire l'objet d'irrégularités dans les
déclarations, soit 608.387) n'avaient toujours pas été
rectifiées en juin 1994. Ces dysfonctionnements étaient encore de
4,2 % en 1994 (532.708) et de 2,6 % en juin 1995 (327.123).
La Cour déclare : "
Les données déclarées par
les fournisseurs nationaux et communiquées par le système
à d'autres Etats membres ne correspondent pas toujours à celles
qui sont indiquées par l'Etat membre qui reçoit les marchandises.
De légères différences sont acceptables en raison de
variations des taux de change et de délais techniques. Mais, dans de
nombreux cas, des différences de plus de 10 % et même de
40 % ont été constatées sans que ce
phénomène ait pu être expliqué dans sa
totalité".
Le système européen d'information statistique sur les
échanges de marchandises (Intrastat) connaît lui aussi de graves
déficiences. La Cour constate que : "
les données Intrastat
connaissent des écarts considérables qui restent à
expliquer. Alors que, en principe, les livraisons et les acquisitions
intracommunautaires devraient être d'un montant égal, on constate
une différence de 28 milliards d'Ecus pour 1993 (685 milliards
d'Ecus déclarés au titre de livraisons et 657 milliards
d'Ecus déclarés au titre d'acquisitions, la différence
étant de 4 %), et même de 34 milliards d'Ecus pour 1994
(759 milliards d'Ecus déclarés au titre de livraisons et
725 milliards d'Ecus déclarés au titre d'acquisitions, la
différence étant de 5 %). La comparaison, à partir
des données Intrastat, entre les "introductions" (importations
intracommunautaires) d'un Etat membre donné et les "expéditions"
(exportations) faites par les autres Etats de l'Union vers cet Etat membre font
apparaître des différences pouvant aller jusqu'à 50 %
en 1994
".
Des pertes de recettes fiscales semblent avérées.
La Cour estime que "
l'instauration
du régime transitoire de
TVA sur les échanges intracommunautaires en 1993 s'est
accompagnée, pour cette année, d'une stagnation des recettes
nettes TVA qu'on ne peut expliquer par des facteurs tels que la croissance
économique, l'inflation ou les changements de taux et d'assiette. La
question est de savoir si ce phénomène est dû uniquement
à des délais techniques liés à ce nouveau
régime ou s'il a d'autres causes... Les données disponibles pour
la période 1989-1994 confirment que l'arrêt de la croissance des
recettes en 1993 ne peut être expliqué au niveau
général par la modification de trois principaux facteurs
d'évolution des recettes de TVA (changements de taux et de base de TVA,
inflation, croissance du volume de l'activité économique). Elles
indiquent une perte de recettes TVA potentielle, de l'ordre de 5 à
6 % pour 1993. Ce manque à gagner pour l'ensemble des Etats membres
serait de l'ordre de 18 milliards d'Ecus en 1993, compte non tenu des
fluctuations du taux de l'écu".
S'agissant de la ressource assise sur le PNB
, elle est
conditionnée par l'évaluation des PNB nationaux. Or, celle-ci
laisse, dans certains cas, apparaître des insuffisances, qu'il s'agisse
des disparités quant aux périodes de référence des
données ou des incertitudes quant aux procédures et aux bases
statistiques utilisées pour le calcul du PNB.
La France a pris l'initiative exemplaire de créer une instance de
coordination de lutte antifraude aux fonds communautaires (l'ICLAF). Cette
instance doit devenir le correspondant privilégié et actif de
l'UCLAF qui est le service central de lutte contre la fraude de la Commission.
Il serait très souhaitable que chaque Etat-membre suive notre
exemple. En tout état de cause, il paraît pertinent de faire
figurer au premier rang des priorités de l'ICLAF la question de la
sincérité des contributions des Etats membres et, en particulier,
de la comparabilité des PNB nationaux déclarés par les
membres de l'Union européenne.
La Cour des Comptes des Communautés estime par exemple qu'une grande
incertitude demeure du fait de références à des comptes
nationaux établis à partir de données trop anciennes
(Grèce, Portugal, Länder de l'ex-RDA). Des phénomènes
d'économie souterraine sont en outre susceptibles d'altérer la
vérité des comptes.
Quant à l'évolution des vraies ressources propres
des
Communautés que sont les prélèvements agricoles et les
"cotisations sucre" et les droits de douane, elle s'est traduite par
une
réduction de leur part dans le total des ressources qui, de 22 % en
1992 serait inférieure à 15 % en 1998.
L'évolution des recettes provenant des droits de douane est
particulièrement préoccupante. De 6.392 millions
d'écus en 1981, elles sont passées à
12.340,9 millions d'écus en 1995 progressant en moyenne annuelle de
4,8 %.
Or, au cours de la même période, les importations se sont accrues
de 6,3 % en valeur par an. Il existe donc une forte disparité entre
les droits de douane perçus aux frontières de l'Union et le flux
des biens importés par celles-ci. Certains ont pu évoquer un
phénomène de banalisation de l'espace économique
européen favorisé par des mesures de désarmement douanier
sans contrepartie.
Il reste d'ailleurs à démontrer que les chiffres
précédemment cités rendent un compte fidèle de
l'écart véritable entre les produits liés à
l'application des tarifs douaniers et les importations de biens dans le
territoire de l'Union.
Les soupçons de fraude sont en la matière considérables.
A cet égard, deux observations peuvent être formulées :
Les points d'entrée des marchandises en provenance de pays
extérieurs à l'Union européenne sont potentiellement
nombreux mais très concentrés dans la réalité. A
eux seuls, les Pays-Bas versent 34 % du total des droits de douane
perçus par les pays européens. Il devrait donc être
possible de maîtriser les flux d'importation en concentrant le
contrôle sur les points sensibles.
Le désarmement douanier de l'Union européenne qui
répond parfois à des considérations louables lorsqu'il
s'agit de l'orienter dans un sens favorable aux pays en développement
n'est pas une bonne affaire pour l'économie européenne. Il est de
coutume d'indiquer qu'il favorise l'accès des consommateurs
européens à des biens produits ailleurs. Mais, compte tenu de
l'attrait du grand marché européen on peut penser que les
producteurs de ces biens souhaiteraient en tout état de cause
pénétrer ce grand marché. Or, la baisse des tarifs
douaniers leur permet de le faire à partir de territoires
extérieurs à l'Union si bien que le consommateur européen
finance alors les facteurs de production localisés en dehors de l'Europe.
La baisse des tarifs douaniers diminue donc l'attractivité du
territoire européen comme lieu de production.
*
* *
L'harmonisation des conditions de contribution des Etats
membres doit être recherchée si l'on veut que les contributeurs
nets ne se révoltent pas.
En outre, la question de l'opportunité de maintenir le système de
compensation accordé au Royaume-Uni se pose.