ARTICLE 10
Augmentation du taux de la taxe sur les contributions
patronales au financement des garanties complémentaires de
prévoyance
Commentaire : cet article vise à augmenter de 6 %
à 8 % le taux de la taxe sur les contributions des employeurs et des
organismes de représentation collective au financement de garanties de
prévoyance complémentaire, et à valider
législativement l'exonération des entreprises de moins de dix
salariés.
I. LA SITUATION ACTUELLE
A. UNE TAXE CRÉÉE PAR VOIE D'ORDONNANCE
Les versements des entreprises au profit de leurs salariés
réalisés dans le cadre de contrats supplémentaires de
prévoyance bénéficiaient, jusqu'en 1996, d'une
exonération totale de cotisations sociales dans la limite de 19 % du
plafond de la sécurité sociale
4(
*
)
.
A cette époque, les primes versées annuellement au titre de ces
contrats étaient de l'ordre de 52 milliards de francs, dont 25 milliards
pour l'assurance maladie complémentaire et 27 milliards pour l'assurance
complémentaire prévoyance. La part des primes à la charge
des entreprises était estimée à environ 80 % de ces
montants.
L'article 8 de l'ordonnance n° 96-51 du 24 janvier 1996 relative aux
mesures urgentes tendant au rétablissement de l'équilibre
financier de la sécurité sociale a institué un
prélèvement, au taux de 6 %, au profit du Fonds de
solidarité vieillesse (FSV) sur les contributions des employeurs et des
organismes de représentation collective du personnel (comités
d'entreprise) versées, à compter du 1
er
janvier 1996,
au bénéfice des salariés pour le financement de
prestations complémentaires de prévoyance.
Ce prélèvement avait pour objet de mettre fin à
"l'
inégalité de traitement existant en matière de
protection sociale complémentaire au profit des salariés des
entreprises qui souscrivent des contrats collectifs, et au détriment des
salariés ou non salariés qui ne peuvent souscrire qu'à des
compléments de couverture sociale facultatifs, sans part patronale
"
5(
*
)
.
Accessoirement, il était indiqué que : "
les contrats
collectifs d'assurance maladie complémentaire favorisent la consommation
de biens médicaux sans que ceux-ci participent aucunement au financement
de notre système de protection sociale.
"
1
B. DES MODALITÉS DE MISE EN OEUVRE PRÉCISÉES PAR
VOIE DE CIRCULAIRES
L'assiette de la taxe est constituée par les contributions à
la prévoyance complémentaire
versées par les
employeurs et les comités d'entreprise ou les comités de gestion
des oeuvres sociales au profit des salariés ou assimilés. Peu
importe le régime de sécurité sociale dont relèvent
ces salariés, pourvu qu'il s'agisse d'un régime français
de sécurité sociale
6(
*
)
.
En application de la circulaire ministérielle n° 96-248 du 11
avril 1996,
il faut entendre par contributions de prévoyance
complémentaire,
les contributions suivantes, versées à
un organisme tiers en vue de financer les prestations complétant celles
servies par les régimes de base de la sécurité sociale :
- les capitaux décès et allocations d'obsèques ;
- les rentes de conjoint survivant ou d'orphelin ;
- les prestations d'incapacité (indemnités journalières
complémentaires) ;
- les rentes d'invalidité ;
- les remboursements de soins de santé.
En sont donc exclues, les contributions de prévoyance
complémentaire en matière de chômage et de retraite.
Les contributions de prévoyance complémentaire sont comprises
dans l'assiette de la taxe indépendamment de leur statut au regard des
cotisations sociales, de la CSG et de la CRDS. Peu importe qu'elles soient
versées à titre obligatoire ou facultatif, aux termes d'un accord
collectif ou d'un contrat individuel, quel que soit le mode de garantie et de
calcul, y compris lorsque le versement prend la forme de subventions globales
et non individualisées par salarié au régime ou organisme
servant les prestations.
Toutefois, sont exclues de l'assiette, en vertu d'une lettre circulaire de
l'ACOSS (n° 97-29 du 19 février 1997),
les contributions
versées en vue d'assurer l'obligation de maintenir le salaire en cas
d'arrêt de travail pour maladie ou accident,
lorsque cette obligation
résulte des dispositions de la loi n° 78-49 du 19 janvier 1978 sur
la mensualisation, d'une convention collective de branche, d'un accord
professionnel ou interprofessionnel, d'une convention ou d'un accord
d'entreprise ou d'établissement.
Par ailleurs, une lettre ministérielle du 31 juillet 1996, a
décidé que
les entreprises de moins de dix salariés
ne seraient pas assujettis au paiement de cette taxe
. Cette
exonération a été décidée au vu des
difficultés rencontrées dans les petites entreprises, alors
même que le montant moyen des contributions est très faible.
Le taux de 6 % s'applique à l'intégralité de
l'assiette ainsi définie par voie de circulaires, sans réfaction
ni abattement.
La taxe est due à raison du versement des contributions versées
depuis le 1
er
janvier 1996, quelle qu'en soit la
périodicité et quelle que soit la période au titre de
laquelle les contributions sont versées. La taxe est exigible à
la première échéance de cotisations suivant le versement
des contributions à l'organisme assureur, quelle que soit la
périodicité de ce versement.
A l'exception des contributions versées au bénéfice des
salariés ou d'anciens salariés relevant du régime des
salariés agricoles et des agents titulaires de l'État, la taxe
est recouvrée par l'URSSAF territorialement compétente pour le
recouvrement des cotisations de sécurité sociale.
Le produit de cette taxe est affecté au FSV, organisme
créé par la loi n° 93-936 relative aux pensions de retraite
et à la sauvegarde de la protection sociale, et dont la mission est de
prendre en charge les avantages d'assurance vieillesse à
caractère non contributif relevant de la solidarité nationale.
II. LE PROJET DU GOUVERNEMENT
Le paragraphe I
du présent article tend à modifier les
dispositions de l'article L. 137-1 du code de la sécurité sociale
(introduit par l'article 8 de l'ordonnance de 1996 précitée) pour
exonérer du paiement de la taxe "prévoyance" les employeurs
occupant neuf salariés au plus.
Il s'agit d'une validation législative, avec effet rétroactif
au 1
er
janvier 1996, des dispositions contenues dans la lettre
ministérielle du 31 juillet 1996.
Le paragraphe II
prévoit de modifier l'article L. 137-2 du code
de la sécurité sociale, pour porter le taux de cette taxe de 6 %
à 8 %.
Cette mesure devrait permettre d'accroître le rendement de la taxe de
près de 500 millions de francs, de sorte que le FSV percevrait à
ce titre 2.369 millions de francs, au lieu des 1.869 millions de francs qui
résulteraient de la reconduction à droit constant pour 1998
.
On rappellera que cette taxe devait initialement rapporter 2,5 milliards de
francs en 1996. Compte tenu de l'exonération décidée en
cours d'année pour les employeurs de moins de dix salariés, elle
n'a rapporté que 1.803 millions en 1996 et devrait rapporter, selon les
prévisions du gouvernement, 1.800 millions en 1997.
La recette supplémentaire de 500 millions serait intégralement
affectée à une amélioration des conditions de prise en
charge du coût de la validation des périodes de chômage, et
viendrait donc réduire le déficit de la branche vieillesse.
Le paragraphe III
du présent article prévoit que les
dispositions réglementaires applicables au recouvrement et au
contrôle de la taxe "prévoyance" sont celles applicables
"
à la date de publication de la dernière loi de financement de
la sécurité sociale
" et non plus "
à la date de
publication de l'ordonnance n° 96-51 du 24 janvier 1996
".
La substitution ainsi opérée permet de garantir une
réactualisation périodique des dispositions applicables au
recouvrement et au contentieux de la taxe sans qu'une modification
législative spécifique soit nécessaire. La même
solution a été retenue par la loi de financement de la
sécurité sociale en ce qui concerne le recouvrement et le
contentieux de la CSG.
Dans les deux cas, il s'agit d'impositions de toute nature dont les
règles régissant le recouvrement et le contentieux doivent
être fixées par la loi. Plutôt que de retranscrire dans la
loi la totalité des dispositions réglementaires applicables au
recouvrement et au contentieux des cotisations, il a été
décidé de renvoyer à ces dispositions dans leur
rédaction en vigueur à la publication de la loi. Cependant, ce
choix a l'inconvénient d'imposer de fréquentes
réactualisations de ces dispositions de renvoi, afin que les
modifications apportées par voie réglementaire aux dispositions
relatives au recouvrement et au contentieux des cotisations puissent
également être appliquées à la CSG et à la
taxe prévoyance.
L'Assemblée nationale a adopté ces dispositions sans aucune
modification.
III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION
Ayant été instituée par l'ordonnance de 1996, la taxe sur
la prévoyance complémentaire n'a jamais fait l'objet d'une
délibération du Parlement.
L'adoption du présent article, outre les modifications
proposées, aura donc pour effet de ratifier la création de cette
taxe.
Cet article constitue donc l'occasion de se prononcer explicitement, non
seulement sur les modalités, mais sur le principe même de cette
taxe.
De ce point de vue, votre commission des finances est amenée à
exprimer les plus vives réserves tant sur la régularité
juridique de cette taxe que sur ses justifications économiques.
A. UNE RÉGULARITÉ JURIDIQUE DOUTEUSE
On observera en effet que la définition de l'assiette donnée par
l'article 8 de l'ordonnance de 1996 est particulièrement
imprécise. En effet, cet article vise :
"
les contributions des
employeurs et des organismes de représentation collective du personnel
versées, à compter du 1
er
janvier
1996, au bénéfice des salariés pour le financement de
prestations complémentaires de prévoyance
"
.
Or, il n'existe pas de définition précise des prestations
complémentaires de prévoyance
.
L'article L. 911-2 du code de la sécurité sociale donne bien une
définition de ces prestations.
Mais d'une part, celle-ci est très extensive puisqu'elle comprend
"
notamment
" les risques décès, ceux portant atteinte
à l'intégrité physique de la personne ou liés
à la maternité, les risques d'incapacité de travail ou
d'invalidité, les risques d'inaptitude, les risque chômage, ainsi
que la constitution d'avantages sous forme de pension de retraite,
d'indemnités ou de primes de départ en retraite ou de fin de
carrière.
D'autre part, cette définition n'est pas exhaustive. Comme le fait
justement remarquer le Dictionnaire permanent social :
"
l'utilisation
de l'adverbe "notamment" permet d'inclure dans la notion de garanties
collectives complémentaires des salariés, tous les types de
risques, y compris ceux qui ne font pas l'objet d'une disposition du
régime de base de la sécurité sociale".
1. Les
garanties incapacité et invalidité.
Elles complètent
les prestations du régime général de la
sécurité sociale en cas d'incapacité de travail temporaire
ou permanent, partielle ou totale. Ces garanties viennent compenser la perte de
salaire subie par le salarié du fait de l'impossibilité d'exercer
son activité professionnelle à la suite d'une maladie ou d'un
accident. On rappelle qu'en vertu de l'accord national interprofessionnel du 10
décembre 1977, l'employeur a l'obligation de verser un complément
de salaire en cas de maladie ou d'accident égal, pendant les trente
premiers jours à 90 %, puis à 66 % pendant les trente jours
suivants, de la rémunération brute que le salarié aurait
perçue s'il avait continué à travailler.
On peut en conclure qu'en donnant une définition imprécise de
l'assiette et en se référant à des dispositions
réglementaires pour ce qui est des modalités de recouvrement,
le législateur délégué à méconnu
sa propre compétence
et notamment l'article 34 de la constitution
qui prévoit que la loi fixe les règles concernant :
"
l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions
de toute natures".
Par la suite,
le ministre des affaires sociales en fixant, par voie de
simple circulaire, puis par simple lettre ministérielle, une assiette
plus étroite que celle fixée dans la loi
, puisqu'elle exclut,
notamment, les risques chômage et retraite, et les entreprises de moins
de dix salariés,
a outrepassé sa propre compétence.
Enfin, en ratifiant l'article de l'ordonnance instituant cette taxe,
le législateur d'aujourd'hui méconnaîtrait à son
tour sa propre compétence.
B. UNE JUSTIFICATION ÉCONOMIQUE ABSURDE
Comme on l'a vu,
le fondement théorique de cette taxe repose sur
deux considérations :
- l'inégalité de traitement entre les salariés des
entreprises ayant mis en place une prévoyance complémentaire et
ceux des entreprises ne l'ayant pas fait ;
- l'encouragement que constitue la prévoyance complémentaire
à la consommation de biens médicaux.
Par ailleurs, le présent projet de loi ne contient aucune justification
relative à l'augmentation du taux de cette taxe. Cependant, lors de la
discussion du présent article à l'Assemblée nationale, Mme
Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité a mis en avant
l'argument suivant pour justifier l'augmentation de la taxation :
"L'article 10 vise à faire en sorte que l'exonération de
cotisations patronales, qui bénéficient aux prestations de
retraite et de prévoyance au-dessous d'un certain plafond, aujourd'hui
31.281 francs, n'entraîne pas d'abus, comme on le voit ces temps-ci. Les
entreprises ont en effet intérêt à verser une partie des
rémunérations sous forme d'avantages de prévoyance et de
retraite :
il s'agit là de salaires déguisés qui leur
évitent de payer les cotisations
".
Aucun de ces arguments, pas plus ceux invoqués hier pour créer
la taxe, que celui invoqué aujourd'hui par le Gouvernement n'emporte la
conviction de votre commission.
En premier lieu, l'argument sur l'égalité de traitement
méconnaît profondément la distinction entre la protection
obligatoire et la protection complémentaire
. Seules les garanties
jugées comme étant les plus importantes doivent être
apportées, de façon égale, à tous les travailleurs
salariés. Les garanties complémentaires, jugées moins
importantes, sont laissées à l'initiative des partenaires sociaux
ce qui, par construction, peut se traduire par des inégalités de
situation.
Dans ces conditions, la taxation des entreprises les plus
prévoyantes apparaît proprement absurde
. Elle conduira
vraisemblablement les entreprises à diminuer voire, pour celles qui ne
sont pas liées par des accords collectifs, à supprimer leurs
dépenses de prévoyance. Non seulement une telle diminution
marquera une régression sociale, mais elle se traduira en outre par une
diminution de la matière imposable.
En second lieu, l'argument consistant à dénoncer l'impact
inflationniste des dépenses de prévoyance complémentaire
sur la consommation de biens médicaux ne semble guère plus
convaincant
.
D'une part, parce qu'il ne prend en compte que la partie de la
prévoyance portant sur les dépenses maladie et ignore la
couverture des risques invalidité, incapacité et
décès, ce qui représente près de la moitié
de la prévoyance complémentaire.
D'autre part, parce que même si l'on supposait, pour les besoins de la
démonstration, que la prévoyance complémentaire ne soit
composée que du remboursement complémentaire des frais de
santé, le caractère inflationniste de ce remboursement n'est
guère démontré.
Comme l'écrit excellement notre collègue député M.
Denis Jacquat, dans son rapport au nom de la commission des affaires
culturelles sur l'assurance vieillesse
7(
*
)
:
"Le reproche qui leur est fait de favoriser l'accroissement des
dépenses de santé doit être fortement nuancé,
puisque le traitement des affections à un stade précoce est
susceptible d'éviter dans bien des cas des hospitalisations
ultérieures nécessairement plus coûteuses.
"Si l'on raisonne en terme de santé publique, il est clair que la
généralisation de telles couvertures permet de faciliter
l'accès aux soins, notamment pour les personnes pour lesquelles le
ticket modérateur représente une charge importante. Elle a
également le mérite d'avoir permis d'amortir les
conséquences de la baisse des remboursements des régimes de base
sur le niveau des dépenses de santé laissées à la
charge des ménages.
"Or les couvertures complémentaires partiellement financées par
l'employeur sont sensiblement moins coûteuses que les contrats
individuels. Il faut donc veiller à ce ne pas dissuader les employeurs
d'offrir des garanties complémentaires à leurs salariés,
d'autant que l'inclusion de la prévoyance complémentaire dans le
champ de la négociation collective constitue un facteur non
négligeable de dynamisation de la vie conventionnelle au sein des
entreprises concernées".
Quand bien même admettrait-on, toujours pour les besoins de la
démonstration, que le remboursement à titre complémentaire
des frais de santé a un impact inflationniste sur les dépenses de
santé, alors c'est l'ensemble de la prévoyance
complémentaire qu'il faudrait taxer, y compris celle reposant sur une
base individuelle.
Enfin, l'argument consistant à assimiler à des
rémunérations les contributions patronales de prévoyance
témoigne d'une vision simpliste et dépassée des rapports
sociaux qui s'inscrit dans une logique de régulation étatique.
En effet, l'idée selon laquelle les entreprises choisiraient de
mettre en place des contrats de prévoyance complémentaire,
plutôt que d'augmenter les salaires est sans doute théoriquement
concevable. Elle n'en reste pas moins fausse dans la pratique et ce pour une
raison bien simple : compte tenu de l'importance des charges pesant sur les
salaires, si les entreprises devaient supporter des charges identiques sur les
éléments annexes du salaire, elles ne consentiraient ni
éléments annexes... ni augmentations de salaires.
Or tous les acteurs trouvent un intérêt à voir se
développer la prévoyance complémentaire :
- l'Etat et les organismes de sécurité sociale acceptent une
diminution immédiate de leurs recettes, mais en contrepartie d'un
développement de la protection sociale volontaire qui permet de diminuer
les dépenses de prévoyance financées par la
collectivité publique ;
- les salariés consentent à échanger un gain de pouvoir
d'achat immédiat contre la participation à des contrats de
prévoyance à des tarifs moins onéreux que ceux qu'ils
pourraient souscrire individuellement ;
- les entreprises peuvent consentir à des abondements qu'elles ne
seraient pas autrement disposées à faire, compte tenu des
cotisations sociales pesant sur les salaires.
En réalité, on ne peut trouver d'autre justification à
l'institution de cette taxe, comme à son augmentation, que la
nécessité de s'assurer des recettes "de poche" dans une vision de
court terme peu respectueuse de l'avenir.
Pour ces raisons, votre commission des finances vous propose non seulement de
rejeter l'augmentation, mais aussi de supprimer cette taxe. Toutefois, compte
tenu de la nécessité de contenir le déficit de la
sécurité sociale pour 1998, cette suppression n'interviendrait
qu'à compter de 1999.
Décision de la commission : votre commission des finances vous
propose de supprimer la taxe sur la prévoyance à compter du
1
er
janvier 1999.