d) Prendre en compte le risque susceptible de résulter de la participation de certains anciens détenus au rendez-vous citoyen
Alors que le texte initial du projet de loi ouvrait la possibilité de dispenser certains anciens détenus en fonction de l'avis du chef de l'établissement pénitentiaire, l'Assemblée Nationale a supprimé cette faculté en séance publique. Or une telle mesure relève de la prudence élémentaire, pour assurer la sécurité des centres du service national. Le fait d'avoir purgé une peine ne rend pas, en effet, tout ancien détenu nécessairement apte à participer au rendez-vous citoyen sans préjudice pour l'entourage. Il est donc nécessaire de revenir, sur ce point, au texte initial du projet de loi. Une telle disposition ne serait d'ailleurs pas de nature à altérer l'universalité du rendez-vous citoyen.
e) Rappeler que l'armée professionnelle est le fondement de la défense de la France, et que le service national obligatoire a vécu
Diverses dispositions du projet de loi transmis par l'Assemblée nationale pourraient être reformulées afin de rappeler, d'une part, que la défense de la France repose au premier chef, depuis le vote de la loi de programmation 1997-2002, sur l'armée professionnelle et, d'autre part, que les nouvelles formes du service national ne seront pas un substitut du service actuellement fondé sur l'obligation.
(1) La loi de programmation 1997-2002 a fondé la défense de la France sur l'armée professionnelle
La réforme du service national est le deuxième volet d'une réforme de notre système de défense qui repose sur les choix arrêtés par le législateur lors du vote de la loi de programmation 1997-2002. Désormais notre système de défense repose, pour l'essentiel, sur une armée professionnelle , à laquelle pourront toutefois contribuer ponctuellement un faible nombre de volontaires sous statut militaire (27 200, gendarmerie comprise, 10 000 seulement pour les trois armées), ainsi que des réservistes , dont le statut fera l'objet d'une loi ultérieure (celle-ci constituera le troisième volet de cette ambitieuse réforme).
Dans ce contexte -armée de métier et service volontaire ouvert à un effectif réduit- il semble paradoxal d'inscrire dans une loi portant réforme du service national destinée à tirer les conséquences du passage au volontariat l'obligation, pour tous les citoyens, de concourir à la défense de la France.
Certes, cet amendement au projet initial s'explique par le souci très compréhensible d' éviter que l'abandon de la conscription ne conduise à une certaine indifférence de la Nation à l'égard de la Défense , et de prévoir dès le premier article de la loi portant réforme du service national les moyens de lutter contre une telle dérive.
Cette préoccupation avait d'ailleurs été exprimée par votre Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées lors du débat sur L'avenir du service national . Votre commission avait néanmoins estimé que c'est par la sensibilisation de nos compatriotes aux enjeux de la Défense, et par le renforcement de l'esprit de défense, essentiellement à travers l'enseignement de l'histoire et de l'instruction civique, que pourrait être conjuré ce risque d'une rupture entre l'armée et la Nation, ou, à tout le moins, d'un éloignement regrettable de la jeunesse par rapport à l'armée. Dans cet esprit, le rendez-vous citoyen était conçu pour confirmer les acquis d'un enseignement dispensé pendant la scolarité .
C'est pourquoi votre commission propose de reformuler l'"obligation (pour chaque citoyen) de concourir à la défense du pays " posée par le premier article du projet de loi, de manière à rappeler solennellement que le service national , tel que la loi le définit , contribue à former l'esprit de défense .
En revanche, il ne paraît pas nécessairement judicieux d'affirmer que le nouveau service national concourt à la défense de la France :
- d'une part, parce que le volontariat militaire ne sera qu'un aspect parmi d'autres du volontariat (les trois armées ne représentent actuellement que 11,3 % des " postes " de volontaires susceptibles d'être créés, et la Gendarmerie pourrait porter à 30,5 % du total la part du volontariat accomplie " sous les drapeaux ") ;
- d'autre part, parce que le rendez-vous citoyen doit demeurer rigoureusement étranger à la formule d'une formation militaire de base .
(2) Le suivi des jeunes soumis aux obligations du service national doit obéir désormais à une logique différente
Deux dispositions nouvelles introduites par l'Assemblée nationale traduisent la légitime volonté de garantir le suivi administratif des jeunes, dans la perspective d'une éventuelle remontée en puissance de la conscription, qui serait motivée par une évolution préoccupante de la situation internationale.
Ce souci correspond aux préoccupations exprimées par votre Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées à l'occasion de son analyse de L'avenir du service national : il convient, parallèlement à la professionnalisation des forces, de préserver une assurance contre l'éventuelle résurgence d'une menace . Cette assurance est garantie par la réversibilité de la suppression de la conscription , fort heureusement inscrite dans la loi à la suite d'une initiative bienvenue de l'Assemblée nationale.
Le suivi des dossiers des jeunes par l'administration principalement chargée du service national (c'est-à-dire, pour le moment, par la Direction centrale du service national) s'intègre dans cette conception prudente du passage à l'armée professionnelle , car il doit permettre la remontée en puissance de la conscription en cas de réapparition d'une menace .
Cette prudence ne doit toutefois pas conduire à maintenir le système actuel, très lourd sur le plan administratif, qui tend, dans la perspective d'une éventuelle mobilisation, à suivre les dossiers des hommes depuis le recensement jusqu'à l'âge auquel cessent les obligations du service national, c'est-à-dire de dix-sept à cinquante ans . Ce système n'est valable que parce qu'il conduisait à mobiliser des gens dont la formation militaire avait été assurée lors du service national, accompli majoritairement dans un cadre militaire.
Or, dans un système où la formation militaire ne concernerait qu'une infime minorité de la population , il n'est plus envisageable de prétendre, en cas de menace, appeler sous les drapeaux des gens qui n'ont jamais reçu aucune formation militaire .
C'est pourquoi il paraît opportun de clarifier le contenu d'un article nouveau qui crée, pour les jeunes gens " soumis aux obligations du service national ", l'obligation de faire savoir à la Direction centrale du service national tout changement dans leur domicile ou dans leur situation personnelle ou professionnelle.
Il conviendrait, en effet, tout en confirmant que la DCSN n'assure le suivi des dossiers des jeunes gens que jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans (c'est-à-dire jusqu'à l'âge limite d'accomplissement du rendez-vous citoyen), de préciser que l'obligation de transmettre à la DCSN tout changement de coordonnées ou de situation personnelle ne vaut que jusqu'à l'accomplissement du rendez-vous citoyen.
(3) Le volontariat : une charge financière qui ne saurait incomber à l'Etat dans des proportions injustifiées
Le passage au service volontaire se traduira pour les organismes d'accueil, par l'obligation d'assumer les charges jusqu'à présent couvertes par l'Etat, dans le cadre du service national obligatoire.
L'indemnité de 2 000 F à 2 500 F par mois servie aux futurs volontaires, assortie, le cas échéant, d'indemnités compensatrices destinées à couvrir les frais de logement, de nourriture et de transport, et complétée par les charges sociales (dont le montant a été fixé forfaitairement à 1 250 F par an), mettent donc fin à la fiction de la gratuité du service national.
Le volontariat s'appuie, en effet, sur une logique de responsabilisation : responsabilisation des jeunes qui consacreront quelques mois à la collectivité, responsabilisation des organismes d'accueil qui feront face aux coûts induits par le volontariat.
Dans cette perspective, on peut s'interroger sur la disposition insérée dans le projet de loi par l'Assemblée nationale, et tendant à imputer à l'Etat les charges sociales dues par les associations agréées accueillant des volontaires. Ce dispositif pose, en effet, deux problèmes :
- D'une part, il est directement inspiré du régime des personnels expatriés par les ONG, et qualifiés de volontaires, sans avoir toutefois rien de commun avec les volontaires du service national, ne serait-ce qu'en vertu de leur âge (de vingt-et-un ans à l'âge de la retraite). C'est pourquoi il prévoit la couverture sociale intégrale des volontaires en association, alors que le régime défini par le projet de loi pour les volontaires concerne les prestations en nature du risque maladie-maternité, les accidents du travail et la retraite. Cette formule rompt donc l'égalité entre les volontaires, puisque ceux qui serviront en associations bénéficieront d'une couverture plus étendue que les autres.
- D'autre part, le dispositif retenu à l'égard des associations ne distingue pas celles qui pourront payer les charges sociales dues au titre du recours à des volontaires, et celles pour qui les 1 250 F par an exigés constituent un obstacle insurmontable sur le plan financier.
Or parmi les très nombreuses association qui participeront à la mise en oeuvre du volontariat, il est clair qu'une proportion non négligeable seront en mesure de payer 1 250 F par an de charges sociales sans remettre en cause leur équilibre financier. Rappelons que des associations recrutent des personnels à la sortie de grandes écoles ou de facultés prestigieuses, ce qui suppose une surface financière telle que 1 250 F par an et par volontaire ne constituent pas un obstacle dirimant.
Tel qu'il est formulé, l'alinéa relatif à la couverture sociale des volontaires en associations présente donc le double inconvénient de :
- créer une injustice entre les volontaires au regard de la couverture sociale,
- traiter sur le même plan toutes les associations, dont certaines sont pourtant en mesure de faire face sans difficulté aux 1 250 F de charges sociales annuelles liées à l'accueil d'un volontaire.
Certes, votre commission est consciente que l'article inséré dans le projet de loi par l'Assemblée nationale est motivé par le souci de compenser les charges que devront couvrir les associatons dans le cadre du volontariat, alors même que le succès du volontariat reposera sur les associations.
Imputer à l'Etat les charges sociales dues par les associations au titre du recours aux volontaires risquera cependant d'induire des conséquences fâcheuses sur les ressources de celles-ci. En effet, à ressource budgétaire constante, les charges sociales qui seraient acquittées par l'Etat risqueraient d'être déduites des subventions allouées aux associations, ce qui se répercutera sur le nombre de volontaires que celles-ci seront en mesure de financer. Ainsi la volonté des associations d'épargner 1 250 F par an de charges sociales pourrait-elle avoir comme conséquence une perte nette beaucoup plus importante pour les associations.
En conséquence, il paraît souhaitable de rédiger la disposition relative à l'imputation à l'Etat des charges sociales dues par les associations de manière à :
- aligner cette couverture sociale sur celle du droit commun défini par la loi,
- faire de cette imputation une faculté et non une obligation pour l'Etat, en fonction des associations considérées.