3. LES SOLUTIONS PROPOSÉES PAR L'ARTICLE 4 DU PROJET DE LOI
Pour éviter ces situations complexes dans lesquelles un étranger est à la fois ni éloignable ni susceptible de bénéficier de plein droit d'un titre de séjour, l'article 4 du projet de loi, prévoit de compléter la liste des bénéficiaires de plein droit de la carte de séjour temporaire, telle qu'elle ressort de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945.
En conséquence, sous réserve que la présence du demandeur ne constitue pas une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire devait -dans le projet initial du Gouvernement- être désormais délivrée de plein droit dans cinq cas contre deux dans le droit en vigueur. L'Assemblée nationale a supprimé l'un de ces cas (les étrangers ayant plus de quinze ans de résidence habituelle en France) et prévu un cas nouveau ( les apatrides).
1 . L'étranger est mineur ou a moins de dix-neuf ans , à condition que l'un de ses parents soit titulaire de la carte de séjour temporaire et que lui-même ait été autorisé à séjourner en France au titre du regroupement familial. Ce cas est déjà prévu dans la rédaction actuelle de l'article 12 bis.
2 . L'étranger est mineur ou a moins de dix neuf ans et a sa résidence habituelle en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de six ans -cas déjà visé par l'article 12 bis- ou depuis qu'il a atteint au plus l'âge de dix ans s'il justifie être dans l'impossibilité de poursuivre une vie familiale normale effective dans son pays d'origine .
Cette hypothèse nouvelle s'inspire des dispositions de l'article 38 de l'ordonnance qui accorde la carte de résident de plein droit à l'étranger qui n'a pas été autorisé à séjourner en France au titre du regroupement familial mais qui justifie par tous moyens y avoir sa résidence habituelle depuis qu'il a atteint au plus l'âge de dix ans à condition qu'il soit entré en France avant le 24 août 1993 et que sa présence ne constitue pas une menace pour l'ordre public.
On relèvera également que la rédaction proposée ne fait plus référence à la preuve par tous moyens de la résidence habituelle en France. En outre, l'impossibilité de mener une vie effective dans le pays d'origine pourra être, dans bien des cas, difficile à établir.
L'impact de cette disposition est difficile à évaluer. Notons cependant, qu'environ 200 cartes de résident ont été délivrées chaque année depuis 1993, sur le fondement de l'article 38.
3 . L'étranger non polygame qui justifie par tous moyens avoir sa résidence habituelle en France depuis plus de quinze ans.
Ce cas a été envisagé par le Conseil d'Etat dans son avis précité du 22 août 1996 qui a considéré que : la durée de séjour en France n'a normalement pas à être prise en compte par l'administration. Il y a lieu cependant de faire un cas à part des étrangers se trouvant dans la situation prévue à l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, qui interdit de prendre une mesure d'éloignement à l'égard de ceux qui justifient résider habituellement en France depuis plus de quinze ans .
Il convient de relever que ces étrangers ont pu ne pas avoir toujours été dans une situation irrégulière au cours de la période de quinze ans.
Selon les précisions apportées par le ministre de l'Intérieur devant votre commission des Lois, cette disposition ne devrait concerner qu'environ cinquante dossiers par an.
Néanmoins, contre l'avis du Gouvernement, l'Assemblée nationale a supprimé ce cas de délivrance de plein droit de la carte de séjour temporaire.
4 . L'étranger, non polygame, est marié depuis deux ans au moins -un an dans le projet initial- avec un Français , à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé, que l'entrée sur le territoire ait été régulière, que le conjoint soit toujours Français et que l'acte de mariage -si celui-ci a été célébré à l'étranger- ait été préalablement transcrit sur les registres de l'état civil français.
Cette disposition -qui ne devrait pas avoir un impact quantitatif significatif sur les flux d'entrée en France- ne fait que consacrer la pratique mise en oeuvre à la suite de la circulaire du 8 février 1994.
Il convient de relever que, dans le souci d'éviter les risques de fraude, la condition d'entrée régulière sur le territoire est prévue.
Sur la proposition de sa commission des Lois, l'Assemblée nationale a précisé la portée de la condition de non polygamie, laquelle devant s'apprécier au regard de la loi française et non pas celle du pays d'origine. En conséquence sera pris en compte l'état de polygamie en France, la carte de séjour temporaire ne pouvant être attribuée qu'à l'étranger qui ne vit pas en état de polygamie sur le sol français.
Alors que le projet de loi initial pouvait sous-entendre une conception plus extensive de la polygamie, la nouvelle rédaction retenue par l'Assemblée nationale est cohérente avec celle de l'article 15 bis qui -s'agissant de la carte de résident- prohibe sa délivrance à l'étranger visant " en état de polygamie ". Elle est en outre conforme à l'interprétation donnée par le Conseil constitutionnel pour cet article 15 bis, dans sa décision du 13 août 1993- qui a considéré que ne pouvaient être visés que les étrangers en état de polygamie en France.
L'Assemblée nationale a, par ailleurs, reporté d'un à deux ans la durée de mariage exigée, afin de prévenir les fraudes résultant de mariages de complaisance.
Cet allongement de la durée du mariage requise peut surpendre dès lors qu'un an est exigé par l'article 15 de l'ordonnance pour l'attribution de la carte de résident et qu'au bout de deux ans , le conjoint peut demander la nationalité française.
5 . L'étranger, non polygame, est parent d'un enfant français âgé de moins de seize ans , résidant en France à condition qu'il exerce même partiellement, l'autorité parentale à l'égard de cet enfant et qu'il subvienne effectivement à ses besoins.
Cette hypothèse ne fait que codifier dans la loi les principes posés par la circulaire du 9 juillet 1996 et suivre l'avis du Conseil d'Etat.
Pour les mêmes motifs exposés ci-dessus, l'Assemblée nationale a préféré viser l'étranger ne vivant pas en état de polygamie.
En outre, l'Assemblée nationale a précisé que lorsque la qualité de parent d'un enfant français résulterait d'une reconnaissance de l'enfant postérieure à la naissance, la carte de séjour temporaire ne serait délivrée à l'étranger que s'il subvient aux besoins de l'enfant depuis au moins un an ou depuis sa naissance. Cette disposition est motivée par le souci qu'un étranger ne fasse cette reconnaissance que dans le seul but d'éviter une mesure de reconduite à la frontière.
6 . L'apatride qui réside régulièrement en France depuis plus de six mois ainsi que son conjoint et ses enfants mineurs
Ce cas a été ajouté par l'Assemblée nationale, avec l'accord du Gouvernement, sur la proposition de M. Arnaud Cazin d'Honincthun
Actuellement, sur le fondement de l'article 15 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 (11°), l'apatride qui justifie de trois ans de résidence régulière en France, de même que son conjoint et ses enfants mineurs, bénéficient de plein droit de la carte de résident.
La disposition adoptée par l'Assemblée nationale règle donc la situation de l'apatride avant l'achèvement de cette période de trois ans lui ouvrant droit à la carte de résident de plein droit.
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Au total, l'étude d'impact du projet de loi observe " que l'adoption de cet article donnera une plus grande sécurité juridique à ces catégories d'étrangers. En évitant de placer des étrangers bénéficiant d'une sorte d'immunité en France dans une situation de non-droit, l'adoption de cette disposition permettra aux préfectures de revenir à une application stricte de la loi pour toutes les autres catégories d'étrangers, sans avoir à se placer en permanence dans une perspective dérogatoire ".
Pour autant, les auteurs du projet de loi n'ont pas souhaité mettre en totale cohérence la liste de bénéficiaires de plein droit de la carte de séjour temporaire avec celle des étrangers ne pouvant faire l'objet d'une mesure d'éloignement, solution qui -comme l'a relevé le président Pierre Mazeaud- aurait pu avoir le mérite de la logique et aurait singulièrement simplifié la législation dans ce domaine.
L'autre solution aurait consisté à réduire le champ d'application de la protection résultant de l'article 25 de l'ordonnance. Elle a été retenue par l'Assemblée nationale pour ce qui concerne des étrangers ayant une résidence habituelle en France depuis plus de quinze ans .
Le Gouvernement, pour sa part, avait privilégié une démarche intermédiaire qui consistait, sans modifier la liste des étrangers non éloignables, à proposer une régularisation qui tienne compte de la situation personnelle et familiale mais ne légitime pas les fraudes.
Il demeure qu'en l'état du texte adopté par l'Assemblée nationale, certains étrangers protégés contre une mesure d'éloignement par l'article 25 de l'ordonnance, ne bénéficieront pas de plein droit d'une carte de séjour temporaire.
Il en serait ainsi de :
- l'étranger protégé par l'article 25, qui n'a pas fait l'objet d'une condamnation permettant son expulsion mais qui, constituant une menace pour l'ordre public, ne pourrait bénéficier de la carte de séjour temporaire de plein droit ;
- l'étranger mineur, dont aucun des parents n'est titulaire de la carte de séjour temporaire et qui est entré en France après l'âge de dix ans ;
- l'étranger ayant sa résidence habituelle en France depuis plus de quinze ans ;
- l'étranger marié depuis plus d' un an mais moins de deux ans ainsi que celui marié depuis plus de deux ans répondant aux autres conditions requises mais qui n'est pas entré régulièrement sur le territoire ;
- le parent étranger d'un enfant français résidant en France qui exerce, même partiellement l'autorité parentale mais qui ne subvient pas effectivement aux besoins de l'enfant ou l'inverse ;
- l'étranger titulaire d'une rente d'accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d'incapacité permanente est égale ou supérieur à 20 %. Or cette catégorie est très peu nombreuse, seize étrangers titulaires d'une rente ayant bénéficié d'une carte de résident en 1995.
Votre rapporteur relève néanmoins que les étrangers ne pouvant prétendre de plein droit à la carte de séjour temporaire pourront toujours l'obtenir par décision préfectorale en fonction bien sûr d'éléments spécifiques tirés de leur situation personnelle.
Il est difficile d'établir précisément le nombre de personnes concernées par ces dispositions.
Il ressort néanmoins des statistiques fournies par certaines préfectures que 60 % des dossiers soumis à la commission de séjour, compétente à titre consultatif pour le refus de délivrance de titres de séjour (cf. commentaire de l'article 5)- concernent des parents d'enfants français.
Or 95 % de ces derniers dossiers sont soumis à la commission de séjour pour défaut d'entrée régulière et de séjour régulier. Pour les dossiers de conjoints de Français -qui représenteraient 25 % des dossiers soumis à la commission de séjour- la moitié serait soumise pour défaut d'entrée ou de séjour régulier et la moitié pour absence de communauté de vie effective.
L'étude d'impact du projet de loi fait donc valoir que si l'article 12 bis de l'ordonnance était adopté dans sa nouvelle rédaction, les trois quarts des intéressés se verraient délivrer une carte de séjour temporaire de plein droit.
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Votre commission a considéré que, tout en préservant les principes définis en 1993 qui permettent de lutter efficacement contre les fraudes aux règles d'entrée et de séjour des étrangers, il était nécessaire -conformément à l'esprit du projet de loi initial- de limiter le plus possible les catégories d'étrangers qui sont à la fois ni éloignables, ni susceptibles de bénéficier de plein droit d'une carte de séjour temporaire, situation à l'incidence inacceptable au regard des principes juridiques.
C'est pourquoi, elle vous soumet six amendements qui, respectant ce souci d'équilibre, auraient principalement pour effet de :
- rétablir la preuve par tous moyens de la résidence habituelle en France depuis au plus l'âge de six ans pour l'étranger mineur et atténuer pour celui ayant une résidence habituelle en France depuis au plus l'âge de dix ans la charge de preuve de l'impossibilité de mener une vie familiale effective dans le pays d'origine (2° de l'article 12 bis);
- rétablir la catégorie des étrangers ayant quinze ans de résidence habituelle en France (3° de l'article 12 bis);
- réduire à un an -conformément à la rédaction initiale du Gouvernement- la durée de mariage requise d'un conjoint d'un Français (4° de l'article 12 bis) ;
- introduire la catégorie des bénéficiaires d'une rente d'invalidité (5° bis de l'article 12 bis) ;
- clarifier la situation des apatrides , en prévoyant la délivrance de la carte de séjour temporaire dès l'adoption du statut et en reprenant pour le conjoint les conditions fixées pour la délivrance de la carte de résident au conjoint d'un Français 6° de l'article 12 bis);
Elle vous demande d'adopter l'article 4 ainsi modifié .