EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le projet de loi qui est soumis à votre examen prévoit diverses dispositions relatives à l'immigration. Opérant une nouvelle modification de l'ordonnance du 2 novembre 1945, déjà révisée à vingt trois reprises, il intervient moins de quatre ans après l'adoption des lois du 24 août et du 30 décembre 1993 qui ont défini de nouvelles règles en vue d'une maîtrise effective des flux migratoires. La loi constitutionnelle du 25 novembre 1993 a, pour sa part, très utilement précisé les règles applicables au droit d'asile en consacrant dans la Constitution la faculté pour les autorités de la République de conclure des accords déterminant les compétences pour l'examen des demandes d'asile avec des Etats européens liés par des engagements identiques aux nôtres en matière d'asile et de protection des droits de l'Homme.
L'utilité de légiférer à nouveau pourrait dès lors être mise en doute. Cependant, le projet de loi ne prétend pas remettre en chantier l'ordonnance du 2 novembre 1945, profondément modifiée par les lois de 1993, dont les principes demeurent parfaitement valables. Il vise plus simplement, de manière pragmatique et limitée, à proposer des réponses adaptées aux situations observées dans la pratique.
Après la définition des mesures d'application nécessaires, le nouveau dispositif issu des lois de 1993 est désormais mis en oeuvre avec détermination par le Gouvernement qui peut, à bon droit, faire état de résultats concrets dans la nécessaire maîtrise des flux migratoires.
Pour autant, force est de constater qu'il peut être difficile -comme cela serait souhaitable- de stabiliser le droit applicable dans ce domaine. D'une part, en dépit du raffinement de plus en plus grand des règles, peuvent apparaître des situations individuelles éminemment complexes, que de simples circulaires ministérielles ne suffisent pas à régler de manière satisfaisante. D'autre part, l'interprétation des règles constitutionnelles a contribué à créer un cadre extrêmement contraignant pour la mise en oeuvre des mesures d'éloignement, par rapport aux solutions appliquées par nos voisins européens pourtant tout aussi soucieux de protéger les droits des individus. Au fil des législations une sophistication et une complexité croissante du dispositif applicable apparaissent, multipliant les risques de contentieux et rendant incompréhensible à une grande partie de l'opinion publique un dispositif juridique dont elle attend beaucoup.
Le Parlement est donc appelé à procéder aux ajustements nécessaires du droit en vigueur. L'absence de déclaration d'urgence permettra à la " navette " parlementaire de jouer tout son rôle pour définir, de manière juste et équilibrée, les solutions les plus adéquates.
A l'occasion de la discussion du projet de loi, la commission a également examiné les propositions de loi déposées sur le Bureau du Sénat relatives à l'immigration :
- proposition de loi n° 451 (1995-1996) de M. Serge Mathieu relative au certificat d'hébergement ;
- proposition de loi n° 29 (1996-1997) de M. Christian Demuynck, tendant à modifier l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ;
- proposition de loi n° 41 (1996-1997) de M. Serge Mathieu relative au délai de rétention administrative ;
- proposition de loi n° 96 (1996-1997) de M. Bernard Plasait et plusieurs de ses collègue tendant à renforcer les moyens de contrôle des certificats d'hébergement ;
- proposition de loi n° 86 (1995-1996) de M. Serge Mathieu relative à la polygamie.
LA SITUATION ACTUELLE : UN CADRE JURIDIQUE PRÉCISÉ EN VUE D'UNE MAÎTRISE EFFECTIVE DES FLUX MIGRATOIRES MAIS DES DIFFICULTÉS PERSISTANTES
QUELQUES DONNÉES ESSENTIELLES SUR L'IMMIGRATION
Comme l'avait déjà souligné votre commission des Lois, dans le cadre des débats préalables à l'adoption de la loi du 24 août 1993, la quantification de l'immigration présente un intérêt évident et a des conséquences sur la conception même des règles sur l'entrée et le séjour des étrangers.
Cette préoccupation exprimée, dès la publication de son premier rapport, en 1991, par le Haut conseil à l'intégration, a été celle du Sénat lorsqu'il adopta, le 7 novembre 1991 -sur le rapport de notre collègue René-Georges Laurin- la proposition de loi tendant à la maîtrise effective des flux migratoires , laquelle prévoyait précisément le dépôt par le Gouvernement d'un rapport annuel sur le sujet. De même, sur l'initiative du Sénat, la loi du 24 août 1993 (article 51) a prévu l'élaboration d'un tel rapport portant notamment sur le nombre des étrangers ayant été admis à séjourner sur le territoire national au cours de l'année écoulée et sur les mesures mises en place pour lutter contre l'immigration clandestine. Il est regrettable que cette disposition n'ait pas, à ce jour, été appliquée.
Sans qu'il soit besoin dans le cadre du présent rapport de reprendre dans le détail les données connues, votre rapporteur rappellera qu'au recensement de 1990, l'INSEE avait dénombré 3,580 millions de personnes de nationalité étrangère, dont 740 000 nées en France , les nationalités les plus représentées étant les Portugais, les Algériens, les Marocains, les Italiens, les Espagnols, les Turcs et les Tunisiens.
Au total -pour s'en tenir à la nomenclature retenue par le Haut Conseil à l'Intégration- la population immigrée, c'est à dire les personnes nées à l'étranger dont certaines ont pu devenir françaises, s'établissait à 4,2 millions de personnes dont 1,290 million de personnes étaient nées à l'étranger et avaient acquis la nationalité française par naturalisation ou du fait du mariage.
Ces données doivent néanmoins être complétées -pour avoir une appréciation complète du quantum de l'immigration- par celles relatives aux flux d'immigration annuels qui peuvent être évalués à partir des mouvements d'entrée et de sortie du territoire.
Selon les précisions données par le Haut Conseil de l'Intégration, dans son rapport pour 1995, 94 098 immigrants étaient entrés sur le territoire en 1993, soit un chiffre en régression par rapport à 1992 ( 111 222 ).
On comptabilisait, en 1993, 24 388 travailleurs permanents, 32 435 personnes entrées au titre du regroupement familial, 9 914 personnes admises au statut de réfugié, 20 062 conjoints de Français.
Cette immigration à caractère permanent tend à diminuer. Ainsi, selon le rapport d'activité de la Direction de la population et des migrations pour 1995, cette immigration -telle qu'elle ressort des données collectées par l'Office des migrations internationales, lequel ne dénombre pas la totalité des flux- s'est établie à 57 000 personnes en 1995. En 1994, le chiffre ressortant à partir des mêmes données, était de 69 290 , soit une baisse de près de 20 %, particulièrement forte pour les réfugiés (- 32,5 %) et pour les travailleurs salariés permanents (- 28,5 %).
Cette tendance à une diminution des flux migratoires vers le territoire national peut également être observée à partir du nombre de premiers titres de séjour d'une durée d'au moins un an délivrés à des étrangers nés hors de France en 1995. Selon les statistiques du ministère de l'Intérieur communiquées à votre rapporteur, 78 777 de ces titres (notamment la carte de résident de dix ans et la carte de séjour temporaire d'un an) avaient été délivrés en 1995 contre 86 342 en 1994, soit une baisse de 9 %.
Quant à l'immigration irrégulière, par définition difficile à quantifier, le Haut Conseil à l'Intégration citait, dans un rapport de décembre 1992, une estimation du Bureau international du Travail la chiffrant à 350 000 personnes contre 300 000 en Espagne, 200 000 en Allemagne et 600 000 en Italie.
Selon les estimations du ministère de l'Intérieur, cette immigration irrégulière serait au minimum de l'ordre de 200 000 personnes.