II. UN PROJET DE LOI QUI MODIFIE EN ROFONDEUR LE CADRE GÉNÉRAL DES LÉCOMMUNICATIONS
Le texte proposé ouvre à la concurrence l'ensemble du secteur des télécommunications. Il achève un mouvement amorcé dans notre pays en 1987 pour les mobiles et conforté en 1990 pour les services à valeur ajoutée. Cette « démonopolisation » est toutefois encadrée par des règles précises qui seront mises en oeuvre par le ministre en charge des télécommunications et par de nouvelles instances.
Le projet de loi respecte les résolutions du Conseil européen des 22 juillet 1993 et 7 février 1994, qui prévoient que toutes les activités de télécommunications seront ouvertes à la concurrence au 1er janvier 1998.
Il met donc Fin au monopole existant aujourd'hui, au profit de France Télécom, pour l'établissement des infrastructures filaires publiques et la fourniture au public du service téléphonique entre points fixes.
Ses dispositions seront présentées en détail plus avant, lors de l'examen de chacun de ses articles, mais il apparaît important d'en exposer, dès maintenant, les principales lignes de force.
A. L'OUVERTURE À UNE CONCURRENCE RÉGULÉE
1. De nouvelles libertés
Le projet de loi simplifie et allège le régime juridique mis en place en 1990 pour les activités déjà ouvertes à la concurrence. Il instaure la liberté d'établissement des réseaux et de fourniture de services au public, mettant ainsi un terme au monopole de France Télécom sur la téléphonie fixe.
a) Le cadre actuel
•
Les réseaux sont regroupés en
deux catégories :
- les réseaux ouverts au public qui font l'objet d'un monopole confié à l'opérateur public sauf pour les réseaux radioélectriques (mobiles, satellites) qui peuvent être établis en concurrence ;
- les réseaux indépendants réservés à l'usage d'une même personne ou de groupes fermés d'utilisateurs, qui sont soumis à une autorisation préalable (ou établis librement pour les moins importants).
•
Les services : seuls ceux fournis au
public sont actuellement réglementés :
- le service téléphonique entre points fixes, qui relève du monopole,
- les services de simple transport de données fournis en concurrence et soumis à un cahier des charges,
- les autres services relèvent de la libre concurrence avec un régime allant de l'autorisation (télécommunications sur réseaux câblés, services à valeur ajoutée de taille importante) à la déclaration (liaisons louées, autres services à valeur ajoutée), ou même à l'absence de toute démarche administrative (services à valeur ajoutée sur le réseau public commuté).
b) Le projet de loi
Il libéralise largement ce régime, comme l'indiquent les deux tableaux suivants qui comparent la législation actuelle et le texte proposé, tant pour les réseaux que pour les services de télécommunications.
• Une nouvelle liberté
d'établissement et d'exploitation des réseaux
Réglementation actuelle |
Projet de loi |
|
Réseaux ouverts au public |
- établis par le seul exploitant public. par dérogation, le ministre chargé es télécommunications peut autoriser une personne autre à en établir et exploiter lorsque le service, d'une part, répond à un besoin d'intérêt général et, d'autre part, est compatible avec le bon accomplissement par l'exploitant public de ses missions de service public et avec les contraintes tarifaires et de desserte géographique qui en résultent. |
- autorisés par le ministre chargé des télécommunications. L'autorisation ne peut être refusée que pour les motifs : - d'ordre public, - de défense, - de sécurité publique, - de contrainte technique inhérente a la disponibilité des fréquences, d'incapacité technique et financière du demandeur de faire face durablement à ses obligations, - de sanctions antérieures infligées au demandeur |
Réseaux indépendants (Réseaux établis pour un groupe fermé d'utilisateurs) |
- autorisés par le ministre chargé des télécommunications. |
- autorisés par l'Autorité de régulation des télécommunications |
Réseaux établis librement |
- réseaux internes ; - les réseaux indépendants autres que radioélectriques, dont les points de terminaison sont distants de moins de 300 mètres et dont les liaisons ont une capacité inférieure à un seuil fixé par arrêté du ministre chargé des télécommunications - les installations radioélectriques exclusivement composées d'appareil de faible puissance et de faible portée, dont les catégories ont déterminées par arrêté conjoint des ministres chargés de la défense, de l'intérieur et des télécommunications. |
- réseaux internes ; - cabines téléphoniques hors de la voie publique ; - les réseaux indépendants de proximité, autres que radioélectriques, d'une longueur inférieure à un seuil fixé par le ministre chargé des télécommunications ; - les installations radioélectriques de faible puissance et de faible portée, dont les catégories sont déterminées conjointement par les ministres chargés des télécommunications, de la défense et de l'intérieur ; - les installations radioélectriques n'utilisant pas des fréquences spécifiquement assignées à leur utilisateur. |
Tableau également cité dans le rapport de l'Assemblée nationale de M Claude Gaillard sur le projet de loi de réglementation des télécommunications
• Une nouvelle liberté de fourniture
des services de télécommunications
Réglementation actuelle |
Projet de loi |
||
Service non fournis au public |
- libres |
- libres |
|
Service fournis au public Service téléphonique entre points Service téléx |
. réservés à l'exploitant public. |
Service téléphonique : - autorisé par le ministre chargé des télécommunications. L'autorisation ne peut être refusée que pour les seuls motifs : - d'ordre public, - de défense, - de sécurité publique, - de contrainte technique inhérente à la disponibilité des fréquences, d'incapacité technique et financière du demandeur de faire face durablement à ses obligations, - de sanctions antérieures infligées au demandeur. |
|
Services supports (liaisons louées, services de simple transport de données) |
- libres pour l'exploitant public ; - autorisés par le ministre chargé des télécommunications, pour les autres personnes ; - doivent être compatibles avec le bon accomplissement des missions de service public de l'exploitant public et les contraintes tarifaires et de desserte géographique qui en résultent. |
||
Services radioélectriques : sur réseaux radioélectriques autorisés - utilisant des fréquences assignées par le CSA (ou une autorité autre que le ministre charge des télécommunications) |
- autorisation préalable du ministre chargé des télécommunications : - libres pour l'exploitant public. - après accord du CSA (ou de l'autorité) sur l'usage des fréquences |
- libres, sous réserve du : - respect des prescriptions liées à l'établissement des réseaux (autorisation du ministère chargé des télécommunications) ; - respect des prescriptions liées à l'établissement des réseaux (autorisation du ministère chargé des télécommunications), après accord du CSA (ou de l'autorité) sur l'usage des fréquences. |
Réglementation actuelle |
Projet de loi |
|
Services sur réseaux câblés audiovisuels, autres que services-supports |
- autorisation préalable du ministre chargé des télécommunications sur proposition des communes ou groupement de communes ; - lorsque l'objet du service est directement associé à la fourniture du service audiovisuel sur câble, une autorisation du CSA est nécessaire. |
. déclaration auprès de l'Autorité de régulation des télécommunication ; . lorsque le service proposé est le service téléphonique au public, une autorisation du ministre charge des télécommunications est nécessaire. |
Autres services fournis au public : - Télécopie - téléréunion ou téléconférence visioconférence - télésurveillance ou vidéosurveillance. - téléalarme - gratuité des communications - réacheminement des communications. (Services dits à valeur ajoutée) - au moyen de liaisons louées à l'exploitant public |
- libres, sous réserve du respect des exigences essentielles définies au 12° de l'article L. 32 mais - autorisation préalable du ministre chargé des télécommunications sauf lorsque la capacité d'accès des liaisons louées est inférieure à un seuil fixé par arrêté : déclaration préalable. |
Services de télécommunications autres que téléphoniques : - libres, sous réserve du respect des exigences essentielles définies au 12° et des prescriptions exigées par la défense et la sécurité publique |
Tableau également cité dans le rapport de l'Assemblée nationale de M Claude Gaillard sur le projet de loi de réglementation des télécommunications
Mais ces nouvelles libertés ne sont pas synonymes d'une concurrence inorganisée et non maîtrisée. Le texte propose en effet un cadre réglementaire clair.
2. Une concurrence régulée
Le texte de loi prévoit les conditions d'interconnexion, c'est-à-dire de liaison physique et logique des réseaux de télécommunications des différents opérateurs.
a) L'interconnexion
L'interconnexion sera un des éléments essentiels de l'organisation et de la régulation du marché des télécommunications après 1998. Tout exploitant de réseau public ou prestataire de service téléphonique au public se verra, en effet, reconnaître un droit d'interconnexion avec l'ensemble des réseaux ouverts au public.
Toutefois, l'interconnexion recouvre des prestations différentes selon qu'il s'agit d'interconnexion entre deux exploitants de réseaux où la prestation peut être qualifiée de réciproque, ou d'interconnexion entre un exploitant de réseau et un fournisseur de services où l'exploitant de réseau offre, en fait, un accès à son réseau au fournisseur de services. Ces prestations différentes justifient que l'offre tarifaire d'interconnexion proposée à ces deux catégories d'opérateurs soit distincte et qu'elle favorise ceux qui offrent une prestation réciproque, c'est-à-dire les exploitants de réseaux.
L'ensemble des exploitants de réseaux ouverts au public devra faire droit aux demandes « raisonnables » d'interconnexion. Ceux qui disposent d'une part de marché importante seront soumis à des obligations renforcées : publier une offre d'interconnexion et proposer des tarifs orientés vers les coûts aux autres exploitants de réseaux et aux fournisseurs de service téléphonique au public ; mettre en oeuvre les principes d'un réseau ouvert en assurant un accès transparent, objectif et non discriminatoire aux fournisseurs d'autres services et assurer, si besoin est, un accès spécial à leur réseau.
En cas de désaccord ou de carence, les conditions techniques et financières relatives à l'interconnexion et à l'accès au réseau pourront être fixées dans un délai encadré, actuellement de l'ordre de six mois dans les projets de directives communautaires, par l'Autorité de régulation des télécommunications instituée par le projet de loi.
b) La participation des nouveaux entrants au financement du service universel
La directive de la Commission européenne 96/19/CE (voir texte en annexe) modifiant la directive 90/388/CE et concernant l'ouverture complète du marché des télécommunications à la concurrence ouvre la faculté (dans son 19e considérant) d'exempter de contribution au service universel les nouveaux entrants dont la présence sur le marché ne serait pas encore significative.
Des pays de l'Union européenne, dont l'Allemagne, s'orientent dans cette direction. Par ailleurs, d'aucuns, au sein de la Commission, semblent souhaiter que cette faculté qui, en l'état actuel des textes, relève du principe de subsidiarité, devienne une obligation.
Par sa résolution n° 53 adoptée le 27 décembre 1995 sur proposition de votre Commission des Affaires économiques 9 ( * ) , le Sénat a clairement estimé qu'une telle règle devait continuer à relever du principe de subsidiarité.
Le haut niveau de service universel envisagé en France interdit de retenir une telle option. Tout nouvel entrant, quelle que soit sa part de marché, devra contribuer au service universel.
Le projet de loi respecte cette orientation dont l'intérêt a été constamment réaffirmé par votre commission. Il établit les mécanismes de financement nécessaires pour assurer le maintien du caractère abordable des tarifs du service universel, dans son double aspect d'égalité des tarifs sur l'ensemble du territoire (péréquation géographique) et d'abordabilité des tarifs pour toute la population (péréquation sociale).
Tous les opérateurs de réseaux publics et de service téléphonique au public devront participer au financement du service universel au prorata de leur part dans l'ensemble du trafic téléphonique.
Le texte du projet s'attache donc à organiser une concurrence régulée. Cette préoccupation se retrouve en matière de participation des sociétés étrangères au capital des opérateurs.
c) Participations étrangères et égalité de traitement des opérateurs internationaux
•
Limitation des participations
étrangères
Le projet de loi prévoit la limitation des participations des sociétés étrangères dans une société titulaire d'un réseau de télécommunications utilisant des fréquences radioélectriques. Cette restriction n'est pas prévue par les textes communautaires mais elle est acceptée par la Commission européenne en l'absence de clause de réciprocité avec l'État étranger dont l'investisseur est ressortissant. Des négociations sont en cours au sein de l'Organisation mondiale du commerce sur les télécommunications de base.
Cette limitation existe également en France dans les secteurs de la presse écrite et de la communication audiovisuelle. Dans le secteur des télécommunications, à l'étranger, de telles restrictions existent au Japon (plafond du tiers du capital) ou aux États-Unis (plafond de 25 % de principe -en vertu de l'article 310 du Communications Act de 1934- ou de 20 % lorsque la Participation est effectuée par l'intermédiaire d'une filiale ; la jurisprudence de la Fédéral Communications Commission chargée d'autoriser les prises de participation et les fusions retient ces seuils avec une marge d'appréciation qui fait varier les taux de 15 à 25 %).
La limitation prévue par la loi française ne s'applique ni aux fournisseurs de services de télécommunications, ni aux exploitants de réseaux indépendants, ni aux entreprises de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen, ni aux entreprises d'un pays tiers avec lequel un accord de réciprocité a été conclu en ce domaine.
Si, au cours de la durée de l'autorisation, une modification du capital social de la société titulaire d'une autorisation a pour effet de porter à plus de 20 % la participation des entreprises des pays tiers, l'Autorité de régulation Pourra sanctionner le manquement par un retrait de l'autorisation sans mise en demeure préalable. Actuellement, c'est le ministre qui détient ce pouvoir.
•
Égalité de traitement des
opérateurs au niveau international
Le projet de loi vise à garantir, sous réserve de réciprocité formalisée dans un engagement international souscrit par la France, l'égalité de traitement des opérateurs de télécommunications quelle que soit leur nationalité, lorsqu'ils acheminent du trafic international au départ ou à destination de réseaux ouverts au public français.
Le texte veille aussi à ce que les opérateurs des pays tiers à la Communauté assurent aux opérateurs autorisés en France des droits comparables à ceux dont ils bénéficient sur le territoire national.
Ceci répond entièrement à la volonté exprimée par votre commission des affaires économiques, au travers de plusieurs de ses rapports 1 ( * )0 .
D'une manière générale, l'analyse de l'ensemble des dispositions du projet de loi relatives à l'ouverture à la concurrence confirme qu'il répond à l'orientation préconisée par votre commission dans le rapport d'information sur l'avenir de France Télécom où elle souhaitait que la concurrence dans le domaine des télécommunications soit soigneusement régulée.
d) Une mise en oeuvre des nouvelles règles de concurrence échelonnée dans le temps
CALENDRIER DE MISE EN oeuvre DES DISPOSITIONS
DU
PROJET DE LOI
1er juillet 1996 1er juillet 1996 1er janvier 1947 1er janvier 1997 1er janvier 1997 1er janvier 1988 |
Possibilité d'affecter les infrastructures alternatives à l'exploitation de réseaux de télécommunications ouverts au public Possibilité d'établissement et d'exploitation par des opérateurs autres que France Télécom de réseaux ouverts au public, pour des services autres que le service téléphonique au public entre points fixes Création de l'Autorité de régulation des télécommunications Organisation en établissements publics de l'État des écoles d'enseignement supérieur des télécommunications Début de délivrance des autorisations. Possibilité de fourniture au public, par des opérateurs autorisés autres que France Télécom du service téléphonique entre points fixes et d'établissement et d'exploitation de réseaux ouverts au public |
3. Des droits du consommateur garantis
La « démonopolisation » devrait s'assortir d'une amélioration des conditions d'exercice du droit des consommateurs.
a) La « portabilité » des numéros de téléphone
Votre commission le soulignait dans son rapport d'information précédemment cité « L'avenir de France Télécom : un défi national » la fluidité du marché exige de pouvoir passer d'un opérateur à l'autre sans changer de numéro de téléphone. La « portabilité » des numéros devait -était-il estimé dans le rapport- être une réalité dès 1998.
« Imagine-t-on une PME refaire imprimer tout son papier à en-tête parce qu'elle pourrait économiser quelques milliers de francs sur ses factures téléphoniques ? Le coût immédiat du changement serait dissuasif bien qu'il soit nettement avantageux sur plusieurs années. L'obstacle se révélerait tout aussi dirimant pour un particulier mécontent de l'attitude commerciale de son opérateur et qui désirerait en changer : il aurait alors à informer un à un tous ses proches de son nouveau numéro, alors même qu'il n'aurait pas déménagé.
« Ceci n'est pas acceptable. Le consommateur doit être en mesure de bénéficier du jeu de la concurrence sans se heurter à des contraintes de nature administrative.
« Lorsqu'il reste au même endroit, il faut, s'il le souhaite, qu'il puisse, pour une somme modique correspondant aux frais techniques de mise en oeuvre, conserver son numéro quand il change d'opérateur. La loi aura à lui réserver ce droit.
« Techniquement, le plan de numérotation à 10 chiffres qui doit entrer en vigueur le 18 octobre prochain rend possible une telle solution. Celle-ci doit donc être mise en oeuvre dès le 1er janvier 1998. » 1 ( * )1
Sur ce point aussi, les préoccupations de votre commission ont été entendues. Le projet de loi organise la portabilité des numéros de téléphones. Celle-ci devrait faire l'objet de deux étapes : 1998 et 2001.
La loi, d'une part,
permet à celui qui ne
change pas de domicile de pouvoir garder son numéro s'il décide
de changer d'opérateur. Elle permet d'autre part à celui qui
souhaite conserver son numéro alors qu'il change de domicile et/ou
d'opérateur d'obtenir un « numéro
portable »
•
Le nouveau plan de numérotation, identifiera une tranche de « numéros portables », et la mise en oeuvre d'une nouvelle architecture technique dite de « réseau intelligent » permettront d'offrir à compter de 2001 ce service avancé de « numéros portables » géographiquement. Il permettra également d'optimiser la portabilité entre opérateurs sans changement de domicile.
Votre commission proposait qu'à terme ce service pût être rendu gratuitement, anticipant sur les évolutions futures :
« De fait, actuellement les numéros attribués couramment correspondent encore à une « adresse téléphonique ». Mais, demain -et ce sera le cas bientôt pour les numéros « géographiquement portables »-, avec les progrès des techniques de traitement informatique, on peut raisonnablement envisager que la composition d'un numéro envoie sur une base de données où figurera la dernière « adresse téléphonique » de la personne appelée. La communication sera alors automatiquement aiguillée vers le poste de cette personne, que celle-ci ait ou non changé « d'adresse téléphonique » depuis l'attribution du numéro composé (...)
« Dans une telle hypothèse, il sera possible à tout un chacun de disposer d'un numéro de téléphone valable quel que soit l'endroit du territoire où il s'installe (tout au moins Pour les 8 derniers chiffres ne correspondant pas au préfixe régional dans le nouveau plan de numérotation).
Il en résultera une liberté de choix qui n'existe pas aujourd'hui. » 1 ( * )2
b) Responsabilité des opérateurs et respect de la vie privée
•
Responsabilité des
opérateurs
L'article L. 37 du code des postes et télécommunications est abrogé. Il prévoyait dans son premier alinéa un régime de faute lourde pour l'exploitant public, s'agissant des services de communications sur le réseau public sauf ceux fournis en concurrence.
De même, pour les « erreurs ou omissions qui pourraient se produire dans la rédaction, la distribution ou la transmission des listes d'abonnés des réseaux publics établies par l'exploitant public » le régime de responsabilité pour faute lourde est également abrogé (ancien article L. 37, 2e alinéa).
En cas de faute de l'opérateur, l'usager pourra ainsi bénéficier d'une mise en cause plus aisée de sa responsabilité.
De plus, les cahiers des charges des opérateurs permettront de vérifier que les contrats proposés comportent des mécanismes d'indemnisation des utilisateurs.
•
Respect de la vie privée
Le secret des correspondances et la neutralité du transporteur, quels que soient les messages transmis, est réaffirmé. Il s'impose à tous.
Les sanctions pénales -qui résultent de la loi du 10 juillet 1991 et du code pénal- ne sont pas modifiées.
Les données nominatives figurant dans les annuaires d'abonnés sont protégées par les mécanismes usuels. Toute personne pourra s'opposer à ce que ses coordonnées figurent dans le futur annuaire universel. La CNIL sera saisie, le moment venu, du projet de texte devant autoriser le traitement correspondant.
c) La cryptologie
La cryptologie consiste à rendre des informations inintelligibles pour les tiers, lors de la conservation ou de la transmission de ces informations. Elle permet donc de « sécuriser » les échanges électroniques, notamment commerciaux, des particuliers et des entreprises. En ce sens, elle possède une dimension favorable aux consommateurs.
Cependant, aménager la législation sur la cryptologie doit aussi amener à prendre en compte les nécessités de la lutte contre le crime organisé ainsi que la préservation des intérêts de la défense nationale et de la sécurité de l'État.
Les modifications successives apportées aux lois applicables à la cryptologie montrent que la matière perd progressivement son caractère exclusivement stratégique sans que soit pour autant perdu de vue l'exigence de la protection des intérêts collectifs.
Jusqu'en 1990, les moyens de cryptologie étaient soumis au régime juridique du matériel de guerre défini par le décret du 18 avril 1939.
Le décret n° 86-250 du 18 février 1986 et l'arrêté pris le même jour ont apporté des atténuations à ce régime en assouplissant les procédures d'autorisation des moyens de cryptologie destinés à des fins professionnelles ou privées.
La loi n° 90-1170 du 29 décembre 1990 sur la réglementation des télécommunications a constitué une tentative de « démonopolisation » des règles applicables à la cryptologie.
Deux types de dispositifs de cryptage sont distingués :
-ceux permettant d'authentifier une communication (comme par exemple dans le cas des procédures utilisant des codes d'accès) ou d'assurer l'intégrité du message transmis (grâce à l'émission d'une information codée permettant de vérifier que le message n'a pas subi de modifications). De tels dispositifs sont soumis à une simple formalité de déclaration préalable ;
- ceux qui ont pour objet d'assurer la confidentialité des informations transmises (dispositifs dans lesquels l'intégralité du message est codée et rendue ainsi inintelligible aux tiers) et qui sont soumis à autorisation du Premier ministre.
Le projet qui nous est soumis reprend la distinction opérée par la loi de décembre 1990 précitée tout en franchissant une étape supplémentaire dans la voie d'un assouplissement des règles applicables à la cryptologie. Alors que jusqu'à présent une autorisation explicite est le plus souvent nécessaire, la liberté sera totale d'utiliser des moyens de cryptologie pour l'authentification ou la garantie d'intégrité des messages. C'est-à-dire que lorsque l'information est transmise « en clair », on Pourra librement utiliser la cryptologie pour la signature électronique ou pour garantir que le message est bien authentique. Ceci est fondamental pour le courrier ou le commerce électronique par exemple.
La liberté sera aussi totale d'utiliser des moyens de cryptologie pour rendre confidentiel un message à condition que les prestations de confidentialité employées soient gérées par un tiers de confiance.
Le tiers de confiance est un organisme habilité qui gère des clés de chiffrement Pour le compte de l'utilisateur. Ce dernier passe un contrat avec le tiers de confiance qui lui transmet régulièrement les clés à utiliser pour chiffrer son information. Dans la licence du tiers de confiance figure une clause par laquelle celui-ci doit remettre les clés de chiffrement aux autorités habilitées en vertu de la loi. Ainsi l'utilisateur peut-il s'appuyer sur un professionnel de la cryptologie qui lui garantit un service de haute qualité, tandis que l'État peut, en cas de besoin, accéder au contenu de l'information.
La nouvelle réglementation des télécommunications se caractérise donc principalement par l'octroi de nouvelles libertés, mais dans un cadre qui garantisse l'équilibre et la loyauté de la concurrence tout en renforçant les droits du consommateur.
Pour assurer la mise en oeuvre des nouvelles règles, le projet de loi crée, comme l'avait recommandé votre commission dans le rapport précédemment cité, une Autorité indépendante de régulation des télécommunications.
B. UN NOUVEAU DISPOSITIF INSTITUTIONNEL
1. Un partage des compétences de régulation conforme aux propositions de votre commission
L'instauration d'un régulateur indépendant est nécessaire car l'État ne peut être à la fois juge (si le ministre chargé des télécommunications conserve les compétences de régulation du secteur) et partie (si France Télécom reste, comme un autre projet de loi le prévoit, un opérateur dont la majorité du capital est détenu par l'État).
Dans son rapport « L'avenir de France Télécom : un défi national » , votre commission proposait de créer une instance de régulation indépendante mais « adossée sur l'État ». Le rappel des expériences étrangères en ce domaine est de nature à éclairer l'intérêt de cette position.
a) Les exemples étrangers
•
La Nouvelle Zélande a ouvert son
secteur des télécommunications dès les années
80.
C'est alors à l'instance chargée de contrôler le respect du droit commun de la concurrence qu'a été donnée compétence pour assurer la régulation du marché des télécommunications.
Depuis, les Néo-zélandais ont décidé de confier cette mission à un organisme spécifique car, après plusieurs années d'application du dispositif initial, l'opérateur historique continuait à occuper une position hégémonique et ses concurrents n'étaient pas arrivés à s'imposer.
La leçon que les observateurs qualifiés tirent de cette expérience est que le droit commun de la concurrence et les autorités chargées de la mettre en oeuvre ne suffisent pas à assurer la régulation d'un marché en voie d'ouverture à la concurrence. Ils invoquent trois raisons à l'appui de cette thèse.
1. Le droit de la concurrence est habituellement conçu pour assurer l'équilibre de marchés où coexistent déjà plusieurs offres. Il est donc quelque peu inapproprié pour régler les problèmes que pose un secteur contrôlé presque entièrement par une seule entreprise.
2. L'intervention du régulateur de droit commun s'effectue a posteriori, quand l'abus de position dominante est constaté, et non a priori pour éviter qu'il ne s'exerce.
3. Surtout, le régulateur de droit commun dispose rarement des compétences et des moyens lui permettant d'assurer un contrôle efficace des conditions de l'interconnexion des réseaux, qui constitue pourtant le facteur décisif de la réalité de l'ouverture concurrentielle.
•
Aux États-Unis, la Commission
fédérale des communications (FCC),
agence
indépendante des pouvoirs exécutif et législatif, a la
charge de l'application des textes de loi, sur lesquels elle s'appuie pour
réglementer l'ensemble du secteur des télécommunications
et de l'audiovisuel. Elle a été établie par le
« Communication Act » de 1934.
Elle est dirigée par cinq commissaires dont un « président », nommés par le Président des États-Unis et sont confirmés par le Sénat. Les décisions sont prises de manière collégiale.
Les effectifs de la Commission sont d'environ 2.000 employés, son budget provient des impôts et des taxes prélevés par les industries réglementées, et les ressources sont affectées par le législatif.
Son indépendance est assurée par plusieurs dispositions du Communication Act qui :
- interdit aux commissaires la pratique d'une activité rémunérée parallèle durant leur mandat ;
- prévoit qu'au plus trois commissaires peuvent appartenir au même parti politique ;
- interdit à tout employé de la FCC de détenir une participation directe ou indirecte dans une société du secteur.
Le pouvoir de la FCC est considérable. Il va de l'attribution des licences radio (pour les communications mobiles comme pour la diffusion de programmes) au contrôle du respect des règles antitrust prévalant dans les domaines de la téléphonie, en passant par les communications spatiales, la télévision haute définition et la mise aux enchères du spectre hertzien. Elle peut fixer des tarifs, interpréter les principes généraux de la concurrence, autoriser des fusions ou des prises de participation capitalistique (ex. Global one), interdire des entrées sur le marché ou les soumettre à conditions.
La commission édicte des textes (« rules », « guidelines ») dont la nature, en droit français, serait réglementaire, mais qui, aux États-Unis relèvent plutôt du pouvoir législatif. Comme un organe exécutif, elle a des pouvoirs de surveillance, de contrôle et d'injonction. Elle peut ainsi mener des enquêtes et organiser des auditions. Elle exerce enfin des missions préjuridictionnelles, arbitrant ou réglant des conflits avant jugement éventuel, sous le contrôle des tribunaux et de la Cour suprême.
• En Grande-Bretagne, l'Oftel (Office des
télécommunications) a été créé en
1984 par le « Telecommunications Act ».
L'Oftel est un office indépendant du Gouvernement. Son directeur général est nommé par le Secrétaire d'État pour le commerce et l'industrie pour 5 ans. Il ne peut être révoqué que pour incapacité ou faute (« misbehaviour »). Il dispose en propre de services (160 agents fonctionnaires ou contractuels). Il est doté d'un budget voté par le Parlement. Dans ses domaines de compétence, l'Oftel prend des décisions qui ne peuvent être contestées que devant les tribunaux.
Le Secrétaire d'État chargé des télécommunications est responsable de l'élaboration des lois et règlements et des négociations internationales dans le secteur. L'Oftel exerce dans ces domaines un rôle de conseiller. Il peut procéder à des consultations publiques. Les licences individuelles sont délivrées par le Secrétaire d'État après avis conforme de l'Oftel qui dispose d'un pouvoir d'instruction et de rédaction des cahiers des charges.
Les compétences de l'Oftel sont fixées par la loi :
- l'Oftel contrôle la mise en oeuvre et l'application des licences délivrées. A ce titre, il veille notamment au respect des obligations de service universel contenues dans la licence de BT. L'Oftel peut amender le contenu des licences avec l'accord de l'opérateur concerné et saisir la « Monopolies and Mergers Commission » (MMC) en cas de contestation ;
- il peut prendre, à l'issue d'une procédure contradictoire, les décisions temporaires ou définitives qu'il juge nécessaires. Il arbitre les conflits entre opérateurs relatifs à l'interconnexion ;
- il joue un rôle important en matière d'information des utilisateurs et veille à ce que les opérateurs publient des codes de conduite à l'usage des consommateurs. Il peut intervenir pour trancher des litiges en matière de facturation ;
- il gère le plan national de numérotation et l'attribution des numéros.
L'Office of Fair Trading est responsable de la surveillance de la concurrence sur le marché britannique. Cette responsabilité est partagée avec l'Oftel pour le secteur des télécommunications.
•
En Allemagne,
le projet de loi
actuellement examiné par le Bundestag propose d'établir une
«
autorité de régulation des
télécommunications et des postes en tant qu'autorité
fédérale suprême dans le ressort d'activité du
Ministre Fédéral de l'Économie »
(article
65 du projet).
Cette autorité est notamment chargée de veiller au respect des règles de la concurrence et des obligations imposées aux opérateurs par leurs licences (article 68 du projet). Elle dispose à cette fin d'une palette de moyens et d'instruments, comprenant un droit d'enquête et d'informations ainsi que des possibilités de sanctions graduées (article 69).
La nature de l'autorité a fait l'objet de longues négociations. Alors que le projet soumis à la discussion gouvernementale prévoyait une autorité ayant rang de ministère, le texte présenté au Parlement prévoit l'institution d'une autorité subordonnée au ministère de l'économie. Cet arbitrage conforte, en fait, l'Office fédéral des cartels avec qui la nouvelle autorité devra traiter les questions de concurrence sur le marché des télécommunications, ainsi que le ministère fédéral de l'économie puisque la dissolution du ministère des postes est prévue à la date d'entrée en vigueur de la loi.
La régulation des tarifs constituera une mission essentielle de l'autorité de régulation, ceux concernant le service vocal et les voies de transmissions lorsqu'ils sont offerts au public par une entreprise en position dominante ne pouvant pas être librement fixés. Pour les services autres que la téléphonie vocale et les voies de transmissions, le projet de loi prévoit un droit d'intervention de l'autorité de régulation à l'égard des entreprises occupant une position dominante, lorsqu'elles utilisent leur situation de façon abusive en matière de prix.
Si les exemples étrangers montrent l'éventail des possibilités, il convient de le concilier en France avec le respect de la tradition juridique nationale.
b) Les spécificités françaises qu'il faut respecter
Le choix d'une commission spécifique, extérieure à l'État, pour réguler un marché monopolistique s'ouvrant à la concurrence est typiquement anglo-saxon et même, plus précisément, américain.
Ce choix repose sur une longue tradition politique qui promeut le culte de la libre entreprise et une relative défiance à l'égard de l'État central. Elle résulte aussi d'un système constitutionnel reposant sur une stricte séparation des pouvoirs et, en définitive, d'un arbitrage des antagonismes sociaux s'appuyant autant sur le juge que sur le politique.
Ces traditions sont fort éloignées des nôtres. En France, l'État a construit la Nation et une part de son économie. Surtout, dans notre pays, c'est à l'État et aux élus du suffrage universel qu'incombe la responsabilité Primordiale d'arbitrer, dans le sens de l'intérêt général, entre des intérêts collectifs divergents.
Dans l'ordre politique français, l'idée que l'habilitation des opérateurs proposant au public l'accès à des réseaux ou à des services de télécommunications et la détermination de leur cahier des charges puisse être confiées, sans contrôle de l'État, à des instances dépourvues de légitimité démocratique ne serait pas acceptable. La perspective que le contenu et les tarifs du service universel puissent être décidés par d'autres que des responsables élus le serait encore moins.
Néanmoins, nos traditions juridiques n'interdisent pas toute attribution de prérogatives à des instances ne procédant pas directement du pouvoir politique. Les principes fondamentaux de notre droit excluent uniquement, pour des raisons constitutionnelles, que le Gouvernement puisse déléguer son pouvoir de réglementation générale.
D'ailleurs, depuis l'institution du médiateur, en 1973, le législateur a créé plusieurs autorités administratives indépendantes qui, dans des champs limités de l'action publique, se sont vues reconnaître des compétences significatives qu'elles exercent en propre. Dans le domaine qui nous intéresse, on peut citer le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et le Conseil de la Concurrence. Mais, on pourrait aussi évoquer la Commission nationale Informatique et libertés (CNIL), la Commission des opérations de bourse (COB), la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA).
c) La solution proposée par votre commission dans le rapport sur l'avenir de France Télécom
Dans le rapport rendu récemment au nom de votre commission et déjà évoqué précédemment, 1 ( * )3 votre rapporteur envisageait en ces termes le champ de compétence de l'autorité de régulation :
« L'autorité aurait à être consultée sur les textes réglementaires intervenant en matière de télécommunications, ainsi que sur les décisions gouvernementales relatives au service public (tarifs notamment).
Elle apporterait son expertise technique au ministre chargé d'attribuer les autorisations de services ou de réseaux de télécommunications. Elle contrôlerait le respect des prescriptions fixées par ces autorisations.
Ce serait à elle qu'incomberait la gestion de l'ensemble des numéros de téléphone que pourront attribuer les différents opérateurs.
Elle recevrait surtout pour mission centrale de préciser les règles, tant techniques que financières, applicables à l'interconnexion des réseaux.
Elle arbitrerait les litiges pouvant découler de la mise en oeuvre de ces règles.
La loi pourrait également lui conférer compétence pour sanctionner les infractions ou manquements des opérateurs aux dispositions légales ou réglementaires.
Les décisions de l'autorité administrative des télécommunications resteraient bien entendu soumises à recours devant les juridictions compétentes, le cas échéant selon des procédures accélérées. »
d) Le projet de loi propose un partage des compétences de régulation proche des préoccupations de votre commission
Le partage des compétences proposé par le texte qui nous est soumis peut être résumé ainsi :
Le ministre chargé des télécommunications |
L'autorité de régulation des télécommunications |
. fixe les règles du jeu - mène les négociations internationales et communautaires - propose les lois et édicte les décrets - délivre les licences individuelles (réseaux et services téléphoniques au public) |
- propose les règles techniques d'application des lois et décrets - délivre les autorisations générales (réseaux indépendants) et reçoit les déclarations - attribue les numéros et les fréquences - délivre les agréments des terminaux - approuve les tarifs d'interconnexion |
. contrôle le service public et le service universel - contrôle les tarifs (conjointement avec le ministre de l'économie) - contrôle le financement du service universel |
- contrôle le respect de l'application des licences - arbitre les conflits d'interconnexion et d'accès au réseau - propose des médiations dans les autres conflits - prononce les sanctions administratives et financières |
- est associée aux négociations internationales - est associée à l'élaboration des lois et décrets - instruit les licences individuelles - donne un avis sur les tarifs - propose et surveille les contributions au financement du service universel |
Le texte présenté par le Gouvernement propose, en outre, une autre novation institutionnelle afin d'optimiser l'attribution des fréquences radioélectriques.
2. Une nouvelle gestion des fréquences radio-électriques
L'article 22 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, en proclamant que « l'utilisation, par les titulaires d'autorisation, de fréquences radioélectriques disponibles sur le territoire de la République constitue un mode d'occupation privatif du domaine public de l'État », avait posé un principe fondateur du droit français des communications hertziennes.
Par cette affirmation, le législateur mettait fin au débat qui s'était engagé sur la nature juridique de l'espace hertzien en rejetant la thèse rangeant celui-ci parmi les « rescommunis », choses qui selon l'article 714 du code civil. « n'appartiennent à personne et dont l'usage appartient à tous ». Selon certains commentateurs, le législateur a, en quelque sorte, aligné le statut de l'espace hertzien sur le statut de domanialité publique de l'espace aérien, puisque c'est l'espace dans lequel se déplacent les ondes radioélectriques.
Dès lors, il revenait à l'État de gérer le spectre des fréquences. Ceci est à la fois juridiquement fondé, mais aussi tant économiquement que pratiquement indispensable. En effet, d'une part, le spectre constitue une ressource rare et limitée, d'autre part, parce que son occupation s'accentue chaque année.
Longtemps, la répartition des fréquences ne posa pas de problèmes car la demande restait le fait de quelques grands utilisateurs publics. L'ouverture au secteur privé de l'audiovisuel, en 1982 puis de la radiotéléphonie, en 1987, modifia les données du problème. De même, les effets de la « démonopolisation » et les progrès de la technologie, en orientant à la baisse le prix des équipements et en réduisant leur volume ont joué un rôle non négligeable dans l'essor que connaît la demande de fréquence. De ce point de vue, l'évolution de la téléphonie mobile en Europe est révélatrice : selon l'IDATE (Institut de l'audiovisuel et des télécommunications en Europe), notre continent comptait vingt-huit réseaux en 1991, il en compte cinquante-deux aujourd'hui et vingt-sept réseaux supplémentaires pourraient être mis en service d'ici à 1998.
Notons toutefois qu'aujourd'hui, le plan d'occupation des différentes bandes est variable. Ainsi, la bande située entre 29,7 Mhz et 960 Mhz compte près d'un million d'émetteurs déclarés alors que la bande EHF (ondes millimétriques) reste peu occupée en raison de sa faible portée et des problèmes techniques que pose son utilisation.
Le partage des fréquences s'opère à trois niveaux :
- au niveau international, par voie d'accords conclus entre États, généralement dans le cadre d'organisations ou de conférences internationales ;
- au plan national, au sein des fréquences attribuées à la France par les accords internationaux, le Premier ministre, conformément à l'article 21 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, définit, après avis du Conseil supérieur de l'audiovisuel, les bandes de fréquences ou les fréquences attribuées aux administrations et celles dont l'attribution est confiée au CSA.
En pratique, la préparation et la mise en oeuvre des décisions du Premier ministre sont assurées par le comité de coordination des télécommunications (CCT). Ce comité, crée en 1945 et dont les compétences ont été redéfinies par le décret n° 87-687 du 19 août 1987 établit, tient à jour et publie le tableau d'allocation des fréquences, document connu sous le nom de « fascicule 11 du CCT » ;
- enfin, les autorités dites affectataires procèdent à la répartition des bandes de fréquences ou des fréquences dont elles ont la charge ; c'est ainsi que le CSA par exemple, autorise, en application de l'article 22 de la loi de 1986 précitée, l'usage des bandes de fréquences ou des fréquences dont l'attribution ou l'assignation lui ont été confiées par le Premier ministre.
Le projet qui nous est soumis tend à adapter ce dispositif en substituant au comité de coordination, à compter du 1er janvier 1997, une agence nationale des fréquences radioélectriques.
Une telle réforme se justifie, pour l'essentiel, par le fait que les difficultés soulevées par l'occupation de l'espace hertzien dépassent le cadre interministériel. Alors que jusqu'à présent, seules certaines administrations devaient se répartir les fréquences, un simple comité placé auprès du Premier ministre pouvait surmonter les éventuelles contradictions. Aujourd'hui, les enjeux sont trop grands et l'évolution trop rapide pour que de simples comités d'experts réunis de loin en loin, puissent faire face à la tâche.
On observera que l'institution d'une Agence nationale des fréquences radioélectriques s'inspire du modèle britannique de la « Radiocommunications agency », organisme qui gère l'ensemble des fréquences radioélectriques en Grande-Bretagne définit les spécifications techniques des équipements, assure la police du spectre et représente le pays dans les instances internationales.
La plupart de nos voisins européens n'ont, pour autant, pas opté pour un système fondé sur une agence indépendante. C'est souvent le ministère des postes et télécommunications qui est chargé de la gestion du spectre des fréquences ; c'est le cas en Espagne, en Italie ou aux Pays-Bas. Dans d'autres pays, cette mission a été confiée à l'autorité de régulation des télécommunications (Belgique. Portugal, Suisse et bientôt Allemagne).
Le choix opéré par le projet qui nous est soumis s'explique, d'une certaine façon, pour des raisons historiques. Contrairement à la plupart de nos voisins, le ministère des postes et télécommunications n'a pas compétence sur le secteur de l'audiovisuel et lui confier la gestion de l'ensemble des fréquences radioélectriques aurait pu être perçu comme une « mutilation » des compétences du ministère chargé de la communication, ainsi que des autorités administratives indépendantes du secteur de l'audiovisuel.
L'AGENCE NATIONALE DES FRÉQUENCES
L'agence nationale des fréquences radioélectriques sera un établissement public administratif.
L'ensemble des ministères et autorités affectataires de fréquences seront représentées à son conseil d'administration.
D'un effectif d'environ 350 personnes, elle disposera de services venant du ministère des télécommunications et de personnels mis à disposition par d'autres ministères. Ses missions ne remettront pas en cause les compétences actuellement assurées par les autorités affectataires de fréquences.
L'agence des fréquences devra :
- assurer une gestion prospective du spectre ;
- proposer au Premier ministre la répartition des bandes de fréquences et tenir à jour le tableau correspondant ;
- préparer la position française dans les négociations internationales ;
- coordonner l'implantation sur le territoire national des stations radioélectriques ;
- organiser et coordonner le contrôle de l'utilisation des fréquences en constituant notamment un « guichet unique » pour les utilisations affectées par des perturbations ;
- gérer un fonds d'aménagement du spectre radio pour faciliter l'évolution de l'usage des fréquences.
Le but poursuivi en instituant l'agence est d'optimiser la gestion d'un spectre radioélectrique de plus en plus utilisé (radiotéléphonie, radiomessagerie, satellites, télévision numérique...) et de faciliter les relations des usagers avec l'administration, en mettant fin à l'émiettement actuel des compétences en ce domaine.
Le cadre que le projet de loi tend à mettre en place traduit donc une profonde rénovation des règles en vigueur.
* 9 Rapport Sénat n° 112 (1995-1996) présenté par M. Pierre Hérisson .
* 10 Voir notamment à ce propos :
- rapport d'information sur l'avenir du secteur des télécommunications en Europe (Sénat n° 129, 1993-1994) ; avis présenté par M. André Fosset sur le projet de loi de finances pour 1995 pour le budget des Postes et télécommunications (Sénat, n° 81 - Tome XXI 1994-1995) ;
- rapport présenté par M. Henri Revol sur la proposition de résolution sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 92/50/CEE portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services et la directive 93/36/CEE portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures, la directive 93/37/CEE portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, ainsi que la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 93/38/CEE portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications (Sénat n° 355, 1994-1995) ;
- rapport présenté par M. Pierre Hérisson sur la proposition de résolution sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l'interconnexion dans le secteur des télécommunications garantir le service universel et l'interopérabilité en appliquant les principes de fourniture d'un réseau ouvert ; sur le projet de directive de la Commission modifiant la directive de la Commission n° 60/388/CEE et concernant l'ouverture complète du marché des télécommunications à la concurrence et sur le projet de directive de la Commission n° 90/388/CEE en ce qui concerne les communications mobiles et personnelles (Sénat n° 112, 1995-1996).
* 11 Rapport d'information précité, page 111
* 12 Rapport d'information précité, page 112.
* 13 pages 123-124