N° 328
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SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
Annexe au procès-verbal de la séance du 24 avril 1996
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi , adopté sans modification par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la convention d'établissement entre le Gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Congo , signée à Brazzaville le 31 juillet 1993 (ensemble un échange de lettres signé les 13 juillet 1994 et 17 mars 1995)
par Mme Monique CERISIER-ben-GUIGA
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet, François Abadie, vice-présidents ; Mme Danielle Bidard-Reydet, Michel Alloncle, Jacques Genton, Jean-Luc Mélenchon, secrétaires ; Nicolas About, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Mme Monique ben Guiga, MM. Daniel Bernardet, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre Croze, Marcel Debarge, Bertrand Delanoë, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Gérard Gaud, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet , Yves Guéna, Jacques Habert, Marcel Henry, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, Jean-Pierre Raffarin, Michel Rocard, André Rouvière, Robert-Paul Vigouroux,
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Nous sommes appelés à examiner un projet de loi autorisant l'approbation d'une convention d'établissement entre la France et le Congo.
Ce nouveau texte bilatéral fait suite aux précédentes conventions conclues avec la plupart des Etats d'Afrique francophone, portant sur le même sujet et qui, comme d'ailleurs les conventions relatives à la circulation et au séjour des personnes ont fait l'objet d'une renégociation générale depuis 1991.
Si la convention franco-congolaise sur la circulation et le séjour des personnes, signée le 31 juillet 1993 a pu être examinée et adoptée par le Parlement le 28 juin 1994, le présent texte a subi un retard du fait de la nécessité, soulevée par le Conseil d'Etat, de préciser son champ d'application territorial. Un échange de lettres précise donc que la convention ne concerne que le territoire métropolitain et les Départements d'outre-mer.
On peut rappeler que le Congo, dont l'implantation française, avec les explorations de Savorgnan de Brazza, débuta en 1880, accéda à l'indépendance le 15 août 1960.
Le pays, qui s'étend sur 342 000 km 2 , est faiblement peuplé (2,3 millions d'habitants). 80 % de cette population vit dans le sud du pays, sur 30 % du territoire, particulièrement concentrée dans les deux métropoles de Brazzaville et de Pointe-Noire. L'ethnie Bacongo, qui vit dans le sud du pays, rassemble 55 % de la population. Au total 70 % de la population appartiennent aux ethnies du sud. Au nord, la principale ethnie est celle des M'Bochis (10 % de la population). La rivalité ethnique chronique entre le Nord et le Sud anime et parfois déstabilise la vie politique du pays depuis l'indépendance.
Après avoir rappelé les données politiques et économiques actuelles du Congo, votre rapporteur détaillera les principales dispositions de la convention d'établissement.
I. LE CONGO AUJOURD'HUI
A. UNE FRAGILE STABILISATION POLITIQUE
Au printemps 1990, le Président de la République, le général Sassou Nguesso engagea un processus de démocratisation qui, sous pression syndicale -grève générale- déboucha sur la tenue d'une conférence nationale et l'autorisation du multipartisme.
Lancée en février 1991 et close en juin 1991, la conférence nationale désigna M. Milongo comme premier ministre. Son gouvernement prépara les premières élections pluralistes qui se déroulèrent en août 1992. Sur la base d'une nouvelle Constitution, élaborée sur le modèle français et adoptée par référendum en mars 1992, M. Pascal Lissouba fut élu Président de la République avec plus de 61 % des voix. Toutefois, celui-ci ne disposant que d'une majorité relative à l'assemblée, et se trouvant confronté à une opposition, Parti congolais du travail (PCT), ancien parti unique, et l'URD, regroupant divers groupes d'opposition résolue à imposer au Président un Premier ministre de son choix, décida la dissolution de la jeune assemblée.
Cette dissolution généra une grave agitation dans le pays, l'opposition s'appuyant sur des milices partisanes, recrutées sur des bases ethniques ou régionales. L'intervention de l'armée comme arbitre permit la nomination de M. Da Costa à la tête d'un gouvernement comprenant 60 % de représentants de l'opposition et 40 % de partisans du président.
Les nouvelles élections (mai et juin 1993) conférèrent la majorité absolue (69 sièges sur 125) à la mouvance présidentielle. M. Yhombi-Opango fut nommé Premier ministre.
La contestation des résultats électoraux, confirmée en partie par un avis de la Cour Suprême, risquait de dégénérer vers une véritable guerre civile : une médiation internationale permit d'éviter une rupture institutionnelle. Sous l'égide du Président gabonais et du ministre français de la coopération, fut signé, le 4 août 1993, un accord intercongolais (accord de Libreville). Il y fut décidé de tenir un nouveau deuxième tour électoral, dont un collège arbitral, composé de magistrats étrangers, aurait à examiner les recours en annulation. Ce second tour (3 et 5 octobre 1993) laissa une avance de 4 députés au Président Lissouba. La volonté de ce dernier de réduire les milices engendra de graves affrontements qui provoquèrent, entre novembre 1993 et janvier 1994 des centaines de morts. Pour tenter d'asseoir cette légitimité contestée, le Président Lissouba et son gouvernement procédèrent à un rapprochement avec les principaux partis d'opposition : M. Kolelas, principal opposant se vit offrir la mairie de Brazzaville et M. Tchikaya, autre opposant, celle de Pointe-Noire. Le Président du PCT, M. Nguesso, influent dans l'armée, demeure toutefois un opposant irréductible. Par ailleurs la défection d'une partie des élus du parti majoritaire fragilise le gouvernement en place. Il s'y ajoute la persistance des milices placées face à une armée que minent les tensions ethniques.
B. UNE ÉCONOMIE EN CRISE
A partir de 1986, c'est la récession économique qui contribua à déstabiliser la dictature marxiste qui gouvernait le Congo depuis vingt ans. Parallèlement à la tenue de la « Conférence Souveraine », le gouvernement de transition fit d'importantes concessions, notamment salariales, dans le secteur public. Ces mesures entraînèrent un gonflement massif de la masse salariale, passant de 79 milliards de francs CFA en 1990 à 140 milliards de francs CFA en 1994. La crise de liquidité qui en résulta engendra, outre des retards de versements dans les traitements (10 à 11 mois), une suspension du service de la dette en 1990, rendant caducs les accords de rééchelonnement qui venaient d'être conclus avec le FMI et le Club de Paris.
Un nouvel accord de rééchelonnement fut signé en mai 1994 avec le FMI après la dévaluation du franc CFA. Sa mise en oeuvre était conditionnée à une déflation de la fonction publique, à la restructuration du service des douanes et des taxes et à la privatisation des entreprises publiques déficitaires. Malgré les efforts consentis, les dérapages extra-budgétaires entraînèrent l'interruption des décaissements du FMI, dans l'attente d'un nouvel accord de « facilité structurelle renforcée », prévu pour le début de l'année 1996.
Aujourd'hui, malgré les efforts de rigueur, le Congo est confronté à une situation de dépression économique : la paralysie du secteur bancaire, la dégradation des infrastructures de base -transports, eau, électricité- y sont pour beaucoup.
Il faut y ajouter la crise qui frappe les ressources pétrolières, principal atout du pays. La baisse des cours a entraîné la diminution des recettes fiscales que le pétrole générait : de 200 milliards de francs CFA en 1985, elles sont passées à 106 milliards de francs en 1994. L'importance de la dette extérieure : 25 milliards de francs français, soit 200 % du PNB a conduit les différents gouvernements à gager par avance la ressource pétrolière sur plusieurs années. La hausse prévisible de la production d'hydrocarbures - de 8 millions de tonnes à 13 millions de tonnes en 1996- ne devrait pas, de ce fait, avoir d'effets positifs substantiels.
C. LA PLACE ET LE RÔLE PRÉÉMINENTS DE LA FRANCE
La France est le premier partenaire commercial du Congo et le premier investisseur. Par ailleurs notre aide publique s'élevait en 1995 à 600 millions de francs, soit 85 % des aides bilatérales reçues par le Congo.
Le niveau de nos transactions commerciales avec le Congo a souffert de la crise économique qui a affecté et continue d'affecter le pays. Nos exportations vers le Congo ont été réduites d'un tiers entre 1991 (1 milliard de francs) et 1994 (996 millions de francs). Quant à nos importations qui concernent essentiellement le pétrole, elles diminuent régulièrement et ont atteint 310 millions de francs en 1994.
En dépit de l'ampleur des engagements financiers de la France dans le cadre de l'aide bilatérale, nos programmes de coopération sont difficilement applicables du fait de la désorganisation de l'administration congolaise. L'insécurité, s'ajoutant à ces dysfonctionnements, a conduit à une réduction drastique du nombre de nos coopérants passés de 280 en 1993 à 120 en 1995.
La situation économique et politique pèse sur le niveau des investissements. Si les entreprises françaises ont investi plus de 12 milliards de francs français notamment dans le secteur pétrolier où elles assurent encore les trois quarts de la production, les travaux publics, la chimie et la banque, l'heure est aujourd'hui à l'attente compte tenu de l'incertitude qui affecte l'avenir du pays.