II. LA FRANCE DANS LE PACIFIQUE SUD
L'hostilité suscitée dans le Pacifique Sud, pendant les deux dernières décennies, par les essais nucléaires français, puis par notre politique néo-calédonienne, et portée à son comble par la dernière campagne de tirs, n'a pas irrémédiablement affecté la normalisation progressive des relations entre les Etats du Pacifique Sud et la France, celle-ci étant désormais considérée comme un partenaire incontesté de la coopération régionale plus que comme une puissance riveraine.
A. LA NORMALISATION PROGRESSIVE DES RELATIONS ENTRE LA FRANCE ET LES ÉTATS DU PACIFIQUE SUD
. La contestation de la présence française dans le Pacifique Sud s'est manifestée, en 1971, par la création du Forum du Pacifique Sud dirigée, à l'origine, contre les essais nucléaires, et a été étendue par la suite à la politique néo-calédonienne de la métropole.
. Cette situation s'était nettement améliorée à la faveur du moratoire sur les essais nucléaires, et du bon déroulement des Accords de Matignon (il est très significatif, à cet égard, qu'ait été créé en 1990, sous l'égide du Forum du Pacifique Sud, un comité ministériel de surveillance des Accords de Matignon comprenant Fidji, Salomon et Nauru). L'amélioration constatée au début de la présente décennie s'est traduite, en 1992, par l'invitation de la France au dialogue Post-Forum.
. La reprise des essais nucléaires a suscité une nouvelle vague d'hostilité . Dès le deuxième essai a été suspendu le dialogue institutionnel entre la France et le Forum du Pacifique Sud.
Les relations entre la France et l'Australie ont été gravement affectées par la reprise des essais. Les représailles de l'Australie se sont traduites par le gel de la coopération militaire bilatérale, par la suspension des escales de navires et d'avions français, par certaines surenchères verbales et diplomatiques, et par des initiatives syndicales discriminatoires à l'encontre de la France (suspension du courrier à notre ambassade du 14 juillet à la fin août 1995, immobilisation à deux reprises d'avions d'Air France à Sydney en octobre dernier ...).
Les ripostes de la Nouvelle-Zélande ont consisté à interrompre les contacts ministériels dès juin 1995, à geler les relations militaires bilatérales, à intenter une action contre les essais nucléaires français devant la Cour internationale de Justice (action repoussée le 22 septembre 1995), et à soutenir activement la résolution condamnant les essais adoptée par la première Commission et par l'Assemblée générale de l'ONU.
. L'annonce de l'adhésion de la France, le 25 mars 1996, aux protocoles au traité de Rarotonga instaurant dans le Pacifique Sud une "zone exempte d'armes nucléaires", ainsi que les prises de position françaises en faveur de la conclusion rapide du traité d'interdiction des essais (CTBT) sur la base de l'option zéro, ont permis d'apaiser ces tensions.
Notons que les relations entre la France et les Etats insulaires de la région n'ont jamais été aussi nettement affectées par la reprise des essais que les relations avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande. C'est ainsi que la participation du ministre français de la coopération, en septembre 1995, au 7e dialogue Post-Forum (c'était, en effet, la première fois que la France était représentée au niveau ministériel) avait été très appréciée par les Etats insulaires, alors même que la crise diplomatique ouverte par la suspension du moratoire français battait son plein. Les nombreux entretiens bilatéraux organisés à l'occasion du déplacement de M. Godfrain ont amélioré les positions de la France dans la région, et ont permis de maintenir le dialogue bilatéral avec les pays océaniens, malgré l'hostilité des puissances « tutélaires » australienne et néo-zélandaise à l'encontre de la modération des Etats insulaires. A cet égard, relevons les bonnes relations qu'entretient aujourd'hui la France avec le Vanuatu, dirigé depuis 1991 par un gouvernement francophone, et avec Fidji, qui a fait preuve d'une modération certaine lors de la dernière campagne de tirs.
La normalisation qui se confirmera après la signature des protocoles au traité de Rarotonga devrait se manifester par la reprise du dialogue entre la France et le Forum du Pacifique Sud, tandis que se dérouleront les échanges de visites de haut niveau prévus avec les Etats insulaires à l'occasion du 7e dialogue Post-Forum. La relance des relations bilatérales avec les deux « grands » de la région paraît toutefois s'amorcer de manière plus prometteuse avec l'Australie qu'avec la Nouvelle-Zélande.
B. LA FRANCE, PARTENAIRE PLUS QUE PUISSANCE RIVERAINE
Il est très éclairant que la crise diplomatique causée par la reprise des essais nucléaires n'ait que modérément affecté les échanges commerciaux et les relations de coopération entre la France et ses partenaires du Pacifique Sud. La contestation de la présence française dans le Pacifique Sud ne semble donc plus à l'ordre du jour, et la France est désormais perçue plutôt comme un partenaire du développement local que comme une puissance hostile.
1. Les échanges avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande maintenus malgré la crise
. La conclusion des grands contrats avec l'Australie s'est poursuivie en dépit de la reprise des essais : aménagement de l'infrastructure routière de l'Etat de Victoria par un consortium conduit par le groupe Sceautoroute en juillet 1995 (7 milliards de francs), et traitement des eaux de l'agglomération d'Adelaïde par la CGE en octobre 1995 (5 milliards de francs). Le projet de TGV Sydney-Canberra pourrait confirmer cette évolution favorable. La présence de 192 entreprises françaises désormais représentées en Australie (70 en 1987) illustre le renforcement des échanges économiques franco-australiens. L'opération la plus importante a été le rachat, en août 1995, du second groupe d'assurance australien par AXA pour 4,4 milliards de francs. Notons que le marché australien constitue pour nos investisseurs un tremplin pour une implantation en Asie.
Par ailleurs, un tiers des moyens que la France affecte à sa coopération technique, culturelle et scientifique avec l'Australie (l'enveloppe globale représentant 5,5 millions de francs pour 1996) est consacré au rayonnement de la langue française, aujourd'hui fortement concurrencée par la progression des langues asiatiques dans l'enseignement australien.
. La forte croissance néo-zélandaise favorise le renforcement de nos relations économiques avec Wellington , constaté depuis 1994 et confirmé en 1995. Nos exportations ont progressé de 57 % pendant cette période, permettant à la France de dégager en 1995, pour la première fois, un excédent avec la Nouvelle-Zélande. La fin de la campagne de tirs pourrait aussi ouvrir des perspectives non négligeables à nos exportations de matériels d'armement.
En ce qui concerne le rayonnement culturel de la France en Nouvelle-Zélande, le statut du français, première langue étrangère enseignée, pourrait avoir été fragilisé par la reprise des essais. Un réseau de treize alliances françaises contribue pourtant à compenser efficacement la modestie des moyens (2 millions de francs en 1995) affectés par la France à la coopération culturelle, scientifique et technique avec la Nouvelle-Zélande.
2. La France, facteur de développement
La France consacre quelque 130 millions de francs par an au développement du Pacifique Sud (90 millions au titre de ses contributions bilatérales, auxquels s'ajoutent les 40 millions de francs transitant par les institutions communautaires). Cet effort doit être rapporté à une population modeste, limitée à 6,5 millions de personnes, ce qui fait ressortir l'importance relative des moyens ainsi dégagés, vivement appréciée par les Etats de la région. Cette perception positive tient à deux tendances :
- pour les Etats « tutélaires » de la zone (Australie et Nouvelle-Zélande), la contribution française au développement du Pacifique Sud compense partiellement le désengagement américain et britannique, et complète opportunément les efforts australiens et néo-zélandais ;
- la présence française permet, d'autre part, aux Etats insulaires de diversifier leurs relations extérieures, et constitue dans une certaine mesure une alternative à l'influence des grands voisins.
a) Une aide non négligeable qui complète opportunément les efforts des Etats « tutélaires »
. Créé en 1986, le « Fonds pacifique » est destiné à compléter nos actions de coopération classique par des initiatives qui ne relèvent pas de celle-ci. Ce guichet est géré par un Comité directeur comprenant des représentants du Trésor, du ministère des Affaires étrangères, de la Caisse française de développement et du ministère des DOM-TOM. Doté de 60 millions de francs en 1987, le Fonds Pacifique est réduit, pour 1996, à 10,8 millions de francs. En dépit de la diminution des moyens affectés par la France au Fonds pacifique, celui-ci a permis de financer des projets de coopération dans des domaines très diversifiés : transports, éducation, santé, développement rural, énergie solaire ...
. La contribution française au budget de la Commission du Pacifique Sud fait de cet organisme apolitique, qui ne s'est pas exprimé lors de la deuxième campagne de tirs, un instrument privilégié de notre coopération dans la région. Le nouveau siège de la CPS à Nouméa a été financé à 85 % par la France. La contribution française aux programmes de développement mis en oeuvre par la CPS a augmenté de 60 % entre 1989 et 1995. En 1995, la France a consacré les moyens suivants aux programmes de la CPS :
- 0,86 million de francs dans le domaine de la santé,
- 0,6 million de francs dans le domaine de l'agriculture,
- 0,42 million de francs dans le domaine de la technologie rurale,
- 3,5 millions de francs dans le domaine de la pêche.
La participation de la France aux programmes de la CPS est ainsi passée de 3,94 millions de francs en 1989 à 5,45 millions de francs en 1996, la contribution totale de la France au budget de la CPS (fonctionnement + programmes) étant passée entre ces deux dates de 7,65 à 11,06 millions de francs.
. La coopération technique avec le Forum du Pacifique Sud s'est poursuivie en dépit de la crise ouverte par la reprise des essais nucléaires. La contribution française aux programmes mis en oeuvre par le Forum a représenté 2,5 millions de francs en 1995-1996. Par ailleurs, le Forum a soumis six projets au Fonds Pacifique (développement portuaire, coopération économique régionale, promotion du commerce et des investissements régionaux ...).
. De manière générale, l'aide française au développement du Pacifique Sud complète l'effort australien , qui s'élève à 1,6 milliard de francs, et permet souvent d'amorcer des projets communs de coopération , dont la modernisation de l'aéroport de Santo Pekoa au Vanuatu constitue un exemple.
b) Une diversification bienvenue des partenaires des Etats insulaires
L'évolution des relations entre la France et la Papouasie-Nouvelle Guinée illustre de manière très éclairante la volonté des micro-Etats d'éviter un tête-à-tête exclusif avec l'Australie ou la Nouvelle-Zélande.
Soucieuse de développer ses relations avec l'Europe, la Papouasie-Nouvelle Guinée (qui dispose d'importantes ressources minières et pétrolières), envisage de signer prochainement avec la France un traité de coopération et d'amitié qui constituera le cadre juridique du développement de notre présence dans un pays où 70 % des investissements sont australiens.
3. Un enjeu majeur : la place des Territoires français dans le Pacifique Sud
Les Territoires français du Pacifique Sud (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et Wallis-et-Futuma) sont, à deux égards, affectés par l'évolution des relations entre la France et les Etats du Pacifique Sud. Le souci de la France est, d'une part, d'assurer que l'effort accompli en faveur du développement du Pacifique Sud profite aussi à ses Territoires et, d'autre part, de favoriser l'insertion régionale des territoires français du Pacifique Sud.
a) L'aide française au développement du Pacifique Sud doit aussi bénéficier aux Territoires français
La France a toujours conditionné sa contribution aux programmes du Forum du Pacifique Sud à la participation de nos Territoires aux projets de développement ainsi financés. Parmi les projets du Forum auxquels a contribué le « Fonds Pacifique », relevons notamment la promotion du commerce avec les TOM français de la région.
b) L'insertion régionale des territoires français du Pacifique Sud
. L' accord régional de coopération signé en 1993 entre la Nouvelle-Calédonie et le Vanuatu fait de ce pays un partenaire important de l'insertion de notre Territoire dans le Pacifique Sud.
. L'exemple que constitue l'accord précité pourrait préfigurer le développement des relations entre les Territoires français et les micro-Etats de la région . A ce jour, l'insertion régionale des Territoires français et le développement des échanges entre ceux-ci et leurs voisins du Pacifique Sud est entravée par la différence considérable de niveaux de vie entre nos Territoires et leurs voisins insulaires, aux dépens de ces derniers. Le développement des micro-Etats conditionne donc encore la croissance des échanges avec les Territoires français. C'est pourquoi les échanges entre nos Territoires et leurs voisins du Pacifique Sud sont encore principalement orientés vers l'Australie et la Nouvelle-Zélande : la Nouvelle Calédonie exporte du nickel vers l'Etat du Queensland, les importations du Territoire en provenance d'Australie et de Nouvelle-Zélande représentant 19 % des achats de la Nouvelle-Calédonie.
. La réforme du statut de la Polynésie française illustre la volonté de privilégier l'insertion régionale du Territoire, en consacrant la possibilité, pour le président du gouvernement, de négocier, au nom de l'Etat, des accords internationaux dans la zone du Pacifique Sud, de conclure des arrangements administratifs avec les administrations des Etats du Pacifique ou des organismes régionaux de la zone, et de négocier, au nom de la Polynésie française, des conventions de coopération décentralisée avec les collectivités locales étrangères. 2 ( * )
* 2 On se reportera avec profit à l'excellent rapport de M. Lucien Lanier (Sénat, n° 214, 1995-1996) sur le projet de loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française, et sur le projet de loi complétant le statut de la Polynésie française, et au non moins excellent rapport d'information de MM. Lucien Lanier et Guy Allouche (Sénat, n° 215, 1995-1996) sur La Polynésie après l'arrêt des essais nucléaires. L'autonomie institutionnelle au service du développement économique .