II. UNE ÉCONOMIE SUR LA VOIE DE LA STABILISATION MAIS ENCORE TRÈS FRAGILE

L'économie bolivienne présente tous les traits d'une économie en développement avec la prépondérance des activités agricoles (16 % du PIB) et des mines (10 % du PIB) -les industries manufacturières ne représentant que 14 % du PIB-. Le gouvernement bolivien a tenté de réformer une économie fragile mais il doit surmonter non seulement les handicaps traditionnels d'un pays pauvre mais aussi le poids très préoccupant du narcotrafic.

A. UN PROGRAMME DE STABILISATION ACCOMPAGNÉ DE RÉFORMES STRUCTURELLES

1. La stabilisation économique

L'application du programme d'ajustement, sous les auspices des organisations de Bretton Wood, a porté ses fruits :

- La maîtrise des dépenses publiques, conjuguée à une meilleure rentabilité des impôts et une gestion plus efficace des entreprises publiques, a permis de ramener les déficits publics de 6,6 % du PIB en 1993 à 3,2 % en 1994.

- Une politique monétaire plus rigoureuse a mis fin à la dérive inflationniste qu'a connue la Bolivie au milieu des années 1980. En 1995 la hausse des prix ne devrait pas dépasser 10 % pour la troisième année consécutive.

- La réduction du déficit commercial bolivien même si le flux des exportations se concentre sur un nombre restreint de produits aux cours très fluctuants.

- La contraction du stock de la dette extérieure (4,2 milliards de dollars, soit 69 % du PIB en 1994) grâce au rachat de la dette contractée auprès des banques commerciales et au traitement favorable de la dette bilatérale dans le cadre du Club de Paris.

La Bolivie a renoué avec la croissance qui atteindra sans doute 4,5 % en 1995. Ce taux ne tient pas compte toutefois des résultats du secteur informel (évalué à 30 ou 40 % du produit intérieur brut).

2. Les réformes de structure

Le président Sanchez de Lozada a décidé de privatiser les six principales entreprises publiques (hydrocarbures, télécommunications, fonderies, électricité, transports aériens et ferroviaires) sous la forme d'une « capitalisation ». Il s'agit en fait pour les investisseurs privés d'apporter un capital équivalant à celui de ces entreprises et d'obtenir en contrepartie l'intégralité des pouvoirs de gestion. Cette réforme revêt un volet social dans la mesure où le capital initial des entreprises privatisées bénéficiera à des fonds de retraite destinés à la population.

La mise en oeuvre de ces réformes apparaît déjà bien avancée : quatre entreprises (télécommunications, électricité, compagnie de transport aérien, chemins de fer) sur six ont été privatisées. La métallurgie et l'industrie pétrolière devraient bientôt suivre.

Enfin les structures financières apparaissent très fragiles : la faillite de deux banques à la fin de l'année 1994 a joué à cet égard un rôle de révélateur. En effet si les dépôts représentent 40 % du PIB, ils sont fortement concentrés-les deux tiers d'entre eux étant contrôlés par 8 000 personnes seulement- Les liens entre la banque et les narcotrafiquants restent également un sujet de préoccupation sur lequel votre rapporteur reviendra.

B. UNE ÉCONOMIE TRÈS FRAGILE

L'économie bolivienne reste encore marquée par les stigmates du sous-développement et le poids financier du trafic de la drogue.

1. Une économie confrontée aux problèmes de sous-développement

Une analyse de la Banque interaméricaine de développement sur la Bolivie a récemment souligné une double caractéristique propre aux pays les plus pauvres : l'acuité des besoins sociaux, l'importance des inégalités.

• L'acuité des besoins sociaux

Même si la Bolivie tend à rattraper son retard dans de nombreux domaines, elle présente encore des retards par rapport aux autres pays du continent : taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans de 160 pour 1000 en 1990 (contre 63 pour 1000 en moyenne pour l'Amérique latine), une espérance de vie inférieure à 60 ans (contre 67 ans), un taux d'analphabétisme de 23 % (contre 15 %), un accès à l'eau potable limité à 47 % de la population (contre 81 %).

• Les inégalités

Vingt pour cent de la population concentrent 55 % de la richesse nationale tandis que les plus pauvres, soit 20 % de la population, se répartissent 4 % du revenu intérieur. La ligne de partage passe principalement entre villes et campagnes (elles présentent respectivement un taux de mortalité de 6,20 % et 10 %, un taux d'analphabétisme de 9 % contre 37 %) et alimente un exode rural que traduit la forte progression de la population urbaine. Il existe aussi une forte disparité entre l'Altiplano, pauvre et à dominante indienne, et la région de l'Oriente autour de Santa Cruz caractérisée par un réel dynamisme économique.

2. Une aide indispensable

Les États-Unis fournissent la quasi-totalité de l'aide bilatérale (soit 14 % de l'aide totale en 1993). De la sorte, ils disposent des moyens d'influence nécessaires pour obtenir des autorités boliviennes qu'elles prennent en compte les priorités fixées par les Américains : hier le combat contre la guérilla révolutionnaire, aujourd'hui la lutte contre le narcotrafic.

Toutefois les contraintes budgétaires ont conduit les États-Unis à réduire leur soutien à la Bolivie : suppression de l'aide alimentaire en 1994, accumulation des arriérés vis à vis de la dixième IAD (Association internationale pour le développement) dont la Bolivie est en Amérique Latine la principale bénéficiaire.

C'est pour se prémunir à la fois contre cette menace et l'influence trop exclusive des États-Unis que la Bolivie cherche à développer les relations avec l'Europe. Depuis 1976, l'aide communautaire atteint 350 millions d'écus et le soutien conjugué de l'Union et de ses États membres représentent aujourd'hui 40 % de l'aide totale reçue par la Bolivie.

La Bolivie table par ailleurs sur la libéralisation des échanges avec ses voisins comme élément moteur de son développement économique.

Ainsi, membre dès l'origine en 1969 du Pacte andin (qui intègre également le Pérou et l'Équateur), la Bolivie a adhéré à l'accord du libre-échange de 1991 puis à l'Union douanière de 1993. Elle réalise près de 13 % de ses échanges avec cette zone.

En second lieu, la Bolivie s'est rapprochée du Mercosur (le marché commun de l'Amérique du sud fondé en 1991 par l'Argentine, le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay) qui représente aujourd'hui près de 22 % du commerce extérieur bolivien. La Paz a d'ailleurs plusieurs projets d'importance avec les pays du Mercosur et notamment la construction d'un gazoduc (2 milliards de dollars) qui permettrait d'approvisionner en gaz naturel le sud brésilien.

C. LE POIDS DE L'ÉCONOMIE DE LA DROGUE

Les moyens mis en oeuvre par le gouvernement pour lutter contre le trafic des stupéfiants ne paraissent pas à la mesure d'une activité en expansion.

1. Une activité en expansion

Le cocaïer ne pousse que dans les Andes, à une altitude de 1 200 à 1 800 mètres. Arbuste résistant, il peut produire jusqu'à quatre récoltes par an. Avec une production annuelle illégale estimée à 172 000 tonnes de feuilles de coca, la Bolivie se situe au deuxième rang mondial après le Pérou.

La fabrication et le trafic de chlorhydrate de cocaïne (évalué entre 200 et 400 tonnes par an) semblent de plus en plus revenir aux groupes nationaux qui ont su ainsi s'affranchir de la tutelle des cartels internationaux (où les Colombiens occupaient la première place).

2. Des moyens encore insuffisants

La lutte contre le trafic de la drogue a hésité entre deux voies : la répression d'une part, une éradication volontaire de la culture du coca d'autre part.

La répression a pour instrument la Force spéciale chargée de la lutte contre le trafic de stupéfiants (FELCN). Cette force, soutenue par les États-Unis (qui apportent un concours en hommes, en matériels et financent les opérations), privilégie essentiellement les actions de type militaire et la recherche de flagrants délits suivis de saisie, plutôt que des enquêtes plus longues permettant l'identification des narcotrafiquants. Cette méthode explique sans doute que si le nombre et l'importance des saisies a progressé au cours des dernières années, le nombre de personnes interpellées et déférées au Parquet est demeuré faible.

Les résultats contrastés de cette politique ont conduit le gouvernement à explorer une autre voie : les campagnes d'éradication de la culture du coca. Les autorités boliviennes, d'abord réticentes, se sont finalement soumises aux fortes pressions des États-Unis qui menaçaient de suspendre une aide financière vitale, on l'a vu, pour l'économie bolivienne.

Grâce aux nouveaux subsides des Américains que lui a valus son changement d'attitude, la Bolivie a pu mettre en oeuvre le principe d'une éradication volontaire avec compensation financière.

Sans aucun doute la lutte contre le trafic de la drogue a connu quelques succès au cours des dernières années : la baisse des exportations illégales de cocaïne, selon des estimations par définition très incertaines, (171 millions de dollars, soit 24% du total des exportations contre 453 millions, soit 84% des exportations en 1988) en apporte le meilleur témoignage.

Cependant, l'efficacité des actions mises en oeuvre doit encore principalement surmonter deux types d'obstacles.

En premier lieu, l'aide accordée aux paysans pour arracher leurs plantations de cocaïne reste insuffisante : les ressources liées à la production de la cocaïne représenteraient aujourd'hui d'après des estimations par définition très incertaines 3 à 5% du PIB contre 10% en 1988. Cependant ce secteur emploierait encore près de 20% de la population active.

Enfin, le cadre juridique présente des lacunes importantes comme, par exemple, l'absence d'une législation sur le blanchiment de l'argent qui permettrait de mieux combattre le soutien occulte procuré parfois par le réseau bancaire au trafic de drogue.

La remise en cause du poids de la drogue dans l'économie et la société boliviennes reste, pour le gouvernement de M. Sanchez de Lozada, une gageure difficile et en tout cas une source majeure d'incertitude politique.

L'économie bolivienne invite davantage à l'aide publique qu'elle ne suscite l'intérêt des investisseurs. Les relations entre la France et la Bolivie en apportent une illustration, même si le présent accord vise précisément à développer l'intérêt de nos investisseurs pour la Bolivie.

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