ANNEXE - COMPTE RENDU DES TRAVAUX DE LA COMMISSION :
ï Audition de M. Jacques Toubon, Garde des Sceaux, ministre de la Justice ;
ï Examen du rapport de M. Patrice Gélard
COMPTE RENDU DE L'AUDITION, LE 30 JANVIER 1996, DE M. JACQUES TOUBON, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, SUR LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE INSTITUANT LES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE.
M. Jacques Larché, président, après avoir souhaité la bienvenue à M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice, s'est félicité de la participation à cette audition de M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales, de M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, et de M. Jacques Oudin, rapporteur spécial du budget des affaires sociales.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice, a tout d'abord souligné que la protection sociale traversait l'une de ses crises les plus graves depuis sa création il y a cinquante ans, imputable tant à une forte dérive financière qu'à l'opacité et la complexité du système dans un contexte de déresponsabilisation des différents intervenants, citant à ce sujet les propos du Premier ministre : « la sécurité sociale qui est la responsabilité de chacun est devenue la responsabilité de personne ».
Le garde des sceaux a estimé que la sécurité sociale devait « redémarrer d'urgence » sur des bases claires, solides et durables auxquelles le Parlement, organe de démocratie, devait désormais être associé. Dans cette perspective, il a considéré que la révision constitutionnelle permettrait de rééquilibrer les rôles des pouvoirs publics en substituant à l'actuel dialogue entre le Gouvernement et les partenaires sociaux une relation triangulaire dotant le Parlement de certaines responsabilités détenues jusqu'à présent par le seul Gouvernement.
Il a exposé que les Assemblées pourraient désormais, par un vote, assigner au pouvoir exécutif un cadre normatif d'évolution des dépenses des régimes obligatoires de base, qu'il appartiendrait au Gouvernement de mettre en oeuvre avec les partenaires sociaux.
Le ministre a souligné qu'un tel système ne correspondait ni à une privatisation de la sécurité sociale comme aux États-Unis ni à son étatisation selon le modèle britannique, d'autant que le projet ne remettait aucunement en cause l'autonomie de gestion des caisses.
Devant l'insuccès des mesures adoptées depuis une vingtaine d'années en vue de mieux associer le Parlement aux décisions intéressant l'équilibre financier des régimes de sécurité sociale, le ministre a estimé que la révision constitutionnelle était la seule voie permettant aux Assemblées de se prononcer sur une enveloppe de dépenses ; plus largement, il a jugé que cette révision constituerait la véritable assise constitutionnelle de la réforme de la sécurité sociale.
Le garde des sceaux a ensuite présenté les axes essentiels du projet de révision, comportant dans une formulation intentionnellement concise deux volets :
- la création d'une nouvelle catégorie de loi et la définition de son objet ;
- la procédure d'adoption de cette nouvelle catégorie de loi.
Il a rappelé que la mise en oeuvre de ces principes constitutionnels nouveaux devait être organisée par une loi organique dont un avant-projet avait d'ailleurs été communiqué par le Gouvernement au Président du Sénat et au président de la commission des lois, ce texte n'ayant toutefois qu'un caractère préparatoire et devant être modifié en fonction des amendements adoptés au cours de la navette.
Le ministre a souligné que l'Assemblée nationale, tout en modifiant sur plusieurs points la forme du projet initial, en avait préservé le fond et que le texte soumis au Sénat traduisait ainsi une totale convergence de vues entre l'Assemblée nationale et le Gouvernement.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice, a ensuite exposé qu'en vertu de l'article premier, les lois de financement de la sécurité sociale fixeraient des objectifs de dépenses dont la loi organique limiterait explicitement la portée aux seuls régimes obligatoires de base de la sécurité sociale, à l'exclusion des régimes complémentaires ou d'autres régimes de protection sociale comme l'UNEDIC, l'ARRCO, l'AGIRC, etc... Il a indiqué que ces objectifs de dépenses, exprimés en taux d'évolution, s'imposeraient au Gouvernement dans ses négociations avec les partenaires sociaux et seraient traduits d'abord dans les conventions nationales conclues entre le Gouvernement et les caisses nationales puis dans les conventions conclues entre ces caisses et les professionnels de la santé, ainsi que dans les budgets des établissements hospitaliers.
Le ministre a souligné le caractère véritablement normatif de ces objectifs de dépenses, sanctionné non pas par la cessation des prestations qui constituaient des droits pour les assurés sociaux, mais par des mécanismes de régulation opposables aux intervenants de la sécurité sociale (ajustements collectifs ou, sur le plan individuel, application des références médicales par le codage des actes).
Il a indiqué que ces objectifs de dépenses devraient être fixés annuellement, cette périodicité étant la seule compatible avec les instruments de mise en oeuvre de la politique sanitaire et sociale.
Il n'a toutefois pas exclu qu'en cas de nécessité impérieuse liée à une évolution brutale et très ample du contexte économique, ces objectifs de dépenses soient rectifiés en cours d'année. Le ministre a noté à ce sujet que l'Assemblée nationale avait explicitement introduit cette faculté dans le projet de révision -en substituant l'expression, au pluriel, « les lois de financement », texte initial, rédigé au singulier, « la loi d'équilibre »- mais que cette modification de forme ne contredisait en rien l'objectif du Gouvernement de conférer un caractère exceptionnel à de tels aménagements en cours d'année. Il a d'ailleurs rappelé que le Gouvernement serait seul compétent pour déposer un projet de loi de financement rectificative et qu'il n'en déposerait pas, sauf impérieuse nécessité.
Le garde des sceaux a également observé que l'Assemblée nationale avait introduit dans le projet de révision une référence explicite aux prévisions de recettes qui, dans l'esprit du Gouvernement, n'avait pas paru de prime abord nécessaire dans la mesure où elle se déduisait déjà implicitement de la définition même de l'équilibre financier, lequel résulte en toute logique du rapprochement entre des dépenses et des ressources. Aussi, le ministre a-t-il considéré que cette adjonction était de pure forme et demeurait sans la moindre incidence sur les compétences de détermination des ressources de la sécurité sociale, que le Gouvernement n'entendait pas modifier.
Il a ainsi rappelé que les taux de cotisations de sécurité sociale resteraient fixés par le Gouvernement, que les concours budgétaires continueraient d'être arrêtés par la loi de finances et que la création, le taux et l'assiette des recettes fiscales affectées -la CSG, par exemple- demeureraient du domaine de la loi, leur recouvrement devant toutefois être autorisé chaque année par la loi de finances.
Dans cette optique, le garde des sceaux a souligné que les lois de financement ne seraient pas des lois de finances sociales, qu'elles n'emporteraient ni crédits limitatifs ni autorisation de dépenses ou de prélèvement de recettes et qu'elles ne remettraient pas en cause la compétence du législateur pour déterminer les principes fondamentaux de la sécurité sociale, telle que prévue à l'article 34 de la Constitution.
Abordant le schéma d'élaboration des lois de financement, le ministre a indiqué que les conditions générales de l'équilibre financier des régimes seraient définies en fonction des objectifs de la politique sanitaire et sociale et des recettes attendues, puis qu'en fonction de ces éléments, les objectifs de dépenses seraient fixés. Il a vu dans cette démarche l'occasion d'exprimer certains choix fondamentaux de la politique sanitaire et sociale, par exemple la politique de vaccination, la politique de restructuration hospitalière, etc.
La mise en oeuvre des objectifs de dépenses devant être traduite dans les budgets hospitaliers et dans les conventions avec les professionnels de la santé, le ministre a estimé indispensable que la loi de financement soit adoptée avant la fin de l'année, ce qui avait conduit le Gouvernement à enserrer l'examen du projet de loi dans un délai total de cinquante jours au-delà desquels il pourrait être mis en vigueur par voie d'ordonnance.
Avec vingt jours de délai pour Assemblée nationale puis quinze jours pour le Sénat -la commission mixte paritaire pouvant être réunie aussitôt après-, le ministre a estimé que le projet de révision atteignait un équilibre « sinon pleinement satisfaisant, du moins raisonnablement acceptable ». Il a justifié le délai moindre accordé au Sénat, d'une part par la saisine prioritaire de l'Assemblée nationale, d'autre part parce que la loi de financement serait plus brève et moins diversifiée que la loi de finances, n'imposant en particulier pas d'aborder l'ensemble des budgets d'un grand nombre d'administrations.
Il a toutefois reconnu qu'il serait nécessaire de coordonner le calendrier d'examen du projet de loi de finances avec celui du projet de loi de financement, le décalage de la date de dépôt de ce dernier -environ fin octobre- devant permettre de résoudre cette difficulté. Il a jugé cette solution préférable à celle d'un examen en premier lieu par le Sénat, insistant sur la nécessité pour chaque Assemblée d'examiner en parallèle les deux textes. Il a considéré que tout autre mécanisme risquerait de subordonner indûment l'un des débats à l'autre.
Dans cette optique, le garde des sceaux a exclu que la loi de financement soit examinée au printemps précédant l'exercice, le Parlement ne disposant pas à ce moment-là des éléments d'information nécessaires, ou au contraire un mois après le vote de la loi de finances, ce qui décalerait l'année sociale par rapport à l'exercice budgétaire et poserait de nombreuses difficultés tant sur le plan des principes que d'un point de vue pratique.
En définitive, le garde des sceaux a estimé que l'examen simultané, en dépit de l'importante charge de travail qui serait probablement imposée aux Assemblées, garantirait la cohérence des choix politiques à l'égard des deux textes majeurs regroupant l'essentiel des prélèvements obligatoires.
Le ministre a évoqué les réticences exprimées çà ou là quant à l'absence de sanction dans l'hypothèse où le projet de loi de financement de la sécurité sociale n'aurait pas été déposé par le Gouvernement en temps utile pour que la loi soit adoptée avant le début de l'exercice, alors que la révision prévoyait la possibilité de mettre le projet en vigueur par ordonnance en cas de retard imputable au Parlement. Il a reconnu que sur ce point, le Gouvernement n'était pas parvenu à une réponse satisfaisante, la reconduction des objectifs de l'exercice précédent pouvant en tout état de cause se révéler dangereuse face à un contexte socio-économique ayant fortement changé d'une année sur l'autre.
En conclusion, M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice, a indiqué que cette révision traduisait le souci du Gouvernement de conférer au Parlement une responsabilité nouvelle dans le financement de la sécurité sociale sans toucher au paritarisme. Il a estimé que cette réforme permettrait à la protection sociale, non seulement d'assurer sa mission mais surtout de survivre face aux difficultés qui la menaçaient.
M. Patrice Gélard, rapporteur, a souhaité que le ministre apporte des précisions sur les principales notions contenues dans le projet de révision (la « sécurité sociale », les « objectifs de dépense », les « prévisions de recettes », etc.).
Il s'est également interrogé sur les conséquences de prévisions de recettes trop optimistes et ne permettant finalement pas d'atteindre les objectifs de dépenses ainsi que sur les conditions d'exercice du droit d'amendement sur la loi de financement, en particulier quant à l'irrecevabilité financière prévue par l'article 40 de la Constitution.
Le rapporteur a également demandé au garde des sceaux de préciser ce qu'il fallait entendre par « mesures de nature législative » susceptibles d'être introduites dans les lois de financement en vue de permettre la mise en oeuvre effective des amendements parlementaires ayant pour effet de modifier les données générales de l'équilibre. Il a exprimé la crainte que ces mesures ne s'apparentent à de véritables « cavaliers sociaux ».
Enfin, le rapporteur a souhaité savoir si le vote annuel de la loi de financement serait conciliable avec la nécessaire programmation pluriannuelle de certains équipements lourds de santé, comme les scanners ou les imageurs à résonance magnétique nucléaire.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales, a vu dans le projet de loi constitutionnelle l'aboutissement d'une très longue évolution dont la précédente étape avait été le vote de la loi du 25 juillet 1994, à cette différence majeure toutefois que la Constitution permettrait enfin au Parlement non seulement de débattre mais de se prononcer par un vote.
Il a rappelé que la commission des affaires sociales s'était toujours attachée à une vision globale de la protection sociale et qu'il ne conviendrait pas de focaliser la loi de financement sur les seuls problèmes de l'assurance maladie, d'autant que les branches « Famille » et « Retraite » laissaient d'ores et déjà envisager des difficultés à l'horizon 2005-2015.
Il a ensuite fait part de l'accord de sa commission sur la rédaction de l'article premier, notant toutefois à titre personnel que le Parlement aurait fort bien pu se prononcer sur des dépenses et des recettes, et non sur de simples objectifs ou prévisions. Il a rappelé à ce sujet que tel était déjà le cas pour le budget annexe des prestations sociales agricoles (BAPSA), sans que cela soulevât la moindre critique. Il a néanmoins souligné qu'il appartiendrait à la loi organique de définir le contenu exact des lois de financement, relevant pour le moment que l'avant-projet communiqué par le Gouvernement devrait être aménagé pour tenir compte du texte finalement voté par le Parlement, notamment pour les prévisions de recettes.
Sur l' article 2, M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales, a estimé que la priorité reconnue à l'Assemblée nationale n'était pas un réel sujet d'inquiétude pour peu que l'Assemblée puisse se saisir du texte entre la fin de l'examen de la première partie de la loi de finances et le début de l'examen de sa seconde partie, de façon que le Sénat puisse entreprendre celui de la loi de financement avant d'être lui-même accaparé par le budget. En revanche, il lui a semblé absolument impératif que les objectifs de dépenses de la sécurité sociale soient définitivement fixés avant le 1er janvier.
Il a enfin souhaité que les lois de financement -notamment les lois de financement rectificatives- ne soient pas surchargées de dispositions diverses au point de se transformer en lois portant diverses dispositions d'ordre social (DDOS). Il a exhorté le ministre à résister aux pressions prévisibles des administrations de manière à conserver aux lois de financement leur caractère de lois brèves et avant tout centrées sur les objectifs de dépenses.
M. Jacques Larché, président, a craint que l'encombrement de l'ordre du jour d'octobre à décembre et l'examen concomitant de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale ne remettent en cause les engagements et les décisions pris lors de la dernière révision constitutionnelle en vue d'améliorer les conditions du travail parlementaire.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, s'est tout d'abord félicité de l'excellente coopération entre la commission des lois et les deux autres commissions intéressées, qui dispensait de multiplier les saisines pour avis ou de constituer une commission spéciale, formule ayant pour effet de départir les commissions permanentes de leurs compétences naturelles.
Il a rappelé que, sur le principe, la commission des finances avait toujours souhaité l'institution d'une loi sur le financement de la sécurité sociale, compte tenu notamment de la part croissante des concours budgétaires et fiscaux à l'équilibre des régimes. Il a cité à ce propos la proposition de loi constitutionnelle présentée le 12 juillet dernier par M. Jacques Oudin. Aussi a-t-il jugé la révision urgente et nécessaire.
En revanche, il a considéré que ses modalités étaient très discutables, en raison d'une certaine assimilation (à ses yeux infondée) entre les lois de finances et les lois de financement, tant sur le fond que sur la procédure. Il a considéré que les lois de financement ne seraient pourvues que d'une « faible densité normative » et devraient être plutôt assimilées à des lois de programme ou d'orientation, au point que l'application de l'article 40 de la Constitution à ce type de loi ne lui paraissait guère aller de soi.
Mais il a surtout insisté sur le véritable risque de « télescopage » entre l'examen de la loi de finances et celui de la loi de financement, sauf à modifier le calendrier de la discussion budgétaire, solution qui lui semblait exclue.
Pour illustrer son propos, il a exposé que saisie du projet de loi de financement aux alentours du 2 novembre, à l'issue des travaux préalables à l'élaboration de ce projet (adoption des rapports de la Cour des comptes, de la commission des comptes de la sécurité sociale et consultation des caisses), l'Assemblée nationale disposerait de vingt jours pour l'examiner, soit un vote final en principe le 23 novembre ; que de cette sorte, le Sénat se trouverait saisi de la loi de financement en plein début de la discussion budgétaire, la loi de finances lui étant transmise le plus souvent aux alentours du 20 novembre. Il en a donc conclu que le Sénat serait bien obligé d'examiner simultanément le budget et la loi de financement de la sécurité sociale.
Pour remédier à cette difficulté, M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, a vivement préconisé, soit d'accorder la priorité d'examen de la loi de financement au Sénat pour qu'il l'examine pendant que l'Assemblée nationale discuterait du budget, soit de reporter l'examen du projet de loi de financement en janvier, voire plus tard.
M. Jacques Larché, président, s'est interrogé sur l'hypothèse d'un rejet de la loi de financement, observant qu'en pareille hypothèse, le parlement se serait bien prononcé (par la négative) et que la mise en vigueur du projet par ordonnance ne serait donc pas possible.
En réponse à cette observation, M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice, a confirmé que la procédure de l'ordonnance ne pourrait être mise en oeuvre en cas de rejet du projet de loi, estimant que la sécurité sociale se retrouverait alors dans la même situation qu'actuellement, c'est-à-dire dépourvue d'un cadre légal d'évolution de ses dépenses.
Le garde des sceaux a ensuite approuvé les propos introductifs du président Jean-Pierre Fourcade, estimant que la révision représentait un progrès considérable par rapport à la situation antérieure en permettant au Parlement de se prononcer par un vote. Il a souligné que cette révision ferait « sauter le verrou constitutionnel » auquel s'étaient heurtées les précédentes tentatives mais que les évolutions ultérieures de la sécurité sociale conduiraient probablement à de nouveaux aménagements sur lesquels il était impossible d'anticiper.
En réponse, le ministre a indiqué :
- que la loi de financement traiterait exclusivement des régimes obligatoires de base ;
- qu'à ses yeux, elle serait dotée d'une « normativité suspendue » -et non d'une « normativité différée », comme l'avait considéré M. Pierre Mazeaud, président et rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale- dans la mesure où tout dépassement des objectifs de dépenses conduirait à appliquer des mécanismes d'ajustement collectifs ou individuels ;
- qu'en revanche, la loi de financement ne comporterait ni crédits limitatifs ni autorisation de recettes ;
- que le droit d'amendement des parlementaires s'exercerait dans les conditions ordinaires applicables à toutes les lois, y compris l'article 40 de la Constitution.
Le ministre a également confirmé qu'à ses yeux, la loi de financement ne devrait en aucun cas devenir une sorte de projet de loi portant diverses mesures d'ordre social, même si, à l'Assemblée nationale, plusieurs députés avaient souhaité que cette nouvelle catégorie de loi puisse contenir des dispositions plus générales que celles relatives au financement proprement dit de la sécurité sociale. Quant aux « mesures de nature législative » susceptibles de figurer dans les lois de financement, il a indiqué qu'il s'agirait, pour l'essentiel, de mesures analogues à celles actuellement prises par la voie d'ordonnances dans le cadre de l'article 38 de la Constitution.
En réponse aux objections de M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, le garde des sceaux a récapitulé les trois principes qui avaient guidé le choix du Gouvernement pour un examen concomitant par chaque Assemblée de la loi de finances et de la loi de financement : « dépôt décalé, discussion intercalée, adoption quasi-simultanée ». A cette fin, il a indiqué que le Gouvernement déposerait le projet de loi de finances le 2 octobre pour que l'Assemblée nationale puisse aborder l'examen de la loi de financement immédiatement après la première partie de la loi de finances, de telle manière que le Sénat en soit à son tour saisi avant d'entamer la discussion budgétaire.
Il a ajouté qu'il n'était pas certain que l'Assemblée nationale utilise l'intégralité du délai constitutionnel de vingt jours pour l'examen de la loi de financement. Il s'est par ailleurs déclaré convaincu que l'Assemblée nationale parviendrait facilement à consacrer quelques jours à l'examen de la loi de financement à l'intérieur du délai constitutionnel d'examen de la loi de finances, d'autant que le souci d'alléger les discussions budgétaires était de plus en plus partagé.
M. Jacques Larché, président, a estimé que ce voeu ne liait en rien le Sénat et qu'en tout état de cause, le calendrier évoqué par le ministre ne pourrait être respecté qu'avec l'engagement formel du Gouvernement de ne pas déposer d'autres projets de loi au même moment, faute de quoi l'amélioration du travail parlementaire résultant de la révision constitutionnelle du 4 août 1995 serait remise en cause, notamment le principe de la suppression des séances de nuit. Il a d'autre part considéré que l'examen concomitant des deux lois revenait à créer une période de surcharge en automne, alors qu'au contraire, un des objectifs de la précédente révision constitutionnelle avait été de mieux répartir sur l'année le programme des travaux législatifs.
M. Christian Poncelet, président de la commission des affaires sociales, a quant à lui réaffirmé sa conviction que le système proposé conduirait nécessairement le Sénat à devoir examiner les deux textes en même temps, ce qui ne lui paraissait pas envisageable.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice, a admis que les assemblées risquaient de devoir faire face à une importante charge de travail pendant cette période. Il n'y a cependant pas décelé de contradiction avec la révision constitutionnelle du 4 août 1995, dans la mesure où le premier trimestre de la session unique était consacré pour l'essentiel aux choix financiers publics fondamentaux. Il a d'ailleurs jugé impossible de découpler les deux discussions, ne serait-ce que pour préserver la cohérence des choix financiers retenus par le budget et par la loi de financement de la sécurité sociale.
M. Patrice Gélard, rapporteur, a fait observer qu'en l'état actuel du projet de révision, aucune date impérative n'était prévue pour l'examen de la loi de financement et que le Parlement n'en était donc encore qu'à des hypothèses.
Plusieurs membres de la commission ont alors interrogé le garde des sceaux.
M. Robert Badinter s'est déclaré perplexe devant les notions de « normativité à faible densité », de « normativité suspendue » ou de « normativité différée », estimant qu'on passait de la hiérarchie à la confusion des normes. Il a pour sa part considéré que les lois de financement comporteraient, comme beaucoup de lois programmatives, deux types de normes : les normes prévisionnelles et les normes contraignantes.
Il a souhaité que le ministre précise le sens de l'expression figurant à l'article premier selon laquelle les lois de financement détermineraient les conditions de l'équilibre financier de la sécurité sociale et les objectifs de dépenses dans les conditions « et sous les réserves » prévues par une loi organique, craignant que ces réserves ne permettent au législateur organique de restreindre le champ du texte constitutionnel, ce qui lui est apparu contraire à la hiérarchie des normes.
Il a également observé qu'en première lecture, l'Assemblée nationale avait supprimé dans l'article 3 la référence à un vote « chaque année » de la loi de financement, et en a déduit, qu'en l'état, le texte n'interdirait pas le vote de lois de financement pluriannuelles, ainsi que le dernier article de l'avant-projet de loi organique semblait l'admettre.
Il a enfin noté que les dispositions de nature législative susceptibles d'être introduites dans les lois de financement pourraient aussi être mises en vigueur par ordonnance, au même titre que les objectifs de dépenses, pour peu que le Parlement ne se soit pas prononcé dans le délai de cinquante jours.
Mme Nicole Borvo a jugé paradoxal qu'au moment où il faisait part de sa volonté de revaloriser le rôle du Parlement, le Gouvernement ait recouru aux ordonnances pour réformer la sécurité sociale. Elle a estimé que la révision constitutionnelle privilégiait l'équilibre financier des caisses au détriment de droits sociaux fondamentaux, comme le droit à la santé. Elle a jugé que la procédure d'élaboration des lois de financement ne ménageait pas de place suffisante à la consultation des partenaires sociaux et s'est interrogée sur les reports successifs des élections des administrateurs des caisses. Elle a d'autre part considéré la révision comme prématurée dans la mesure où les ordonnances du « Plan Juppé » n'étaient pas encore toutes publiées. S'agissant des problèmes de calendrier, elle a craint qu'une discussion précipitée de la loi de finances et de la loi de financement aboutisse finalement à une restriction de la marge réelle d'appréciation du Parlement.
Mme Nicole Borvo a enfin souhaité connaître l'avis du Gouvernement sur la proposition formulée en 1993 par le « Comité Vedel » quant au rôle du Parlement en matière de financement de la sécurité sociale.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice, a apporté les précisions suivantes :
- les « réserves » évoquées par M. Robert Badinter à propos de la loi organique concerneront la procédure d'élaboration de la loi de financement, en ce qu'elle sera dérogatoire à la procédure législative ordinaire ;
- le vote de la loi de financement sera annuel, comme pour celui de la loi de finances pour lequel l'article 47 de la Constitution ne prévoit d'ailleurs aucune périodicité ; le ministre a ajouté que l'intention du Gouvernement sur ce point était parfaitement claire et que les travaux préparatoires de la révision l'établiraient sans la moindre ambiguïté ;
- l'opposition établie par Mme Nicole Borvo entre l'équilibre financier des régimes et les droits à la protection sociale est apparue sans fondement, dans la mesure où ces droits ne pouvaient s'exercer qu'à la condition que les caisses chargées d'assurer les prestations restent solvables et que la richesse nationale le permette ;
- le projet de loi de financement serait dans tous les cas élaboré à partir des résultats des consultations des partenaires sociaux ;
- si les élections de la sécurité sociale avaient bien été reportées depuis 1983, c'était à la demande des organisations syndicales ;
- aux yeux du Gouvernement, la proposition du « Comité Vedel » avait résulté d'une réflexion déjà ancienne et ne semblait plus répondre aux nécessités du moment.
- M. Pierre Fauchon s'est interrogé sur l'articulation entre la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale, évoquant la perspective de fondre ces deux textes dans une seule décision du Parlement.
Le garde des sceaux a confirmé 1' « entrelacement » de ces deux lois traitant chacune de deux piliers essentiels des finances publiques. Pour autant, il a estimé que leur fusion dans un seul et même texte reviendrait à changer la nature actuelle du système en abandonnant le principe des assurances sociales au profit d'un système étatisé.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales, a considéré que la question de l'examen simultané des deux textes trouvait un début de réponse dans l'existence de plusieurs commissions permanentes, permettant d'éviter la surcharge de l'une et de l'autre.
En conclusion, M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice, a estimé que la révision constitutionnelle constituerait la pierre d'angle de la réforme en cours de la protection sociale. Il a considéré que loin d'être « un débat d'enregistrement » où le Parlement n'aurait qu'à ratifier des choix préétablis, le débat sur la loi de financement lui fournirait chaque année l'occasion d'arrêter des options politiques fondamentales. Il a estimé que sans devenir « le pilote de l'avion Sécurité sociale », le Parlement en définirait désormais « le plan de vol ».
Après des observations de MM. Michel Dreyfus-Schmidt et Robert Badinter, M. Jacques Larché, président, a demandé au ministre de préciser la position du Gouvernement quant au caractère de la loi organique prévue par le projet de révision. Il lui a en particulier demandé si toutes les dispositions de cette loi organique ou seulement celles concernant la procédure seraient considérées comme « relatives au Sénat » au sens de l'article 46, alinéa 4, de la Constitution.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice, a répondu que, « tant en termes juridiques que politiques », l'intégralité de la loi organique serait considérée par le Gouvernement comme relative au Sénat et, partant, devrait être votée dans les mêmes termes par les deux Assemblées.