N° 188
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
Annexe au procès-verbal de la séance du 31 janvier 1996.
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale(1) sur :
- le projet de loi constitutionnelle, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, instituant les lois de financement de la sécurité sociale,
- la proposition de loi constitutionnelle de M. Jacques OUDIN, tendant à renforcer le contrôle du Parlement sur les comptes des régimes obligatoires de sécurité sociale, ainsi que sur les concours de l'État à leur financement.
Par M. Patrice GÉLARD,
Sénateur.
Voir les numéros :
Assemblée nationale (10ème législ.) 2455. 2489. 2490. 2493 et T.A. 453.
Sénat 180 (1995-1996) et 367 (1994-1995).
Sécurité sociale
Cette commission est composée de MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, François Giacobbi, vice-présidents ; Robert Pagès. Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, Pierre Biarnès, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo MM. Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Michel Dreyfus-Schmidt, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod Daniel Hoeffel, Charles Jolibois, Lucien Lanier, Guy Leguevaquès, Paul Masson, Daniel Millaud Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Claude Pradille, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Jean-Pierre Tizon, Alex Türk, Maurice Ulrich.
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS
Réunie sous la présidence de M. Jacques Larché, président, la commission des Lois, dans sa séance du mercredi 31 janvier 1996, a examiné, sur le rapport de M. Patrice Gélard, le projet de loi constitutionnelle instituant les lois de financement de la sécurité sociale.
Le rapporteur a tout d'abord constaté l'urgence de la révision constitutionnelle, estimant qu'il n'était plus possible de laisser dériver les déficits de la sécurité sociale sans qu'à un moment donné le Parlement statue et fixe enfin des objectifs clairs.
Il a précisé que les lois de financement de la sécurité sociale constitueraient une nouvelle catégorie de lois dotées d'une « normativité aléatoire » puisque basées sur des prévisions de recettes et fixant des objectifs de dépenses.
Quant au problème du calendrier d'examen -chaque automne- par le Parlement de la loi de finances et de la loi de financement, le rapporteur a estimé que ces travaux pourraient être menés concomitamment et à la double condition du respect par le Gouvernement des délais de dépôt des deux projets et de l'examen par l'Assemblée nationale de la loi de financement entre la première et la seconde partie du projet de loi de finances.
Globalement, le rapporteur a considéré que le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale en première lecture répondait aux attentes et aux nécessités du moment. Il a souligné que l'essentiel du débat sur le contenu et les procédures d'examen de la loi de financement aurait lieu lors de l'élaboration de la loi organique à laquelle renvoient les articles premier et 3 du projet de révision.
Aussi, le rapporteur a-t-il conclu à l'adoption du texte de l'Assemblée nationale sans modification.
Après avoir rappelé la déclaration du Garde des Sceaux selon laquelle la loi organique devrait être adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées, le président Jacques Larché a également recommandé d'adopter conforme le projet de révision.
A la suite des interventions de M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des Affaires sociales, MM. Robert Pagès, Robert Badinter, Luc Dejoie et M. Michel Dreyfus-Schmidt, la commission des Lois a décidé de proposer au Sénat d'adopter sans modification le projet de loi constitutionnelle.
Mesdames, Messieurs,
Le projet de révision dont le Sénat est aujourd'hui saisi -qui devrait aboutir à la dixième modification de notre Constitution depuis 1958-représente la clé de voûte de la réforme en cours de notre protection sociale, comme l'a indiqué le Premier ministre, M. Alain Juppé, dans sa déclaration au Parlement du 15 novembre 1995. Cette révision sera, pour reprendre ses termes, « l'acte fondateur qui donnera, cinquante ans après, une nouvelle légitimité à notre protection sociale » car « en démocratie, il incombe au Parlement de se prononcer le premier » .
La Constitution de 1958, rédigée à une époque où la sécurité sociale n'avait pas encore l'ampleur ni l'importance fondamentale qu'elle revêt aujourd'hui, ne permet pas au Parlement de se prononcer le premier ni, en tous cas, de se prononcer de façon globale.
À ce jour, en effet, la répartition constitutionnelle des compétences est telle que le Parlement n'intervient en matière de sécurité sociale que par la détermination de principes généraux, ou par son pouvoir budgétaire quand l'État doit instituer en faveur de la sécurité sociale une recette « entrant dans la catégorie des impositions de toute nature » -la CSG, par exemple- ou lui accorder une subvention d'équilibre.
Pour le reste, le législateur n'a pas la faculté de se prononcer par un vote sur les évolutions globales ni sur l'équilibre financier des régimes de sécurité sociale.
Ces recettes et ces dépenses atteignent pourtant aujourd'hui des montants considérables, largement supérieurs au budget de l'État lui-même.
Selon le dernier rapport des comptes de la sécurité sociale, les dépenses sociales se sont ainsi élevées à 2 207 milliards de francs en 1994, contre « seulement » 1 552 milliards pour le budget de l'État. Elles atteignaient, toujours en 1994, quasiment 30 % du produit intérieur brut.
Les recettes et les dépenses de sécurité sociale ne constituent pas des recettes ou des dépenses de l'État, certes, mais n'en sont pas moins des ressources et des charges publiques, ainsi que l'a considéré le Conseil constitutionnel.
Il est donc logique que pour la plupart de nos concitoyens, les prélèvements sociaux soient ressentis comme très similaires à des prélèvements fiscaux. Chacun est d'ailleurs accoutumé à les voir regroupés au sein d'une même catégorie comptable, les « prélèvements obligatoires ».
La création de ressources fiscalisées de la sécurité sociale, comme la contribution sociale généralisée, n'a fait que renforcer cette analogie.
Or, le Parlement, s'il a la maîtrise directe des prélèvements fiscaux, n'a pas celle des prélèvements sociaux.
Cette situation résulte pour l'essentiel des conditions historiques dans lesquelles s'est édifié notre système de protection sociale. Elle n'en demeure pas moins singulière -voire critiquable- au regard du principe selon lequel « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes, ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi... » .
Ce principe a valeur constitutionnelle, puisqu'il figure à l'article XIV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Il est la traduction juridique d'un principe politique qui, historiquement, a constitué un des premiers fondements des démocraties parlementaires : le libre consentement à l'impôt, en général exprimé par une assemblée émanant du peuple.
Sous l'Ancien régime, c'était les États-Généraux qui étaient consultés sur la levée d'impôts nouveaux même si, en pratique, cette consultation n'a plus été sollicitée à partir de 1614. Pourtant, ce qu'Eugène Pierre qualifie d' « invincibles difficultés d'argent » ont conduit à convoquer à nouveau les États-Généraux au 1er mai 1789.
La naissance, moins de deux mois plus tard, de la première Assemblée constituante a confirmé le lien indissoluble entre le principe ancien du libre consentement à l'impôt et le rôle du Parlement, tel qu'il s'est imposé dans la tradition constitutionnelle française.
Ce principe demeure à la base de la procédure budgétaire et il est d'ailleurs rappelé avec force chaque année en tête de la loi de finances, dans l'article autorisant pour l'exercice suivant la perception des impositions de toute nature. Au plan local, il a même trouvé une confirmation nouvelle avec le vote par les assemblées délibérantes des collectivités territoriales du taux des impositions transférées, dans les limites autorisées par la loi.
Or, en matière de sécurité sociale, le principe du libre consentement à l'impôt ne s'applique que très indirectement, faute d'une intervention spécifique de la représentation nationale.
Certes, les prélèvements sociaux ne sont pas des impôts stricto sensu, mais cette distinction purement juridique n'existait pas en 1789.
Formulé en termes modernes, le principe du libre consentement à l'impôt devrait pouvoir s'appliquer non seulement aux prélèvements fiscaux mais aussi à l'ensemble des prélèvements obligatoires, selon des modalités spécifiques.
Face aux « invincibles difficultés d'argent » auxquelles la sécurité sociale est confrontée depuis de nombreuses années, il était donc naturel que la représentation nationale soit réunie pour exercer sa fonction la plus solennelle, c'est-à-dire la révision constitutionnelle, afin de permettre au Parlement de pouvoir se prononcer à l'avenir sur le financement d'une des institutions les plus fondamentales de la solidarité nationale.
Dans cette optique, la révision constitutionnelle va au-delà d'une simple mesure tendant, parmi d'autres, à rétablir durablement l'équilibre des régimes de protection sociale.
Sur le principe, elle représente une avancée significative des droits du Parlement, donc de la démocratie dans un domaine où les représentants de la Nation ne peuvent plus -et ne doivent plus- être écartés.
Pour ce qui est de ses modalités concrètes, la réforme proposée n'est certes pas sans soulever plusieurs interrogations, d'ailleurs bien compréhensibles eu égard à son caractère novateur.
Ces questions portent à la fois sur le contenu exact de la nouvelle compétence reconnue au Parlement, sur la procédure d'élaboration des « lois de financement de la sécurité sociale » que l'Assemblée nationale a substituées à la « loi d'équilibre de la sécurité sociale » du projet initial, ainsi que sur le rôle du Sénat, quelque peu minoré dans cette procédure par rapport à celui de l'Assemblée nationale.
Tout en cherchant à y apporter des réponses aussi précises que possible, votre commission des Lois a souhaité dépasser ces interrogations.
Elle a tout d'abord constaté l'urgence de la révision constitutionnelle car il n'est plus possible de laisser dériver les déficits de la sécurité sociale sans qu'à un moment donné le Parlement statue et fixe enfin des objectifs clairs.
La crise que traverse la protection sociale va d'ailleurs au-delà d'un aspect proprement financier et est aussi imputable à la complexité et à une certaine opacité du système dans un contexte de déresponsabilisation des différents intervenants. Pour reprendre l'expression du Premier ministre, M. Alain Juppé, « la sécurité sociale qui est la responsabilité de chacun est devenue la responsabilité de personne » .
Ces problèmes ne sont pas nouveaux mais n'avaient pas trouvé jusqu'à présent de réponse satisfaisante.
A cet égard, la révision proposée, tout en représentant un progrès dans les droits du Parlement, va lever les difficultés auxquelles s'étaient heurtées les différentes propositions formulées à ce sujet depuis plus de vingt ans.
Pour faire face aux impératifs urgents du rétablissement de l'équilibre des comptes sociaux et de la définition de responsabilités claires, le projet de loi constitutionnelle dote enfin le Parlement d'un pouvoir décisionnel, celui de fixer des « objectifs de dépenses » qui encadreront l'action ou le comportement de tous les intervenants de la sécurité sociale : le Gouvernement, bien entendu, mais aussi les professionnels de la santé et les patients eux-mêmes.
En lui même, ce système consacre dans une disposition constitutionnelle le principe aujourd'hui indispensable de la modération des dépenses de la sécurité sociale.
En second lieu, votre commission a considéré que le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale en première lecture répondait globalement aux attentes et aux nécessités du moment. Sans apporter de modification substantielle au projet initial, l'Assemblée nationale est de surcroît parvenue à en préciser certaines dispositions.
Le texte soumis à l'examen du Sénat comporte notamment la faculté explicite d'adopter des lois de financement rectificatives qui permettraient au Parlement, si nécessaire, d'ajuster ou de réviser en cours d'année ses prévisions initiales, donc d'exercer son pouvoir d'appréciation chaque fois qu'il le faudra. D'autre part, l'Assemblée nationale a pris en compte dans le texte même de la révision les prévisions de recettes de la sécurité sociale qui, dans le projet initial, apparaissaient déjà en filigrane derrière les notions d'équilibre prévisionnel et d'objectifs de dépenses. Enfin, l'Assemblée nationale a complété certaines dispositions de procédure et prévu que la Cour des comptes assiste le Parlement dans le contrôle de l'application des lois de financement.
Sur tous ces points, le texte soumis à l'examen du Sénat demeure parfaitement fidèle à l'esprit du projet initial tout en atteignant un degré suffisant de précision pour des dispositions constitutionnelles qui ne gagneraient pas à être surchargées.
Pour le reste, l'essentiel du débat aura lieu au moment de l'élaboration de la loi organique à laquelle renvoient les articles premier et 3 du projet de révision.
Votre commission tient à ce propos à saluer l'effort d'information dont a fait preuve le Gouvernement en transmettant au Président de la commission des Lois un avant-projet déjà très avancé de cette loi organique.
Un des principaux mérites de la révision constitutionnelle est en effet de débloquer le verrou de procédure sur lequel avaient achoppé les précédentes tentatives, en particulier la loi organique issue de la proposition de notre regretté collègue, M. Michel D'Ornano.
Ce verrou supprimé, la loi organique donnera au Parlement la plus grande latitude pour prolonger la révision constitutionnelle et c'est donc à ce stade que devront être prises les principales options qu'autorise le texte très ouvert aujourd'hui soumis à l'examen du Sénat.
Dans le cadre assez général défini par la révision constitutionnelle, il appartiendra donc au législateur organique de dessiner les contours exacts de la réforme, tant en ce qui concerne le contenu des lois de financement que le détail de leur procédure d'élaboration.
Certaines de ces dispositions auront d'ailleurs le caractère d'une « loi organique relative au Sénat » au sens de l'article 46, alinéa 4 de la Constitution et sauf disjonction de ces dispositions, l'ensemble de la loi organique devra donc être adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées. Lors de son audition le 30 janvier 1996 par votre commission des Lois, M. Jacques Toubon, Garde des Sceaux, Ministre de la justice, a d'ailleurs fait part du sentiment du Gouvernement selon lequel l'intégralité de cette loi organique devrait bien être adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées.
C'est donc à ce stade que le Sénat pourra utilement exercer son plein pouvoir de proposition et d'amendement.
Ce moment venu, les commissions permanentes intéressées ne manqueront sans doute pas de prendre une part active à ce débat.
Pour l'heure, votre commission des Lois ne peut que se féliciter de la confiance que lui ont témoignée M. Jean-Pierre Fourcade, Président de la commission des Affaires sociales et M. Christian Poncelet, Président de la commission des Finances, qui -contrairement à ce qui s'est fait à l'Assemblée nationale- n'ont pas jugé souhaitable de demander que le projet de révision leur soit renvoyé pour avis.
Fidèle à sa position habituelle, votre commission des Lois estime en effet préférable de ne pas compliquer outre mesure les débats en séance publique par des avis divers ou multiples.