B. LE JUGEMENT PORTÉ SUR L'ADÉQUATION DE LA LÉGISLATION AUX SITUATIONS QU'ELLE RÉGIT
La situation faite aux parents séparés à l'égard des enfants qu'ils ont eus ensemble ou le traitement réservé à l'enfant naturel ou adultérin lors de l'ouverture d'une succession sont-ils encore adaptés à l'évolution sociale ? Le législateur a pris en compte les changements intervenus dans les comportements et la fragilisation du lieu conjugal comme la constitution de familles en dehors de celui-ci pour introduire la faculté d'un exercice en commun de l'autorité parentale avant de l'ériger en principe, sous réserve de l'appréciation éventuelle de l'intérêt de l'enfant par le juge en cas de contestation par l'un des deux parents. De même, les droits successoraux de l'enfant naturel ou adultérin se sont-ils rapprochés de ceux de l'enfant légitime.
Dans un autre ordre d'idées, la commission des Lois du Sénat s'est récemment penchée sur l'efficacité de notre droit en matière de protection de la présomption d'innocence pour constater que le dispositif actuel n'assurait pas effectivement cette protection.
De même a-t-elle conclu son examen des règles applicables à la responsabilité pénale des élus locaux en faisant valoir que la technique d'appréciation in abstracto privilégiée par le juge conduisait à des condamnations parfois excessives au regard des moyens de prévention dont disposaient les intéressés.
Dans tous ces cas, un jugement de valeur est porté sur l'efficacité de la législation étudiée... Autrement dit, les conclusions de l'évaluation ne sont pas de nature purement technique et la constatation d'une inadéquation entre la règle de droit et les situations qu'elle devrait régir est bien de nature politique, comme le sont bien entendu les conséquences tirées de ce constat.
D'ailleurs, le choix même du sujet étudié et la formulation des termes de l'étude ne sont pas non plus purement techniques.
Cette subjectivité plus ou moins marquée de l'évaluation législative conduit bien entendu à en souligner le caractère en partie politique et exige donc, si l'étude résulte de travaux conduits par une assemblée parlementaire ou pour son compte, un contrôle politique tant en amont (choix de l'objet de l'étude et de ses modalités, choix de l'expert) qu'en aval -ainsi le constat d'inadaptation conduit-il à recommander une application plus stricte de la loi ou appelle-t-il au contraire la modification de celle-ci ?
C. LES PRATIQUES ÉTRANGÈRES D'ÉVALUATION LÉGISLATIVE
Ainsi que le fait apparaître l'étude effectuée par la division des Études de législation comparée du Sénat reproduite en annexe, ce sont surtout les pays anglo-saxons qui ont développé des procédures d'évaluation des lois mais sans pourtant qu'ait jamais été constituée une structure équivalente à l'office parlementaire imaginé par le président Mazeaud ( ( * )4) .
1. Des mécanismes d'évaluation ex ante
Le Royaume-Uni, le Canada et l'Allemagne ont mis en place des dispositifs d'évaluation préalable de l'opportunité des lois comprenant un examen de la situation qu'il est proposé de modifier et de la nécessité d'une nouvelle législation.
Ces procédures sont considérées comme généralement efficaces alors que les études d'impact assortissant les projets de texte en Suisse et en Italie apparaissent largement formelles.
2. Des procédures d'évaluation a posteriori
a) Les clauses d'évaluation
Encore peu fréquentes, les clauses d'évaluation des lois se sont développées au Royaume-Uni depuis les années 1970.
Aux États-Unis, certaines lois, -les sunset laws-, ont une durée d'application limitée, toute prorogation exigeant donc un vote positif du Congrès normalement précédé d'une évaluation de leurs résultats.
b) La législation expérimentale
En Allemagne, les législations expérimentales ont été encouragées par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle sur la mise au point itérative de la loi.
c) Le contrôle des règlements d'application des Lois
Dans les Parlements britannique et canadien, il existe une commission composée de membres des deux assemblées et chargée d'examiner l'application de l'ensemble des textes législatifs.
3. Des procédures de révision des lois
Le Royaume-Uni et le Canada se sont dotés de commissions chargées de réviser les lois. En Grande-Bretagne, cette instance consultative est rattachée au Parlement ; au Canada, la commission de révision des Lois est placée sous l'autorité du ministère de la Justice.
La Belgique dispose pour sa part d'une procédure dite de coordination, à la fois législative et administrative.
L'évaluation législative comporte par nature une dimension politique et exige donc, pour être légitime dans un cadre parlementaire, qu'un contrôle politique soit exercé par les parlementaires. La création d'une structure parlementaire d'évaluation législative ne peut négliger cette dimension de l'évaluation législative et doit donc s'insérer dans les mécanismes des fonctionnements des assemblées.
* (4) Les États-Unis ont été écartés du champ de cette étude en raison du caractère Particulier de leur organisation institutionnelle qui rend toute comparaison peu significative.