N° 77
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
Annexe au procès verbal de la séance du 21 novembre 1995.
RAPPORT GÉNÉRAL
FAIT
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le projet de loi de finances pour 1996. ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,
Par M. Alain LAMBERT.
Sénateur.
Rapporteur général.
TOME III
LES MOYENS DES SERVICES ET LES DISPOSITIONS SPÉCIALES
(Deuxième partie de la loi de finances)
ANNEXE N° 31 PRESSE
Rapporteur spécial : M. Jean CLUZEL
Voir les numéros :
Assemblée nationale (10 ème législ.) 2222, 2270 à 2275 et T.A.413.
Sénat : 76 (1995-1996).
Lois de finances.
( 1 ) Cette commission est composée de MM. Christian Poncelet. Président : Jean Cluzel, Henri Collard, Roland du Luart, Jean-Pierre Masseret. Vice-présidents ; Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Emmanuel Hamel, René Régnault, François Trucy. Secrétaires ; Alain Lambert; rapporteur général ; MM. Philippe Adnot, Denis Badré, René Ballayer, Bernard Barbier, Jacques Baudot, Claude Belot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Guy Cabanel, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Yvon Collin, Jacques Delong, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Philippe Marini, Marc Massion, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Alain Richard, Maurice Schumann, Michel Sergent, Henri Torre, René Trégouët.
INTRODUCTION
Malgré quinze ans d'efforts de modernisation, la presse française se porte mal.
La presse quotidienne nationale est particulièrement touchée. Le bon accueil fait à la nouvelle édition du Monde, l e lancement réussi d'un nouveau quotidien, Infomatin, qui connaît déjà une nouvelle formule, celles de La Croix ou des Echos, ne doivent pas faire oublier les difficultés connues par Libération, et l'ombre menaçante qui plane sur France Soir. La presse magazine, et la presse quotidienne régionale, sont, en revanche, en meilleure situation.
On s'interroge de nouveau sur la fragilité du lectorat, et plus particulièrement sur celui des quotidiens. Leur diffusion reste modeste malgré la richesse de l'actualité et les initiatives des rédactions pour attirer et conserver des lecteurs de moins en moins fidèles.
Et pourtant, les années quatre-vingt furent caractérisées par la modernisation de ces entreprises dont les comptes avaient été profondément dégradés, leurs outils industriels ayant vieilli, parce qu'elles n'avaient pas suffisamment bénéficié des innovations technologiques apportées par l'informatique et l'évolution des télécommunications.
Servie par une bonne conjoncture, une nouvelle logique entrepreneuriale du secteur de la presse a rencontré un réel succès : les comptes se sont améliorés, l'outil industriel s'est rénové, l'informatique s'imposant, la fabrication s'est lentement rationalisée, la distribution également, plus récemment, mais plus rapidement. Les choses paraissaient donc, au milieu de la décennie, devoir s'améliorer.
Mais le choc de la récession publicitaire au début des années quatre-vingt dix a frappé un secteur en convalescence, alors que sa mutation n'était pas achevée, et que sa fragilité financière demeurait. En raison de la dérive des coûts, les économies de charge n'ont pas épargné les rédactions elles-mêmes.
C'est que l'obsession de la survie marque profondément la gestion des quotidiens, créant un véritable cycle vicieux. Les lecteurs se désintéressent de façon croissante de journaux qui ne les entretiennent pas suffisamment du monde qui change, de leur vie qui se transforme, de leurs préoccupations de l'instant, mais de plus en plus de la télévision, dans un rapport malsain de fascination-répulsion. L'hémorragie du lectorat renforce le désengagement des annonceurs dans la presse, au profit d'autres média et de la télévision en particulier -la presse étant passée sous la barre des 50 % des recettes publicitaires des grands média-, ce qui induit une baisse des recettes publicitaires, laquelle, à son tour, accroît l'emprise du management sur les rédactions, au nom de la restauration d'un profit à court terme.
Dans cette conjoncture maussade, la hausse dramatique du prix du papier a réduit à néant les efforts entrepris pour reconstituer les marges érodées par la crise. Les perspectives du marché publicitaire restent sombres. Le projet de révision de la directive « Télévision sans Frontières », s'il était adopté, risquerait de fragiliser davantage la position commerciale de la presse sur ce marché. Au demeurant, on peut s'interroger sur la pertinence, à moyen terme, de l'interdiction nationale faite à tel ou tel secteur de faire de la publicité à la télévision en raison de la proche invasion des chaînes satellitaires...
La presse entre maintenant dans l'une des périodes les plus difficiles de son histoire. L'émergence de nouveaux média créée les conditions d'une transformation en profondeur du métier de journaliste, et du produit « presse ». Les nouveaux produits multimédia vont, en effet, permettre la diffusion à faible coût par tout détenteur d'une information ; de plus, ils offriront un accès direct à la source de l'information, le prix d'accès des services électroniques pouvant devenir inférieur au prix d'un quotidien. Toutefois, le marché de l'édition électronique devrait se développer d'abord dans la dimension régionale et locale.
Dans ce contexte de crise et de mutation, le précédent Gouvernement avait lancé un audit, concernant l'ensemble des aides à la presse, destiné à réviser certaines d'entre elles, afin d'aboutir à des équilibres plus dynamiques. Le retournement de conjoncture a toutefois rendu caduque toute velléité de remise en cause de quelque élément que ce soit de ces dispositifs d'aide. Votre rapporteur spécial, qui avait suggéré que le Parlement, et plus particulièrement ses rapporteurs spéciaux des crédits des aides à la presse, soient associés à cet audit, a constaté -avec regret- qu'une fois encore, le Parlement avait été tenu à l'écart de cette réflexion.
Néanmoins, pour donner une vision complète de cette procédure d'audit, la première partie du présent rapport résume les analyses des quatre rapports sur les aides à la presse, rendus publics le 25 janvier 1995. De cette démarche est résulté un nouveau plan d'aides à la presse, annoncé le 5 mai 1995. Ce plan a été repris par le Gouvernement.
Dans le contexte budgétaire actuel, on doit saluer l'effort particulier du projet de loi de finances pour 1996 en faveur de ce secteur.
Il faut également souligner que le principe de continuité républicaine a été, en la matière, respecté. Toutefois, les quatre questions, que votre rapporteur avait posées dans son rapport de l'an dernier, n'ont toujours pas obtenu de réponse, les nouvelles aides à la presse n'ayant en rien modifié l'équilibre profond du secteur, ainsi que les effets pervers induits :
- le système d'aides est-il durablement et structurellement compatible avec l'indépendance totale de la presse à l'égard de tout Gouvernement, quel qu'il soit ?
- le système d'aides est-il vraiment efficace, compte tenu du saupoudrage des crédits qui atteignent parfois seulement quelques centaines de milliers de francs ?
- doit-on privilégier « l'aide au secteur de la presse » ou « l'aide au lecteur » ?
- les aides à la presse pourront-elles encore longtemps être distinguées des aides à l'audiovisuel en raison du développement du multimédia ?
Tant que ces interrogations demeureront, on ne pourra parler réellement de réforme des aides à la presse. Mais tant que la crise durera, une telle réforme sera-t-elle possible ?