EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 19 février 2025, la commission a examiné le rapport de Mme Évelyne Renaud Garabedian sur la proposition de loi visant à lutter contre la vie chère en renforçant le droit de la concurrence et de la régulation économique outre mer.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous passons à l'examen de la proposition de loi visant à lutter contre la vie chère en renforçant le droit de la concurrence et de la régulation économique outre-mer. Nous avons le plaisir d'accueillir au sein de notre commission Victorin Lurel, qui est l'auteur de ce texte.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - Je suis plutôt habituée à traiter les questions qui concernent les Français de l'étranger, mais par association, je suis sensible à la situation des territoires ultramarins, compte tenu de leur éloignement géographique et du problème de cherté de la vie qui peut également s'y poser.

J'ai conduit plusieurs auditions auxquelles j'ai systématiquement invité notre collègue Victorin Lurel ; je le remercie d'avoir partagé ses connaissances sur le sujet.

Ces auditions m'ont permis d'échanger avec des représentants de la direction générale des outre-mer (DGOM), de l'Autorité de la concurrence, de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR), de la Fédération des entreprises des outre-mer (Fedom), du médiateur des relations commerciales agricoles et de la Banque de France, en particulier de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (Iedom).

La cherté de la vie dans les outre-mer est une réalité que tout le monde entend combattre. Elle résulte de plusieurs facteurs économiques : une production locale réduite, en raison des caractéristiques des territoires ; l'éloignement géographique, qui conduit à des coûts de transport élevés ; une taxe spécifique, l'octroi de mer, imposée à l'entrée des marchandises sur les territoires ultramarins ; des marchés de taille limitée qui rendent impossibles des économies d'échelle.

Il existe un autre facteur largement sous-estimé, alors qu'il est sans doute le plus grave, celui de la faible concurrence. Dans la plupart des secteurs, des entreprises en nombre très restreint contrôlent le marché. Ces monopoles ou oligopoles maintiennent des prix élevés et semblent dégager des marges importantes, qu'elles soient prélevées par les intermédiaires ou, surtout, directement réalisées par les distributeurs.

J'ajoute que les coûts élevés en matière d'importation, de logistique ou de fiscalité pour entrer sur le marché rendent difficile l'émergence de nouveaux concurrents et favorisent ainsi la concentration des acteurs locaux.

En outre-mer, le prix des produits est en moyenne plus élevé de 40 % par rapport à l'Hexagone. Les écarts se sont même accrus ces dix dernières années aux Antilles, à La Réunion et à Mayotte. On comprend dès lors les mobilisations récurrentes contre la vie chère dans ces territoires, à l'instar de celle qui a débuté en septembre 2024 en Martinique.

Je partage bien évidemment le constat de M. Lurel. L'objectif est de s'attaquer aux causes de la vie chère dans les outre-mer, et non pas seulement aux conséquences les plus visibles. Il convient d'établir un marché réellement concurrentiel en luttant contre les monopoles.

L'article 22 de la loi relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, portée par M. Lurel en 2012, lorsqu'il était ministre des outre-mer, donnait au préfet la possibilité de demander aux entreprises bénéficiant d'une aide publique de lui transmettre leurs comptes sociaux et leur comptabilité analytique.

L'article 1er de la présente proposition de loi vise à renforcer les obligations de transparence pesant sur les entreprises, en prévoyant une transmission systématique et annuelle des comptes sociaux et de la comptabilité analytique d'un plus grand nombre d'entreprises aux préfets et aux OPMR.

Il prévoit également une transmission trimestrielle systématique du taux de marge, des prix d'achat et de vente et des prix de cession interne pour les filiales détenues à plus de 25 % par leur société mère aux préfets, à l'Insee et aux OPMR.

Ce dispositif est trop lourd à gérer pour les services de l'État et nécessiterait obligatoirement une embauche de personnel qualifié. En outre, rien ne garantit que ces services l'utiliseront de façon à renforcer la transparence et la concurrence outre-mer, d'autant que les marges, les prix et les coûts ne sont pas une information normée, contrairement aux comptes sociaux, et dépendent d'options comptables différentes selon les groupes.

Dans ces conditions, ces données sont impossibles à exploiter, surtout qu'elles sont confidentielles et stratégiques. Seule l'entreprise peut décider de les communiquer aux banques, à l'administration fiscale et à d'autres organismes publics.

Enfin, il est évident que ce dispositif ne va pas dans le sens d'une simplification de la vie des entreprises. Il pourrait même être dissuasif pour des entreprises qui voudraient s'implanter en vue de créer une concurrence, notamment sur de plus petites surfaces.

La transparence comptable des entreprises est une exigence à la fois du droit communautaire et du droit national, mais le dispositif envisagé n'améliorera pas la situation, d'autant que l'article L. 232-21 du code de commerce oblige les sociétés commerciales à déposer chaque année leurs documents comptables et juridiques aux greffes du tribunal de commerce. Aujourd'hui, seuls 24 % des entreprises opérant en Martinique respectent cette obligation.

Au lieu de superposer les textes, il convient d'appliquer le droit existant et de renforcer les sanctions intuitu personae. À l'article 1er, M. Lurel et moi-même nous sommes mis d'accord pour mettre en place une nouvelle procédure donnant aux préfets le pouvoir de demander au président du tribunal de commerce, statuant en référé, d'adresser une injonction aux dirigeants défaillants en vue de les contraindre à déposer les comptes de leur société.

La sanction en cas de non-transmission des comptes pourrait prendre la forme d'une injonction, avec une astreinte pouvant aller jusqu'à 5 % du chiffre d'affaires journalier. Cette sanction s'appliquerait au dirigeant et non pas à l'entreprise, car il s'agit en l'espèce d'une responsabilité personnelle.

L'article 2 prévoit de modifier six dispositions du code de commerce. Il limite l'opposabilité du secret des affaires lorsque l'État demande à une entreprise régulée ou subventionnée de lui transmettre ses comptes sociaux et sa comptabilité analytique ; il étend les situations dans lesquelles les prix peuvent être réglementés par les pouvoirs publics ; il abaisse les seuils de notification au-delà desquels les opérations de concentration d'entreprises doivent être notifiées à l'Autorité de la concurrence ; il élargit les possibilités de saisine de l'Autorité de la concurrence ; il complète les missions des commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC) ; enfin, il renforce les prérogatives des OPMR.

Par cohérence avec les dispositions proposées à l'article 1er, M. Lurel et moi-même avons proposé de supprimer la mesure de coordination relative au secret des affaires et l'extension des situations dans lesquelles le Gouvernement peut réglementer les prix à titre dérogatoire, les situations envisagées étant déjà largement couvertes par le droit existant.

Le seuil de notification au-delà duquel les opérations de concentration doivent être notifiées à l'Autorité de la concurrence serait abaissé de 5 millions à 3 millions d'euros pour le seul secteur du commerce de détail.

Par ailleurs, à l'article 2, nous proposons de renforcer les prérogatives des OPMR - ces derniers pourront ainsi directement saisir les agents de la DGCCRF - et d'étendre la possibilité de saisine de l'Autorité de la concurrence aux départements d'outre-mer, ainsi qu'aux CDAC pour les entreprises détenant une part de marché de 25 % d'une zone de chalandise, au lieu de 50 % actuellement.

L'article 3 vise, quant à lui, à rendre éligibles à l'aide au fret, en plus des matières premières à transformer, les produits de première nécessité. Il précise que les opérateurs qui en bénéficient doivent apporter aux autorités les éléments utiles permettant d'établir la répercussion effective de cette aide sur les prix de commercialisation des produits. Je propose de supprimer cet article, car l'article 10 de la proposition de loi portant diverses dispositions d'adaptation du droit des outre-mer, déposée par notre collègue Micheline Jacques et signée par M. Lurel, prévoit déjà d'étendre l'aide au fret aux produits de première nécessité. Je vous suggère donc de renvoyer le débat de fond à l'examen de ce texte. L'extension proposée pourra ainsi être davantage expertisée afin d'évaluer sa faisabilité technique, son coût pour les finances publiques et, surtout, son efficacité dans la lutte contre la vie chère en outre-mer. Gardons à l'esprit qu'une telle extension est susceptible de renforcer la position dominante de certaines entreprises, mais, bien calibrée, pourrait favoriser l'émergence de nouveaux entrepreneurs sur le marché ultramarin.

Il me reste à vous présenter le périmètre retenu pour juger de la recevabilité des amendements en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents. Sont susceptibles de présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé les dispositions relatives à la communication par les entreprises établies en outre-mer de leurs comptes sociaux, de leur comptabilité analytique, de leurs marges, de leurs prix d'achat et de vente et, pour les filiales, de leurs prix de cession interne ; aux sanctions liées à l'absence de communication de ces informations ; à la non-opposabilité du secret des affaires en cas de sanctions liées à l'absence de communication de ces informations ; aux situations dans lesquelles les prix peuvent être réglementés en outre-mer à titre dérogatoire par les pouvoirs publics ; à la fixation des seuils au-delà desquels les opérations de concentration situées dans les territoires ultramarins doivent être notifiées à l'Autorité de la concurrence ; aux possibilités de saisine de l'Autorité de la concurrence ; aux compétences des OPMR d'outre-mer ; aux produits éligibles à l'aide au fret.

Il en est ainsi décidé.

M. Victorin Lurel, auteur de la proposition de loi. - Je vous remercie de m'accueillir au sein de votre commission ce matin. Voilà plus de vingt ans que je combats l'opacité sur les marchés ultramarins et que je milite pour y renforcer le droit de la concurrence et la régulation. Pour engager une révolution en ce domaine, il faudrait voter une vingtaine de propositions de loi comme celle-ci.

La proposition de loi soumise à votre examen aujourd'hui est de nature à faire avancer les choses. La rapporteur et moi-même avons trouvé un compromis raisonnable, mais il faudra aller beaucoup plus loin. À cet égard, le Gouvernement, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, a exprimé sa volonté d'élaborer un grand texte relatif à la lutte contre la vie chère outre-mer. Renforcer l'arsenal juridique existant, qui reste souvent inappliqué, faute de volonté politique, ne permettra pas d'améliorer fortement la situation. Il faudrait aussi que le Gouvernement prenne les choses en main.

L'écart de prix des produits alimentaires entre l'Hexagone et les outre-mer est considérable, mais on pourrait aussi parler du prix des télécommunications, de l'automobile, de l'achat de pièces détachées et des réparations dans les garages, des tarifs aériens, du monopole de Canal+. Cependant, lorsqu'on tente de lever l'opacité sur les pratiques commerciales, on nous oppose le secret des affaires.

On pointe souvent du doigt les grands groupes, notamment le groupe Bernard Hayot (GBH), qui est emblématique. Mais n'oublions pas toutes les autres entreprises. Si 73 groupes dominaient traditionnellement les marchés de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane et de Saint-Martin, toutes les entreprises, grandes et petites, contribuent à l'inflation des prix outre-mer.

De même, il n'y a pas lieu de faire de distinctions entre les commerçants les professions libérales. Ces dernières sont habituées à facturer des surcoûts ; je pense en particulier aux pharmaciens et aux notaires.

Les cumuls de marges pénalisent en aval le consommateur. Voilà pourquoi je me réjouis qu'un compromis ait pu être trouvé sur ma proposition de loi. Je défendrai trois amendements en séance afin de remédier aux revenus à perte, au contournement de la législation au détriment des petites entreprises et aux marges arrière, lesquelles peuvent atteindre jusqu'à 25 % du chiffre d'affaires.

Bref, il faut des mesures raisonnables et pas trop lourdes sur le plan bureaucratique qui renforcent la transparence des entreprises opérant outre-mer.

M. Lucien Stanzione. - Notre groupe a fait le choix fort de consacrer sa niche parlementaire à un enjeu majeur pour nos concitoyens d'outre-mer : la lutte contre la vie chère. Je salue le travail de notre collègue Victorin Lurel, qui poursuit avec constance son combat contre les inégalités économiques qui frappent les territoires ultramarins.

Les contraintes législatives ont certes conduit à élaborer un texte resserré en trois articles. Il n'empêche que ce dernier constitue une avancée significative et un point d'appui indispensable pour la suite.

Le texte envoie un signal clair : il est hors de question de laisser les ultramarins prisonniers d'un système économique inéquitable. Il s'agit avant tout de renforcer la pression sur les entreprises qui sont encore trop nombreuses à ne pas respecter leurs obligations légales de dépôt des comptes sociaux.

Il y a là un enjeu de transparence essentiel pour accéder aux comptes et les analyser. Dans ces conditions, il serait possible d'identifier les mécanismes de formation des prix et d'accumulation des marges. D'autres mesures, retenues à l'issue des échanges entre M. Lurel et la rapporteur, permettront aux acteurs d'alerter l'Autorité de la concurrence en amont sur les opérations de concentration.

Nous regrettons que certaines dispositions aient été supprimées. Toutefois, nous souhaitons avancer dans le même esprit constructif que celui qui a présidé à l'élaboration de ce texte, notamment en traitant en séance les problèmes de marges arrière et de reventes à perte.

Notre groupe espère vous convaincre que nous pouvons aller plus loin pour améliorer les conditions de vie de nos concitoyens ultramarins.

Mme Antoinette Guhl. - Notre groupe est tout à fait favorable à cette proposition de loi, qui constitue une avancée significative. Comme l'a dit notre collègue Lucien Stanzione, elle envoie un signal clair pour combattre les inégalités de prix entre l'outre-mer et l'Hexagone. Nous devrions garantir un égal accès aux produits vitaux, tels que les produits alimentaires et les véhicules.

Par rapport à l'Hexagone, les prix alimentaires sont supérieurs de 42 % en Guadeloupe, de 40 % en Martinique, de 39 % en Guyane, de 37 % à La Réunion et de 30 % à Mayotte. Le niveau de pauvreté dans ces territoires est tel qu'il est impossible de laisser prospérer des prix aussi élevés. Cela nous conduit à nous interroger non seulement sur le taux d'importation et la distance d'approvisionnement des produits, mais aussi sur les marges des distributeurs et la prolifération des oligopoles et monopoles.

M. Lurel a affirmé que toutes les entreprises contribuent à la cherté de la vie en outre-mer. Pour notre part, nous considérons que ce sont les grandes entreprises qui sont les principales responsables. Alors qu'elles importent massivement et réalisent des marges considérables, elles refusent de transmettre leurs comptes : c'est une attitude de voyous !

Cette proposition de loi apparaît donc salutaire face aux entreprises qui refusent de respecter les règles élémentaires du commerce.

Les amendements présentés par la rapporteur ne nous conviennent pas, car ils auront pour effet d'amoindrir la portée du texte. Les entreprises ne peuvent plus s'abriter derrière l'argument du secret des affaires et de la difficulté de contrôler les marges.

M. Fabien Gay. - Nous partageons l'ambition poursuivie par ce texte. Concernant les monopoles et les duopoles, il y deux solutions : soit on adopte cette proposition de loi, ce qui permettra de renforcer la transparence sur les prix au terme d'un rapport de force qui sera long, soit nous ordonnons l'étatisation des entreprises concernées. Il est parfois nécessaire d'exclure du marché certains secteurs, tels que l'énergie, la santé, l'éducation et l'alimentation.

Il faut faire la transparence non seulement sur les marges, mais aussi sur les aides publiques assez considérables qui sont versées aux entreprises. En attendant, ce sont les consommateurs ultramarins qui paient la facture plein pot, alors qu'ils perçoivent des salaires souvent plus bas que dans l'Hexagone et ont du mal à se loger étant donné le prix exorbitant des loyers. Une autre solution consisterait donc à augmenter très significativement les salaires de nos concitoyens ultramarins.

Une chose est sûre, les entreprises ne peuvent plus opposer le secret des affaires, qu'elles ont toujours brandi comme l'arme ultime. Notre collègue Antoinette Guhl a raison, les amendements de la rapporteur atténuent la portée du texte. Cela dit, l'article 3 va dans le bon sens. Mettons-nous d'accord pour réduire le prix de 150 produits de première nécessité : il n'est pas question de plafonner les prix, mais nous pourrions, par exemple, appliquer un taux de TVA réduit.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Lors de l'examen des différentes lois pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dites Égalim, nous avions beaucoup parlé du bouclier qualité-prix. Il semble que ce dispositif, pourtant laissé à la main des préfets et revu annuellement, ne fonctionne pas.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - Nous sommes tous d'accord, la cherté de la vie en outre-mer est un problème de fond. Vu les délais impartis pour élaborer et examiner cette proposition de loi, je n'ai pas pu prendre en compte tous les aspects du sujet. Les questions que j'ai posées dans le cadre des auditions seraient formulées d'une manière bien différente aujourd'hui, car j'ai pris connaissance d'éléments nouveaux au cours de nos travaux.

Vous le savez, je suis cheffe d'entreprise et j'essaie de comprendre la façon dont les marges en outre-mer sont calculées. En dehors des comptes sociaux, il est difficile de voir comment les entreprises fixent leurs prix et réalisent leurs marges.

Toutes les mesures existantes, notamment la transmission des comptes sociaux aux préfets, sont restées infructueuses. Je ne suis donc pas convaincue qu'il faille y ajouter des mesures supplémentaires.

Le véritable problème réside dans l'absence de respect de l'obligation de dépôt des comptes. En principe, les sociétés sont tenues d'informer les greffes des tribunaux de commerce de toute modification de leurs statuts, ce qui inclut les changements d'actionnaires et les comptes sociaux. En outre, les commissaires aux comptes tiennent à jour un certain nombre de documents. Il s'agit donc d'une source d'informations très importante, conservée par les tribunaux de commerce.

L'an dernier, quatre associations ont engagé un contentieux à l'encontre d'un grand groupe établi en outre-mer. Avant même que la décision juridictionnelle ne soit rendue, ce dernier a fourni les éléments de comptabilité concernant ses marges, ses prix et son chiffre d'affaires. Nous devrions donc d'abord veiller à ce que l'obligation de dépôt des comptes soit respectée, en infligeant une sanction financière conséquente non pas à l'entreprise, mais au dirigeant.

Du reste, l'extension de l'aide au fret apparaît comme une bonne mesure, mais nous devons être certains qu'elle ne profitera pas aux monopoles et oligopoles existants. Elle doit être cadrée afin de bien servir aux nouveaux entrepreneurs et aux petites entreprises. La lutte contre les marges arrière des distributeurs constitue aussi le nerf de la guerre contre la vie chère.

M. Victorin Lurel. - En vertu de l'article 73 de la Constitution, nous demandons de cantonner la lutte contre les marges arrière aux outre-mer, bien que cette question se pose de façon tout aussi complexe dans l'Hexagone.

Aujourd'hui, nous disposons d'un arsenal de moyens que l'État et les gouvernements successifs n'ont pas voulu appliquer. Par exemple, l'Autorité de la concurrence peut délivrer des injonctions structurelles en outre-mer pour contraindre les entreprises à céder des actifs. Notez que l'application de cette mesure sur le territoire métropolitain a été censurée, car elle contrevenait au droit de propriété.

Le bouclier qualité-prix fonctionne bel et bien ; des négociations ont lieu chaque année. Édouard Balladur avait supprimé l'ordonnance de 1945 relative aux prix. Depuis, c'est le marché qui régule lui-même les prix en outre-mer, hormis pour les carburants, les tarifs de taxis ou les baux ruraux.

La méthode hégémonique, qui consiste en une négociation modérée des prix, ne donne pas de résultats. M. Hayot a été condamné pour ne pas avoir respecté l'obligation légale de dépôt des comptes, ce qui est un autre sujet.

Cette proposition de loi ne suffira pas à renforcer la transparence et la concurrence. Certes, la saisine en référé du président du tribunal de commerce et l'astreinte financière infligée aux dirigeants d'entreprise constituent de vraies avancées. Cependant, qui va informer le préfet que telle ou telle entreprise n'a pas déposé ses comptes ?

Il faudrait que le ministère prenne une circulaire pour faire de cette saisine une priorité de l'action territoriale. Au-delà, nous attendons une loi globale imposant davantage d'obligations. C'est déjà le cas pour les facilités essentielles, telles que les ports et les aéroports, les bateaux et la communication par satellite.

Au demeurant, j'approuve la nécessité d'encadrer les aides au fret. Cela devrait être fait par décret en Conseil d'État. Un protocole a bien été signé en Martinique après les émeutes urbaines, mais l'État n'a encore rien fait, en raison de la dissolution de l'Assemblée nationale.

Nous examinerons bientôt des textes actant une réduction du taux de TVA de 2,1 % à 0 %, compensée par l'augmentation de produits qui coûtent plus cher. Nous aurons également l'occasion de discuter de l'octroi de mer, même si, sur ce sujet, la Guadeloupe ne souhaite pas suivre la Martinique en dépit de l'existence d'un marché unique.

Encore une fois, nous disposons d'un bon arsenal de moyens, mais la volonté politique et le temps nécessaire pour réfléchir à ces évolutions font défaut. Nous avons besoin d'un choc régalien : l'État doit réguler sérieusement les prix et renforcer la transparence, sans pour autant gêner les entreprises dans leurs investissements.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - Le problème de fond est l'application de la loi, comme dans tous les domaines. En effet, il existe de nombreux dispositifs, mais ils ne sont pas mis en oeuvre.

M. Victorin Lurel. - C'est parce que l'État est absent !

Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - En vertu de la loi Lurel de 2012, toute personne intéressée peut saisir le tribunal de commerce en référé pour contraindre une entreprise à transmettre ses comptes au préfet. Il reste toutefois un problème : les préfectures et les OPMR ne disposent pas du personnel compétent pour analyser les comptes.

M. Philippe Grosvalet. - J'avais conseillé au ministre des outre-mer de consulter le site internet Kiprix, inventé par un jeune Martiniquais, qui compare le prix de 30 000 produits, plutôt que de faire appel à des bureaux d'études.

On parle beaucoup du coût du transport. Il se trouve que le port de Montoir, situé dans mon département, est le dernier port duquel partent les produits frais en direction des Antilles. Or il a vocation à disparaître : les bateaux seront ainsi contraints de passer par Le Havre, ce qui renchérira encore le prix des produits expédiés en outre-mer.

Pour une plaquette de beurre, le prix du transport maritime s'élève à 0,08 centime d'euros et à 0,10 centime si l'on tient compte des frais qui précèdent et succèdent à l'acheminement, ce qui est peu. Vu les surcoûts pratiqués par les entreprises, il y a de la marge pour faire respecter la loi !

M. Fabien Gay. - Soyons clairs, nous allons voter un texte pour demander qu'on applique la loi : c'est bien le signe de notre impuissance collective. Les chefs d'entreprise disposent d'un mois pour déposer les comptes sociaux au tribunal de commerce et de deux mois par voie dématérialisée. Or, comme on le dit depuis tout à l'heure, beaucoup d'entre eux ne se conforment pas à la loi. Je crains que cette proposition de loi n'amoindrisse le combat contre la vie chère. Doit-on élaborer un texte à chaque fois qu'une loi n'est pas respectée ? En poursuivant ce genre de logique, nous n'envoyons pas un signal très positif...

Du reste, je comprends qu'on alourdisse la sanction financière en cas de non-respect de l'obligation légale de dépôt des comptes, mais pourquoi devrait-on uniquement l'appliquer au dirigeant ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - L'article 1er, tel que la rapporteur propose de le modifier, sera bien plus efficace que les dispositifs en place.

M. Franck Montaugé. - Cette proposition de loi touche au pouvoir de vivre de nos concitoyens au quotidien ; c'est un sujet auquel les sénateurs socialistes tiennent beaucoup. Malgré le principe d'égalité, qui est inscrit dans le triptyque de nos valeurs républicaines, on sent derrière la situation du pouvoir d'achat en outre-mer un relent de néocolonialisme. En effet, la persistance de la vie chère dans les territoires ultramarins sape le fondement même des principes de la République.

Notre collègue Fabien Gay a raison : nous sommes obligés, à la faveur de textes nouveaux, de légiférer pour faire respecter la loi. Cela pose une vraie question de fond eu égard aux valeurs républicaines que nous avons en partage.

Reste que je tiens à saluer le travail qui a été accompli par la rapporteur et l'auteur de cette proposition de loi. J'espère que les intentions affichées par le Gouvernement nous permettront, à terme, de respecter le droit constitutionnel, en particulier le principe d'application de la loi sur tout le territoire.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - L'amendement COM-2 vise à supprimer le dispositif de transmission systématique des comptes au préfet. La lourdeur administrative est dissuasive non seulement pour les nouveaux entrepreneurs, mais aussi pour les services de l'État, qui ne pourront utiliser les données des entreprises financières pour renforcer la transparence et la concurrence en outre-mer.

M. Lurel et moi-même avons trouvé une rédaction de compromis pour créer une nouvelle procédure de référé et pour accentuer les sanctions appliquées aux dirigeants des entreprises défaillantes. L'astreinte peut ainsi atteindre jusqu'à 5 % du chiffre d'affaires journalier.

J'en profite pour répondre à la question de M. Gay. Le dépôt des comptes sociaux auprès du tribunal de commerce dépend du dirigeant de l'entreprise. Si celui-ci ne respecte pas cette obligation, il est personnellement responsable et doit s'acquitter de la sanction qui lui est infligée en propre. De son côté, l'entreprise n'aura pas le droit de reprendre cette dette et de la déduire de ses comptes.

Mme Antoinette Guhl. - Le groupe Bernard Hayot réalise chaque année 5 milliards d'euros de chiffre d'affaires. En vertu de cette proposition de loi, son dirigeant devrait s'acquitter au bout d'un an d'une astreinte de 250 millions d'euros pour manquement à l'obligation de dépôt des comptes. La confusion entre l'entreprise et le dirigeant va à l'encontre de toute réflexion économique habituelle. Il est impératif de séparer la personne morale de la personne physique.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - Juridiquement, la notion de groupe n'existe pas. L'indemnité a donc vocation à s'appliquer à une seule société identifiée, laquelle ne peut donc concentrer l'intégralité du chiffre d'affaires.

Et, encore une fois, c'est au dirigeant de s'acquitter de l'astreinte, car, en tant que salarié de l'entreprise, il engage sa responsabilité personnelle, de la même façon que lorsqu'un accident grave du travail se produit.

Mme Antoinette Guhl. - En droit, la confusion entre le dirigeant et l'entreprise ne peut exister. Nous sommes d'accord avec le fait d'infliger une astreinte au dirigeant, mais celle-ci ne saurait être basée sur le chiffre d'affaires de l'entreprise.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - La sanction contre le dirigeant est déjà prévue par le code de commerce. Cependant, son montant est trop faible pour être dissuasif : la preuve, c'est que seuls 24 % des entreprises opérant en Martinique respectent l'obligation de déposer leurs comptes. En faisant correspondre le montant de la sanction à un plafond de 5 % du chiffre d'affaires, on incite davantage les dirigeants à déposer les comptes sociaux.

M. Lucien Stanzione. - Je précise que notre groupe votera les amendements de la commission, compte tenu de l'accord auquel sont parvenus la rapporteur et M. Lurel, mais nous profiterons de la séance publique pour revenir sur un certain nombre de points.

L'amendement COM-2 est adopté.

L'article 1er est ainsi rédigé.

Article 2

Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - L'amendement COM-3 recentre l'article 2 sur certaines dispositions. Pour le secteur du commerce de détail, il a pour objet d'abaisser le seuil de notification à l'Autorité de la concurrence des opérations de concentration à 3 millions d'euros de chiffre d'affaires annuels.

Il vise également à renforcer les prérogatives des OPMR en leur permettant de saisir les agents de la DGCCRF. Enfin, il élargit la possibilité de saisir l'Autorité de la concurrence aux départements d'outre-mer et aux CDAC pour les cas d'entreprises détenant une part de marché de 25 % d'une zone de chalandise, au lieu de 50 % aujourd'hui.

L'amendement COM-3 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 3

Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - L'amendement COM-4 vise à supprimer l'article 3, car la proposition de loi portant diverses dispositions d'adaptation du droit des outre-mer prévoit déjà d'étendre l'aide au fret aux produits de première nécessité.

Cette extension doit être expertisée afin que l'on puisse évaluer son coût et son efficacité en matière de lutte contre la vie chère, l'objectif étant de ne pas favoriser davantage les monopoles en place.

L'amendement COM-4 est adopté.

L'article 3 est supprimé.

Article 4

L'article 4 est adopté sans modification.

Après l'article 4

L'amendement COM-1 rectifié a été déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Les sorts de la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er

Mme RENAUD-GARABEDIAN, rapporteur

2

Réécriture de l'article.

Adopté

Article 2

Mme RENAUD-GARABEDIAN, rapporteur

3

Recentrage de l'article sur certaines dispositions.

Adopté

Article 3

Mme RENAUD-GARABEDIAN, rapporteur

4

Suppression de l'article.

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 4

M. CANÉVET

1 rect.

Création d'un taux différentiel pour les ciments produits localement par des assujettis à l'octroi de mer interne.

Irrecevable art. 45, al. 1 C (cavalier)

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