B. DES DÉTOURNEMENTS D'USAGE EN HAUSSE APPARENTE
1. Une augmentation spectaculaire des signalements par les autorités sanitaires
Le réseau d'addictovigilance2(*) rapporte une hausse significative du nombre de cas notifiés par les professionnels de santé : 458 en 2023 contre 120 en 2020, soit près de 4 fois plus en 3 ans. L'augmentation du nombre de cas graves suit la même évolution, passant de 84 en 2020 à 314 en 2023. Selon les experts, le potentiel addictif du protoxyde d'azote est « pharmacologiquement plausible »3(*).
Toutefois, ces données ne témoignent pas de la prévalence de la consommation récréative de protoxyde d'azote en population générale. Elles ne reflètent que les cas ayant donné lieu à une prise en charge médicale au sein d'un établissement.
2. Une consommation qui reste circonscrite et peu documentée
L'évolution de la consommation du protoxyde d'azote à des fins récréatives n'est pas précisément documentée. Les enquêtes en population générale conduites par Santé publique France et l'OFDT en 2022 constituant des T0 en termes de mesure de la prévalence, il en résulte une difficulté à objectiver les dynamiques de consommation.
Elles proposent néanmoins une photographie du phénomène, qui reste circonscrit si on le compare aux données de consommation du tabac, de l'alcool4(*) ou du cannabis.
Données de consommation de protoxyde
d'azote
dans l'année en population adulte en France, 2022
Source : Santé publique France
En 2022, 4,3 % des adultes déclaraient avoir déjà expérimenté le protoxyde d'azote. 61 % d'entre eux avaient entre 18 et 24 ans. Moins de 1 % en avaient consommé dans l'année. La majorité des expérimentations et des consommateurs se situe dans la tranche des 18-34 ans, et l'âge moyen du consommateur est de 25 ans5(*). Parmi les 15-18 ans, 5,4 % déclaraient une expérimentation6(*). La part des mineurs dans les signalements au réseau d'addicto-vigilance est inférieure à 10 %.
C. UNE VISIBILITÉ NOUVELLE LIÉE À L'ÉCHO MÉDIATIQUE DU PHÉNOMÈNE
1. Des conséquences sanitaires potentiellement graves
Les usages détournés du protoxyde d'azote peuvent provoquer des symptômes cliniques graves, à rebours de l'image d'innocuité du produit que favorise son caractère licite.
En population générale, les risques immédiats d'une consommation ponctuelle non massive sont bien documentés : vertiges, désorientation, troubles de la conscience, chutes, hypoxie et convulsions, brûlures cutanées et oropharyngées... Ces situations tendent à engendrer des accidents de la voie publique.
En outre, les données d'addictovigilance témoignent de consommations de doses de plus en plus élevées, augmentant les risques associés : les complications neurologiques sont les plus fréquemment rapportées, après les troubles de l'usage, tandis que les complications cardiovasculaires de type thrombotique et les troubles psychiatriques sont en hausse.
Enfin, le 16 mars 2023, le comité d'experts de l'agence européenne des produits chimiques (ECHA) a classé le protoxyde d'azote comme produit neurotoxique et reprotoxique (1B)7(*). Ce classement, qui doit être confirmé par la Commission européenne, pourrait donner lieu à de nouvelles interdictions ou restrictions de vente du protoxyde d'azote ; des dérogations ciblées pourraient toutefois être maintenues, par exemple pour la vente de petites cartouches.
Qualification d'un produit en tant que « stupéfiant »
Environ 200 substances sont actuellement classées comme stupéfiants par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), inscrites à ce titre dans l'arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des substances classées comme stupéfiants.
Ce classement est établi à partir d'une évaluation de la toxicité d'une substance, de son intérêt thérapeutique et de son potentiel d'abus ou de dépendance par l'ANSM, en fonction des critères établis par l'OMS.
Un classement en tant que stupéfiant a pour conséquence l'interdiction de fabriquer, de vendre ou de distribuer, de détenir et de faire usage de la substance, sous peine de sanctions pénales.
2. Des manifestations dans l'espace public qui engendrent des troubles à la tranquillité, à la salubrité et à la sécurité publiques
Les collectivités territoriales sont directement confrontées aux conséquences de la consommation récréative de protoxyde d'azote, qui s'accompagne d'attroupements sur la voie publique, de comportements agressifs et de prises de risque sur la voirie. La mise en cause du protoxyde d'azote dans la survenue d'accidents de la route semble également régulière, bien qu'aucun dispositif technique ne permette de détecter une consommation immédiate.
De nombreuses municipalités et préfectures ont ainsi pris des arrêtés visant à interdire l'usage et la détention de protoxyde d'azote dans l'espace public. Toutefois, ces arrêtés sont nécessairement limités dans le temps et dans l'espace.
Plusieurs pays européens font face à une augmentation des usages détournés de protoxyde d'azote. L'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies analyse les causes de ce phénomène et documente les situations nationales, dans un rapport publié en 20228(*).
L'abandon de bonbonnes et de bouteilles de protoxyde d'azote sur la voie publique est devenu une problématique aiguë de gestion des déchets. La mairie de Saint-Ouen indique par exemple avoir ramassé plus de 2 000 bouteilles en 2024, hors ramassage de voirie, contre moins de 300 en 2021. En 2023, la ville de Lyon indiquait avoir collecté 7 tonnes de bonbonnes de gaz de protoxyde d'azote.
* 2 Données recueillies par les centres d'évaluation et d'information de pharmacodépendance-addictovigilance.
* 3 Caroline Victorri-Vigneau, présidente de l'association française des centres d'addictovigilance.
* 4 Le tabac et l'alcool sont respectivement responsables d'environ 75 000 et 49 000 décès chaque année en France.
* 5 Santé publique France, Niveaux de consommation du CBD et du protoxyde d'azote en population adulte en France métropolitaine en 2022, 26 octobre 2023.
* 6 Données de l'OFDT, enquête ENCLASS menée chez les lycéens de 15 à 18 ans, 2022.
* 7 Classification établie sur la base du règlement CLP N° 1272/2008 du Parlement européen relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage des substances chimiques et des mélanges.
* 8 EMCDDA, Recreational use of nitrous oxide : a growing concern for Europe, novembre 2022.