EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 19 FÉVRIER 2025

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous en venons à l'examen du rapport sur la proposition de loi relative à la consultation du Parlement sur la nomination de membres français dans certaines institutions européennes.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Hasard du calendrier parlementaire, cette proposition de loi s'inscrit parfaitement dans le thème de cette matinée, consacrée au contrôle par le Parlement de certaines nominations, dont celle de Philippe Bas qui, jusqu'à sa présentation par le président du Sénat comme candidat aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel, était chargé du rapport sur ce texte et que je remplace au pied levé.

Présentée par notre collègue Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, cette proposition de loi pose la question du rôle du Parlement dans les procédures de nomination à certaines fonctions dans les institutions de l'Union européenne.

Elle a été déposée après la désignation, en septembre dernier, de Stéphane Séjourné comme candidat aux fonctions de membre de la Commission européenne. Faite dans l'urgence et dans les circonstances que vous connaissez, cette désignation, annoncée par communiqué de presse par le Président de la République, a suscité quelques interrogations. Intervenant peu après le résultat des élections législatives, elle a surtout agi comme un révélateur de l'opacité des conditions de cette désignation et de l'absence du Parlement dans ce processus.

Au-delà de cet élément d'actualité, cette proposition de loi s'inscrit dans le prolongement de travaux antérieurs du Sénat en la matière.

En mai 2024, le rapport du groupe de travail transpartisan sur les institutions, qui s'est réuni sous la présidence de Gérard Larcher, recommandait de revoir les modalités de désignation des membres français de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) et de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) en organisant une audition préalable des candidats par les commissions spécialisées des deux assemblées. En 2022, le rapport de la mission d'information sur la judiciarisation de la vie publique, élaboré par mon ancien collègue Philippe Bonnecarrère, préconisait également d'envisager « l'audition des candidats aux fonctions de juge et d'avocat général à la CJUE par les commissions permanentes compétentes du Sénat et de l'Assemblée nationale ».

En effet, alors que le droit de l'Union européenne occupe une place croissante dans notre ordre juridique, l'absence totale d'association du Parlement dans la désignation des candidats présentés par la France pour occuper certaines fonctions est très regrettable. Elle constitue une véritable anomalie démocratique.

Comme le relève d'ailleurs l'exposé des motifs de la proposition de loi, de nombreux États membres associent les parlements nationaux aux processus de désignation : ceux-ci participent à la désignation du commissaire européen dans dix États membres, à la désignation des membres de la CJUE et du Tribunal de l'Union européenne (UE) dans onze États membres et, dans neuf d'entre eux, à la désignation des membres de la Cour des comptes européenne.

Précisons-le d'emblée, quand bien même les fonctions en cause sont exercées dans les institutions de l'Union européenne, les conditions de désignation des candidats par les autorités des États membres est une question purement nationale.

En effet, s'ils régissent les conditions de nomination à ces fonctions, les traités européens laissent au droit interne de chaque État membre la détermination des conditions dans lesquelles les candidats sont proposés, sous réserve d'exigences générales tenant à l'indépendance et à la compétence des candidats.

Or, le droit français est silencieux sur les conditions dans lesquelles les candidats sont désignés par les autorités françaises. L'ambiguïté concerne aussi l'autorité compétente pour désigner les candidats, particulièrement s'agissant du commissaire européen.

Pour ce poste, l'usage récent semble réserver au Président de la République le soin d'annoncer par courrier le choix des autorités françaises au président élu de la Commission européenne. Le rôle réservé au Premier ministre n'est pas clair. Il convient toutefois de souligner que le communiqué de presse annonçant la désignation de Stéphane Séjourné mentionnait qu'elle était intervenue « en accord avec le Premier ministre ».

La compétence exclusive du Président de la République ne paraît trouver aucun fondement évident dans la Constitution, notamment pas dans son article 13, qui ne mentionne que les emplois civils et militaires de l'État.

La question de la compétence se pose avec une acuité particulière en cas de cohabitation. Lors la dernière désignation intervenue lors d'une cohabitation, en 1999, le Président de la République et le Premier ministre s'étaient partagé le choix des candidats qu'ils avaient conjointement proposés, la France disposant alors de deux postes de commissaire européen.

La proposition de loi tend à imposer la consultation du Parlement, préalablement à leur désignation, s'agissant des candidats présentés par la France pour les fonctions de commissaire européen (article 1er), de membre de la Cour des comptes européenne (article 2) et de juge et d'avocat général de la CJUE et de juge du Tribunal de l'Union européenne (article 3).

Les trois articles prévoient chacun l'audition publique des candidats devant la commission des affaires européennes de chaque assemblée, qui serait également ouverte pour les candidats pressentis au poste de commissaire européen, à « l'ensemble des membres des commissions permanentes », à l'exception du président du Sénat qui n'est membre d'aucune commission ; pour les candidats pressentis aux fonctions de membre de la Cour des comptes européenne, aux membres des commissions des finances ; et pour les candidats aux fonctions auprès de la CJUE et du Tribunal de l'UE, aux membres des commissions des lois.

Il est prévu que l'audition serait suivie d'un vote qui vise à émettre un avis « simple », qui ne lie pas l'autorité compétente et ne serait ainsi pas susceptible de faire échec à la désignation du candidat pressenti. Cet avis serait rendu à la majorité des suffrages exprimés.

Participeraient au vote les seuls parlementaires ayant assisté à l'audition. Comme pour la procédure prévue au dernier alinéa de l'article 13 de la Constitution, le scrutin serait dépouillé simultanément dans les deux assemblées. Sont également reprises certaines modalités de la procédure de l'article 13, comme les conditions de publicité des auditions ou le fait qu'elles ne puissent avoir lieu moins de huit jours après l'annonce publique du nom de la personne dont la désignation est envisagée.

L'objectif poursuivi par notre collègue Jean-François Rapin participe d'un rééquilibrage des pouvoirs entre l'exécutif et le Parlement, ce que nous ne pouvons qu'approuver, et répond à une véritable exigence démocratique. En cela, ce texte s'inscrit dans la parfaite continuité des ambitions de la révision constitutionnelle de 2008, qui a étendu les attributions du Parlement en ce qui concerne les affaires européennes et lui a reconnu un pouvoir de contrôle pour certaines nominations.

Ce texte est de nature à envoyer un signal fort à l'exécutif sur la nécessité d'associer le Parlement, ce qu'il pourrait d'ailleurs faire sans nécessairement qu'un texte le prévoie : on pourrait imaginer que le Président de la République et le Gouvernement soumettent, par exemple dans le cadre d'un gentlemen's agreement, les candidats à une audition par les commissions compétentes du Sénat et de l'Assemblée nationale.

Cependant, en l'état, cette proposition de loi appelle plusieurs réserves.

La première tient à sa conformité à la Constitution, que le Gouvernement ne manquera pas de souligner. En effet, la jurisprudence du Conseil constitutionnel en la matière est extrêmement stricte puisqu'il juge que le principe de la séparation des pouvoirs s'oppose à ce que le pouvoir de nomination du Président de la République ou du Premier ministre soit subordonné même à la simple audition par le Parlement de la personne dont la nomination est envisagée, sauf à ce qu'une disposition constitutionnelle le prévoie- voyez ses décisions n° 2012-658 DC du 13 décembre 2012 et n° 2015-718 DC du 13 août 2015.

En l'espèce, la désignation des candidats français, qui participe de la politique européenne de la France, ne constitue pas une nomination stricto sensu. Il s'agit d'une simple proposition, les nominations étant prononcées pour les membres de la Commission européenne, par le Conseil européen après avis du Parlement européen ; pour les membres de la Cour des comptes européenne et de la CJUE et du tribunal de l'Union européenne, par une décision collective des États membres qui, pour les juges, intervient après l'avis d'un comité d'experts, dit « comité 255 ».

Pour autant, en l'absence de révision constitutionnelle autorisant expressément une telle procédure d'audition et d'avis, le risque que le Conseil constitutionnel, dans l'éventualité d'une saisine, déclare le texte contraire à la Constitution existe. Tel était notamment l'avis de Philippe Bas, lors des travaux préparatoires dont on sait l'expertise sur les sujets constitutionnels.

Il n'en est pas moins vrai que l'extrême rigueur de la solution retenue par le Conseil constitutionnel peut surprendre. Eu égard à la vocation de ce texte, il me semble que cette réserve ne doit pas faire obstacle à son adoption par la commission, qui devra en tout état de cause faire l'objet d'ajustements en séance, comme s'y est engagé son auteur.

Les deux autres réserves tiennent au dispositif proposé.

D'une part, s'agissant de l'autorité compétente pour procéder à ces désignations, il me paraît souhaitable de rappeler, suivant en cela notre collègue Philippe Bas, que les conditions de participation de la France à l'Union européenne n'appartiennent pas à un « domaine réservé » du Président de la République. En effet, elles relèvent avant tout de la « conduite de la politique de la nation » que l'article 20 de la Constitution confie au Premier ministre, et qui en est responsable devant le Parlement. Il serait opportun d'affirmer en la matière la compétence conjointe du Président de la République et du Premier ministre pour procéder à ces désignations.

D'autre part, il conviendrait de clarifier la procédure et les rôles respectifs de la commission des affaires européennes et des commissions permanentes compétentes.

Comme le soulève d'ailleurs à raison notre collègue Christophe Chaillou au travers de l'amendement COM-2, le critère tiré du fait d'avoir assisté à l'audition pour bénéficier du droit de vote paraît peu robuste sur le plan juridique. Notre collègue Jean-François Rapin s'est engagé, dans un courrier adressé à la présidente et à moi-même, à présenter en séance publique des amendements visant à modifier en conséquence la proposition de loi.

D'autre part, les rôles respectifs de la commission des affaires européennes et des commissions permanentes compétentes devraient être mieux définis.

Au bénéfice de ces observations et au regard de l'engagement de Jean-François Rapin à présenter des amendements en ce sens, je vous propose d'adopter la proposition de loi sans modification.

M. Christophe Chaillou. - Mme le rapporteur a raison de souligner le véritable enjeu démocratique que revêt cette proposition de loi. Sur le principe, nous ne pouvons qu'être favorables à la consultation du Parlement sur la nomination de membres français dans certaines institutions européennes. Toutefois, je tiens à souligner que seule une minorité d'États membres de l'Union européenne prévoit la consultation des parlements. Néanmoins, il est légitime que nous puissions formuler un avis sur ce sujet essentiel.

Je vous rejoins quant à la consultation du Parlement sur la nomination du commissaire européen, avec la réserve effectivement qu'il convient de préciser la définition de la formation du Parlement. S'agissant de la Cour des comptes européenne, nous ne pouvons là aussi qu'y être favorables sur le principe, même si l'intérêt peut paraître plus limité. En revanche, nous sommes défavorables à la consultation du Parlement sur la nomination aux fonctions de juge ou d'avocat général à la CJUE et de juge du tribunal de l'Union européenne, car cela constituerait une entorse au principe d'indépendance et d'impartialité des juges.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Comme c'est l'usage, il me revient, mes chers collègues, de vous indiquer quel est le périmètre indicatif de la proposition de loi.

En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que ce périmètre inclut les procédures de désignation des candidats français dans les institutions européennes (Union européenne, Conseil de l'Europe), lorsque cette désignation relève de l'État membre.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Je partage le constat fait par les auteurs de cet amendement : le mécanisme réservant le vote aux parlementaires ayant assisté à l'audition est un peu baroque et peu robuste juridiquement, mais nous allons retravailler cette rédaction avec Jean-François Rapin, afin de préciser également le rôle de la commission compétente au fond. Aussi, je demande le retrait de l'amendement COM-2 dans la perspective de cette nouvelle rédaction ; à défaut, j'y serai défavorable.

M. Christophe Chaillou. - Je ne puis accepter de retirer mon amendement dans la mesure où nous n'avons pas une proposition de rédaction précise. Notre proposition de limiter le vote aux seuls membres de la commission des affaires européennes a au moins le mérite d'exister.

L'amendement COM-2 n'est pas adopté.

L'article 1er est adopté sans modification.

Après l'article 1er

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-1 prévoit que la commission des affaires étrangères peut demander à entendre le candidat aux fonctions de commissaire européen avant son audition par la commission des affaires européennes. Cette proposition pourrait conduire le candidat à être auditionné deux fois dans chaque assemblée, soit quatre fois au total, ce qui serait excessivement lourd. Là encore, l'auteur de la proposition de loi va retravailler ce point pour mieux associer la commission des affaires étrangères.

L'amendement COM-1 n'est pas adopté.

Article 2

L'article 2 est adopté sans modification.

Article 3

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-3 de M. Chaillou vise à supprimer cet article au motif de l'impartialité. Ce raisonnement juridique paraît quelque peu surprenant dans la mesure où nous allons nous prononcer ce matin sur les nominations de deux membres du Conseil constitutionnel. S'ils ne sont pas magistrats, ils sont bien des juges, tout comme les membres de la CJUE et du Tribunal de l'Union européenne, qui ne sont d'ailleurs pas nécessairement des magistrats. En conséquence, mon avis est défavorable.

M. Christophe Chaillou. - Je précise qu'il existe déjà au niveau européen une procédure destinée à évaluer les qualifications et l'expérience du candidat. Aussi, il ne nous paraît pas nécessaire de prévoir une procédure identique au niveau national.

L'amendement COM-3 n'est pas adopté.

L'article 3 est adopté sans modification.

La proposition de loi est adoptée sans modification.

Les sorts des amendements examinés par la commission sont retracés dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er

M. CHAILLOU

2

Restriction de la participation au vote aux membres de la commission des affaires européennes. 

Rejeté

Article(s) additionnel(s) après Article 1er

M. FOLLIOT

1

Audition préalable du candidat par la commission des affaires étrangères.

Rejeté

Article 3

M. CHAILLOU

3

Suppression de l'article 3 (audition des candidats aux fonctions à la CJUE et au Tribunal de l'UE).

Rejeté

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