EXAMEN EN COMMISSION
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Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous en venons à l'examen du rapport de notre collègue Stéphane Le Rudulier sur la proposition de loi visant à interdire un mariage en France lorsque l'un des futurs époux réside de façon irrégulière sur le territoire. Avant que l'auteur de ce texte, Stéphane Demilly, ne nous le présente, peut-être le rapporteur souhaite-t-il dire quelques mots ?
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - L'intitulé de cette proposition de loi suffit à lui seul à en expliciter l'objet : le texte vise à interdire un mariage en France lorsque l'un des époux réside de façon irrégulière sur le territoire. Cette proposition de loi revêt de fait deux facettes, l'une politique et l'autre juridique.
Stéphane Demilly porte deux objectifs au travers de cette proposition de loi, à commencer par la protection des officiers d'état civil et en particulier des maires, qui ne disposent pas toujours, en l'état du droit, de toutes les informations nécessaires à l'appréciation de la légalité des mariages. Le second objectif a trait au renforcement de la prévention et de la lutte contre les mariages simulés ou arrangés.
Lors de la célébration de mariages, bon nombre d'entre vous, en tant que maire, ont pu s'interroger sur la véracité du consentement de l'un ou des deux époux. À première vue, cette proposition de loi semble frappée au coin du bon sens et s'insère dans un contexte médiatique assez prégnant. En effet, le maire de Béziers, Robert Ménard, et le maire d'Hautmont, Stéphane Wilmotte, ont tous deux refusé en 2023 de marier un étranger soumis à une obligation de quitter le territoire français (OQTF) avec une Française, ce qui a déclenché un débat nourri et fortement médiatisé dans la mesure où une action en justice a été engagée.
Si Stéphane Willemotte a été relaxé en référé, l'affaire doit encore être jugée au fond ; Robert Ménard, pour sa part, comparaîtra devant le tribunal le 18 février et encourt cinq ans d'emprisonnement, 75 000 euros d'amende et une peine complémentaire d'inéligibilité.
M. Stéphane Demilly, auteur de la proposition de loi. - Je vous présente aujourd'hui une proposition de loi simple, univoque et laconique. Simple, car elle s'appuie sur le bon sens ; univoque, car elle clarifie la loi ; et laconique, car tout cela ne tient qu'en une seule phrase. J'ai néanmoins bien conscience que le chemin parlementaire et juridique qui reste à parcourir ne puisse pas tout à fait bénéficier des mêmes qualificatifs.
Cette proposition vise à encadrer juridiquement le mariage des personnes séjournant irrégulièrement sur notre territoire ou, pour le dire plus simplement, à n'autoriser le mariage que pour les personnes séjournant de manière régulière sur notre territoire.
Cette mesure me paraît aussi logique que légitime. J'évoque régulièrement le sujet avec certains collègues du Sénat, les élus de mon territoire et nos concitoyens, qui s'étonnent, pour la plupart. Pourquoi cette mesure n'est-elle pas déjà en place ? Comment est-il possible de marier quelqu'un qui n'est pas en situation régulière sur le territoire ? Est-il concevable de lire les articles du code civil à quelqu'un qui ne respecte pas nos lois ?
Pourtant, si la mesure semble évidente à beaucoup, notre droit, en l'état actuel, ne permet pas de s'opposer au mariage d'une personne en situation irrégulière ou faisant l'objet d'une OQTF. Je n'ignore pas que notre assemblée compte de nombreux anciens maires et que certains d'entre eux ont déjà été confrontés à cette situation.
Je voudrais d'ailleurs vous rappeler l'expérience douloureuse du maire d'Hautmont, Stéphane Willemotte : après avoir refusé de célébrer le mariage d'un ancien président de mosquée, placé sous le coup d'une OQTF pour avoir tenu des discours haineux et fait l'apologie du djihad armé, notre collègue a reçu des menaces de mort et son domicile a dû être protégé.
Comble du paradoxe, cet individu sous OQTF a porté plainte contre le maire qui encourait de ce fait une peine de prison, une peine d'inéligibilité et le versement de dommages et intérêts. Heureusement, la justice a tranché, au stade du référé, en faveur du maire, mais comment est-il possible de placer un élu de la République dans une telle situation ? Comment peut-on envisager que des maires risquent de longs mois de procès, parfois aggravés d'un sentiment d'angoisse personnelle et familiale - comme ce fut le cas pour Stéphane Willemotte -, alors qu'ils agissent pour le bien de leur territoire ?
La législation actuelle destinée à lutter contre le mariage de complaisance ne suffit pas et place les officiers d'état civil dans des situations ubuesques. S'il est confronté à une demande de mariage émanant d'une personne en situation irrégulière, le maire doit rechercher « une présomption de fraude » ou examiner « la sincérité de l'union » : on lui demande donc de se transformer en inspecteur Columbo ou en « huissier conjugal ».
Ce n'est pas son rôle, d'autant que le temps et les moyens consacrés à ces investigations - et à leurs conclusions - varient d'une mairie à une autre, comme le confirme le Syndicat de la magistrature (SM) lui-même dans l'une de ses notes. Ces disparités peuvent être considérées comme une inégalité devant la loi, en contradiction complète avec l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 selon lequel « [la loi] doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ».
Ma proposition de loi vise à clarifier notre droit et - c'est le point le plus important - à protéger nos élus. Contrairement à ce que j'ai pu lire, elle n'est en rien porteuse d'une remise en cause de nos droits fondamentaux et n'est pas animée par un quelconque ressentiment vis-à-vis des étrangers : je tiens à ce que ce point soit extrêmement clair.
Je souhaite anticiper les préoccupations légitimes que soulèvera cette proposition, notamment au regard de la protection des droits individuels et du respect des libertés individuelles et fondamentales. Aussi, je n'ignore pas la jurisprudence du Conseil constitutionnel du 20 novembre 2003, qui a estimé qu'une telle mesure constituerait une atteinte disproportionnée au droit fondamental du mariage, mais, plus de vingt ans après cette décision, le contexte a considérablement évolué, avec un nombre d'OQTF prononcées qui est passé de 20 000 par an en 2003 à 130 000 en 2023.
Pour rendre sa décision, le Conseil constitutionnel s'était basé sur les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui consacrent la liberté individuelle et personnelle. Pour rappel, l'article 4 dispose : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. » Cette dernière phrase me semble particulièrement importante et je vous propose donc de déplacer ces bornes.
Certains autres vont peut-être aussi évoquer nos engagements internationaux, dont l'article 12 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) qui dispose que « l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit. » Le texte est clair : il s'agit d'un droit encadré par les lois nationales des États et il nous revient de faire évoluer les lois.
Au travers de sa jurisprudence, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a d'ailleurs régulièrement clarifié sa position en indiquant, à propos des restrictions que la loi nationale peut appliquer au droit du mariage, que les États jouissent « d'une ample marge d'appréciation, notamment lorsqu'ils sont appelés à protéger les intérêts de la société ». On pourrait d'ailleurs citer l'exemple du Danemark, pays membre de l'Union européenne, qui impose depuis 2002 la détention d'un titre de séjour valide pour les étrangers qui souhaitent se marier dans le pays. Même si certains me rappelleront la particularité danoise liée au mécanisme d'exception, il n'en reste pas moins vrai que je propose la même mesure. D'ailleurs, les recours contre le Danemark auprès de la Cour européenne des droits de l'homme n'ont pas abouti, cette dernière reconnaissant à chaque État une légitime marge d'appréciation.
Le mariage est une institution protégée par la loi, mais rien n'interdit de la préciser et donc de la faire évoluer pour éviter des contournements de son esprit. « Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement », disait Nicolas Boileau : en interdisant le mariage aux personnes en situation irrégulière, cette proposition de loi vise à clarifier les choses, à protéger les maires et à prévenir les abus. Puisque j'ai évoqué un homme de lettres du XVIIe siècle, permettez-moi de conclure avec un autre auteur de la première moitié du XVIIIe siècle, Montesquieu, qui, dans L'esprit des lois, affirmait que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ».
Il me semble que cette proposition de loi est réellement utile, attendue par les maires, et qu'elle renforce les lois de notre République. Je vous remercie de m'avoir accueilli pour présenter les motivations de ce texte.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Merci de cette présentation. La réunion de commission va désormais se poursuivre en votre absence.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Au-delà de la dimension politique qui vient d'être décrite par l'auteur, la proposition de loi revêt une dimension juridique, principalement d'ordre constitutionnel, bien que le droit au mariage soit avant tout un droit législatif, régi principalement par le code civil. En préambule, la liberté matrimoniale n'est pas absolue puisque ledit code lui fixe quatre restrictions qui concernent les mineurs, la polygamie, la consanguinité et l'absence de consentement, cette dernière étant au coeur de la proposition de loi.
La question de la constitutionnalité de ces dispositions législatives - parfois réactualisées - a été soulevée à de multiples reprises et j'insisterai sur quatre décisions du Conseil constitutionnel intervenues soit à l'occasion de modifications législatives - dans le cadre de son contrôle a priori - soit via des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) - dans le cadre du contrôle a posteriori.
En la matière, la jurisprudence du Conseil constitutionnel s'articule autour de la liberté du mariage, qu'il a d'abord rattachée à la liberté individuelle dans sa décision du 13 août 1993, avant de la rattacher, dans sa décision du 20 novembre 2003, à la liberté personnelle découlant des articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Selon moi, la première de ces deux décisions a fondé la matrice de cette jurisprudence, car elle a eu une influence considérable sur le « droit constitutionnel au mariage » et plus largement sur le statut des étrangers, autour des questions de leur entrée et de leur séjour. Dans le cadre de cette matrice, le Conseil constitutionnel rappelle que le législateur peut adopter des dispositions spécifiques à l'égard des étrangers. Néanmoins, ce dernier ne dispose que d'une liberté limitée dans la mesure où il doit respecter les libertés et les droits fondamentaux à valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. La notion de résidence est ici essentielle.
Ces droits doivent être conciliés, en particulier, avec la sauvegarde de l'ordre public, qui constitue également un objectif à valeur constitutionnelle. Parmi les droits et libertés qu'il convient de garantir figurent la liberté d'aller et venir, la liberté du mariage et le droit de mener une vie familiale normale. Le Conseil constitutionnel ajoute : « Les étrangers jouissent des droits à la protection sociale dès lors qu'ils résident de manière stable et régulière sur le territoire français. » De plus, « ils doivent bénéficier de l'exercice de recours assurant la garantie de ces droits et libertés », cette notion de recours étant importante dans le cadre de l'examen de cette proposition de loi. Ajoutons, également, que le droit d'asile est inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946.
En tout état de cause, cette matrice de 1993 est essentielle en ce qu'elle rattache la liberté du mariage à la liberté personnelle, tout en affirmant qu'elle doit être conciliée avec d'autres droits, dont celui de mener une vie familiale normale. Cette architecture bâtie par le Conseil constitutionnel rappelle aussi la nécessaire conciliation des libertés avec la sauvegarde de l'ordre public, qui est elle-même un objectif de valeur constitutionnelle : le Conseil essaie, de manière classique, de concilier les différents droits et objectifs.
Le juge constitutionnel tire de ce raisonnement la conclusion qu'il faut procéder à un contrôle de proportionnalité, tantôt en faisant prévaloir la liberté du mariage en tant que liberté constitutionnelle, tantôt en faisant prévaloir des éléments d'ordre public. Ledit raisonnement sera plus ou moins développé par la suite : dans la décision du 20 novembre 2003 relative à l'immigration, au séjour des étrangers et à la nationalité, les requérants faisaient valoir que les dispositions qui modifiaient les éléments du code civil et qui permettaient au procureur de la République de s'opposer à un mariage portaient atteinte à la liberté du mariage, à la liberté individuelle et au droit à la vie privée et familiale.
Le Conseil constitutionnel a alors raisonné de la manière suivante : parce qu'il existe des indices sérieux laissant présumer que le mariage n'est envisagé que dans un but autre que l'union matrimoniale, le maire peut saisir le procureur. Toutefois, il a considéré que le respect de la liberté du mariage, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, « s'oppose à ce que le caractère irrégulier du séjour d'un étranger fasse obstacle par lui-même au mariage de l'intéressé ».
Les termes « par lui-même » sont essentiels, car ils signifient que le constat, pris isolément, que le futur époux est dans une situation d'irrégularité évidente ne permet pas de s'opposer à la liberté constitutionnelle qu'est la liberté du mariage, faute d'autres indices sérieux démontrant l'absence de volonté matrimoniale. Ainsi, toujours dans cette décision de 2003, le Conseil constitutionnel précise, en premier lieu, que « le législateur, en estimant que le fait pour un étranger de ne point justifier de la régularité de son séjour constituerait dans tous les cas un indice sérieux de l'absence de consentement, a porté atteinte au principe constitutionnel de la liberté du mariage ».
Il considère, en second lieu, que « les dispositions [en cause] sont de nature à dissuader les intéressés de se marier ; qu'ainsi, elles portent atteinte également au principe constitutionnel de la liberté du mariage ».
Je citerai deux autres décisions importantes.
La première est la décision du 9 novembre 2006, dans laquelle il est rappelé que la liberté du mariage, composante de la liberté individuelle, est une liberté constitutionnelle, mais qu'elle ne « fait pas obstacle à ce que le législateur prenne les mesures de prévention ou de lutte contre les mariages contractés à des fins étrangères à l'union matrimoniale », ce qui renvoie à un équilibre entre l'ordre public et les libertés fondamentales.
De surcroît, le Conseil constitutionnel y rappelle le dixième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, qui dispose : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à son développement ». Selon le juge constitutionnel, « le droit de mener une vie familiale normale trouve donc sa source dans cette disposition ».
Enfin, une inflexion de la jurisprudence du Conseil constitutionnel est intervenue à l'occasion de la décision du 22 juin 2012, à la suite d'une QPC portant sur le consentement et l'opposition au mariage. Si on y retrouve la définition de la liberté du mariage comme composante essentielle de la liberté personnelle, il est précisé que cette liberté « ne restreint pas la compétence du législateur qui tient de l'article 34 de la Constitution pour fixer les conditions du mariage ».
Cet aspect doit être souligné : malgré la protection constitutionnelle de la liberté du mariage, c'est bel et bien le législateur qui est compétent pour modifier les conditions du mariage « dès lors que l'exercice de cette compétence ne prive pas de garanties légales et les exigences à caractère constitutionnel ». De plus, le Conseil constitutionnel a réitéré sa jurisprudence de 2006 selon laquelle la liberté du mariage ne fait pas davantage obstacle à ce que le législateur prenne des mesures de prévention et de lutte contre les mariages contractés à des fins étrangères à l'union matrimoniale. Le législateur est d'ailleurs légitime à rechercher si le mariage a été contracté auxdites fins.
S'agissant du consentement, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que le mariage est nul, faute de consentement, lorsque les époux ne se sont prêtés à cette cérémonie qu'en vue d'atteindre un résultat étranger à l'union matrimoniale, par exemple l'acquisition de la nationalité.
J'en viens au procureur de la République, qui est le grand absent de cette proposition de loi. Il est en effet le seul, en l'état du droit, à pouvoir s'opposer au mariage et doit à cet effet se fonder sur l'article 146 du code civil en invoquant la simulation et en apportant la preuve que la célébration n'est envisagée qu'à des fins étrangères à l'union matrimoniale. Autre élément issu de cette QPC de 2012, les règles d'ordre public peuvent être invoquées par le procureur de la République, sans porter atteinte de manière excessive à la liberté du mariage : voilà une inflexion intéressante.
Comme cela a été rappelé par Stéphane Demilly, la jurisprudence du Conseil constitutionnel n'épuise pas le sujet, car il faut tenir compte de l'article 12 de la CEDH relatif au droit au mariage et à une vie familiale. J'y ajouterai la jurisprudence consacrée à l'autonomie personnelle, car le mariage en est par essence l'expression. Cette jurisprudence européenne, assez abondante, pèse sur les décisions de la juridiction française et constitue en quelque sorte la toile de fond des débats constitutionnels.
Plusieurs questions émergent autour de cette proposition de loi. La première d'entre elles pourrait être formulée ainsi : est-ce à l'officier d'état civil de procéder à un certain nombre de vérifications ? L'article 63 du code civil lui impose déjà de contrôler une série de pièces administratives, dont la pièce d'identité, mais au-delà de cette tâche, le même article 63 lui confie, en cas de doute sur le consentement de l'un ou des deux époux, le soin de procéder à des auditions des intéressés. Or, même en l'état actuel, il n'est pas certain que l'officier d'état civil soit suffisamment formé à la détection des mariages frauduleux.
Certes, un questionnaire existe, mais c'est bel et bien le maire qui est en première ligne. Le maire d'Hautmont, qui est venu témoigner hier au Sénat de son expérience, a indiqué que l'élu local peut se retrouver en porte-à-faux s'il a signalé un doute quant au caractère frauduleux du mariage, car il devra peut-être célébrer le mariage ensuite. L'audition des futurs époux est-elle suffisante pour révéler une volonté de fraude ? La question mérite d'être posée. Dans le cadre de nos auditions, nous avons d'ailleurs relevé une absence de statistiques nationales sur des auditions de ce type, sur les saisines du procureur de la République par les maires ainsi que sur les refus de célébrer des mariages.
Pour en revenir à l'absence du procureur dans le texte que nous examinons, je pense que nous pourrions rendre obligatoire, pour tout ressortissant étranger, la preuve du caractère régulier de sa situation. Néanmoins, il est clair que la seule absence de cette preuve ne saurait suffire pour refuser la célébration du mariage, car nous franchirions alors les limites fixées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
En revanche, cette pièce pourrait « compléter » un faisceau d'indices amenant à penser qu'il existe un vice de consentement chez les époux, ou que le mariage sera contracté à des fins autres que l'union matrimoniale. J'ajoute que les cas de figure sont nombreux et que nous ne pourrons pas nous limiter à un titre de séjour ou à un visa, le ministère de la justice nous ayant rappelé qu'un récépissé de la préfecture vaut situation régulière. Or l'officier d'état civil n'est peut-être pas suffisamment formé pour juger de la régularité du séjour, et je pense que le procureur de la République devrait s'en charger.
En conclusion, il est difficile en l'état d'émettre un avis favorable à cette proposition de loi, non pas en raison de sa philosophie, mais bien en raison de son inconstitutionnalité criante. Néanmoins, je crois que nous pourrions trouver une voie de passage en séance, tout en nous interrogeant sur les délais d'enquête et d'investigation laissés au procureur, ainsi que sur le fait que l'absence de réponse du procureur vaut acceptation - contraignant le maire à procéder au mariage -, alors même que nous pourrions inverser la règle en décidant que le silence du procureur vaut refus au bout d'un certain délai.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Le rapporteur a clairement exprimé ses réserves à l'égard d'un texte qui bat en brèche trente ans de jurisprudence du Conseil constitutionnel. En vertu du gentlemen's agreement qui consiste à ne pas modifier les textes des groupes minoritaires inscrits dans leur espace réservé sans l'aval de leur auteur, nous ne pouvons guère aller plus loin, sauf à dire qu'il conviendrait de mieux détecter les mariages frauduleux qui ne seraient justifiés que par le souhait d'obtenir une régularisation, sans intention matrimoniale.
M. Marc-Philippe Daubresse. - Le cas de Stéphane Wilmotte a ému, c'est peu de le dire, l'association des maires du Nord. Il convient de distinguer la notion de consentement de la notion de régularité : l'affaire d'Hautmont ne met pas en jeu la première puisqu'elle implique un imam d'une mosquée fermée par le ministère de l'intérieur en raison de prêches djihadistes tombant sous le coup de la législation antiterroriste. De plus, l'intéressé avait changé de témoins la veille de son mariage et ne disposait que de pièces d'identité douteuses. Il est donc bien ici question de régularité, le ministre de la justice ayant d'ailleurs pris sur ce sujet une position différente de celle qui était la sienne lorsqu'il occupait le poste de ministre de l'intérieur.
Selon moi, la voie de passage réside dans le fait de rendre obligatoire une pièce justifiant de la régularité de la situation régulière et de permettre au maire de signaler la situation au procureur, à qui il reviendra de trancher. En tout état de cause, nous ne pouvons pas rester dans la situation créée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, vieille de vingt ans et totalement inadaptée au nouveau contexte de la société française.
M. Hussein Bourgi. - Je rejoins Marc-Philippe Daubresse sur la distinction entre la notion de consentement et la notion de régularité. Vingt-cinq ans plus tôt, alors que je militais dans une association, j'avais été alerté sur des mariages forcés, ce qui nous avait conduits à organiser une série de modules de formation auprès d'officiers de police judiciaire (OPJ). Les agents de l'état civil sont tout à fait disposés, comme les élus, à recevoir toutes les formations qui leur permettraient de célébrer les mariages dans les conditions les plus régulières qui soient.
Plus récemment, un maire a été confronté à une personne dont le titre de séjour était périmé, mais qui a réussi à prouver, attestation d'huissier à l'appui, que son dossier était bloqué en raison de l'engorgement de la préfecture, qui l'empêchait d'obtenir un rendez-vous. Chacun d'entre nous peut connaître des situations de ce type et être amené à intervenir en faveur d'étudiants ou d'internes en médecine étrangers. La personne que je mentionnais était de bonne foi et son avocat a dû assigner la préfecture en référé afin que son client puisse être reçu, déposer son dossier et obtenir un titre de séjour.
Sans me prononcer sur le fond de la proposition de loi, j'attire donc votre attention sur la nécessité de ne pas multiplier les contentieux administratifs, sous peine de voir les personnes désireuses de se marier et qui n'auraient pas de rendez-vous en préfecture user du même procédé pour voir leur dossier traiter en priorité.
Mme Corinne Narassiguin. - Force est de constater que les contorsions juridiques du rapporteur ne lui ont pas permis de trouver un chemin de constitutionnalité. J'ai relevé votre affirmation selon laquelle « il est difficile d'émettre un avis favorable », soit exactement la formule employée par Muriel Jourda à propos d'un amendement de Valérie Boyer au projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, amendement qui avait un objet identique à celui de cette proposition de loi et qui avait été rejeté, car contraire aux articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi qu'aux articles 12 et 14 de la CEDH.
Je souscris à l'argument visant à distinguer la question du consentement et la question de la régularité de la situation des personnes qui demandent à se marier, la première étant déjà traitée dans le code civil, sans que nous ayons besoin de modifier la loi.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) votera évidemment contre cette proposition de loi, car la liberté du mariage doit, selon nous, ouvrir la possibilité de se marier quel que soit le statut de la personne, y compris si elle est en situation irrégulière en France.
Comme l'a relevé Hussein Bourgi, des personnes se retrouvent temporairement en situation irrégulière du fait de l'engorgement des préfectures, mais, en dehors de ces cas, le mariage ne fait pas systématiquement obstacle à l'exécution d'une OQTF, ce qui fait tomber l'un des arguments sous-tendant cette proposition de loi.
Du reste, son auteur a beaucoup parlé de « bon sens » concernant la protection des maires : au contraire, j'estime que ce texte les exposerait encore plus. Lorsqu'il était ministre de l'intérieur, Gérald Darmanin lui-même avait indiqué qu'une telle solution reviendrait à placer les maires en première ligne puisqu'ils devraient alors effectuer toutes les investigations, alors qu'un signalement au procureur de la République suffit à confier ce travail à la justice.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre cette proposition de loi, y compris si elle venait à être amendée en séance par les groupes majoritaires.
M. André Reichardt. - Je rappelle que cette proposition de loi porte sur la régularité du mariage et non pas sur le consentement : ne nous dispersons donc pas.
Compte tenu de la complexité du droit applicable, qui explique la densité de la présentation du rapporteur, peut-on reprocher à un maire d'ignorer l'état de la jurisprudence du Conseil constitutionnel ? Je pense que non. Je rends hommage à la volonté du rapporteur de protéger les maires, car c'est, selon moi, le coeur du sujet, et j'espère que nous parviendrons à trouver un chemin en séance pour venir en aide aux élus locaux.
Mme Mélanie Vogel. - Le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST) s'opposera également à cette proposition de loi, quand bien même elle serait amendée en séance dans le sens proposé par le rapporteur.
En réalité, cette proposition de loi ne cherche pas à remédier au problème des mariages blancs et des mariages gris. Un arsenal législatif déjà très développé existe pour lutter contre ces mariages et le véritable objet du texte apparaît dès l'exposé des motifs, qui contient l'affirmation suivante : « Que le mariage soit de complaisance ou teinté de sentiments réels, il est essentiel qu'un aspirant au mariage réside sur le territoire français de façon régulière. »
Bien loin de vouloir régler le problème supposé d'une insuffisance du contrôle des mariages blancs, ce texte ne vise en fait qu'à restreindre la liberté de mariage lorsque des citoyens choisissent un époux ou une épouse qui ne réside pas régulièrement sur le territoire français. Il en résulterait une discrimination, car ils ne pourraient pas exercer leur liberté de la même manière que les autres citoyens.
C'est la raison pour laquelle cette proposition de loi est, bien heureusement, non conforme au droit français et au droit européen. Je n'ai pas compris, d'ailleurs, les propositions du rapporteur en vue de « trouver un chemin » : rendre les contrôles obligatoires me paraît superflu, car ils sont, à ma connaissance, déjà effectués dès lors qu'une personne de nationalité étrangère s'apprête à se marier.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Ce texte vise à s'adapter à une nouvelle réalité à laquelle les maires sont confrontés.
Je rappelle que subir des retards sur le renouvellement de ses titres, si on peut le déplorer, n'est pas comparable au fait d'être sans-papiers. Par ailleurs, au-delà des maires, ce texte a vocation à protéger des femmes en difficulté qui subissent des pressions et peuvent y céder.
Dans certains cas, le lien entre les OQTF et les projets de mariage n'est pas à démontrer : protéger les femmes de certaines emprises, c'est également se poser la question de ces mariages utilisés afin d'obtenir une régularisation, qui sont une réalité dès lors que l'on observe ce qui se passe au-delà du périphérique parisien.
M. Michel Masset. - Faire du séjour irrégulier une justification permettant de refuser le mariage semble porter atteinte aux principes constitutionnels. Dans sa jurisprudence de 2003, le Conseil constitutionnel a indiqué que le législateur pouvait prévoir le renforcement du contrôle de l'intention maritale, mais qu'il ne pouvait pas entraver la liberté de mariage. Voilà pourquoi le groupe Rassemblement Démocratique, Social et Européen (RDSE) votera contre ce texte.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Nous sommes confrontés à un verrou constitutionnel, mais la réalité des difficultés rencontrées par les maires ne peut être occultée : le maire d'Haumont a reçu des menaces de mort et, s'il a gagné en référé pour l'heure, un jugement sur le fond est en cours. L'auteur de la proposition de loi n'a pas souhaité que la commission modifie le texte, mais peut-être y parviendrons-nous en séance.
Sans doute faudra-t-il réinterroger le Conseil constitutionnel, d'autant que le ministre de la justice a récemment déclaré que l'inconstitutionnalité ne pouvait justifier une forme de statu quo. Je pense qu'il existe une voie de passage permettant de concilier les objectifs poursuivis avec cette proposition de loi et la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Selon moi, un doute sur la régularité du séjour ne serait pas le seul indice qui déclencherait automatiquement la saisine du procureur de la République. En revanche, demander une pièce complémentaire pour justifier de la régularité du séjour, dans l'optique d'aider l'officier d'état civil à former son jugement et à décider d'une éventuelle saisine du procureur, me semble frappé au coin du bon sens.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Comme c'est l'usage, il me revient de vous indiquer quel est le périmètre indicatif de la proposition de loi. Je vous propose de considérer que ce périmètre inclut les dispositions relatives à la lutte contre les mariages arrangés ou simulés.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Le gentlemen's agreement qui régit l'examen des propositions de loi des groupes minoritaires inscrits dans leur espace réservé interdit, en l'absence d'accord de l'auteur du texte, toute modification au stade de la commission. En conséquence, avis défavorable, à l'amendement de suppression COM-1 même si je concède que la proposition de loi ne peut pas être adoptée en l'état.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Je tiens à rappeler aux auteurs de l'amendement que ce gentlemen's agreement bénéficie aux groupes minoritaires.
L'amendement COM-1 n'est pas adopté.
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi n'est pas adopté.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.
Le sort de l'amendement examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article unique |
|||
Mme Mélanie VOGEL |
1 |
Suppression de l'article. |
Rejeté |
La réunion est close à 10 h 40.