EXAMEN DES ARTICLES

TITRE IER
METTRE FIN AUX SURTRANSPOSITIONS
ET SURRÈGLEMENTATIONS FRANÇAISES
EN MATIÈRE DE PRODUITS PHYTOSANITAIRES
Article 1er
Abrogation de la séparation de la vente et du conseil à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques, ainsi que de l'interdiction des remises, rabais et ristournes sur ces mêmes produits et transformation du conseil stratégique phytosanitaire (CSP) en un dispositif facultatif

L'article 1er de la proposition de loi vise à revenir sur trois mesures qui avaient été adoptées, dans la suite de la loi Egalim d'octobre 2018, dans le but de réduire l'usage des produits phytopharmaceutiques en France.

La première mesure interdisait les remises, rabais et ristournes (dits « 3R ») sur les produits phytosanitaires afin de ne pas inciter, par des opérations commerciales, à leur usage excessif.

La deuxième prescrivait la séparation capitalistique et organisationnelle des activités de conseil et de vente de ces produits, et imposait des incompatibilités, pour éviter tout conflit d'intérêts.

La troisième mesure oblige les utilisateurs de produits phytosanitaires à suivre deux conseils stratégiques phytosanitaires dans une période de cinq ans pour pouvoir prétendre au « certiphyto », agrément nécessaire à l'utilisation de ces produits.

Sur la proposition du rapporteur Pierre Cuypers, la commission a maintenu l'ambition initiale de libéralisation des conditions de vente et d'usage des produits phytosanitaires portée par cet article, en rappelant que ces produits constituaient une charge pour les agriculteurs et que, de ce fait, ces derniers les utilisaient le moins possible.

Elle a cependant adopté deux amendements rédactionnels ainsi qu'un amendement posant le principe et esquissant les contours d'un conseil stratégique global entièrement facultatif, incluant le conseil stratégique phytosanitaire, afin de répondre à un besoin bien identifié d'accompagnement et de replacer la question de l'usage desdits produits dans une réflexion plus globale sur la conduite de l'exploitation.

La commission a adopté l'article 1er ainsi modifié.

I. La situation actuelle - Le commerce des produits phytopharmaceutiques est régulé par la loi Egalim

A. Une régulation dont le principe est posé par la loi Egalim...

Les articles 74 à 88 de la loi « Egalim1(*) » (chapitre III, « Renforcement des exigences pour une alimentation durable et accessible à tous ») ont introduit diverses réglementations et restrictions relatives à la commercialisation et à l'usage des produits phytopharmaceutiques, afin d'encourager la réduction du recours à ces produits.

La loi Egalim a ainsi fixé le cadre et habilité le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour :

- une interdiction des remises, rabais et ristournes (dits « 3R ») sur les produits phytosanitaires afin de ne pas inciter, par des opérations commerciales, à leur usage excessif ;

- une séparation capitalistique et organisationnelle des activités de conseil et de vente de ces produits, ainsi que des incompatibilités, pour prévenir tout risque de conflit d'intérêts ;

- une obligation, pour les utilisateurs de produits phytosanitaires, de suivre deux conseils stratégiques phytosanitaires dans une période de cinq ans pour pouvoir prétendre au « certiphyto », un agrément nécessaire à l'utilisation de ces produits.

Il s'agissait ainsi de tendre à des pratiques agricoles plus respectueuses de l'environnement, ainsi qu'à un modèle économique plus avantageux pour les exploitants, compte tenu de la part de ces intrants dans les charges d'une exploitation (5,5 % des consommations intermédiaires des exploitants, selon la commission des comptes de l'agriculture de la Nation2(*)).

Les plans dits « Ecophyto » successifs dont le premier, lancé lors du Grenelle de l'environnement (2009), ont établi l'objectif de division par deux de l'usage des produits phytopharmaceutiques en dix ans, et de diminution encore plus sensible des produits les plus dangereux dits cancérigènes, mutagènes, et reprotoxiques (CMR1 et CMR2) devaient diminuer de façon encore plus drastique.

S'agissant de ces substances les plus dangereuses (CMR1 et CMR2), de réels progrès ont pu être enregistrés (- 57 % entre 2009 et 2022), en lien avec le retrait de substances actives et l'augmentation plus forte de la redevance pour pollutions diffuses sur ces substances.

Néanmoins, l'usage des produits phytopharmaceutiques exprimés en nombre de doses-unités (NODU) n'a pas diminué sur la période, et avait même augmenté jusqu'à 2017 - et de même en quantité de substances actives (QSA).

B. ... concrétisée par des ordonnances...

Ces diverses mesures de régulation du commerce et de l'usage des produits phytosanitaires ont été introduites par plusieurs ordonnances de 2019, codifiées dans un chapitre régulant « la mise en vente, la vente, la distribution à titre gratuit, l'application et le conseil à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques » au sein du code rural et de la pêche maritime. Elles ne sont entrées en vigueur que le 1er janvier 2021.

1) L'interdiction des remises, rabais et ristournes (« 3R »)

La section 4 bis du chapitre III du titre V du livre II du code rural comprend deux articles.

Introduit directement par l'article 74 de la loi Egalim et modifié par ordonnance3(*), l'article L. 253-5-1 interdit « les remises, les rabais, les ristournes, la différenciation des conditions générales et particulières de vente au sens de l'article L. 441-1 du code de commerce ou la remise d'unités gratuites et toutes pratiques équivalentes », s'agissant des produits phytopharmaceutiques. Elle interdit également « les pratiques commerciales visant à contourner, directement ou indirectement, cette interdiction par l'attribution de remises, de rabais ou de ristournes sur une autre gamme de produits qui serait liée à l'achat de ces produits ».

Il est toutefois prévu par ce même article que les produits de biocontrôle et les produits à faible risque au sens du règlement n° 1107/2009 ne sont pas concernés par cette interdiction. Les ventes des produits de biocontrôle ont augmenté de 187 % entre 2009 et 2022 (cf. en vert ci-dessous).

Source : contribution écrite de l'Inrae4(*)

L'article L. 253-5-2 prévoit des sanctions administratives pouvant aller jusqu'à 15 000 € pour une personne physique et 75 000 € pour une personne morale, et doublées en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter d'une première sanction, voire assorties d'une astreinte journalière tant que le manquement n'a pas cessé. Ce même article organise la procédure de sanction, insistant sur la pédagogie et sur les voies de recours offertes aux agriculteurs.

2) La séparation de la vente et du conseil

Le II de l'article L. 254-1 du code rural et de la pêche maritime5(*) prévoit que l'exercice de certaines de ces activités - mise en vente, vente ou distribution à titre gratuit de produits phytopharmaceutiques, application de ces mêmes produits ou conseil professionnel - est subordonné à la détention d'un agrément, et son V prévoit que les personnes effectuant ces activités doivent concourir à la réalisation des objectifs du plan « Ecophyto ». À cette même fin, son VI dispose que « l'exercice de l'activité de conseil mentionnée au 3° du II est incompatible avec celui des activités mentionnées aux 1° ou 2° du II ou au IV. Toutefois, cette incompatibilité ne fait pas obstacle à ce que les personnes exerçant les activités mentionnées au 1° du II délivrent les informations énumérées au premier alinéa de l'article L. 254-7, ni à ce qu'elles promeuvent, mettent en place ou facilitent la mise en oeuvre des actions tendant à la réduction de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques prévues à l'article L. 254-10-1 ».

L'article L. 254-1-1 prévoit une séparation capitalistique des activités (parts cumulées de capital et de droits de vote à ne pas excéder).

L'article L. 254-1-2 prévoit des incompatibilités entre les fonctions de « membres d'un organe de surveillance, d'administration et de direction d'une personne morale » exerçant une activité de conseil et celles de membre des mêmes entités pour une personne morale exerçant une activité de vente.

L'article L. 254-1-3 prévoit même l'impossibilité pour une personne exerçant le conseil d'être employée ou rémunérée par une personne pratiquant la vente des produits phytosanitaires (et vice versa).

3) Le conseil stratégique à l'utilisation de produits phytopharmaceutiques

Introduit respectivement par l'article 1er et l'article 4 des deux ordonnances précitées, l'article L. 254-6-2 du CRPM ouvre une sous-section « relative aux activités de conseil » au sein du même chapitre régulant le commerce et l'utilisation des produits phytosanitaires.

Il prévoit la mise en place d'un « conseil stratégique à l'utilisation de produits phytopharmaceutiques » (souvent abrégé en CSP, pour conseil stratégique phytosanitaire), fondé sur un diagnostic, « périodiquement actualisé », « comportant une analyse des spécificités pédoclimatiques, sanitaires et environnementales des espaces concernés », prenant « également en compte l'organisation et la situation économique de l'exploitation et comport[ant] une analyse des moyens humains et matériels disponibles, ainsi que des cultures et des précédents culturaux et de l'évolution des pratiques phytosanitaires ».

Ce conseil stratégique « a pour objet de fournir aux décideurs des entreprises utilisatrices de produits phytopharmaceutiques non soumises à agrément les éléments leur permettant de définir une stratégie pour la protection des végétaux ».

Il doit être réalisé dans une périodicité définie par voie réglementaire, dans la limite maximale de trois ans entre deux conseils. Il est prévu par la voie réglementaire que « deux conseils stratégiques au moins sont délivrés par période de cinq ans, à un intervalle de deux à trois ans » et qu'« un conseil stratégique est dispensé trois mois au plus tard après l'établissement ou l'actualisation d'un diagnostic » (art. R. 254-26-3 du CRPM).

Le deuxième CSP par période de cinq ans dresse « un bilan du déploiement du plan d'actions, identifie les difficultés et les facteurs de réussite et propose les évolutions nécessaires de ce plan, compte tenu du retour d'expérience de sa mise en oeuvre ou des évolutions techniques ou réglementaires. Il évalue les réductions de l'utilisation et de l'impact des produits phytosanitaires intervenues et attendues, sur les mêmes bases que celles qui ont servi à l'élaboration du diagnostic et du premier conseil stratégique ».

Des conditions plus souples sont prévues pour les exploitations recourant au biocontrôle ou inscrits dans une démarche ou pratique ayant des incidences favorables sur la réduction de l'usage et des impacts des produits phytopharmaceutiques.

Par ailleurs, pour des exploitations de petite taille, l'obligation par période de cinq ans passe à un seul CSP (art. R. 254-26-4) :

- à des fins de diversification des exploitations agricoles, pour les exploitations agricoles comptant moins de deux hectares en maraîchage, arboriculture, viticulture ou horticulture, sur un total de dix hectares au maximum ;

- pour les utilisateurs professionnels, dans le cas d'une emprise d'infrastructure linéaire à traiter de moins de 10 km ;

- pour les utilisateurs professionnels pour les superficies à traiter de moins de 10 ha.

Formalisé par écrit, il doit être conservé par l'utilisateur et la personne qui l'a délivré pendant une durée fixée par décret à six ans6(*).

Légalement, les agriculteurs doivent justifier du respect de leurs obligations relatives au conseil stratégique phytosanitaire « pour le renouvellement du certificat mentionné au II de l'article L. 254-3 » (certiphyto Densa, décideur en entreprise non soumise à agrément).

En complément du « conseil stratégique » prévu à l'article L. 254-6-2, est prévu un « conseil spécifique relatif à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques » à l'article L. 254-6-3. Plus précis, il comporte une recommandation d'utilisation de produits phytopharmaceutiques et précisant par écrit « la substance active ou la spécialité recommandée, la cible, la ou les parcelles concernées, la superficie à traiter, la dose recommandée et les conditions d'utilisation ».

C. ... et qui ne semble pas avoir porté tous ses fruits

Les auditions menées par le rapporteur ont confirmé que, pour la plupart des acteurs et observateurs du monde agricole, ces mesures n'ont pas produit les effets escomptés.

S'agissant de l'interdiction des remises, rabais et ristournes (« 3R ») sur les produits phytopharmaceutiques, il est en pratique très difficile d'isoler sa contribution ou non à l'évolution des prix et de l'usage des produits phytopharmaceutiques.

La séparation des activités de vente et de conseil a privé de nombreux exploitants agricoles de conseils stratégiques nécessaires pour un usage raisonné de ces produits. Elle est désormais quasi unanimement jugée contreproductive dans la mesure où elle prive les agriculteurs du conseil des techniciens des coopératives metteuses sur le marché sur l'usage de ces produits. Elle rétrécit par ailleurs le vivier de professionnels éligibles au bureau des chambres régionales et départementales d'agriculture, qui, de fait, ont des activités de conseil alors que, par exemple, les membres du conseil d'administration de coopératives ont des activités de vente.

De façon générale, l'échec des plans Ecophyto successifs à atteindre les cibles fixées témoigne d'une difficulté à diminuer les volumes de produits phytosanitaires utilisés en France.

II. Le dispositif envisagé - L'abrogation de plusieurs dispositions au coeur de la loi Egalim en matière de régulation de la vente de produits phytopharmaceutiques

L'article 1er reprend deux amendements qui avaient été déposés par les rapporteurs Laurent Duplomb et Franck Menonville sur le projet de loi pour la souveraineté agricole et alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture (PLOA) : un amendement  COM-383 qui abrogeait la « séparation vente-conseil » et rendait facultatif le conseil stratégique phytosanitaire (CSP), ainsi qu'un amendement  COM-416 qui abrogeait l'interdiction des remises, rabais et ristournes.

Dans le détail, son 1° abroge purement et simplement l'interdiction des remises, rabais et ristournes sur les produits phytosanitaires, rétablissant plus de souplesse pour le commerce de ces produits, dont la commercialisation et l'usage restent très encadrés.

Les 2° à 4° abrogent purement et simplement le principe de la séparation entre les activités de vente et les activités de conseil sur les produits phytopharmaceutiques.

Le 5° et le 6° suppriment les mentions d'une actualisation périodique du conseil stratégique à l'utilisation de produits phytopharmaceutiques. Cela revient, de fait, à transformer le conseil stratégique en dispositif facultatif.

III. La position de la commission - Accepter de remettre sur le métier les réformes passées et imaginer les contours d'un conseil stratégique global, facultatif, aux agriculteurs

A. Des propositions initiales à la clarté gardée intacte

La commission partage l'avis désormais relativement consensuel selon lequel les mesures en cause, en particulier la séparation de la vente et du conseil en matière de produits phytopharmaceutiques et l'obligation de procéder à deux conseils stratégiques phytosanitaires en cinq ans pour bénéficier de l'agrément nécessaire à l'usage desdits produits (« certiphyto »), n'ont pas été efficaces.

1) Les « 3R »

S'agissant des remises, rabais et ristournes, il convient de rappeler que cette mesure avait été supprimée par le Sénat en première lecture et réintroduite par l'Assemblée nationale en lecture définitive lors de l'examen de la loi Egalim.

Cette mesure tend à véhiculer l'idée qu'un agriculteur aurait une consommation immodérée de produits phytopharmaceutiques, alors que les agriculteurs n'utilisent pas ces produits, qui ne sont pas anodins, par plaisir. Or, ces produits constituent une charge pour une exploitation, et les agriculteurs sont ipso facto incités à en user avec discernement.

C'est pourquoi sa suppression avait été proposée au cours de l'examen de la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, votée au Sénat en mai 2023.

Abroger cette interdiction permettrait de revenir aux mêmes règles qu'ailleurs en Europe pesant sur la compétitivité de leurs exploitations.

2) La séparation vente-conseil

S'agissant de la séparation vente-conseil, l'article 18 de la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, adoptée au Sénat au printemps 2023, et l'article 23 de la proposition de loi tendant à répondre à la crise agricole déposée à la fin de l'hiver 2024, en ont déjà proposé l'abrogation, compte tenu des effets contreproductifs qu'il a pu comporter.

Le rapport d'une commission d'enquête7(*), corroboré par un rapport du CGAAER et un autre rapport parlementaire, va jusqu'à parler d'« échec unanimement reconnu », en l'absence d'un développement suffisant d'une offre de conseil. L'Inrae explique que les chambres d'agriculture ne se sont tournées vers l'institut de recherche qu'en 2024 pour affronter la problématique de la formation de son personnel pour pallier l'assèchement du conseil causé par le choix de la vente par de nombreuses coopératives.

Le rapporteur a relevé que l'article 1er de la proposition de loi n° 584 de Mme Nicole Le Peih, relative à l'exercice de la démocratie agricole8(*), dont la discussion était prévue en décembre, comportait un article aménageant à la marge l'article L. 254-1-2 sur les incompatibilités. Il entend permettre à des personnes exerçant une activité de vente d'exercer « un mandat de président ou de membre du bureau ou de membre du conseil d'administration de Chambres d'agriculture France », prévoyant toutefois que « cette personne ne participe pas aux travaux et délibérations concernant l'activité de conseil à l'utilisation de produits phytopharmaceutiques ». La Coopération agricole a critiqué cette proposition jugée trop pointilliste, par opposition à la ligne claire présentée par le présent article.

3) Le conseil stratégique phytosanitaire

La mesure étant entrée en vigueur en 2021, les difficultés ont été rencontrées pour le renouvellement du certiphyto trois ans plus tard, c'est-à-dire en 2024.

Pour mémoire, l'article 18 de la PPL pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, telle que modifiée par la commission des affaires économiques du Sénat, allégeait l'obligation à deux conseils stratégiques phytosanitaires (CSP) tous les cinq ans au lieu de tous les trois ans sur une période de cinq ans, afin de tenir compte de l'impasse dans laquelle la règle en vigueur aurait placé la grande majorité des agriculteurs, qui n'avaient pu se conformer à cette obligation.

Finalement, un décret n° 2024-326 du 9 avril 20249(*) est venu proroger d'un an la validité du certiphyto « décideur en entreprise non soumise à agrément » (Densa), celui dont ont besoin les agriculteurs, en cas d'arrivée à expiration entre le 10 avril 2024 et le 1er mai 2025. Cela rend nécessaire, en tout état de cause, une évolution législative avant cette échéance.

Devenue ministre de la transition écologique, la ministre déléguée à l'Agriculture chargée de ce dossier Agnès Pannier-Runacher avait, au printemps dernier (audition du 29 mai 2024 à l'Assemblée nationale), recommandé d'en faire un dispositif facultatif.

L'obligation d'un conseil stratégique est à ce stade une obligation purement française, le règlement « SUR » sur un usage durable des pesticides, qui en prévoyait la généralisation, n'ayant finalement pas été adopté, à l'automne 2023.

La démarche de rendre ce diagnostic facultatif plutôt que d'en proposer la suppression pure et simple se veut une invitation à trouver, au cours de la discussion parlementaire, des outils efficaces dans l'accompagnement des agriculteurs pour des pratiques économes en intrants.

B. Prévoir « l'après-CSP », en esquissant ce que pourrait être un conseil stratégique global, facultatif

Conscient en effet de ce qu'il serait difficilement envisageable de se contenter d'une abrogation sèche de l'obligation de suivre deux conseils stratégiques phytosanitaires en trois ans sur une période de cinq ans, le rapporteur Pierre Cuypers a proposé par un amendement  COM-27, adopté par la commission, d'inscrire dans la loi le principe d'un conseil stratégique global, replaçant la question de la réduction de l'usage des produits phytosanitaires dans un diagnostic d'ensemble de l'exploitation. Ainsi, le conseil stratégique phytosanitaire en serait une déclinaison, facultative elle aussi.

Proche dans l'esprit du « diagnostic de viabilité économique et de vivabilité des exploitations » que les rapporteurs Laurent Duplomb et Franck Menonville avaient proposé par amendement au PLOA, cette proposition évoquée dans plusieurs rapports parlementaires (rapports Potier-Travert et Potier-Descrozaille) ainsi par plusieurs acteurs du monde agricole (La Coopération agricole). Elle contribue à répondre à un besoin des agriculteurs en accompagnement de qualité.

Ce conseil étant facultatif, il se doit nécessairement d'être attractif pour les agriculteurs, et donc de leur apporter des informations utiles dans la conduite de leur exploitation. C'est la condition pour que les agriculteurs, qui n'y seraient plus contraints, s'y engagent.

L'Inrae, dans sa contribution écrite, a souligné le fait que la condition du succès de ce conseil n'était pas tant sa gratuité que sa qualité de ce conseil, via des obligations poussées de formation des conseillers qui en sont chargés, sur le modèle, par exemple, de l'ordre des agronomes qui existe au Canada.

Il est également précisé par cet amendement que, parmi les obligations de formation annuelles de ces conseillers certifiés figure une sensibilisation aux enjeux de conflits d'intérêts, ce qui permet de réduire les risques déontologiques craints par certains acteurs, et notamment le ministère de la transition écologique, en lien avec l'abrogation du principe de séparation de la vente et du conseil de produits phytopharmaceutiques (2° et 3° de l'article 3).

Non sans avoir adopté par ailleurs deux amendements rédactionnels COM-28 et COM-29 du rapporteur Pierre Cuypers, la commission a adopté l'article 1er ainsi modifié.

Article 2
Rôle du ministre en charge de l'agriculture dans le processus
de délivrance des autorisations de mise sur le marché
de produits phytopharmaceutiques, usage des drones pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques et suppression
des dispositions relatives à l'interdiction d'utilisation
de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives
de la famille des néonicotinoïdes ou assimilés

Cet article, dans une première partie, vise à permettre au ministre chargé de l'agriculture de suspendre, sous certaines conditions, une décision de l'Anses, et à préciser qu'une interdiction ou une restriction d'usage d'un produit phytopharmaceutique emporte pour l'État l'obligation de financer un accompagnement technique et de recherche.

Dans une deuxième partie, l'article vise à autoriser, par dérogation et sous conditions, l'usage de drones pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques.

Dans une troisième partie, l'article 2 revient sur l'interdiction d'usage de produits phytopharmaceutique contenant une ou plusieurs substances actives de la famille des néonicotinoïdes, ou assimilés.

À l'initiative de son rapporteur, la commission des affaires économiques a souhaité redonner aux agriculteurs français les mêmes possibilités que celles offertes aux agriculteurs européens. Aussi, la commission a choisi d'appliquer un principe simple, à savoir le principe de « non-surtransposition ».

Elle a donc adopté l'article 2, modifié par un amendement COM-33 du rapporteur visant à sécuriser juridiquement le rôle du ministre chargé de l'agriculture.

I. La situation actuelle - Des choix législatifs suscitant l'incompréhension d'un monde agricole évoluant dans un marché ouvert et concurrentiel

A. Une interdiction unilatérale de l'usage de produits contenant des substances actives de la famille des néonicotinoïdes

Au sein de l'espace européen, l'usage de produits phytopharmaceutiques fait l'objet d'une harmonisation, notamment par l'intermédiaire de la directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d'action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable, du règlement 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil et du règlement 546/2011 de la Commission du 10 juin 2022 portant application du règlement (CE) no 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les principes uniformes d'évaluation et d'autorisation des produits phytopharmaceutiques.

Pour qu'un produit phytopharmaceutique soit à disposition d'un agriculteur, celui-ci doit passer deux grandes étapes, à savoir l'autorisation de mise sur le marché européen de la ou des substances actives qu'il contient, puis l'autorisation du produit en lui-même.

À l'échelle de l'Union européenne, les substances actives sont approuvées ou interdites selon plusieurs étapes :

1) une entreprise pétitionnaire formule une demande d'approbation d'une substance active ;

2) un État membre est nommé rapporteur, et est chargé de conduire l'évaluation du dossier selon des critères définis au niveau européen, qui tiennent notamment compte des risques pour la santé humaine, pour l'environnement ainsi que des résidus engendrés par la substance active dans la nourriture ;

3) l'État membre rapporteur produit un rapport servant de base à l'élaboration de la recommandation de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) ;

4) la Commission européenne prépare une proposition de règlement d'approbation ou d'interdiction de la substance, qu'elle soumet au vote des États membres selon la procédure dite de comitologie. En l'espèce, les États membres sont réunis au sein du comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l'alimentation animale (CPVADAAA ou Scopaff en anglais) ;

5) un règlement d'approbation, s'il réunit une majorité qualifiée, est adopté, le cas échéant accompagné de restrictions, à l'instar des limites maximales de résidus.

Le processus est décrit dans l'infographie ci-dessous (en anglais), transmise au rapporteur par l'Efsa.

Les néonicotinoïdes (NNIs) sont une famille de substances insecticides utilisées notamment en agriculture10(*). S'il existe une diversité de substances néonicotinoïdes, cinq ont fait l'objet d'une approbation au niveau européen, à savoir la clothianidine, l'imidaclopride, le thiaméthoxame, l'acétamipride et le thiaclopride. Depuis 2013, date de l'instauration d'un moratoire de la Commission européenne imposant des restrictions d'usage de trois substances de la famille des néonicotinoïdes, les usages de ces produits se sont restreints, au regard des risques identifiés notamment concernant les abeilles. En 2019, la Commission européenne interdit la substance thiaclopride, les substances clothianidine, thiaméthoxame et imidaclopride n'ayant quant à elles pas fait l'objet d'une demande de renouvellement. Aussi, seule la substance acétamipride demeure autorisée jusqu'au 28 février 2033, à la suite du renouvellement de l'approbation intervenu le 24 janvier 2018.

En France, l'article 125 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, codifié à l'article L. 253-8 du code rural, a interdit, à partir du 1er septembre 2018, l'emploi de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances de la famille des NNIs. La loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « Egalim » complète le dispositif en interdisant les substances présentant des modes d'action identiques à ceux de la famille des NNIs, à savoir le flupyradifurone11(*) et le sulfoxaflor12(*).

Il est à noter que, dans un avis de mai 2024 concernant les effets de l'acétamipride, l'Efsa note que « les résultats des éléments de preuve indiquent qu'il existe des incertitudes majeures dans le corpus de preuves concernant les propriétés de neurotoxicité développementale de l'acétamipride et que des données supplémentaires sont donc nécessaires pour parvenir à une compréhension mécaniste plus solide afin de permettre une évaluation appropriée des dangers et des risques »13(*). En conséquence, l'agence propose de diviser par cinq les doses journalières admissibles et invite à baisser les limites maximales de résidus (LMR) pour 38 produits contenant la substance active. Dans un communiqué de presse commun, de nombreuses organisations professionnelles estiment, à la suite de la publication des recommandations de l'Efsa, que « pour de nombreuses productions (betteraves sucrières et potagères, noisettes, pommes de terre, carottes, radis, navets, oignons, échalotes, maïs doux, endives, lentilles, poireaux, rhubarbes, riz), les LMR existantes sont au niveau minimal depuis des années et respectent donc déjà ces recommandations de l'Efsa. D'autres productions, comme les pommes et les poires, pourront se conformer aux nouveaux seuils proposés par l'Efsa, dans la mesure où l'acétamipride est employée à un stade précoce de la culture, bien en amont de la récolte. »

Certaines filières sont effectivement en situation d'impasse technique, ou sont proches de l'être. À ce titre, l'exemple le plus emblématique et le plus dramatique est sans aucun doute celui de la noisette, filière française d'excellence, qui était engagée dans une dynamique de hausse de ses surfaces au regard des volumes consommés en France, essentiellement importés d'Italie, de Turquie et des États-Unis. L'association nationale des producteurs de noisettes, reçue en audition par le rapporteur, a fait état d'un effondrement progressif de la production viable de noisettes à la suite de l'interdiction en France de l'acétamipride, dont l'efficacité sur les deux ravageurs, la punaise diabolique et le balanin de la noisette serait de l'ordre de 95 %. Pour 2024, la coopérative Unicoque, qui assure environ 90 % de la récolte française grâce à ses 300 producteurs associés, évalue la récolte à 6 500 tonnes sur un potentiel de 13 000 tonnes, soit un taux de perte de 50 % en raison du balanin. Sur cette récolte, 30 % des noisettes s'avèrent impropres à la consommation en raison des ravages causés par la punaise diabolique. Enfin, sur les 4 500 tonnes restantes, les producteurs estiment que l'essentiel des lots de noisettes ne respecte pas les standards internationaux. En conséquence, après une année 2023 difficile, l'année 2024 signe l'ébranlement de toute une filière, alors même que la France peut poursuivre des importations de noisettes traitées non seulement avec l'acétamipride, mais également avec des produits dont les substances sont interdites en Europe depuis fort longtemps en raison de leur grande dangerosité.

Évolution du pourcentage de fruits
conformes aux exigences du marché standard

Source : ANPN

Une situation d'impasse technique similaire avait conduit le législateur à aménager, pour la filière betterave, une dérogation à l'interdiction d'usage de produits à base de NNIs. Après une année 2019 clémente, c'est en 2020 que l'étendue de l'impasse technique est réellement constatée, à la suite d'un épisode de jaunisses14(*) d'une intensité jamais connue de mémoire d'agriculteur, conduisant à un effondrement des rendements et à des pertes que la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) estime à 700 millions d'euros, compensées à hauteur de 60 M€ en raison du plafond de minimis.

À la suite de cet épisode, le Parlement a voté une loi en décembre 202015(*) ouvrant la voie à des dérogations, sur le fondement de l'article 53 du règlement 1107/2009, uniquement pour la filière betterave, jusqu'au 1er juillet 2023. Cette loi met par ailleurs en place un programme national de recherche et d'innovation (PNRI) en vue de la sortie définitive des NNIs. Deux dérogations ont ainsi été accordées en 202116(*) et 202217(*) pour l'utilisation de deux semences enrobées de NNIs expressément interdites au niveau européen, et une troisième était envisagée pour 2023. Par une décision du 19 janvier 202318(*), la CJUE décide qu'il n'est pas permis « à un État membre d'autoriser la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques en vue du traitement de semences, ainsi que la mise sur le marché et l'utilisation de semences traitées à l'aide de ces produits, dès lors que la mise sur le marché et l'utilisation de semences traitées à l'aide de ces mêmes produits ont été expressément interdites par un règlement d'exécution ». Le système de dérogation mis en place en France ne concernant pas l'acétamipride, seule substance autorisée par le droit de l'Union européenne, la dernière dérogation n'a donc pu être accordée.

Depuis lors, l'interdiction posée en 2016 par le législateur ne souffre plus d'aucune exception.

B. Une expérimentation de l'usage de drones pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques non reconduite malgré des résultats encourageants et des possibilités ouvertes par le droit européen

La pulvérisation aérienne de produits phytopharmaceutiques est susceptible d'avoir des effets néfastes sur la santé humaine et l'environnement, notamment en raison de la dérive des produits pulvérisés. L'article 9 de la directive 2009/128/CE pose le principe d'une interdiction des traitements aériens par produits phytopharmaceutiques dans les États membres de l'Union européenne.

Par dérogation, ce même article 9 dispose que la pulvérisation aérienne peut toutefois être autorisée dans certains cas particuliers, sous réserve de respecter de strictes conditions19(*).

L'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime, en son I, transpose dans le droit français ces prescriptions. La pulvérisation aérienne des produits phytopharmaceutiques est ainsi interdite, bien que des autorisations d'épandage aérien puissent être accordées par l'autorité administrative « en cas de danger sanitaire grave qui ne peut être maîtrisé par d'autres moyens ».

De plus, l'article 82 de la loi Egalim avait autorisé, par dérogation à l'article L. 258-8 du code rural et de la pêche maritime, la conduite d'une expérimentation « de l'utilisation des aéronefs télépilotés pour la pulvérisation aérienne de produits autorisés en agriculture biologique ou dans le cadre d'une exploitation faisant l'objet d'une certification du plus haut niveau d'exigence environnementale », pour une durée de trois ans et « sur des surfaces agricoles présentant une pente supérieure ou égale à 30 % ». Cette expérimentation devait faire l'objet d'une évaluation de l'Anses visant à déterminer les bénéfices liés à l'utilisation de drones pour limiter les risques d'accident du travail et évaluer l'éventuelle réduction des risques pour la santé et l'environnement.

Un arrêté devait enfin préciser les modalités de cette expérimentation de manière à garantir « l'absence de risque inacceptable pour la santé et l'environnement ». Cet arrêté a été publié le 26 août 201920(*), après la publication d'une note d'appui scientifique de l'Anses relative à « la mise en oeuvre d'une expérimentation de l'utilisation d'aéronefs télépilotés pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques »21(*). Des expérimentations ont ainsi été menées sur la vigne, la banane et les vergers de pommiers.

Dans une note du 1er juillet 2022 relative à « l'expérimentation de l'utilisation de drones pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques »22(*), l'Anses détaille ses conclusions après la conduite de plusieurs dizaines d'essais en France. L'analyse de l'Anses traite de plusieurs points :

- la mesure de la qualité de la pulvérisation, qui porte sur l'analyse de deux variables : la mesure de la qualité des dépôts de pulvérisation et la mesure de l'efficacité biologique ;

- les données concernant l'exposition de l'environnement ;

- les données concernant l'exposition des personnes.

Les conclusions de l'Anses tendent à montrer l'intérêt de la pulvérisation par drone, « solution intéressante pour protéger les cultures des bio-agresseurs problématiques dans certaines conditions biologiques (faible pression en maladies), végétatives (volume foliaire limité et/ou port ouvert), climatiques (sols instables) et/ou topographiques (très fortes pentes) ». L'Anses précise en revanche qu'« en conditions plus limitantes, les performances des drones de pulvérisation apparaissent inférieures à celles de pulvérisateurs terrestres classiques ». Plus précisément :

- concernant la dérive de pulvérisation, tout en indiquant que, compte tenu du jeu de données restreint dont elle disposait, il n'est pas possible de « dégager des conclusions générales robustes », l'agence souligne « des résultats préliminaires intéressants » ;

- concernant l'opérateur, pour la vigne, principale filière intéressée par la pulvérisation par drone, elle note que malgré des données disponibles limitées, « l'exposition des opérateurs est très inférieure lors de l'utilisation avec un drone en comparaison à une utilisation avec un chenillard, en particulier lors de la phase d'application » ;

- concernant le travailleur, l'Anses souligne toutefois que « plusieurs études montrent que les dépôts sur les cultures présentent une variabilité supérieure après utilisation de drones en comparaison avec des matériels d'application classiques. Ainsi, la question de l'impact de la quantité des dépôts sur les cultures sur l'exposition des travailleurs se pose » ;

- concernant les personnes présentes et les résidents (riverains) pendant la phase de pulvérisation, l'agence souligne la difficulté de quantification et note que « les conditions d'utilisation ont un impact très important sur le niveau de la dérive ».

Le délai de l'expérimentation étant passé, il n'est légalement plus possible de réaliser des pulvérisations de produits phytopharmaceutiques par drone.

L'article 8 de la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, dite « Ferme France », entendait ainsi procéder au prolongement de l'expérimentation menée à bien grâce à la dérogation permise par la loi Egalim. Il est à noter qu'un amendement COM-173 de Sophie Primas, dans le cadre de l'examen en commission du projet de loi d'orientation agricole, entendait également, dans une rédaction plus ouverte, tirer parti des possibilités offertes par le droit européen en matière d'épandage par drone.

C. Depuis 2014, la place centrale de l'Anses dans la délivrance des autorisations de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques

La procédure d'autorisation de mise sur le marché (AMM) d'un produit phytopharmaceutique est strictement encadrée par le droit européen dont l'élément central est le règlement 1107/2009 précité. L'article 29 du règlement dispose qu'un produit peut se voir délivrer une autorisation de mise sur le marché s'il respecte une série de critères faisant l'objet d'une évaluation par l'agence nationale de l'État membre, respectant des principes uniformes dévaluation et d'autorisation définis par le règlement d'exécution n° 546/2011. Le même règlement détermine avec précision l'ensemble des étapes et modalités d'examen que l'agence nationale est tenue de suivre, et notamment le contenu des autorisations délivrées, la durée, les modalités et les délais d'examens, les règles relatives à l'étiquetage des produits, les règles relatives au renouvellement, au retrait et aux modifications des AMM, les délais de grâce, les cas particuliers de mise sur le marché de produits à faible risque, etc.

L'article 75 du règlement 1107/2009 précité dispose que « chaque État membre désigne une ou des autorités compétentes chargée de s'acquitter des obligations découlant du présent règlement », laissant ainsi une marge de manoeuvre aux États membres dans leur organisation interne.

En France, avant la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, les AMM étaient délivrées, sur le fondement de l'article R. 253-1 du code rural et de la pêche maritime, par le ministre chargé de l'agriculture. La direction générale de l'alimentation (DGAL) avait en charge la préparation de la décision et, dans la quasi-totalité des cas, la signature, par délégation, de l'autorisation. La décision s'appuyait sur l'avis scientifique de l'Anses, délivré par sa direction de l'évaluation des produits règlementés (DEPR).

Depuis la loi de 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt et son article 51, l'article L. 1313-1 du code de la santé publique dispose que l'Anses détient « des missions relatives à la délivrance, à la modification et au retrait des différentes autorisations préalables à la mise sur le marché et à l'expérimentation ». Ce transfert de compétence s'est également effectué en 2015 concernant les produits biocides.

Les raisons ayant motivé ce transfert de compétence du ministre vers le directeur général de l'agence tiennent essentiellement à l'amélioration de l'efficience des procédures et notamment de réduction des délais engendrés par la double instruction de l'Anses puis du ministère. Par ailleurs, l'administration suivait systématiquement les avis de l'Anses.

Le code de la santé publique prévoit néanmoins, en son article L. 1313-5, que le ministre chargé de l'agriculture peut s'opposer à une décision du directeur général de l'Anses, en lui demandant, par arrêté motivé, de réexaminer le dossier ayant servi de fondement à la décision rendue. Il s'agit bien d'une demande de réexamen, et non d'un pouvoir de réformation de la décision rendue.

La procédure d'autorisation de mise sur le marché de l'Anses

En 2015, la Direction des autorisations de mise sur marché (DAMM) a été créée à l'Anses. Lorsqu'un notifiant soumet un dossier produit phytopharmaceutique en vue d'avoir une autorisation de mise sur le marché, ce dossier est évalué par la DEPR de l'Anses. Les conclusions de l'évaluation des risques sont transmises à la DAMM qui a pour rôle d'analyser ces conclusions et de proposer une décision ou un refus d'autorisation de mise sur le marché du produit. La décision, basée sur les critères uniformes précités, est sous la responsabilité du directeur général de l'Anses. L'Anses publie ensuite, conformément au code de la santé publique, l'ensemble des éléments, décision et évaluation associés, sur son site internet.

En 2023, 2 005 demandes relatives à des autorisations de mise sur le marché ou permis ont été déposées en matière de produits phytopharmaceutiques, matières fertilisantes et supports de culture, et plus de 1 400 décisions ont été signées.

Source : contribution écrite de l'Anses et rapport d'activité thématique 2023

Depuis quelques années, des critiques ont été formulées à l'encontre de l'Anses, notamment sur ses délais de traitement des dossiers jugés par certains comme excessifs, sur une procédure de reconnaissance mutuelle jugée par d'autres comme peu opérante23(*), ou encore concernant certaines de ses décisions24(*). Ces critères ont fait émerger un débat autour de l'opportunité politique mais aussi juridique de redonner une forme de droit de regard du ministre chargé de l'agriculture sur les décisions de l'agence.

L'article 13 de la proposition de loi ferme France adoptée par le Sénat en mai 2023 vise à permettre au ministre chargé de l'agriculture, par arrêté motivé, de suspendre une décision du directeur général après avoir réalisé une balance détaillée des risques sanitaires, environnementaux et de distorsion de concurrence avec un autre État membre de l'Union européenne, et évalué l'efficience de solutions alternatives.

II. Le dispositif envisagé - Permettre au ministre chargé de l'agriculture de suspendre une décision de l'Anses, autoriser dans certaines conditions l'usage de drones pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques et revenir sur l'interdiction législative d'usage de produits contenant des substances appartenant à la famille des néonicotinoïdes

A. Les dispositions relatives à l'Anses

Les alinéas 1 à 6 de l'article 2 reprennent la rédaction de l'article 13 de la proposition de loi Ferme France, adoptée au Sénat le 23 mai 2023.

L'article dispose que le ministre chargé de l'agriculture « peut, par arrêté motivé, suspendre une décision du directeur général prise en application du onzième alinéa de l'article L. 1313-1, après avoir réalisé une balance détaillée entre les risques sanitaires et environnementaux et les risques de distorsion de concurrence avec un autre État membre de l'Union européenne, et évalué l'efficience de solutions alternatives ».

Il pose également le principe d'un accompagnement obligatoire de l'État en matière technique et de recherche en cas de retrait ou de modification d'autorisation visant à restreindre l'usage d'un produit.

Enfin, la rédaction proposée dispose que les délais de grâce prévus par le droit européen sont systématiquement, sous les réserves prévues par ce même droit25(*), portés à leur extension maximale, à savoir six mois pour la vente et la distribution, et un an supplémentaire pour l'élimination, le stockage et l'utilisation des stocks existants.

B. Les dispositions relatives à l'usage de drones pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques

Les alinéas 7 à 10 portent sur l'usage de drones pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques. Le texte modifie l'article L. 253-8 du CRPM pour insérer un I bis permettant, par dérogation au I, de recourir à la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques par aéronef circulant sans personne à bord (drone), dans les conditions prévues à l'article 9 de la directive 2009/128/CE, à savoir « s'il n'y a pas d'autre solution viable, lorsqu'elle présente des avantages manifestes pour la santé humaine et l'environnement par rapport aux applications par voie terrestre ou en cas de danger sanitaire grave qui ne peut être maîtrisé par d'autres moyens ».

Le texte prévoit qu'un arrêté conjoint des ministres chargés de l'agriculture, l'environnement et la santé définit les conditions d'application de la dérogation.

C. Les dispositions relatives à l'usage de produits contenant des substances appartenant à la famille des néonicotinoïdes

Enfin, les alinéas 11 et 12 abrogent les II et II bis du même article L. 253-8, ainsi que l'article L. 253-8-3 du CRPM, relatifs à l'interdiction d'utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d'action identiques, ainsi que des semences traitées avec ces mêmes produits. De ce fait, il est procédé à un retour à l'application, par défaut, des règlements européens en la matière, soit une autorisation de commercialiser des produits à base d'acétamipride, les quatre autres substances actives composant la famille des néonicotinoïdes étant interdites.

Ces dispositions ne conduisent pas à réautoriser de fait les produits contenant de l'acétamipride, puisque de tels produits devront faire par la suite l'objet d'une évaluation et, le cas échéant, d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par l'Anses. C'est donc uniquement la barrière législative à l'emploi de ces produits qui est levée.

III. La position de la commission - Appliquer le droit européen

La commission des affaires économiques et son rapporteur se sont attachés, en la matière, à faire preuve de pragmatisme.

Constatant que l'interdiction de l'acétamipride engendrait non seulement des distorsions de concurrence, mais aussi des situations d'impasses techniques pour certaines filières agricoles, mettant toujours davantage en péril la souveraineté alimentaire nationale et la compétitivité de nombreuses exploitations, elle s'est prononcée pour le retour à l'application du droit européen.

Dans le même état d'esprit, la commission approuve les dispositions relatives à l'usage de drones pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques, dans la mesure où cet usage demeure dérogatoire et strictement encadré par le droit européen et, le cas échéant, par des dispositions réglementaires complémentaires.

Enfin, concernant le rôle du ministre chargé de l'agriculture dans le processus de délivrance des AMM, la commission, à l'initiative de son rapporteur et de Vincent Louault, a adopté deux amendements identiques COM- 33 et COM-24, visant à lever une insécurité juridique figurant dans la rédaction initiale, à savoir la possibilité pour le ministre de fonder sa décision sur une balance prenant en compte la dimension économique, dimension non prévue par le droit européen. Le texte issu de la commission prévoit que le ministre chargé de l'agriculture dispose d'un pouvoir d'évocation d'un dossier traité par l'Anses et relatif à un produit phytopharmaceutique. Le ministre a alors la possibilité de statuer sur ce dossier. Le droit européen laisse en effet à l'appréciation de chaque État le choix de l'autorité décisionnaire en matière d'AMM. En tout état de cause, le ministre devra fonder sa décision sur les mêmes critères que le directeur général de l'Anses, ces critères étant européens et non nationaux.

De plus, malgré l'avis défavorable du rapporteur qui estimait que ce n'était pas le rôle de l'Anses, mais des instituts comme l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), ou encore les instituts techniques agricoles, la commission a adopté un amendement COM-20 de Vincent Louault et plusieurs de ses collègues visant à compléter la liste des missions de l'Anses figurant à l'article L. 1313-1 du code de la santé publique, pour y ajouter la contribution à encourager l'innovation.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

TITRE II
SIMPLIFIER L'ACTIVITÉ DES ÉLEVEURS
Article 3
Modifications des procédures environnementales
concernant les plus grands élevages, notamment par un assouplissement du régime français des installations classées pour la protection
de l'environnement (ICPE) qui leur sont applicables

Cet article vise à revenir sur un « effet de bord » récent (issu de la loi « Industrie verte ») et sur une potentielle « surtransposition » ancienne (de la directive « IED ») assujettissant l'élevage à des procédures environnementales présentées par les filières animales comme des freins importants à leur développement. Dans sa version initiale, l'article comportait ainsi plusieurs assouplissements des procédures environnementales concernant les projets des exploitations agricoles et notamment pour les plus grands élevages : obligations renforcées de motivation des avis de l'autorité environnementale, suppression du caractère systématique des réunions publiques d'ouverture et de clôture pour les projets de création, d'extension ou de regroupement d'élevages soumis à autorisation environnementale, reconnaissance des principes de spécificité et d'adaptation des procédures ICPE pour les exploitations agricoles, modification des seuils en dessous desquels s'applique par principe la procédure d'enregistrement (ou d'autorisation simplifiée), en les relevant, notamment, de 30 000 à 40 000 volailles, de 450 à 750 truies, de 400 à 800 bovins à l'engraissement et de 150 à 400 vaches laitières.

Sur la proposition du rapporteur Pierre Cuypers, la commission a adopté trois amendements visant à :

- revenir sur l'obligation de réaliser systématiquement des réunions publiques d'ouverture et de clôture au sujet des projets d'élevage soumis à autorisation environnementale, en donnant la possibilité au commissaire enquêteur de les remplacer par une simple permanence en mairie ;

- sécuriser juridiquement le relèvement des seuils d'application du régime de l'enregistrement, en attendant l'entrée en vigueur de la directive sur les émissions industrielles (dite « IED ») révisée ;

- mieux encadrer la procédure de basculement au cas par cas, par le préfet, de l'enregistrement vers l'autorisation.

L'assouplissement et l'encadrement des procédures environnementales sont une revendication centrale pour certaines filières d'élevage, qui craignent que la ferme France ne se donne plus les moyens de produire la viande que les Français consomment.

La commission a adopté ces trois amendements ainsi que l'article 3 ainsi modifié.

I. La situation actuelle - Un effet de bord récent et une potentielle « surtransposition » ancienne assujettissent l'élevage à des procédures environnementales présentées par les filières animales comme des freins importants à leur développement

A. Un effet de bord récent

L'article 4 de la loi dite « Industrie verte26(*) » vise à accélérer les procédures relatives aux installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) - et installations, ouvrages, travaux et activités (IOTA) au titre de la loi sur l'eau.

Les projets entrant dans l'une ou l'autre de ces catégories, ou les deux, sont soumis à autorisation environnementale, une procédure unique née en 2017 d'un souci de simplification des procédures environnementales. Les projets d'ampleur, pouvant avoir une incidence sur l'environnement, dans le domaine industriel, logistique, mais aussi par exemple, dans le domaine de l'élevage, sont soumis à cette même procédure.

Alors que, pendant six ans, les dossiers d'autorisation environnementale se déroulaient en trois phases (phase d'examen, phase de consultation et enfin phase de décision), la réforme de la loi « Industrie verte », entrée en vigueur le 22 octobre 202427(*) a entendu fusionner les phases d'examen et de consultation, à compter du dépôt d'un dossier complet et régulier par le porteur de projet (art. L. 181-9 du code de l'environnement).

Ce faisant, cette réforme a étendu la durée de la consultation du public - commune à la phase d'examen - au-delà de trois mois et prévu deux réunions publiques, au début et à la fin de l'enquête publique, ces dernières étant aux frais des porteurs de projet (art. L. 181-10-1 du même code).

Source : Direction générale de la prévention des risques

Cette réforme, appelée « parallélisation des procédures », est intervenue à la suite du rapport « Guillot28(*) » de 2022, dans lequel ont été émises plusieurs propositions visant à faciliter l'installation de projets industriels et logistiques sur le territoire national. Elle a néanmoins emporté des conséquences pour l'élevage, les plus importants d'entre eux étant soumis à autorisation environnementale, quand bien même ce secteur n'était pas au coeur des réflexions de la loi « Industrie verte » - raison pour laquelle les parties prenantes de ces filières ont pris l'habitude de parler d'« effet de bord » de cette loi.

Or, l'élevage, notamment les filières porcine et avicole, plus souvent intensives, est confronté à des difficultés croissantes d'acceptabilité dans de nombreux territoires ruraux, ce qui renvoie plus largement à la problématique des « troubles anormaux de voisinage » reprochés aux activités agricoles, qui ont conduit à deux ajustements législatifs en seulement trois ans29(*).

À rebours de l'intention affichée de facilitation des implantations industrielles et logistiques, pour l'élevage, l'extension de la durée de la consultation du public et la systématisation de réunions publiques - contre de simples permanences du commissaire enquêteur précédemment - seraient sources d'irritants locaux supplémentaires, ces derniers étant déjà fréquents, si ce n'est systématique.

Les difficultés connues par le président de l'interprofession porcine (Inaporc) pour augmenter la capacité de sa porcherie Avel Vor de 9 000 à 12 000 porcs de production, à Landunvez (Finistère), alors que le commissaire enquêteur avait rendu un avis favorable au projet, sont devenues un emblème de cette problématique30(*).

De façon générale, selon l'Union des groupements de producteurs de viande de Bretagne (UGPVB), le risque, auquel font face les éleveurs, d'un contentieux ou d'une mobilisation de riverains ou d'associations environnementales ou de protection animale, découragerait les créations ou extensions d'élevage. Dans une région d'élevage comme la Bretagne, cela constituerait notamment un frein au phénomène de regroupement d'élevages qui résulte du non-renouvellement de la population active agricole.

Si le recul est insuffisant pour juger des effets de l'article 4 de la loi « Industrie verte », entré en vigueur une semaine avant le dépôt de la présente proposition de loi, La Coopération agricole estime que la réforme se traduit par une forme d'« autocensure » des éleveurs, qui préfèreraient renoncer à leurs projets - a fortiori dans un contexte où il est envisagé de revenir à brève échéance sur cette disposition. La DGPR a confirmé mi-novembre que seuls cinquante dossiers avaient été déposés, tous secteurs confondus, et que le stade de la phase unique d'examen et de consultation n'était pas atteinte.

B. Une potentielle « surtransposition » ancienne, s'agissant des seuils d'emplacements à partir desquels les élevages sont soumis à autorisation

Le régime français des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE31(*)) concerne « les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique », ainsi que les carrières (art. L. 511-1).

Sur le fondement de ce régime, qui tire ses origines de premières réglementations sur les activités industrielles datant de 1810, les porteurs de projet concernés peuvent être soumis à déclaration, à enregistrement ou à autorisation (décret n° 77-1133 du 21 septembre 1977).

L'article L. 512-7 du code de l'environnement, relatif à l'enregistrement (ou autorisation simplifiée) des ICPE, exclut par principe de son champ d'application les installations qui sont soumises « à une obligation d'évaluation environnementale systématique au titre de l'annexe I de la directive 85/337/ CEE du 27 juin 1985 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement » (directive dite « EIE »), ainsi que celles qui sont soumises « à la directive 2010/75/UE du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010 relative aux émissions industrielles au titre de son annexe I » (directive dite « IED »).

Cette double exclusion, censée transposer ces deux directives, est cohérente avec l'article L. 512-7 précité, selon lequel l'enregistrement concerne « les installations qui présentent des dangers ou inconvénients graves pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1, lorsque ces dangers et inconvénients peuvent, en principe, eu égard aux caractéristiques des installations et de leur impact potentiel, être prévenus par le respect de prescriptions générales édictées par le ministre chargé des installations classées » et « les secteurs ou technologies dont les enjeux environnementaux et les risques sont bien connus ».

L'autorisation se traduit, elle, par un arrêté préfectoral contenant des prescriptions spécifiques. En pratique, la soumission d'un projet à autorisation emporte ouverture d'une enquête publique.

Compte tenu de cette différence d'exigence, selon La Coopération agricole, le coût des formalités nécessaires à la constitution de dossiers pour les procédures d'enregistrement et d'autorisation des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) serait respectivement d'environ « 5 à 15 000 € » et de « 15 à 20 000 € », en se limitant stricto sensu aux documents, et sans compter, donc, le coût associé aux autres formalités (plan d'épandage, formalités légales, permis de construire, architecte, etc.) voire à un éventuel contentieux devant le tribunal administratif.

Selon les données de la direction générale de la prévention des risques (DGPR), les effectifs dans chacune de ces catégories sont aujourd'hui les suivants :

Filière

Déclaration

Enregistrement

Autorisation

Volailles

Environ 17 000

737

(30 à 40 000 places)

2 259

(> 40 000 places)

Porc

Environ 6 000

6 967

(> 450 animaux équivalents)

702

(> 750 truies ou 2 000 places de porcs de production)

Boeuf

Environ 62 000

1 344

(> 400 bovins à l'engraissement ou > 150 vaches laitières)

65

(> 800 bovins à l'engraissement ou > 400 vaches laitières)

Si ces chiffres ne laissent pas apparaître d'effet de seuil pour les volailles entre enregistrement et autorisation (737 contre 2 259), il est possible qu'un tel effet existe pour les porcs entre enregistrement et autorisation (environ 7 000 contre 700) et surtout pour les bovins entre déclaration et enregistrement (environ 62 000 contre plus de 1 300). Les effectifs soumis à autorisation sont en effet bien plus réduits que les effectifs soumis à enregistrement, ce qui permet de faire l'hypothèse que des stratégies visant à rester juste en dessous du seuil d'autorisation ont pu être mises en oeuvre.

C. De façon générale, un manque de reconnaissance de la spécificité de l'élevage s'agissant des procédures environnementales

Les règles applicables aux installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) concernent des activités de nature diverse, le critère décidant de l'assujettissement d'un projet à ce régime résidant dans les incidences sur l'environnement et non dans sa nature même.

Au-delà des seuils décidant de manière fine, dans une nomenclature relevant du règlement, de la forme que prend cette procédure environnementale - déclaration, enregistrement ou autorisation - il n'existe donc pas de traitement particulier des installations agricoles dans le cadre du régime des ICPE, quand bien même, comme le souligne La Coopération agricole, l'activité agricole est souvent le fait d'entreprises unipersonnelles.

De ce fait, la FNSEA souligne des difficultés à faire valoir la spécificité de l'agriculture dans l'édiction de normes générales, qui seraient plus adaptées à des installations de type industriel, bien éloignées de ce que serait la réalité de l'élevage en France, qui resterait de dimension réduite en comparaison internationale.

Pour toutes les raisons évoquées, les représentants du monde agricole ont insisté sur le fait que l'assujettissement des activités agricoles à un régime au départ pensé pour les activités industrielles n'était pas qu'un irritant symbolique. La Coopération agricole rappelle à ce titre, dans sa contribution écrite, « qu'elle soutient la sortie de l'élevage de la directive IED en 2026 pour avoir une réglementation spécifique adaptée à l'élevage ».

D. Et une acceptabilité des avis de l'autorité environnementale qui pourrait être améliorée

Dans le cadre de l'autorisation environnementale, l'autorité environnementale - en pratique, des agents de la direction régionale de l'environnement et de l'alimentation (Dreal), sous l'autorité du préfet - rend des avis dont le contenu est souvent utilisé par les tiers à l'occasion de recours contre des projets de construction ou d'extension d'élevage. Les filières animales demandent de renforcer la fiabilité de ces avis, pour limiter le risque de contentieux juridique.

II. Le dispositif envisagé - Plusieurs modifications et assouplissements des procédures environnementales concernant les plus grands élevages au bénéfice des porteurs de projet de création ou d'extension de bâtiments d'élevage

Le 1° de l'article 3 (deux premiers alinéas) renforce les obligations de motivation des avis de l'autorité environnementale, en prescrivant que « l'avis de l'autorité environnementale se fonde sur les enseignements de la science et cite les études académiques mobilisées pour son élaboration ».

Le 2° (alinéas 3 à 9) revient sur l'« effet de bord » mentionné supra de la loi dite « Industrie verte », en prévoyant un retour aux trois phases de l'instruction de l'autorisation environnementale (examen et consultation du public seraient à nouveau dissociés), pour les seuls bâtiments d'élevage de bovins, de porcs ou de volailles. Le périmètre de ce retour au droit antérieur diffère de celui qui avait été retenu dans l'amendement déposé par les rapporteurs Laurent Duplomb et Franck Menonville au projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture (PLOA). Cela annule l'obligation d'organiser deux réunions publiques.

Le 4° (alinéas 11 et 12) reconnaît la spécificité des projets des exploitations agricoles dans le code de l'environnement en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). Ce principe d'adaptation ne s'appliquerait donc pas aux activités agricoles (critère matériel), mais aux activités relevant d'exploitations agricoles (critère formel).

Le 5° (alinéa 13) entend procéder à la « dé-surtransposition » mentionnée supra pour permettre de relever les seuils dont le franchissement fait basculer un projet de l'enregistrement à l'autorisation, et donc à partir desquels s'applique l'obligation d'enquête publique, en s'alignant, pour les projets d'élevage - et non pas des activités agricoles dans leur ensemble -, sur les seuils de la directive EIE (évaluation des incidences sur l'environnement) et non plus sur ceux, plus bas, de la directive IED (directive sur les émissions industrielles).

III. La position de la commission - L'assouplissement et l'encadrement des procédures environnementales : une revendication des filières d'élevage intensif, qui craignent que la ferme France ne se donne plus les moyens de produire la viande que les Français consomment

La commission a suivi les auteurs et le rapporteur de la proposition de loi dans leur entreprise consistant à lever des contraintes s'appliquant aux projets agricoles, et en particulier d'élevage, dans l'optique de reconquérir de la souveraineté agricole et alimentaire et d'enrayer le phénomène de décapitalisation.

Elle a maintenu le principe, symbolique, d'un traitement particulier des exploitations agricoles en matière d'ICPE, sans lui donner pour autant de concrétisation à ce stade.

A. La « dé-surtransposition » de l'actuelle directive IED : un risque juridique que le rapporteur ne souhaite pas faire porter aux filières d'élevage

Si la « dé-surtransposition » initialement proposée dans le texte était adoptée, le seuil à partir duquel une autorisation serait nécessaire pourrait passer de la troisième à la quatrième colonne du graphique suivant.

Filière

Production

IED (seuil d'autorisation)

EIE (seuil d'évaluation des incidences sur l'environnement)

Volailles

Poulets de chair

> 40 000 emplacements

> 85 000 places

Poules pondeuses

> 60 000 places

Porc

Porcs de production de plus de 30 kg)

> 2 000 emplacements

> 3 000 places

Truies

> 750 emplacements

> 900 places

Source : commission des affaires économiques

Ainsi, la hausse de ce seuil pourrait aller jusqu'à :

- + 50 % pour les poules pondeuses ;

- + 112,5 % pour les poulets de chair ;

- + 50 % pour les porcs de production de plus de 30 kg ;

- et + 20 % pour les truies.

Encore faudrait-il que le Gouvernement procède par décret en Conseil d'État (révisant le décret n° 53-578 du mai 1953, régulièrement modifié32(*)) à la modification des rubriques de la nomenclature ICPE - rubriques 2102 (porcs), 2111 (volailles, gibier à plumes) et 3660 (élevage intensif) - à l'annexe de l'article R. 511-9 du code de l'environnement, et au relèvement à proprement parler de ces seuils, qui figurent dans un tableau annexé à l'article R. 122-2 du même code.

Le Gouvernement a déjà prévu un relèvement des seuils à partir desquels s'applique une obligation d'évaluation environnementale, par un décret n° 2024-529 du 10 juin 2024 portant diverses dispositions relatives à l'évaluation environnementale des projets. Ce décret ne traite toutefois pas de la question de la soumission à l'autorisation environnementale.

À ce titre, il est relevé dans les conclusions de la consultation du public organisée sur ce décret, que, pour La Coopération agricole, « le décret n'entrainera pas de réelle simplification sur le terrain car les projets resteront soumis à une procédure d'autorisation environnementale avec enquête publique et étude d'incidence dans le cadre de la réglementation ICPE française ».

Pour autant, après échanges approfondis avec les ministères chargés de l'environnement et de l'agriculture, le rapporteur Pierre Cuypers a jugé bon de ne faire prendre aucun risque juridique aux filières d'élevage et, plus largement, au régime de l'enregistrement ICPE. Celui-ci apporte une souplesse bienvenue aux entreprises de nombreux secteurs, et sa conformité au droit de l'Union européenne a déjà quelquefois été questionnée.

La direction générale de la prévention des risques (DGPR), qui pilote cette politique, considère que la directive IED, dans sa forme actuelle, ne permet pas d'appliquer le régime de l'enregistrement (ou autorisation simplifiée) à des projets relevant du champ d'application de cette directive. Cette dernière prescrit en effet des mesures « adaptées » aux projets, tandis que le régime de l'enregistrement ne prévoit que des mesures « générales ».

La Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) ne partage toutefois pas cette analyse.

Analyse par la FNSEA de la conventionnalité de l'alignement des seuils
de l'enregistrement ICPE sur les seuils IED pour les élevages

Selon notre analyse, le régime de l'enregistrement est compatible avec la directive IED en prévoyant trois gages :

- L'intégration des MTD à l'arrêté de prescriptions générales pour les exploitations soumises à IED en enregistrement ;

- Que ces exploitations procèdent à la déclaration annuelle des émissions polluantes (Gerep) ;

- Que ces exploitations fassent l'objet d'un contrôle tous les 3 ans.

Cette analyse s'appuie sur les éléments suivants :

- Obligation de détention d'une autorisation d'exploiter : la directive IED, dans son article 4, exige que « Les États membres prennent les mesures nécessaires afin qu'aucune installation ou installation de combustion, installation d'incinération des déchets ou installation de coïncinération des déchets ne soit exploitée sans autorisation ». Par « autorisation », selon l'article 3 de la directive, on entend « une autorisation écrite d'exploiter tout ou partie d'une installation ». En ce sens, le régime d'enregistrement tel que défini à l'article L512-7 du code de l'environnement : « autorisation simplifiée, sous la dénomination d'enregistrement » constitue une autorisation d'exploiter. Un arrêté d'enregistrement est pris par le préfet (article L512-7-3 du code de l'environnement).

- Consultation du public : la délivrance de l'arrêté préfectoral fait l'objet d'une consultation du public (article L512-7-1 du code de l'environnement) : « Le dossier de demande d'enregistrement est mis à disposition du public... qui est informé des modalités selon lesquelles sont possibles la consultation du dossier et l'émission, en temps utile, d'observations ».

- Prescriptions générales applicables aux exploitations : concernant les prescriptions applicables aux exploitations, la directive IED indique, en son article 6, que les États membres peuvent prévoir, dans des prescriptions générales contraignantes, des exigences applicables à certaines catégories d'installations. En cas d'adoption de prescriptions générales contraignantes, l'autorisation peut simplement faire référence à ces prescriptions. C'est ici précisément le cas de l'enregistrement français dans le cadre de l'arrêté de prescriptions générales.

- Prescriptions spécifiques le cas échéant : dans son article 11, la directive IED prévoit que les États membres prennent les dispositions nécessaires pour que l'installation soit exploitée en prenant en compte toutes les mesures de prévention appropriées prises contre la pollution ainsi que les MTD. Cela est possible dans le cadre de l'arrêté de prescriptions générales pour les MTD et dans le cadre de l'arrêté préfectoral d'enregistrement pour toute autre mesure. En effet, l'article L512-7-3 du code de l'environnement prévoit que « le préfet peut assortir l'enregistrement de prescriptions particulières complétant ou renforçant les prescriptions générales applicables à l'installation ». Par ailleurs, « ces prescriptions particulières peuvent aussi inclure des aménagements aux prescriptions générales justifiés par les circonstances locales ».

- Intégration des MTD et des valeurs limites d'émissions : nous proposons de modifier l'arrêté de prescriptions générales en enregistrement en repartant de la rédaction existante du chapitre VIII « Installations classées au titre de la rubrique 3660 » de l'arrêté du 27/12/2013 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations relevant du régime de l'autorisation au titre des rubriques nos 2101, 2102, 2111 et 3660 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement. L'article 41 de cet arrêté prévoit notamment que l'exploitant d'une installation autorisée après la parution des conclusions MTD mette en oeuvre les meilleures techniques disponibles en choisissant, précisant et justifiant celles qu'il met en oeuvre et que l'installation respecte les niveaux d'émission.

Ainsi, en incluant les trois gages évoqués précédemment, le régime enregistrement modifié satisfait à la directive IED, notamment son article 14 sur les conditions d'autorisation.

Source : contribution écrite de la FNSEA

Si la directive IED ne prescrit pas nécessairement d'assujettir tous lesdits projets au régime de l'autorisation, elle ne semble pas permettre, en l'état, de les soumettre à enregistrement.

Il se trouve cependant que la directive IED a été révisée en avril 2024, consacrant l'existence en droit européen dudit régime d'enregistrement et son application à l'élevage - hormis pour l'élevage dit « intensif » au sens de la directive EIE.

Afin de tirer parti de cette nouvelle possibilité sans faire courir aucun risque au régime de l'enregistrement par excès d'impatience, le rapporteur a proposé par un amendement COM-32 de prévoir une transposition de la nouvelle directive prenant effet dès lors que le règlement d'exécution relatif à cette question aura été adopté, au plus tard le 1er septembre 2026. Il s'agit d'une forme d'« antéposition » de la nouvelle directive qui donne gain de cause aux acteurs plaidant en ce sens.

B. Revenir sur l'obligation, résultant de la loi « Industrie verte », de tenir deux réunions publiques, en assouplissant la consultation du public pour tout projet soumis à autorisation environnementale

La Direction générale de la prévention des risques (DGPR), administration compétente en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), a manifesté de façon constante son opposition à la définition de régimes sectoriels spécifiques :

- d'abord, parce que, s'agissant de la raison même de la politique publique de prévention des risques et du régime des ICPE, aucun élément ne viendrait justifier d'exceptions pour un secteur plutôt que pour un autre, le seul critère devant demeurer à son sens étant celui des incidences potentielles sur l'environnement - or, le secteur agricole représente depuis plusieurs années près de 10 % de l'accidentologie française des ICPE recensée, avec deux phénomènes récurrents : l'incendie et les rejets de matières dangereuses et/ou polluantes (effluents azotés, ammoniac, méthane...) ;

- ensuite parce que la DGPR exprime la crainte que le paysage juridique ne se complexifie davantage, du fait de la multiplication de procédures spécifiques à chaque secteur, se retournant paradoxalement contre les porteurs de projet des secteurs qui prétendent à l'établissement d'un régime dérogatoire : complexité accrue liée à la multiplication de régimes sectoriels ad hoc, manque de moyens financiers et humains pour que les inspecteurs de l'environnement réalisent correctement leurs missions, et donc risque d'effacement progressif de la logique d'accompagnement, au profit d'une approche plus répressive.

Afin de répondre à ces inquiétudes, le rapporteur Pierre Cuypers a présenté un amendement COM-30 visant à appliquer la souplesse demandée à tout projet soumis à autorisation environnementale - et non plus aux seuls élevages. Conçu en lien étroit avec le Gouvernement, cet amendement prévoit la possibilité de transformer les deux réunions publiques obligatoires en une simple permanence en mairie, sur simple demande du commissaire enquêteur, en lien avec le préfet compétent. Cette possibilité nouvelle est de nature à apaiser les débats pour les projets de moindre enjeu pour l'environnement, tout en permettant une consultation du public dans de bonnes conditions.

Faisant droit à une autre demande des professionnels de l'élevage, le rapporteur a fait adopter par la commission son amendement COM-31 afin d'encadrer la possibilité pour le préfet de basculer des projets de l'enregistrement à l'autorisation dans le cadre des ICPE.

La possibilité de « basculer au cas par cas » des projets d'une procédure d'enregistrement à une procédure d'autorisation est une exigence de la directive dite EIE (directive européenne concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement). Cet amendement vise toutefois à encadrer les motifs sur lesquels le préfet peut procéder à ce basculement, sans revenir sur le principe même de cette possibilité. Afin de s'en tenir au strict minimum de ce qui est prescrit par la directive et d'éviter tout risque de « surtransposition », cet amendement prévoit de tenir davantage compte des informations fournies par le porteur de projet et de définir par la voie réglementaire, plutôt que dans la loi, les motifs sur lesquels le préfet peut décider d'opérer ledit basculement.

C. Veiller un encadrement équilibré de l'autorité environnementale afin de maintenir la fiabilité de ses avis

Le rapporteur n'a pas jugé utile de retenir un amendement, inspiré d'une proposition de La Coopération agricole, qui aurait rendu publiques les délibérations de l'autorité environnementale, l'équilibre de l'article 3 lui paraissant le bon. Il a notamment craint que l'effet d'autocensure qu'aurait pu induire une telle mesure sur la parole des membres de l'autorité environnementale ne comporte des effets contreproductifs sur la qualité des avis rendus, fragilisant in fine des projets ayant reçu un avis favorable, mais potentiellement fragiles juridiquement.

Cependant, les avis de l'autorité environnementale étant souvent mobilisés par les tiers à l'occasion de recours contre des projets de création ou d'extension d'élevage, le rapporteur juge que cela plaide pour renforcer les obligations de motivation qui leurs sont applicables, comme le fait le 1° de la présente proposition de loi. Il y voit, avec les auteurs de la proposition de loi, le moyen d'améliorer la transparence de ces décisions, afin d'en renforcer l'autorité, la fiabilité et, de ce fait, l'acceptabilité.

La DGPR a pointé, d'une part, le risque d'émergence d'un contentieux supplémentaire qui serait fondé sur le non-respect de cette formalité, et d'autre part le manque potentiel d'études académiques propres à la localité dans laquelle un projet d'élevage est envisagé. Le rapporteur précise que des études académiques générales peuvent être mobilisées pour des cas particuliers, le propre de conclusions scientifiques étant leur réplicabilité.

Le rapporteur appelle néanmoins à la vigilance quant au risque que les obligations nouvelles pesant sur l'autorité environnementale entraînent un allongement de ses délais d'instruction, en raison de l'insuffisante disponibilité d'études correspondant aux critères ici fixés, ce qui aurait un effet contraire à celui recherché. C'est pourquoi il a alerté notamment l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) sur la nécessité de mettre à disposition en nombre suffisant des études scientifiques pertinentes, actualisées, et tenant compte, autant que possible, des spécificités locales, au besoin sur une plateforme dédiée.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 4
Procédure de réévaluation du calcul des pertes de production
fondées sur des indices

Cet article vise, dans le cadre des contrats d'assurance récolte, à mettre en place une procédure permettant, le cas échéant, de réévaluer la perte moyenne d'une production sur une zone donnée, lorsque le calcul de cette perte est fondé sur des indices et dès lors qu'un nombre suffisant de réclamations est atteint au sein d'un département.

La rédaction proposée par les auteurs reprend celle issue des travaux du Sénat dans le cadre du projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture. Cette rédaction n'avait alors pas été retenue à l'issue des travaux de la CMP.

La commission, suivant l'avis de son rapporteur, a souhaité adopter sans modification cet article dans la mesure où, d'une part, sa rédaction correspond à la position portée par le Sénat dans le cadre des discussions autour du projet de loi d'orientation susmentionné et où, d'autre part, le ministère de l'agriculture a fait état au rapporteur de certaines difficultés dans la pleine mise en oeuvre de la loi.

Pragmatique, la commission a préféré poursuivre les échanges avec le ministère de l'agriculture en vue d'identifier les mesures les plus appropriées, le cas échéant de nature législative ou règlementaire, pour traiter efficacement la problématique bien réelle de la récurrence des dysfonctionnements dans l'évaluation par indice des pertes de production en prairie en cas d'aléa climatique.

La commission a adopté cet article sans modification.

I. La situation actuelle - Une vaste réforme de l'assurance récolte se mettant progressivement et difficilement en place

A. La réforme de l'assurance récolte

Dans un contexte d'augmentation des aléas climatiques ainsi que de leur intensité, la loi n° 2022-298 du 2 mars 2022 d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture a mis en place un nouveau dispositif destiné à mieux protéger les agriculteurs et à encourager la souscription de contrats d'assurances multirisques (MRC).

Depuis 2023, le dispositif de couverture des risques se compose de trois étages :

1) une prise en charge des aléas courants par les agriculteurs ;

2) des aléas significatifs couverts, le cas échéant, par une assurance MRC subventionnée à hauteur de 70 % ;

3) des aléas exceptionnels pris en charge par la solidarité nationale à niveau différent selon que l'exploitant soit ou non assuré.

Source : Ministère de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt

La loi fixe des objectifs ambitieux de surfaces agricoles couvertes par un contrat MRC, faisant le pari d'une meilleure adhésion des agriculteurs au dispositif en raison de la subvention de l'État portée au maximum permis par le droit européen, ce qui constitue par ailleurs une avancée majeure permise par le Sénat et son rapporteur Laurent Duplomb, en séance publique.

Pour 2023, l'augmentation des surfaces agricoles couvertes a été très encourageante, avec une moyenne de + 33,2 %. Il est à noter le passage d'un taux de couverture des prairies de 0,5 % à 9 %33(*).

Pour 2024, la presse spécialisée s'est fait l'écho de résultats plus mitigés34(*). Or, dans un contexte d'augmentation des aléas climatiques et de leur intensité, il semble nécessaire qu'un nombre suffisant d'agriculteurs souscrivent un contrat pour préserver le ratio sinistres / primes des assurances commercialisant ces produits, au risque d'un affaiblissement durable du système mis en place par la réforme.

Enfin, les discussions entre les entreprises distribuant des assurances MRC, dans le but de créer un pool de co-réassurance sous forme de groupement d'intérêt économique (GIE), semblent prendre un retard non négligeable avec un dispositif effectif, selon Allianz, en 2026 voire 202735(*). La création de ce groupement, prévu par les articles L. 442-1-1 et suivants du code des assurances, vise à permettre une mise en commun des données agricoles et une mutualisation des risques, de manière à maintenir les primes à un niveau acceptable pour les souscripteurs.

B. La problématique de l'évaluation des pertes en prairie

Les contrats MRC peuvent être par groupe de cultures ou à l'exploitation. Les groupes de cultures sont, en application de l'article D 361-43-1 du CRPM, les suivants :

1° Grandes cultures, dont cultures industrielles et semences de ces cultures ;

2° Légumes pour l'industrie et le marché frais et semences de ces cultures ;

3° Viticulture ;

4° Arboriculture et petits fruits ;

5° Prairies ;

6° Autres productions, dont plantes à parfum, aromatiques et médicinales, horticulture, pépinières, apiculture, aquaculture, héliciculture.

Le cas des prairies est particulier en raison des coûts importants qu'entraînerait une expertise systématique de terrain à la suite d'aléas climatiques. De plus, la production est essentiellement autoconsommée au fil de la saison, et les comparaisons historiques sont difficiles. C'est pourquoi il a été décidé de développer un indice de production des prairies (IPP), s'appuyant sur des images satellite chargées de déterminer le niveau du couvert.

Si la chambre haute n'a pas contesté l'évaluation des pertes par satellite, dès les débats parlementaires, le Sénat avait souligné, par la voix de son rapporteur, que « confier exclusivement l'évaluation des pertes à des satellites comme cela sera le cas dans certaines filières sans contestation possible n'est pas normal : je vous proposerai de prévoir le droit de solliciter, en cas de contestation de groupe dans un département, une contre-enquête de terrain pour vérifier le niveau estimé des pertes »36(*).

Le rapport Lecamp précité cite les paroles du ministre de l'agriculture, reçu en audition à l'Assemblée nationale : « sans système satellitaire, il ne peut y avoir de système assurantiel [...] ; pour crédibiliser les choses, nous allons déployer en 2024 un réseau de 350 fermes de référence qui permettront de confronter la perception sur le terrain avec les informations fournies par les satellites ; nous travaillons avec les assureurs pour que leurs indices individuels soient mesurés plusieurs fois dans l'année afin d'éviter les distorsions ».

En avril 2024, un observatoire national de la pousse de l'herbe (ONPH) a effectivement été déployé conjointement par Chambres d'agriculture France (CDAF) et l'Institut de l'élevage (Idele). Composé pour 2024 de 350 fermes de référence, le réseau est d'ores et déjà appelé à se densifier en 2025, pour permettre de corroborer les données produites par satellite et, le cas échéant, de les ajuster.

La confiance semble effectivement décroître chez certains éleveurs, le président de la fédération nationale bovine, cité par la presse spécialisée37(*) indiquant que « Chez les éleveurs, presque plus personne ne veut souscrire à l'assurance récolte, car le dispositif n'est pas adapté à notre secteur. Les satellites ne reconnaissent même pas la grêle ou les inondations dans les prairies ».

Si la version sénatoriale de la procédure de contre-expertise permettant de contester une évaluation de pertes fondée sur des indices n'avait pas été retenue en CMP, les deux assemblées étaient néanmoins tombées d'accord pour une procédure « a minima », qui semble montrer ses limites, même si le recul en la matière demeure faible et invite à une certaine prudence.

En effet, l'article L. 361-4-6 du CRPM dispose, en son III, qu'« un décret fixe les conditions d'application du présent article et les conditions dans lesquelles les évaluations des pertes de récoltes ou de cultures peuvent faire l'objet d'une demande de réévaluation par les exploitants, notamment en cas d'erreur manifeste relative à l'évaluation des pertes par un système indiciel. »

Le décret n° 2023-229 du 30 mars 2023 fixe ainsi la procédure de recours, codifiée au V de l'article D. 361-43-2 du CRPM. La procédure, très longue et fastidieuse, peut éventuellement aboutir - mais, en l'état de la rédaction, sans obligation - à une réévaluation des pertes en cas d'erreur manifeste dans le fonctionnement ou la mise en oeuvre opérationnelle de l'indice, et à condition qu'elle soit corrigible ou quantifiable.

Dans sa réponse au questionnaire du rapporteur, le ministère de l'agriculture indique que « pour la campagne 2023, le nombre de contestations émises s'agissant de l'évaluation des pertes de récolte sur les prairies s'est élevé à 275 pour les exploitants non assurés, et 80 pour des exploitants assurés. Ces contestations se sont concentrées pour l'essentiel dans les quatre zones géographiques suivantes : département des Pyrénées-Orientales, départements de la Haute-Corse et de la Corse-du-Sud, département de la Côte-d'Or et département de l'Hérault. Le processus de traitement de ces contestations dans le cadre de la procédure prévue par le décret n° 2022-229 du 30 mars 2023 est désormais dans sa dernière phase. Le comité d'analyse des indices a procédé à une première audition d'Airbus le 23 octobre 2024 et a sollicité des éléments complémentaires en vue de rendre en début d'année 2025 son analyse de l'absence d'erreur manifeste dans le fonctionnement ou la mise en oeuvre opérationnelle de l'indice.

« Un bilan et retour d'expérience sera réalisé à l'issue de la mise en oeuvre complète de la procédure afin d'en apprécier les résultats et identifier les meilleures voies d'amélioration. À court terme, la préoccupation reste toutefois de la faire parvenir à son terme et voir quelles sont les conclusions techniques des analyses engagées ».

Enfin, le ministère a indiqué au rapporteur que la campagne 2027 verrait le déploiement d'indices à haute résolution, permettant de mieux prendre en compte les aléas climatiques liés à l'eau.

En tout état de cause, au regard des retours d'expérience des éleveurs, des marges de progrès à ce système indiciel encore jeune existent.

II. Le dispositif envisagé - L'introduction de modalités de recours effectives en cas de contestations de l'évaluation des pertes en prairie

Le dispositif proposé à l'article reprend la rédaction issue des travaux du Sénat relatif à la loi « assurance récolte », non conservée à l'issue de la CMP.

Le I de l'article complète le II du L. 361-4-6 du CRPM par trois phrases disposant que « Dès lors qu'un nombre suffisant de réclamations, précisé par arrêté préfectoral, est atteint au sein du département, le comité départemental d'expertise peut lancer une enquête de terrain en vue d'évaluer une perte moyenne de production sur une zone donnée. Au terme de cette dernière, le même comité, s'appuyant sur l'expertise de la chambre départementale d'agriculture, propose une rectification, le cas échéant, des évaluations des pertes de récolte ou de culture. L'organisme chargé de verser l'indemnisation fournit une réponse écrite dans un délai d'un mois à compter de la réception des préconisations du comité départemental d'expertise. ».

Ce même I réécrit largement le III de l'article L. 361-4-6 susmentionné en modifiant la finalité du décret prévu par ce même III : d'une vocation à prévoir des modalités de réévaluation des évaluations de pertes fondées sur un système indiciel, il prévoit désormais les modalités permettant l'effectivité des voies de recours inscrites directement dans la loi.

Enfin, le II de l'article 4 permet une entrée en vigueur différée de l'article, fixée au 1er juin 2025, pour permettre la détermination des modalités de la nouvelle procédure ainsi créée. La modification du décret n° 2023-229 du 30 mars 2023, précédemment mentionné, est en effet indispensable.

III. La position de la commission - Maintenir la disposition en l'état et poursuivre les échanges avec le ministère de l'agriculture

Dans sa réponse au questionnaire, le ministère de l'agriculture indique que « le recours à un indice correspond à la seule façon de mesurer la production annuelle des prairies de façon à la fois simple et stable dans le temps ». Selon le ministère, sans système indiciel, les entreprises d'assurance ne pourraient pas tarifer et proposer des contrats d'assurance en prairie. Le rapporteur a ainsi invité la commission à poursuivre les discussions avec le ministère, mais aussi avec les éleveurs, considérant qu'une suppression pure et simple de l'article n'était pas envisageable au regard des problématiques de terrain qui lui ont été remontées en matière de détermination des pertes de récolte par indice ; mais considérant également que la sensibilité et la complexité du sujet plaidaient, au stade de la commission, pour la prudence.

Suivant la recommandation de son rapporteur, la commission a adopté l'article non modifié et poursuit ses échanges avec les acteurs concernés par la question.

La commission a adopté l'article sans modification.

TITRE III

FACILITER LA CONCILIATION
ENTRE LES BESOINS EN EAU DES ACTIVITÉS AGRICOLES
ET LA NÉCESSAIRE PROTECTION DE LA RESSOURCE
Article 5
Respect d'un principe de non-régression du potentiel agricole par la politique de l'eau, reconnaissance de l'intérêt général majeur s'attachant aux prélèvements et ouvrages de stockage d'eau, prise en compte des intérêts agricoles par les documents de planification de la politique de l'eau et définition des zones humides

Cet article vise premièrement à inclure le respect d'un principe de non-régression du potentiel agricole par la politique de gestion équilibrée et durable de l'eau prévue dans le code de l'environnement.

Il vise, deuxièmement, à reconnaître d'intérêt général majeur les projets destinés au stockage de l'eau et aux prélèvements nécessaires au remplissage des plans d'eau, permanents ou non, si ceux-ci répondent à un usage partagé.

Troisièmement, il rehausse la place de l'usage agricole de l'eau dans la hiérarchie des usages figurant dans le code de l'environnement.

Quatrièmement, il veille à une meilleure prise en compte, au sein des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage) et des schémas d'aménagement des eaux (Sage), des intérêts agricoles.

Cinquièmement, il propose de revenir à la définition de la zone humide qui prévalait jusqu'en 2019, éclairée par le Conseil d'État dans une décision du 22 février 2017, à savoir la présence cumulée d'un terrain hydromorphe et d'une végétation hydrophile.

Sixièmement, il modifie le poids des collèges des représentants des usagers économiques et des usagers non économiques, au bénéfice des premiers.

La commission a adopté un amendement COM-34 de son rapporteur visant à rationaliser la rédaction de l'article, dans ses parties relatives à l'intérêt général majeur s'attachant aux prélèvements et au stockage de l'eau, de même qu'en inscrivant cet intérêt général majeur dans le respect de la directive-cadre sur l'eau du 23 octobre 2020. Elle a également adopté un amendement COM-12 de Vincent Louault et plusieurs de ses collègues, de portée rédactionnelle.

I. La situation actuelle - Un corpus juridique complet destiné à la gestion et à la protection des masses d'eau et prenant peu en compte les réalités agricoles

A. Le cadre de la protection de la ressource en eau

La protection des masses d'eau trouve une de ses sources principales dans la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau (DCE).

Cette directive est inspirée de l'organisation et de la gestion décentralisée de l'eau mise en place en France de longue date. Elle a réciproquement conduit à des évolutions importantes du droit français, notamment avec la loi n° 2004-338 du 21 avril 2004 portant transposition de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, et qui a fait du Sdage l'élément central de la gestion de l'eau.

Les Sdage et les Sage, abordés plus bas, visent à la mise en oeuvre des objectifs de cette directive et notamment, pour le Sdage, conformément au V de l'article L. 212-2 :

« 1° Pour les eaux de surface, à l'exception des masses d'eau artificielles ou fortement modifiées par les activités humaines, à un bon état écologique et chimique ;

2° Pour les masses d'eau de surface artificielles ou fortement modifiées par les activités humaines, à un bon potentiel écologique et à un bon état chimique ;

3° Pour les masses d'eau souterraines, à un bon état chimique et à un équilibre entre les prélèvements et la capacité de renouvellement de chacune d'entre elles ;

4° À la prévention de la détérioration de la qualité des eaux ».

Ces objectifs correspondent aux objectifs fixés notamment à l'article 4 de la DCE. Ce même article 4 détermine également le contour relatif à un intérêt général majeur pouvant justifier la non-atteinte des objectifs de la directive.

B. Le rôle des Sdage et des Sage

Dans chaque bassin ou groupement de bassins, un comité de bassin est constitué, en application de l'article L. 213-8 du code de l'environnement :

« 1° Pour 40 %, d'un premier collège composé d'un député et d'un sénateur ainsi que, pour chacun d'eux, un suppléant ayant la même qualité de député ou de sénateur, de représentants des conseils départementaux et régionaux et, majoritairement, de représentants des communes ou de groupements de collectivités territoriales compétents dans le domaine de l'eau ;

2° Pour 20 %, d'un deuxième collège composé de représentants des usagers non économiques de l'eau, des milieux aquatiques, des milieux marins et de la biodiversité, des associations agréées de protection de l'environnement et de défense des consommateurs et des instances représentatives de la pêche ainsi que de personnalités qualifiées ;

2bis° Pour 20 %, d'un troisième collège composé de représentants des usagers économiques de l'eau, des milieux aquatiques, des milieux marins et de la biodiversité ainsi que des organisations professionnelles ;

3° Pour 20 %, d'un quatrième collège composé de représentants de l'État ou de ses établissements publics concernés. »

Le comité de bassin assure la gouvernance et définit les orientations des agences de l'eau, qui sont les établissements publics administratifs mettant en oeuvre les Sdage mentionnés à l'article L. 212-1. En Hexagone, on compte six bassins versants, donc six agences de l'eau et six comités de bassin.

En application de l'article L. 212-2, le comité de bassin élabore et met à jour le Sdage, ce qui constitue une mission centrale au regard de la complexité et de l'importance de ce document, qui peut mettre près de 10 ans à être élaboré.

Le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage)

Prévu aux articles L. 212-1 et suivants du code de l'environnement, le Sdage est un document de planification, établi pour une période de 6 ans, qui définit :

- les grandes orientations pour garantir une gestion visant à assurer la préservation des milieux aquatiques et la satisfaction des différents usagers de l'eau ;

- les objectifs de qualité à atteindre pour chaque cours d'eau, chaque plan d'eau, chaque estuaire et chaque secteur du littoral, ainsi que les objectifs de qualité et de quantité pour chaque nappe souterraine ;

- les dispositions nécessaires pour prévenir toute détérioration et assurer l'amélioration de l'état des eaux et des milieux aquatiques.

Un programme de mesures (PDM) accompagne le Sdage. Il regroupe des actions techniques, réglementaires et organisationnelles à mettre en oeuvre pour atteindre les objectifs du Sdage. Il évalue par ailleurs le coût de ces actions.

Le Sdage est élaboré par le comité de bassin, après un état des lieux de la ressource en eau du bassin, l'identification des principaux enjeux propres au bassin et une évaluation des actions déjà menées.

Le PDM est établi par le préfet coordonnateur de bassin qui s'appuie sur les services déconcentrés de l'État et les établissements publics.

Ces documents sont préparés en concertation avec les acteurs de l'eau, mis à disposition du public pour recueillir ses observations (pendant une durée minimale de six mois) et soumis à l'avis des partenaires institutionnels dans le cadre d'une consultation. Ils sont ensuite formellement approuvés par le Préfet coordonnateur de bassin.

Source : rapport d'information du 11 juillet 2023 fait au nom de la mission d'information
sur la « Gestion durable de l'eau : l'urgence d'agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement »

Le Sdage a une portée juridique réelle dans la mesure où le XI de l'article L. 212-1 dispose que « Les programmes et les décisions administratives dans le domaine de l'eau doivent être compatibles ou rendus compatibles avec les dispositions des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux ». Aussi, des décisions administratives n'étant pas jugées compatibles avec les dispositions d'un Sdage, ou d'un Sage sont susceptibles d'être annulées par le juge administratif. Ainsi, de nombreuses annulations d'autorisation de prélèvements d'eau ont pour fondement une non-compatibilité avec les dispositions d'un Sage38(*).

Aussi, il paraît dès lors important que les dispositions législatives relatives à ces documents structurants veillent à prendre en compte les nécessités agricoles, et singulièrement les besoins en eaux de la profession. Or, la dimension économique paraît peu prise en compte, et a fortiori la dimension agricole. On notera cependant une référence, au 1° du II de l'article L. 212-1, à une analyse économique, par le comité de bassin, des utilisations de l'eau.

À noter que les Sage, prévus à l'article L. 212-3 et généralement élaborés par des commissions locales de l'eau (CLE), doivent également être compatibles avec les Sdage, dont ils sont censés être la déclinaison locale. Aucune référence aux enjeux agricoles n'est à relever dans les dispositions législatives relatives aux Sage, alors même que ces documents orientent fortement les politiques locales en matière de ressource en eau. L'enjeu économique est mentionné au 2° du I de l'article L. 212-5-1, relatif au plan d'aménagement et de gestion durable de la ressource en eau et des milieux aquatiques (PADG), pour simplement indiquer que le plan peut « établir un inventaire des ouvrages hydrauliques susceptibles de perturber de façon notable les milieux aquatiques et prévoir des actions permettant d'améliorer le transport des sédiments et de réduire l'envasement des cours d'eau et des canaux, en tenant compte des usages économiques de ces ouvrages ». Et cela alors même que le PADG est régulièrement invoqué pour annuler des décisions administratives en matière agricole.

C. La décision du Conseil d'État relative à la définition de la zone humide

La définition de la zone humide remonte à la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau et son article 2, codifié à l'article L. 211-1 du code de l'environnement par l'ordonnance n° 2000-914 du 18 septembre 2000 relative à la partie législative du code de l'environnement.

Jusqu'en 2019, la définition de la zone humide était la suivante : « on entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année ».

La pratique administrative avait toujours considéré les deux critères figurant dans la définition comme des critères alternatifs. Or, par un arrêt du 22 février 2017, le Conseil d'État a considéré qu'« Il ressort de ces dispositions [de l'article L. 211-1], éclairées par les travaux préparatoires de la loi sur l'eau du 3 janvier 1992 dont elles sont issues, qu'une zone humide ne peut être caractérisée, lorsque de la végétation y existe, que par la présence simultanée de sols habituellement inondés ou gorgés d'eau et, pendant au moins une partie de l'année, de plantes hygrophiles ». Le Conseil d'État tranche donc en faveur d'un caractère cumulatif du sol et des plantes, au regard des travaux préparatoires de la loi sur l'eau de 1992.

Pour revenir à une appréciation de la zone humide à l'aune de deux critères alternatifs, l'article 23 de la loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 portant création de l'Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l'environnement remplace le signe « ; » par les mots « ou dont ». La définition redevient donc conforme à la pratique administrative.

Il est à noter que la mise en oeuvre de critères cumulatifs n'est pas de nature à entraîner l'effondrement des protections entourant certaines zones sensibles. Ainsi, comme le souligne une note technique du 26 juin 2017 du ministère de la transition écologique : « Il convient de souligner que la notion de « marais » est distincte de la notion de « zones humides », pour ce qui est de l'application de la rubrique 3.3.1.0 de la nomenclature IOTA. En effet, la jurisprudence administrative comme judiciaire a précisé que, dans l'hypothèse où les critères sols et végétation constitutifs d'une « zone humide » n'étaient pas remplis, un projet devait néanmoins être assujetti à la police de l'eau lorsque le terrain pouvait être qualifié de « marais » (à démontrer au regard de la localisation en zone de marais, de l'intégration de la parcelle dans un espace protégé portant le mot « marais », etc.) ».

De même, la classification en zone humide au titre du code de l'urbanisme ne repose pas sur la définition figurant à l'article L. 211-1 du code de l'environnement.

Enfin, la note susmentionnée rappelle que le caractère cumulatif des critères botanique et pédologique s'entend en présence d'une végétation spontanée. En l'absence de végétation, une zone humide demeure caractérisée par le seul critère pédologique.

II. Le dispositif envisagé - Un rehaussement global des intérêts agricoles dans les dispositions législatives relatives à la gestion de l'eau

Premièrement, le dispositif proposé modifie l'article L. 211-1 du code de l'environnement pour disposer que l'objectif de gestion équilibrée et durable de la ressource en eau doit respecter le principe de non-régression du potentiel agricole. Cette notion est inspirée de l'amendement COM-343 des rapporteurs du projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture. Ce principe est également inséré à l'article L. 212-1 du même code relatif aux Sdage, pour disposer que les mesures prises pour contribuer à assurer l'équilibre quantitatif de la ressource sont compatibles avec celui-ci.

Deuxièmement, l'article 5 complète le 5° bis du I de l'article L. 211-1 du code de l'environnement pour disposer que la promotion d'une politique active de stockage de l'eau « présente un intérêt général majeur ».

Après le VII de l'article L. 212-2, portant sur les dérogations possibles au respect des objectifs de bon état des masses d'eau, l'article 5 dispose que pour son application, « les projets destinés au stockage de l'eau et aux prélèvements nécessaires au remplissage des plans d'eau, permanents ou non, qui répondent à un usage partagé mentionné au 5° bis du I de l'article L. 211-1, sont réputés d'intérêt général majeur. »

Troisièmement, l'article 5 modifie le II de l'article L. 121-1 relatif à la hiérarchie des usages de l'eau, pour disposer que la gestion équilibrée de l'eau doit « permettre de satisfaire les exigences du maintien et du développement des activités agricoles et piscicoles, pour lesquelles les ouvrages ayant vocation à stocker l'eau présentent un caractère d'intérêt général majeur ». Ainsi, l'usage agricole de l'eau se trouve rehaussé, puisque figurant en deuxième position, fort logiquement après les usages destinés à satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l'alimentation en eau potable de la population, qui demeurent en première position.

Quatrièmement, la rédaction proposée vise à ce que les Sdage et les Sage prennent davantage en compte les intérêts agricoles notamment en faisant référence au principe de non-régression du potentiel agricole, comme évoqué plus haut, mais surtout en complétant le XI de l'article L. 212-1, qui dispose d'ores et déjà que « les programmes et les décisions administratives dans le domaine de l'eau doivent être compatibles ou rendus compatibles avec les dispositions des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux ». L'article complète cette obligation de comptabilité par une phrase disposant qu'« Ils prennent particulièrement en compte et évaluent, dans leur phase d'élaboration ou d'instruction, les impacts attendus sur l'économie agricole, et s'assurent du respect des dispositions figurant notamment au premier alinéa et au 5 bis du I de l'article L. 211 1, au 3° du II et au VII du présent article », ces dispositions renvoyant au respect du principe de non-régression du potentiel agricole ainsi que de l'intérêt général majeur s'attachant aux prélèvements et au stockage de l'eau.

Une même obligation, accompagnée des mêmes renvois, est insérée concernant les Sage et leurs procédures d'élaboration, aux articles L. 212-5-1 et L. 212-6. Plus précisément, au 1° du II de l'article L. 212-5-1, la possibilité pour le règlement du Sage de définir des priorités d'usage de la ressource en eau ainsi que la répartition de volumes globaux de prélèvement par usage, doit s'effectuer « dans le respect des dispositions relatives à la protection du potentiel agricole, figurant notamment au premier alinéa et au 5 bis du I de l'article L. 211 1, au 3° du II et au VII de l'article L. 212 1 ». Au L. 212-6, la modification dispose que le projet de Sage est approuvé par le représentant de l'État dans le département, « qui s'assure notamment du respect du principe de non-régression du potentiel agricole, tel que découlant notamment du premier alinéa et du 5 bis du I de l'article L. 211 1, du 3° du II et du VII de l'article L. 212 1 ».

Cinquièmement, l'article 5 modifie la définition de la zone humide figurant au 1° du I de l'article L. 211-1, pour revenir à la définition qui prévalait jusqu'en 2019. Pour cela, il remplace les mots « ou dont » par le signe « ; », pour permettre le retour à des critères cumulatifs plutôt qu'à des critères alternatifs.

Enfin, sixièmement, il modifie les 2° et 2°bis de l'article L. 213-8 relatif aux comités de bassin. Le collège des représentants des usagers non économiques de l'eau passe ainsi de 20 à 10 %, quand celui des usagers économiques de l'eau passe de 20 à 30 %.

III. La position de la commission - Sécuriser juridiquement l'article tout en laissant le débat avoir lieu en séance publique

À l'initiative de son rapporteur, la commission des affaires économiques a adopté un amendement COM-34 visant à rationaliser la rédaction de l'article, dans ses parties relatives à l'intérêt général majeur s'attachant aux prélèvements et au stockage de l'eau. Cet amendement supprime les occurrences de l'intérêt général majeur qui avaient été insérées à divers endroits du code, pour créer un article L. 211-2-1 disposant, que « pour l'application du présent titre, et notamment du VII de l'article L. 212-1, et dans le respect des dispositions de l'article 4 de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, les projets destinés au stockage de l'eau et aux prélèvements nécessaires au remplissage des plans d'eau, permanents ou non, qui répondent à un usage partagé au sens du 5° bis du I de l'article L. 211-1 sont réputés d'intérêt général majeur ». Ainsi, l'amendement consolide la rédaction en l'insérant dans un article dédié, mais il tend également à la sécuriser juridiquement en disposant que cet intérêt général majeur s'entend dans le respect de l'article 4 de la directive-cadre sur l'eau, ainsi qu'en reprenant de la rédaction initiale l'exigence d'un usage partagé figurant à l'article L. 211-1.

La commission a également adopté un amendement COM-12 de Vincent Louault et plusieurs de ses collègues, de portée rédactionnelle dans la mesure où il remplace le signe « ; », renvoyant, selon la jurisprudence du Conseil d'État au caractère cumulatif des deux conditions de sol et de végétation permettant de définir une zone humide, par les mots « et dont », confirmant de façon plus explicite ce même caractère cumulatif.

À l'invitation de son rapporteur, la commission n'a pas souhaité, à ce stade modifier davantage l'article 5, pour laisser place au débat dans l'hémicycle, mais aussi pour laisser au rapporteur le temps de poursuivre ses échanges avec les ministères de l'agriculture et de l'environnement sur la délicate question des usages agricoles de l'eau.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

TITRE IV

APAISER LES RELATIONS
ENTRE L'OFFICE FRANÇAIS DE LA BIODIVERSITÉ
ET LES AGRICULTEURS
Article 6
Invitation à suivre une procédure administrative plutôt que judiciaire en cas de primo-infraction environnementale ou d'infraction causant un faible préjudice environnemental

Cet article vise à compléter les missions du préfet en tant que délégué territorial de l'Office français de la biodiversité (OFB), en précisant qu'en cas de primo-infraction ou d'infraction ayant causé un faible préjudice environnemental, il invite l'Office à privilégier la procédure administrative.

À la suite des auditions et travaux menés par le rapporteur, la commission a adopté son amendement COM-35 visant à réécrire l'article dans l'objectif d'inscrire dans la loi l'existence de la mission interservices agricole (Misa), dont l'objectif est la mise en oeuvre du contrôle administratif annuel unique. L'amendement ainsi adopté préserve et renforce la volonté initiale des auteurs de la proposition de loi, et mentionne explicitement que dans le cadre de la Misa, la remise en état est privilégiée aux autres sanctions.

La commission a également adopté un sous-amendement de Laurent Duplomb, visant à organiser la transmission des procès-verbaux des inspecteurs de l'environnement à leur autorité hiérarchique, permettant la pleine information de cette dernière des réalités du terrain.

La commission a adopté l'article 6 ainsi modifié.

I. La situation actuelle - La recherche d'une relation plus apaisée entre la profession agricole et les agents de l'OFB

A. L'OFB, un établissement public jeune aux missions larges

L'OFB est un établissement public institué par la loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 portant création de l'Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l'environnement. Il résulte de la fusion de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) et de l'Agence française pour la biodiversité (AFB). Il est placé sous tutelle conjointe des ministères chargés de l'environnement et de l'agriculture39(*).

Doté de quelque 3 000 agents (dont 1 700 inspecteurs de l'environnement) répartis en 270 implantations territoriales, et d'un budget pour 2024 de 659 millions d'euros (M€), reposant sur une contribution des agences de l'eau (environ 400M€) ainsi que sur des crédits budgétaires, l'agence dispose d'une force de frappe non négligeable, et a su rapidement être identifiée par les acteurs des territoires, comme le souligne le rapport d'information n° 777 du 25 septembre 2024 de M. Jean Bacci.

Aux termes de l'article L. 131-9 du code de l'environnement, l'OFB assure six missions :

1) des missions de police administrative et de police judiciaire relatives à l'eau, aux espaces naturels, aux espèces, à la chasse et à la pêche, ainsi que de police sanitaire en lien avec la faune sauvage ;

2) une mission de développement de la connaissance, de la recherche et de l'expertise sur les espèces et les milieux ;

3) une mission d'expertise et d'assistance en matière d'évaluation de l'état de la faune sauvage et de la gestion adaptative de certaines espèces ;

4) une mission d'appui à la conception, à la mise en oeuvre et à l'évaluation des politiques de l'eau et de la biodiversité, notamment à l'échelon territorial ;

5) une mission de gestion, restauration et appui à la gestion d'espaces naturels ;

6) une mission de communication et de sensibilisation du public.

Le site internet de l'Office indique que chaque année, environ 20 000 contrôles sont effectués40(*) portant principalement sur :

- la police de la chasse (31 %)41(*) ;

- la préservation des milieux aquatiques (16 %) ;

- la qualité de l'eau (16 %) ;

Ces contrôles ciblent différentes catégories d'usagers :

- les particuliers (44 %) ;

- les agriculteurs (19 %) ;

- les collectivités (10 %) ;

- les entreprises (11 %) ;

- les propriétaires et multi-usagers (6 %).

Toujours selon le site internet de l'OFB, 40,5 % des contrôles étaient, en 2021, programmés, 22,3 % étaient réalisés à la suite d'un signalement et 34,4 % résultaient d'une constatation en flagrance42(*).

Les contrôles effectués par les agents de l'OFB43(*) s'inscrivent dans un cadre définissant des priorités d'actions et visant à assurer une certaine cohérence à l'échelle d'un territoire. Tout d'abord, l'action de l'Office s'inscrit dans le cadre d'un contrat d'objectifs et de performance (COP) établi avec ses ministères de tutelle. Le COP 2021-2025 fixe six objectifs principaux44(*) à l'activité de police de l'environnement de l'OFB.

Ensuite, le préfet, délégué territorial de l'OFB, assure « la cohérence de l'exercice des missions de police administrative de l'eau et de l'environnement de l'office dans les territoires relevant de son ressort avec les actions des autres services et établissements publics de l'État »45(*). Le préfet exerce cette mission dans le cadre de la mission inter-services de l'eau et de la nature (Misen)46(*), qu'il préside, et qui vise à assurer une cohérence de l'action de l'État et de ses administrations déconcentrées, à l'échelle du département. De plus, le comité opérationnel de lutte contre la délinquance environnementale (Colden), présidé par le procureur de la République territorialement compétent, vise à coordonner, toujours au niveau départemental, les activités de lutte contre les atteintes à l'environnement. Ces deux instances se réunissent annuellement, notamment pour valider un plan de contrôle inter-services de la police de l'eau et de la nature.

B. Des missions de police de l'environnement parfois sources d'incompréhension voire de frustration

La crise agricole de l'hiver 2024 a mis en lumière un profond mal-être du monde agricole, trouvant sa source dans une diversité de problématiques ayant trait aux normes, à la question du revenu, du commerce international ou encore de la pression sociétale s'exerçant sur leurs activités. À cette occasion, l'OFB a pu être pointé du doigt, voire même, dans certains territoires, subir des dégradations de ses bâtiments. Les manifestations de novembre 2024 dans le cadre de la mobilisation contre l'accord commercial avec le Mercosur et, plus généralement, en faveur de réformes normatives, ont vu de nouveau la colère d'une partie du monde agricole s'exprimer à l'encontre de l'Office, allant même jusqu'au saccage des locaux de Guéret dans la Creuse47(*).

Il est manifeste qu'un profond malaise s'est installé entre le monde agricole et l'Office français de la biodiversité, comme le souligne le rapport de Jean Bacci susmentionné. Ce rapport dresse le constat d'un office dont les agents exercent globalement leurs missions avec discernement et professionnalisme. Cependant, il estime « qu'une clarification de la posture des inspecteurs de l'environnement ainsi que le développement d'une méthodologie concrète d'intervention des agents sur le terrain gagneraient à être formalisés, afin de réduire la variabilité des comportements et des postures des agents contrôleurs, donnant parfois prise à des critiques de partialité, de militantisme, voire de dogmatisme. Lors des auditions qu'elle a menées, la mission d'information a été interpellée à plusieurs reprises sur l'inégale uniformité des interventions des inspecteurs de l'OFB. Ces ressentis, qu'ils soient fondés ou extrapolés, doivent être mieux pris en compte et traités par l'établissement, car ils peuvent saper la crédibilité et la légitimité de son action sur le terrain »48(*).

Outre un ressenti concernant la posture des agents, le monde agricole exprime aussi un ressenti vis-à-vis de procédures et, le cas échéant, de sanctions, qu'ils estiment parfois disproportionnées au regard de l'infraction commise, parfois inintentionnellement. C'est pour tenter d'apporter une première réponse à cette problématique que l'article 13 du projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole visait, imparfaitement49(*), à dépénaliser certaines infractions environnementales, pour privilégier une action administrative évitant notamment d'en passer par l'étape souvent traumatisante de la garde à vue.

Le traitement du contentieux de l'environnement
par la justice pénale entre 2015 et 2019

Un document publié en avril 2021 par le ministère de la justice donne à voir quelques chiffres clefs du contentieux de l'environnement entre 2015 et 2019, qui ne représente que moins de 1 % de l'ensemble des affaires pénales avec auteur identifié sur la période.

Entre 2015 et 2019, les parquets ont traité 86 200 affaires avec auteur(s) relatives à des contentieux de pollution ou détérioration de l'environnement. Parmi les 103 500 auteurs impliqués dans ces affaires, 28 % se sont avérés non poursuivables et 92 % des auteurs poursuivables ont reçu une réponse pénale. Cette dernière consiste le plus souvent en une procédure alternative (62 %) sous la forme d'un rappel à la loi ou d'une régularisation sur demande du parquet. Les orientations en poursuites représentent 24 % de la réponse pénale, ce qui distingue ce contentieux des autres contentieux. 52 % des poursuites passent devant le tribunal de police et 47 % devant le tribunal correctionnel. Dans le cadre de l'ensemble des contentieux, les poursuites représentent plus de la moitié de la réponse pénale. Les poursuites en matière d'atteintes à l'environnement ont cependant connu une hausse de 14 % sur la période quinquennale.

Source : Service statistique ministériel de la justice, n° 182, avril 2021,
« Le traitement du contentieux de l'environnement par la justice pénale entre 2015 et 2019 »

Enfin, une circulaire de novembre 2024 met en place un engagement du Gouvernement à savoir un contrôle administratif annuel unique des exploitations agricoles, dans le cadre d'une nouvelle instance, la mission inter-services agricole (Misa). Le contrôle administratif annuel unique constitue une réponse efficace au sentiment d'incompréhension que ressentent certains agriculteurs vis-à-vis des contrôles des divers services de l'État. Sa mise en oeuvre repose sur trois conditions cumulatives :

- les contrôles réalisés dans un cadre administratif ;

- les contrôles pour lesquels un agent est physiquement présent sur le terrain ;

- les contrôles programmables.

Il est donc à noter que de nombreux contrôles sont exclus du champ du contrôle unique, à l'instar des contrôles PAC ou encore des procédures de flagrance.

La probable faiblesse du dispositif, fondé sur une circulaire, risque d'être son application variable dans les territoires. Le rapport Bacci faisait d'ailleurs état d'une inégale mise en oeuvre des Misen50(*), alors même que ces missions relèvent du décret.

II. Le dispositif envisagé - charger le représentant de l'État dans le département d'inviter l'Office à privilégier la procédure administrative en cas de primo-infraction

Le dispositif proposé complète le IV de l'article L. 131-9 du code de l'environnement par une phrase disposant que « dans ce cadre, en cas de primo-infraction ou d'infraction ayant causé un faible préjudice environnemental, il invite l'Office à privilégier la procédure administrative ».

En cela, l'article 6 entend compléter un dispositif créé à l'occasion de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS). L'article 45 du projet de loi, devenu article 152, entendait faire du préfet le délégué territorial de l'Agence de l'environnement et de la maitrise de l'énergie (Ademe). Favorables à cette évolution, les rapporteurs de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, Mathieu Darnaud et Françoise Gatel, ont, par un amendement COM-1084, étendu le dispositif proposé à l'OFB.

La rédaction proposée semble poser quelques difficultés dans la mesure où la notion de « faible préjudice environnemental » est sujet à interprétation. De même, l'on peut questionner l'invitation à privilégier la procédure administrative en cas de primo-infraction, sans considérer la nature de cette primo-infraction.

Néanmoins, la rédaction s'inscrit dans l'esprit du rapport Bacci, mettant l'accent sur la prévention plutôt que la répression, sur la sanction administrative et proportionnée plutôt que sur l'intervention immédiate du procureur. Elle se situe également dans le prolongement de l'article 13 du projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole, que les co-rapporteurs entendent considérablement renforcer en commission.

III. La position de la commission - Inscrire dans la loi le principe du contrôle unique et la priorité à la remise en état

La commission partage l'intention des auteurs à savoir ne pas basculer dans une logique du tout répressif lorsque les infractions constatées sont mineures, et peuvent être sanctionnées de façon proportionnée.

À l'initiative de son rapporteur, la commission a adopté un amendement COM-35 visant à réécrire le dispositif envisagé. La rédaction proposée par le rapporteur vise à inscrire dans la loi l'existence des missions inter-services agricoles, récemment instituées par voie de circulaires. Au regard de l'enjeu de meilleure lisibilité des contrôles dont les agriculteurs font l'objet, et de meilleure organisation à l'échelle des territoires de ces contrôles, inscrire les Misa dans la loi, de même que leur objet, est de nature à renforcer le caractère obligatoire de leur mise en oeuvre.

La rédaction adoptée préserve en outre l'intention des auteurs, en ce qu'elle dispose que l'objet de la Misa, outre la mise en oeuvre du contrôle administratif annuel unique, est de privilégier la remise en état aux autres sanctions.

Enfin, la commission a adopté un sous-amendement à l'amendement du rapporteur, de Laurent Duplomb, co-auteur de la proposition de loi, visant à préciser que les inspecteurs de l'environnement communiquent à leur supérieur hiérarchique leur procès-verbal d'infraction, ce dernier assurant la transmission, après signature, au procureur de la République territorialement compétent. Cette précision permet un meilleur suivi des procès-verbaux à l'échelle du territoire ainsi qu'une meilleure remontée des problématiques rencontrées par les inspecteurs sur le terrain.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.


* 1 Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

* 2 En ligne : https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/disaron/Dos2402/detail/

* 3 Ordonnance n° 2019-698 du 3 juillet 2019 portant mise en cohérence des dispositions législatives des codes et lois avec celles du code de commerce dans leur rédaction résultant de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées

* 4 UAB = utilisé en agriculture biologique. CMR = cancérigène, mutagène, reprotoxique.

* 5 Ordonnance n° 2019-361 du 24 avril 2019 relative à l'indépendance des activités de conseil à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et au dispositif de certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques ; ordonnance n° 2019-1110 du 30 octobre 2019 portant adaptation du livre II du code rural et de la pêche maritime au droit de l'Union européenne.

* 6 Disposition codifiée à l'article R. 254-26-4 du code rural et de la pêche maritime, issue du décret n° 2020-1265 du 16 octobre 2020 relatif au conseil à l'utilisation de produits phytopharmaceutiques.

* 7 Rapport « Potier-Descrozailles » (décembre 2023). En ligne : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cepestici/l16b2000-t1_rapport-enquete

* 8 En ligne : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/textes/l17b0584_proposition-loi.pdf

* 9 Décret n° 2024-326 du 9 avril 2024 prorogeant d'un an la durée de validité du certificat individuel prévu par le II de l'article L. 254-3 du code rural et de la pêche maritime.

* 10 Les usages des néonicotinoïdes sont en réalité diverses : usages agricoles, vétérinaires, voire même domestiques, pour lutter contre certains nuisibles.

* 11 Autorisé en UE jusqu'au 09/12/2025.

* 12 Autorisé en UE jusqu'au 18/08/2025 uniquement en serres permanentes.

* 13 Dans sa version originale : « The results of the weight of evidenceindicated that there are major uncertainties in the body of evidence for the de-velopmental neurotoxicity (DNT) properties of acetamiprid and further data aretherefore needed to come to a more robust mechanistic understanding to enableappropriate hazard and risk assessment. »

* 14 Les jaunisses de la betterave sont la conséquence de la transmission de virus par des pucerons, particulièrement le puceron vert du pêcher. Ces virus, au nombre de quatre, altèrent la physiologie de la plante et plus spécifiquement la photosynthèse à l'origine de l'accumulation des sucres dans la racine. Le rendement de la betterave s'en trouve réduit jusqu'à 80 %.

* 15 Loi n° 2020-1578 du 14 décembre 2020 relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières.

* 16 Arrêté du 5 février 2021 autorisant provisoirement l'emploi de semences de betteraves sucrières traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant les substances actives imidaclopride ou thiamethoxam.

* 17 Arrêté du 31 janvier 2022 autorisant provisoirement l'emploi de semences de betteraves sucrières traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant les substances actives imidaclopride ou thiamethoxam et précisant les cultures qui peuvent être semées, plantées ou replantées au titre des campagnes suivantes.

* 18 CJUE, 19 janvier 2023, n° C-162/21.

* 19 Il est à noter que le projet de règlement concernant une utilisation des produits phytopharmaceutiques compatible avec le développement durable et modifiant le règlement 2021/2115 (dit « SUR ») confirmait l'interdiction de principe posée par le règlement 2009/128/CE (article 20), tout en aménageant également, sous conditions, des dérogations (article 22), notamment relatives à l'usage d'« aéronefs sans équipage à bord ».

* 20 Arrêté du 26 août 2019 relatif à la mise en oeuvre d'une expérimentation de l'utilisation d'aéronefs télépilotés pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques.

* 21 Disponible ici : https://www.anses.fr/fr/system/files/PHYTO2019SA0093.pdf

* 22 Disponible ici : https://www.anses.fr/fr/system/files/PHYTO2022AST0026.pdf

* 23 Dans sa contribution écrite, l'Anses souligne que cette procédure intéresse en réalité assez peu les fabricants, puisque pour la période 2018-2022, seulement 83 dossiers relatifs à une demande de reconnaissance mutuelle ont été déposés.

* 24 Citons les décisions de retrait ou refus des AMM concernant le S-métolachlore ou encore le diméthoate (décision confirmée par le tribunal administratif de Lyon).

* 25 Selon l'article 46 du règlement 1107/2009, un délai de grâce est possible « si les raisons du retrait, de la modification ou du non-renouvellement de l'autorisation ne sont pas liées à la protection de la santé humaine et animale ou de l'environnement ».

* 26 Loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte.

* 27 Disposition mise en oeuvre par un décret n° 2024-742 du 6 juillet 2024.

* 28 Laurent Guillot, «  Simplifier et accélérer les implantations d'activités économiques en France », mars 2022.

* 29 Loi n° 2021-85 du 29 janvier 2021 visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises et loi n° 2024-346 du 15 avril 2024 visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels.

* 30 Voir la presse quotidienne régionale.

* 31 Défini au titre 1er du livre V du code de l'environnement, relatif à la prévention des pollutions, des risques et des nuisances.

* 32 Sans qu'il y ait besoin d'exclure, par une disposition législative ad hoc, le principe de non-régression environnementale puisqu'il a été jugé par le Conseil d'État que le passage de l'enregistrement à l'autorisation n'était pas constitutif d'une telle régression (CE, 30 décembre 2020, Associations One Voice et France Nature environnement, n° 426528 ; CE, 8 décembre 2017, Fédération Allier Nature, n° 404391). En effet, les projets soumis à enregistrement peuvent toujours, au cas par cas, être soumis à autorisation.

* 33 Source : Rapport d'information du 30 mai 2024 par la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire sur la refonte du système assurantiel agricole : évaluation de l'assurance-récolte, et présenté par M. Pascal Lecamp, disponible ici : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion_fin/l16b2700_rapport-information.pdf

* 34 https://www.lafranceagricole.fr/assurance-climatique/article/863 401/l-assurance-recolte-s-essoufle-en-2024

* 35 Source : Ibid.

* 36 Rapport du 26 janvier 2022 fait au nom de la commission des affaires économiques sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture, par M. Laurent Duplomb.

* 37 Briefing Agro Contexte du 11 septembre 2024.

* 38 Voir par exemple cette décision : https://poitiers.tribunal-administratif.fr/decisions-de-justice/dernieres-decisions/prelevement-d-eau-pour-l-irrigation-dans-les-bassins-versants-du-marais-poitevin-nouvelle-annulation-de-l-autorisation-pluriannuelle.

* 39 Article R. 131-27 du code de l'environnement.

* 40 À noter que pour 2023, le rapport d'activité de l'OFB fait état de plus de 120 000 contrôles. Cet écart par rapport aux chiffres des années précédentes s'explique par une meilleure comptabilisation de l'activité de contrôle administratif de surveillance du territoire de l'Office qui, jusqu'alors, demeurait très peu prise en compte dans les statistiques de l'établissement public.

* 41 Ce chiffre peut être trompeur, le rapport du sénateur Bacci, susmentionné, souligne un délaissement des missions cynégétiques de l'Office, les agents se concentrant sur le respect des règles de sécurité, et consacrant 15 à 20 % de leur temps à la police de la chasse.

* 42 Ces chiffres devant être actualisés à l'aune de la meilleure intégration, depuis 2023, des activités de contrôle administratif relatives à la surveillance du territoire et au respect des prescriptions nationales et locales édictées (comme les arrêtés sécheresse).

* 43 Les inspecteurs de l'environnement bénéficient d'une formation initiale de neuf semaines dont la validation des modules est obligatoire pour obtenir le commissionnement. Les détenteurs d'une arme de service sont tenus de suivre quatre séances d'entrainement au tir par an. Enfin, un protocole d'entrée en contact avec le contrôlé est suivi par les inspecteurs. Source : rapport Bacci.

* 44 Assurer une police environnementale et sanitaire au service de la biodiversité ; assurer un appui aux services de l'État dans l'instruction de certains dossiers soumis à autorisation ou dérogation en s'appuyant sur la séquence « éviter, réduire, compenser » ; contribuer à une bonne application de la police administrative ; mettre en oeuvre de nouvelles prérogatives des inspecteurs de l'environnement en matière judiciaire ; assurer l'organisation de l'examen et la délivrance du permis de chasser et faire évoluer les outils dédiés à la police et permettre l'accès aux fichiers autorisés pour les inspecteurs de l'environnement.

* 45 Article L. 131-9 du code de l'environnement.

* 46 Décret n° 2023-876 du 13 septembre 2023 relatif à la coordination en matière de politique de l'eau et de la nature et de lutte contre les atteintes environnementales et instruction du Gouvernement du 16 septembre 2023 relative à la coordination en matière de police de l'eau et de la nature et de lutte contre les atteintes environnementales.

* 47 Saccage pour lequel l'OFB a porté plainte.

* 48 C'est sur ce constat que se fonde la recommandation n° 2 du rapport : Définir une méthodologie transparente et objective des démarches de contrôle, en rappelant aux acteurs les particularités de la procédure judiciaire, leurs droits et devoirs ainsi que les délais habituels en la matière.

* 49 Un amendement des rapporteurs vise à réécrire cet article pour procéder à une véritable dépénalisation de certaines infractions environnementales.

* 50 Page 51 : « La mission d'information constate toutefois que tous les préfets ne se sont pas encore pleinement emparés de cet outil à l'efficacité déjà saluée par les acteurs, qui participe au renforcement de l'identification et de la légitimité de l'OFB : elle plaide donc pour un pilotage effectif des Misen dans tous les territoires, afin que soit partout assurée la cohérence globale des contrôles administratifs, ardemment souhaitée par les acteurs soumis à la police de l'environnement. »

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page