N° 185
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 décembre 2024
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur,
Par M. Pierre CUYPERS,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente ; MM. Alain Chatillon, Daniel Gremillet, Mme Viviane Artigalas, MM. Franck Montaugé, Franck Menonville, Bernard Buis, Fabien Gay, Pierre Médevielle, Mme Antoinette Guhl, M. Philippe Grosvalet, vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, M. Rémi Cardon, Mme Anne-Catherine Loisier, secrétaires ; Mme Martine Berthet, MM. Yves Bleunven, Michel Bonnus, Denis Bouad, Jean-Marc Boyer, Jean-Luc Brault, Frédéric Buval, Henri Cabanel, Alain Cadec, Guislain Cambier, Mme Anne Chain-Larché, MM. Patrick Chaize, Patrick Chauvet, Pierre Cuypers, Éric Dumoulin, Daniel Fargeot, Gilbert Favreau, Mmes Amel Gacquerre, Marie-Lise Housseau, Brigitte Hybert, Annick Jacquemet, Micheline Jacques, MM. Yannick Jadot, Gérard Lahellec, Vincent Louault, Mme Marianne Margaté, MM. Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Sebastien Pla, Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Lucien Stanzione, Jean-Claude Tissot.
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108 rect. et 186 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
Réunie le mercredi 6 décembre, la commission des affaires économiques a adopté la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, modifiée par 14 amendements, sur le rapport du sénateur Pierre Cuypers (Les Républicains - Seine-et-Marne), et en lien avec les auteurs de la proposition de loi, Laurent Duplomb et Franck Menonville.
La commission, à l'initiative de son rapporteur, a pris le parti de consolider juridiquement le texte, sans le diluer politiquement. Elle a considéré que la situation d'urgence économique dans laquelle se trouvent certaines filières agricoles justifie de s'attaquer à certains totems symbolisant la perte de compétitivité de la ferme France, à l'instar de l'interdiction de l'usage, unique en Europe, de l'acétamipride.
La commission a donc pris soin de ne pas diluer les propositions fortes contenues dans ce texte, mais plutôt d'en sécuriser juridiquement certains aspects. En parallèle, le travail entamé avec les ministères chargés de l'agriculture et de l'environnement doit nécessairement se poursuivre, pour trouver des points d'équilibre ne dénaturant pas l'ambition, d'ici la séance publique
Aussi, la commission s'est attachée à :
- dessiner « l'après »-conseil stratégique en agriculture, actant l'échec et donc la fin de la séparation entre les activités de vente et de conseil en matière de produits phytopharmaceutiques (art. 1er) ;
- sécuriser juridiquement l'intervention du ministre chargé de l'agriculture dans le processus de délivrance des autorisations de mise sur le marché (AMM) de produits phytopharmaceutiques (art. 2) ;
- trouver une issue à l'effet de bord émanant de la loi « Industrie verte » en permettant de transformer les deux réunions publiques obligatoires en une permanence en mairie et sécuriser juridiquement, par une entrée en vigueur différée, la « désurtransposition » de la directive « IED » en matière de bâtiments d'élevage (art. 3) ;
- consolider le cadre dans lequel s'inscrit la notion d'intérêt général majeur s'attachant aux prélèvements et au stockage de l'eau aux fins agricoles, au regard de la directive-cadre sur l'eau (art. 5) ;
- inscrire dans le marbre de la loi le principe du contrôle administratif annuel unique, mis en oeuvre dans le cadre de missions interservices agricoles à l'échelle des départements, de même que le principe voulant que la remise en état soit privilégiée, quand cela est possible, aux autres sanctions (art. 6).
I. UNE PROPOSITION DE LOI S'ATTAQUANT DE FRONT À DES TOTEMS MINANT NOTRE POTENTIEL DE PRODUCTION AGRICOLE
En 2019 déjà, le Sénat, à l'occasion de la publication du rapport La France, un champion agricole mondial : pour combien de temps encore ?, alertait sur le risque de déclassement de l'agriculture française. En 2022 ensuite, le rapport transpartisan de Laurent Duplomb, Pierre Louault et Serge Mérillou sur la compétitivité de la ferme France confirmait ce constat et l'accélération de la perte de compétitivité de l'agriculture française. Ce rapport avait fait l'objet d'un texte alors largement voté au Sénat, et non repris par le Gouvernement d'alors. Près de trois ans plus tard, les manifestations agricoles partout en France confirment l'extrême urgence de la situation.
Les chiffres déclinants de la balance commerciale agro--alimentaire française, particulièrement concernant la filière sinistrée des fruits et légumes, illustrent une vérité que les agriculteurs constatent dans leurs territoires année après année : l'excès de normes et les surtranspositions minent la ferme France. Ce constat commande d'agir avant qu'il ne soit trop tard.
La proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, déposée sur le bureau du Sénat le 1er novembre et cosignée par 186 sénatrices et sénateurs, se compose de six articles répartis en trois titres. Les mesures qu'elle contient sont diverses et ne prétendent pas - comme l'ont rappelé les co-auteurs du texte Laurent Duplomb et Franck Menonville dans l'exposé des motifs - régler l'ensemble des problématiques agricoles, mais plutôt s'inscrire comme un complément indispensable du projet de loi d'orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture.
C'est dans cet état d'esprit que dans un laps de temps très resserré, le rapporteur, Pierre Cuypers, a conduit plus de 13 heures d'auditions visant à entendre de nombreuses parties prenantes agricoles : les représentants des filières, les syndicats, les associations de protection de l'environnement, ou encore les administrations concernées par le texte.
Le texte voté par la commission des affaires économiques du Sénat entend :
- s'attaquer de front à un certain nombre de totems, dont les effets néfastes pour l'agriculture sont documentés ;
- revenir sur certaines surtranspositions pesant lourdement sur la compétitivité des filières agricoles ;
- oeuvrer à faire de l'activité agricole une priorité nationale en tant qu'elle nourrit la Nation et participe au maintien de sa souveraineté.
L'article 1er vise à revenir sur trois mesures adoptées dans la loi Egalim d'octobre 2018, dans le but de réduire l'usage des produits phytopharmaceutiques en France, à savoir l'interdiction des rabais, remises et ristournes sur la vente de ces produits, l'interdiction du cumul des activités de conseil et de vente de ces produits, et enfin l'obligation de suivre deux sessions de « conseil stratégique phytosanitaire » en cinq ans pour bénéficier du « certiphyto ».
Une proposition forte : revenir sur la séparation de la vente et du conseil en matière de produits phytosanitaires. De nombreux travaux tendent à montrer que cette mesure a en réalité asséché l'offre de conseil, au détriment de l'effet recherché.
L'article 2 entend lever une surtransposition fortement décriée au sein du monde agricole, à savoir l'interdiction unilatérale de tous les produits contenant des substances actives appartenant à la famille des néonicotinoïdes, alors même que l'Union européenne propose déjà un cadre harmonisé et contraignant en la matière. Par ailleurs, il vise à permettre au ministre chargé de l'agriculture de suspendre une décision de l'Anses dans certaines conditions. Enfin, il fait le pari de la technologie au service de la sécurité des agriculteurs en autorisant de manière encadrée l'usage de drones pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques.
Une proposition forte : appliquer le droit européen concernant les néonicotinoïdes, pour sauver de nombreuses filières de l'effondrement économique.
L'exemple de la filière noisette : la France importe environ 90% des noisettes qu'elle consomme, et alors que la filière porte l'ambition d'augmenter la production nationale pour gagner en autonomie, la situation d'impasse technique dans laquelle l'interdiction des néonicotinoïdes a placé les producteurs a conduit depuis 2019 à une baisse drastique de la production de noisettes conformes aux standards du marché, au point d'atteindre en 2023 un taux de conformité d'environ 50%, et, pour 2024, de moins de 20%. La question de la survie de la filière à très court terme est donc posée, si l'interdiction de l'acétamipride demeure.
L'article 3 revient sur un effet de bord issu de la loi « Industrie verte » ainsi que sur une surtransposition supposée de la directive « IED », qui assujettissent l'élevage, dans le cadre du régime français des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), à des procédures environnementales présentées par les filières comme un frein à leur développement, et donc au maintien d'une souveraineté alimentaire chancelante.
L'article 4 vise à mettre en place des modalités effectives de recours en cas de contestation des évaluations des pertes de récolte ou de culture lorsque celles-ci sont fondées sur des indices établis par analyse satellite, et non une enquête de terrain. Cette problématique concerne les prairies, pour lesquelles l'évaluation par satellite a pu s'avérer peu fiable, au détriment des agriculteurs touchés par des aléas climatiques.
L'article 5 aborde la problématique de l'eau en déclarant d'intérêt général majeur les projets de prélèvement et de stockage d'eau, en rehaussant la place de l'agriculture dans la hiérarchie des usages de l'eau ainsi que dans les documents de planification et de gestion de la ressource en eau. En outre, il ajuste la définition de la zone humide, pour tenir compte d'une jurisprudence du Conseil d'État du 22 février 2017.
L'article 6 vise, à la suite du rapport sur l'Office français de la biodiversité (OFB) de Jean Bacci, à encourager la mise en oeuvre, en cas de primo-infraction ou d'infraction ayant causé un faible préjudice environnemental, d'une procédure administrative plutôt que judiciaire.
La complémentarité du présent texte avec le projet de loi d'orientation agricole : l'article 6 illustre bien la complémentarité recherchée entre les deux véhicules législatifs, puisque l'article 13 du PLOA, que les rapporteurs Laurent Duplomb et Franck Menonville entendent largement remanier, vise à dépénaliser certaines infractions environnementales.