N° 144

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2024

RAPPORT GÉNÉRAL

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale, pour 2025,

Par M. Jean-François HUSSON, 

Rapporteur général,

Sénateur

TOME III

LES MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

(seconde partie de la loi de finances)

ANNEXE N° 4

AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT

COMPTE DE CONCOURS FINANCIERS : PRÊTS À DES ÉTATS ÉTRANGERS

Rapporteurs spéciaux : MM. Michel CANÉVET et Raphaël DAUBET

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, MM. Vincent Capo-Canellas, Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Jean-Baptiste Olivier, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean-Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 324, 459, 462, 468, 471, 472, 486, 524, 527, 540 et T.A. 8

Sénat : 143 et 144 à 150 (2024-2025)

L'ESSENTIEL

I. UNE MISSION « AIDE PUBLIQUE DÉVELOPPEMENT » CONFRONTÉE À UN MOUVEMENT DE BALANCIER BUDGÉTAIRE

A. LES CRÉDITS DE LA MISSION ONT QUASIMENT DOUBLÉ DEPUIS 2018

Depuis 2017, la progression de son aide publique au développement a permis à la France de se positionner parmi les donateurs majeurs. Les dépenses totales d'APD, au-delà de la seule mission budgétaire « Aide publique au développement », ont en effet augmenté de 40 % sur la période 2017-2023. Si l'on comptabilise l'aide versée en termes de proportion du revenu national brut, la France, avec une APD équivalente à 0,50 % de son RNB, excède la moyenne des pays du comité de l'aide au développement (CAD) de l'OCDE (0,36 %) en 2024.

Évolution des crédits de la mission sur la période 2018-2025

(en millions d'euros - en autorisations d'engagement et en crédits de paiement)

Note n° 1 : les montants indiqués sont en exécution pour les années 2018 à 2023 et en prévision pour les années 2024 et 2025.

Note n° 2 : pour 2024, les montants correspondent à la loi de finances initiale et pour 2025, les montants en AE et en CP ne comprennent pas les crédits du nouveau programme 384 « Fonds de solidarité pour le développement » ni l'annonce d'une baisse additionnelle de 641 millions d'euros de CP.

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

Pour autant, en 2025, les crédits de la mission se situent en forte baisse.

La réduction du volume de la mission APD a été amorcée dès février 2024, avec 742 millions d'euros annulés en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement, soit 13 % de l'enveloppe initiale votée quelques semaines plus tôt.

B. LA MISSION EST FORTEMENT MISE À CONTRIBUTION POUR LE REDRESSEMENT DES FINANCES PUBLIQUES

Dans le PLF 2025, les crédits demandés au titre de la mission « Aide publique au développement » s'élèvent à 5,7 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 5,1 milliards d'euros en crédits de paiement. Corrigé d'ajustements de périmètre, à savoir la rebudgétisation du Fonds de solidarité pour le développement, la baisse des crédits de la mission « Aide publique au développement » est de l'ordre de 19 % en autorisations d'engagement et de 23 % en crédits de paiement. La trajectoire fixée par la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales paraît définitivement caduque.

Évolution des crédits de la mission aide publique au développement
entre 2024 et 2025

(en millions d'euros et pourcentage)

 

LFI 2024

PLF 2025

Évolution
en valeur

Variation
en pourcentage

Programme/action

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

110 - Aide économique et financière au développement

2 787,1

2 337,9

2 519,2

1 720,7

- 267,9

- 617,2

- 9,6 %

- 26,4 %

365 - Renforcement des fonds propres de l'Agence française de développement

150

150

145

145

- 5

- 5

- 3,33 %

- 3,33 %

209 - Solidarité à l'égard des pays en développement

3 179,9

3 265,5

2 131,1

2 410

- 1 048,8

- 855,5

- 33 %

- 26,2 %

370 - Restitution des biens mal-acquis

6,1

6,1

140,3

140,3

134,2

134,2

2 200 %

2 200 %

384 - Fonds de solidarité pour le développement

-

-

738

738

-

-

-

-

Total - Mission « Aide publique au développement »

6 123,2

5 759,5

5 673,7

5 154

- 449,5

- 605,5

- 7,3 %

- 10,5 %

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

Cette évolution « en cloche » vient ramener le volume de la mission à un niveau antérieur à 2021. Si l'on se réfère à la cible de part du RNB, le niveau d'aide au développement française devrait se situer à 0,45 % du revenu national brut en 2025. Par ailleurs, une nouvelle baisse de l'enveloppe annoncée par le Gouvernement pour un montant de 641 millions d'euros en crédits de paiement, conduirait la mission à se situer en 2025 à 3,8 milliards d'euros1(*), soit une baisse de 34,5 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2024.

Compte tenu du montant des engagements pluriannuels ouverts depuis 2017, le PLF 2025 n'opère pas stricto sensu un retour aux moyens disponibles en 2021. Les marges de manoeuvre des gestionnaires seront bien plus limitées du fait du volume des restes-à-payer en matière de contributions internationales, des prêts bonifiés et d'aide projet.

Pour tirer les conséquences de cette baisse conséquente, il apparaît désormais indispensable de renforcer l'évaluation de notre politique de développement pour identifier les dépenses prioritaires. Une revue de dépenses des contributions internationales, dont le total représente 41 % de notre APD en 2024, au bénéfice de 271 entités, semble également incontournable. Il paraît probable que les objectifs ambitieux fixés en 2023 par le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) devront faire l'objet d'une révision qui, cette fois-ci, ne pourra faire abstraction d'une association du Parlement.

II. LA MISSION « AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT » À L'HEURE DES CHOIX

A. UNE RIGIDITÉ DES DÉPENSES QUI LIMITE LA BAISSE DES CRÉDITS DU PROGRAMME 110

Le programme 110 « Aide économique et financière au développement » retrace les crédits confiés au ministère de l'économie et des finances. Les montants de crédits demandés diminuent de 267,9 millions d'euros en AE et de 617,2 millions d'euros en CP, soit respectivement une baisse de 9,6 % et de 26,4 %.

Restes à payer sur les autorisations d'engagement
antérieures à 2025 du programme 110

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

Par rapport au programme 209, le programme 110 présente une structuration des dépenses davantage contrainte.

Il porte en effet une part conséquente de contributions internationales à des institutions multilatérales de développement pour lesquels les engagements portent généralement sur trois ans.

En ce sens la contribution française de 481 millions d'euros en CP à la 20e reconstitution de l'Association internationale de développement (AID), guichet concessionnel de la Banque mondiale, tire les dépenses du programme à la hausse.

En revanche d'autres instruments jugés moins prioritaires et plus pilotables sont abandonnés à l'image des contributions aux fonds fiduciaires de la Banque mondiale.

B. LE PROGRAMME 209, PORTÉ PAR LE MINISTÈRE DE L'EUROPE ET DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, PERD A MINIMA UN TIERS DE SES MOYENS

Le programme 209 « Solidarité avec les pays en développement » retrace les crédits gérés par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Il porte l'essentiel de l'effort de réduction des crédits de la mission sur l'exercice 2025. En effet, ses moyens budgétaires devraient reculer de 1,05 milliard d'euros en AE et de 855,5 millions d'euros en CP, soit une baisse de respectivement 33 % et 26,2 %. En outre, les deux tiers des 641 millions d'euros de coupes additionnelles devraient porter sur le programme 209, pour 433 millions d'euros.

Tout d'abord, cette contraction budgétaire devrait reposer sur une contraction des contributions internationales portées par le MEAE, essentiellement des contributions volontaires au système des Nations unies.

Ensuite, le projet de loi de finances propose une modération de l'aide-projet, principalement celle gérée par l'AFD dont l'enveloppe se situe à 760 millions d'euros d'AE (- 27 %) et 936,8 millions d'euros de CP (- 5 %).

Enfin, le PLF 2025 acte un renoncement à l'objectif d'un milliard d'aide humanitaire en 2025 en réduisant de moitié cette assistance d'urgence. La majorité de cette baisse repose sur la suppression de la provision pour crises majeures, instrument de souplesse budgétaire critiqué.

Évolution des crédits liés à l'aide humanitaires entre 2018 et 2025

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

C. L'INÉVITABLE REBUDGÉTISATION DU FONDS DE SOLIDARITÉ POUR LE DÉVELOPPEMENT

La création du nouveau programme budgétaire 384 « Fonds de solidarité pour le développement » tire, tardivement, les conséquences de la réforme de la Lolf qui prohibe désormais l'affectation d'imposition de toute nature à un tiers ne disposant pas de la personnalité morale et dont les missions de service public n'ont pas de lien avec l'objet de la taxe. Pour cette raison le Fonds de solidarité pour le développement », jusqu'alors alimenté par une fraction de la taxe de solidarité sur les billets d'avion et de la taxe sur les transactions financières2(*), a fait l'objet d'une rebudgétisation, à hauteur de 738 millions d'euros.

III. LE COMPTE DE CONCOURS FINANCIERS « PRÊTS À DES ÉTATS ÉTRANGERS »

Le compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers » retrace les prêts consentis à des États dans une logique d'aide publique au développement, à l'exception du compte 854 relatif à la participation de la France au désendettement de la Grèce et qui ne supporte plus aucune dépense. Ces crédits évoluent faiblement en 2025 et n'appellent pas d'observation particulière.

Réunie le mardi 5 novembre 2024, sous la présidence de M. Thomas Dossus, vice-président, la commission des finances a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission et du compte de concours financiers.

Réunie à nouveau le jeudi 21 novembre 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé définitivement ses votes émis sur toutes les missions, tous les budgets annexes, tous les comptes spéciaux et les articles rattachés aux missions, ainsi que les amendements qu'elle a adoptés, à l'exception des votes émis pour les missions « Culture », « Direction de l'action du Gouvernement », « Enseignement scolaire », « Médias, livre et industries culturelles », « Audiovisuel public », « Recherche et enseignement supérieur », ainsi que des comptes spéciaux qui s'y rattachent.

Au 10 octobre 2024, date limite, en application de l'article 49 de la LOLF, pour le retour des réponses du Gouvernement aux questionnaires budgétaires concernant le présent projet de loi de finances, 5 % des réponses portant sur la mission « Aide publique au développement » et sur le compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers » étaient parvenues aux rapporteurs spéciaux.

I. LES GRANDS ÉQUILIBRES DE LA MISSION : L'AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT SOUS LA CONTRAINTE D'UN EFFET DE BALANCIER BUDGÉTAIRE

A. PRINCIPES ET STRUCTURES DE L'AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT

1. Définir l'aide publique au développement

La notion d'aide publique au développement (APD) est née dans les années 1960. Selon Hubert de Milly3(*), actuellement conseiller scientifique auprès de l'Agence française de développement (AFD), le concept d'une politique d'aide publique au développement (APD) a émergé de quatre champs de réflexion :

- une réflexion économique, qui repose sur le constat d'un déficit d'épargne domestique dans les pays dits « sous-développés » ;

- une réflexion morale sur la redistribution des richesses entre « Nord » et « Sud » ;

- une réflexion géopolitique, qui perçoit l'aide au développement comme un levier d'influence ;

- une réflexion « territoriale », qui vise à mettre en valeur les territoires des pays en développement.

L'aide publique au développement (APD) constitue un agrégat statistique défini par le Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE. Elle est ainsi constituée de tous les apports en ressources - monétaire, en expertise ou en nature - qui sont fournis aux pays et territoires figurant sur une liste des bénéficiaires de l'APD (aide bilatérale) ou à des institutions multilatérales (aide multilatérale).

En outre, l'aide doit répondre aux conditions suivantes :

- émaner d'organismes publics ou agissant pour leur compte ;

- avoir pour objectif essentiel de favoriser le développement économique et l'amélioration du niveau de vie des pays bénéficiaires ;

- être assortie de conditions d'octroi favorables, plus particulièrement dans le cas de prêts.

L'APD peut prendre plusieurs formes et notamment :

- l'octroi de subventions directes ;

- l'octroi de prêts à conditions préférentielles (« prêts concessionnels ») ;

- l'allègement de dette d'un débiteur ;

- la réalisation de projets au profit d'un bénéficiaire ;

- la prestation de ressources techniques ou d'expertise ;

- la prise en charge du coût représenté par l'accueil de réfugiés ressortissants des pays bénéficiaires de l'APD ;

- la prise en charge du coût de l'accueil et de la scolarisation d'étudiants ressortissants de pays bénéficiaires.

La comptabilisation de l'APD réalisée au titre d'une année incombe à chaque pays dans le cadre fixé par le CAD de l'OCDE. Par ailleurs, l'organisation procède à la collecte et à l'agrégation des données relatives à l'APD par pays afin de mesurer et de comparer l'effort réalisé ainsi que la nature et la destination des aides.

2. Les efforts en dépenses engagés par la France depuis 2018 lui avaient permis de progresser parmi les principaux donateurs

Depuis 2017, la progression de son aide publique au développement a permis à la France de se positionner parmi les donateurs majeurs. Les dépenses totales d'APD, au-delà de la seule mission budgétaire « Aide publique au développement », ont en effet augmenté de 40 % sur la période 2017-2023. Si l'on comptabilise l'aide versée en termes de proportion du revenu national brut, la France, avec une APD équivalente à 0,50 % de son RNB excède la moyenne des pays du CAD (0,36 %). Pour autant, ce niveau de 0,50 % est en-deçà de la cible de 0,70 % fixée par l'Organisation des Nations unies et retenue par la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.

Classement des pays donateurs d'aide publique
au développement en 2023 en fonction des montants engagés

(en milliards de dollars)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

Toutefois, le tassement de l'aide au développement française, amorcé en 2024 et poursuivi par le présent projet de loi de finances, a conduit au recul de la position française dans le classement des donateurs les plus importants. En effet, en 2023, avec 14,2 milliards d'euros de dépenses éligibles à l'aide au développement au sens du Comité de l'aide au développement de l'OCDE, la France se plaçait en cinquième position des bailleurs internationaux, contre la quatrième position en 2022. Le Royaume-Uni dépasse ainsi la France en 2023.

3. Une mission budgétaire qui ne regroupe qu'une partie des dépenses françaises en matière d'aide au développement

Le total de l'aide publique au développement française excède le périmètre de la seule mission « Aide publique au développement ». En 2024, les crédits de la mission APD ne représentaient que 39 % du total de l'APD française. Des dépenses issues d'autres missions du budget de l'État remplissent en effet les critères d'éligibilité à la comptabilisation des dépenses d'APD. Au total, le document de politique transversale relatif à la politique de développement recense 24 programmes budgétaires contribuant à ce type de versements.

Les canaux de financement de l'aide publique au développement de la France

(en millions d'euros et en pourcentage)

 

2018

2019

2020

2021

2022

2023

2024

Crédits budgétaires

6 363

7 706

8 914

9 308

10 546

9 689

9 597

Mission Aide publiques au développement (hors prêts)

2 297

2 726

3 117

3 918

4 664

4 615

4 369

Prêts bilatéraux de l'AFD au secteur public

1 131

1 364

2 280

1 722

1 822

1 301

1 406

Instruments du secteur privé (prêts, prises de participation)

428

564

571

918

621

198

233

Autres missions budgétaires

2 506

3 052

2 946

2 750

3 439

3 575

3 590

Autres prêts

709

146

334

261

424

273

177

Contrats de désendettement (décaissements)

319

366

139

117

151

289

431

Contribution financée par le budget de l'Union européenne

1 476

1 451

1 658

1 948

2 486

2 495

3 116

Allègement de dette

57

18

333

5

-

50

Dons de doses de vaccins contre le covid- 19

269

255

65

-

Fonds de solidarité pour le développement

835

733

494

663

747

738

738

Total budget de l'État et de ses agences

9 759

10 421

11 872

12 565

14 613

13 549

14 110

Collectivités territoriales et agences de l'eau

131

138

138

144

190

199

202

Frais administratifs de l'AFD hors rémunération des opérations de l'AFD pour le compte de l'État

394

349

384

402

425

461

515

Total de l'aide publique au développement

10 284

10 908

12 394

13 112

15 228

14 209

14 827

En % du revenu national brut

0,43

0,44

0,53

0,51

0,56

0,50

0,50

Source : document de politique transversale consacré à la politique d'aide au développement annexé au projet de loi de finances pour 2024

Cette comptabilisation au sens large des dépenses d'aide publique au développement permet d'expliquer la relative stabilité du total de l'aide au développement française. Alors que les crédits de la mission APD sont en décrue depuis 2023, la contribution des autres missions budgétaires et les dépenses extérieures au budget de l'État permet de compenser partiellement cette baisse. La progression de l'APD française entre 2023 et 2024 s'explique ainsi en partie par la hausse des dépenses d'aide au développement portée par la contribution française au budget de l'Union européenne.

L'APD française portée par les collectivités territoriales

L'aide publique au développement des collectivités territoriales regroupe les dépenses destinées aux pays éligibles à l'aide au développement et qu'elles engagent sur fonds propres. Elle correspond à des projets de coopération décentralisée mais également au versement de subventions à des associations ou à des organisations multilatérales.

Sont également comptabilisées les actions menées en faveur de la sensibilisation au développement ou de l'accueil des populations réfugiées qui représentent, en pratique, plus de la moitié de l'aide publique au développement des collectivités territoriales.

Évolution de l'aide publique au développement des collectivités territoriales depuis 2015

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

En 2023, les collectivités territoriales devraient avoir consacré 183 millions d'euros au financement de l'aide au développement, soit une augmentation de 5 % par rapport à l'année 2022. Il s'agit d'une relative stabilisation de l'APD des collectivités, qui avaient fortement accru leurs dépenses en la matière entre 2021 et 2022 (+ 38 %) pour financer l'accueil des réfugiés ukrainiens. Les dépenses en faveur de l'accueil des réfugiés ont ainsi représenté près de 65 % de l'aide au développement en matière de coopération décentralisée sur l'exercice 2022.

Selon les dernières données disponibles, l'aide au développement des collectivités territoriales s'est principalement portée sur l'Afrique de l'Ouest (15,78 millions d'euros), l'Europe (6,85 millions d'euros), l'Afrique de l'Est (5,53 millions d'euros), l'Afrique du Nord (3,18 millions d'euros) et l'Afrique centrale (2,98 millions d'euros). Cette répartition se retrouve dans la liste des dix pays bénéficiant le plus de l'aide publique au développement des collectivités territoriales, à savoir : l'Ukraine (5,62 millions d'euros), le Sénégal (3,13 millions d'euros), le Burkina Faso (2,98 millions d'euros), Madagascar (2,93 millions d'euros), le Mali (2,56 millions d'euros), la Guinée (1,99 million d'euros), le Togo (1,77 million d'euros), le Bénin (1,72 million d'euros), le Maroc (1,46 million d'euros) et le Liban (1,24 million d'euros).

Source : commission des finances

4. Quelle doctrine française pour l'APD ?
a) La gouvernance de la politique française de développement

Le pilotage de la politique française de développement repose sur deux instances : le Conseil présidentiel du développement et le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid).

Réuni pour la première fois en décembre 2020, le Conseil présidentiel du développement a été institué par le Cicid du 8 février 2018 pour renforcer le pilotage de la politique de développement de la France. Il arbitre, sous la direction du président de la République, les décisions stratégiques de la politique de développement.

Institué par le décret n° 98-66 du 4 février 1998, le Cicid définit les grandes orientations de la politique de développement. Présidé par la Première ministre, il réunit les principaux ministères concernés par la politique de développement. Son secrétariat est assuré conjointement par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, le ministère de l'économie et des finances et le ministère de l'intérieur. L'AFD peut être associée à ses réunions.

Si cette organisation laisse envisager un partage des tâches entre le président de la République, définissant les grandes décisions stratégiques dans le CPD, et le Premier ministre, établissant avec les administrations concernées les grandes orientations au sein du Cicid, force est de constater que l'échelon présidentiel domine. Le Cicid apparaît en effet davantage comme une chambre d'enregistrement des orientations du CPD. Le rapport d'enquête de la Cour des comptes remis à la commission des finances sur le financement de l'action multilatérale de la France a confirmé l'absence de Matignon dans la coordination interministérielle de la politique de développement et une concentration excessive des arbitrages au sein de la cellule diplomatique de la présidence de la République4(*).

Organisation de la gouvernance de l'aide publique au développement

Note : ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), ministère de l'économie et des finances (ex-ministère de l'économie, des finances et de la relance - MEFR), coordination nationale des conseils de développement (CNCD), national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI).

Source : schéma transmis par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères

Les conclusions de la réunion du Conseil présidentiel du développement en mai 2023 et du Cicid en juillet 2023 ont permis de fixer les orientations stratégiques du politique de développement. Le Conseil présidentiel du développement a décidé d'une doctrine déclinée en dix objectifs prioritaires, faisant l'objet d'indicateurs et de résultats à attendre, qui sont :

- accélérer la sortie du charbon et financer les énergies renouvelables dans les pays en développement et émergents pour limiter le réchauffement climatique global à 1,5° C ;

- protéger les réserves les plus vitales de carbone et de biodiversité, dans les forêts et l'Océan, pour préserver la planète ;

- investir dans la jeunesse en soutenant l'éducation et la formation des professeurs dans les pays en développement ;

- renforcer la résilience face aux risques sanitaires, y compris les pandémies, en investissant dans les systèmes de santé primaires et en appuyant la formation des soignants dans les pays fragiles ;

- promouvoir l'innovation et l'entreprenariat africain qui participent au destin partagé entre les jeunesses d'Europe et d'Afrique ;

- mobiliser l'expertise et les financements privés et publics pour les infrastructures stratégiques, de qualité et durables dans les pays en développement ;

- renforcer la souveraineté alimentaire, notamment en Afrique ;

- soutenir partout les droits humains, la démocratie et lutter contre la désinformation ;

- promouvoir les droits des femmes et l'égalité femmes-hommes, notamment en soutenant les organisations féministes et les institutions de promotion des droits des femmes ;

- aider nos partenaires à lutter contre l'immigration irrégulière et les filières clandestines.

En dépit de la forte baisse de la dotation budgétaire de la mission APD pour 2025, les documents budgétaires confirment que les objectifs stratégiques et géographiques de la mission demeurent inchangés. Pour autant, les ambitions affichées par les conclusions du Cicid de juillet 2023 contrastent fortement avec les moyens mis en oeuvre. Dès la loi de finances pour 2024, les crédits de la mission APD avaient en effet entamé un tassement.

À cet égard, les rapporteurs regrettent une gouvernance particulièrement centralisée de la politique de développement. Le fonctionnement du Cicid, en particulier, dont les réunions sont sporadiques et servent essentiellement à enregistrer les orientations fixées par le CPD, est regrettable.

b) Les priorités géographiques de l'APD

S'agissant des années à venir, le CICID du 18 juillet 2023 a acté la suppression de la liste des dix-neuf pays prioritaires de l'aide au développement fixée par le CICID du 8 février 20185(*). Cette liste exhaustive est remplacée par une cible de concentration de l'effort financier bilatéral de l'État à destination des pays les moins avancés à hauteur de 50 % et ce, à partir de 2024.

Les pays les moins avancés (PMA) constituent une catégorie d'États, établie depuis 1971 par les Nations unies, regroupant des États jugés très défavorisés dans leur processus de développement. La qualification de PMA repose sur trois critères principaux : le revenu brut par habitant, le capital humain et la durabilité économique. Ces États sont particulièrement exposés à la pauvreté et au risque de sous-développement. Cette situation les rend également fortement sensibles aux chocs économiques, aux catastrophes naturelles et aux troubles politiques.

Actuellement, 46 États sont considérés comme des PMA par le Comité des politiques de développement (CPD), un organe subsidiaire du Conseil économique et social des Nations unies : Afghanistan, Angola, Bangladesh, Bénin, Bhoutan, Burkina Faso, Burundi, Cambodge, Tchad, Comores, Djibouti, Érythrée, Éthiopie, Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Haïti, Îles Salomons, Kiribati, Lesotho, Libéria, Madagascar, Malawi, Mali, Mauritanie, Mozambique, Myanmar, Népal, Niger, Rwanda, Sao Tome et Principe, Sénégal, Sierra Leone, Somalie, Soudan du Sud, Soudan, Timor oriental, Togo, Tuvalu, Ouganda, République centrafricaine, République démocratique du Congo, République démocratique populaire Lao, République unie de Tanzanie, Yémen, Zambie. Depuis 1971, seuls six États sont sortis de la liste des PMA : le Botswana en 1994, le Cap-Vert en 2007, les Maldives en 2011, Samoa en 2014, la Guinée équatoriale en 2017 et Vanuatu en 2020.

Les PMA se caractérisent par une forte dépendance aux financements issus de l'aide publique au développement. Selon les données de l'OCDE, sur la période 2018-2019, près de 61 % des financements externes reçus par les 46 pays les moins avancés étaient issus de l'APD, contre 12 % en moyenne pour l'ensemble des États du monde.

Liste des dix principaux pays bénéficiaires de l'APD bilatérale
de la France en 2022

(en millions d'euros)

Pays bénéficiaire

Montant de l'aide bilatérale

Côte d'Ivoire

447 millions d'euros

Maroc

396,6 millions d'euros

Cameroun

248 millions d'euros

Ukraine

240,4 millions d'euros

Égypte

203,4 millions d'euros

Sénégal

196 millions d'euros

Bangladesh

142,4 millions d'euros

Liban

142 millions d'euros

Algérie

131,6 millions d'euros

Brésil

121,6 millions d'euros

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

L'atteinte de l'objectif de concentration de l'aide sur les 46 PMA demeure encore incertaine compte tenu de la forte baisse des moyens de la mission. Une grande partie de l'APD française demeure, de surcroît, orientée vers les « très grands émergents », à savoir l'Afrique du Sud, le Brésil, l'Inde, l'Indonésie, le Mexique et la Turquie.

L'aide apportée par la France au Mali, au Burkina Faso et au Niger,
une suspension géopolitique

La dégradation des liens bilatéraux entre la France et certains États du Sahel a conduit à une suspension partielle des versements d'aide au développement opérés par la France. Trois États, le Mali, le Burkina Faso et le Niger sont concernés. Il s'agit d'un des premiers exemples de suspension par la France de son aide au développement pour des raisons géopolitiques.

S'agissant du Mali, la France, confrontée à la pénétration de la milice Wagner et à la montée du risque de détournement de l'aide par la junte, a décidé début 2022 de suspendre les projets de coopération transitant par les autorités. Cette mesure a été élargie à l'ensemble de l'aide au développement à l'automne 2022. En retour, l'État malien a interdit tout financement ou appui matériel et technique français aux organismes de la société civile opérant au Mali. L'AFD a pu mener la clôture dans le respect des contrats de l'ensemble de ses projets.

Concernant le Burkina Faso, l'aide publique au développement a été suspendue en août 2023. L'AFD n'est pas encore parvenue à finaliser la clôture de ses projets en raison de l'attitude non-collaborative des autorités locales. De même, au Niger, l'APD française a pris fin en juillet 2023. Un dialogue à niveau technique en vue de la clôture collaborative des projets AFD est en cours.

Dans ces trois États, la seule aide maintenue est l'aide humanitaire, qui répond aux besoins de base des populations. Cette assistance ne transite que par les organisations de la société civile.

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire

c) Un débat croissant vers une « transactionnalité » de l'aide au développement : le soutien aux entreprises et la question migratoire

Contraints par l'obligation de déliement de l'aide, posée par l'OCDE, l'administration et les opérateurs abordent désormais l'aide au développement sous l'angle de la promotion de nos intérêts et de nos valeurs, dans une approche plus « partenariale » avec les États bénéficiaires.

En premier lieu, la France s'efforce d'associer à sa politique de développement une dimension de soutien aux entreprises et aux filières stratégiques de notre économie. Il s'agit de mobiliser le secteur privé dans une logique de « double dividende » : en encourageant des investissements privés dans des États éligibles à l'APD, d'une part, et en soutenant l'internationalisation des entreprises françaises. Sur la période récente 2019-2023, la part de marché des entreprises françaises sur les appels d'offres internationaux financés par l'AFD6(*) s'élève à 51 %, soir un total de 800 marchés et de 2,5 milliards d'euros.

Cette approche de soutien au secteur privé a été formalisée dans les conclusions du Cicid de juillet 2023. Ce dernier a fixé un objectif de 60 % du taux de participation des entreprises françaises aux appels d'offre internationaux et a entrepris la mise en place d'une comitologie pour faciliter la projection internationale de sept filières stratégiques (ville durable, santé, agriculture, transports, numérique, transition énergétique, industries culturelles et créatives).

De même, le mandat du groupe AFD comprend désormais une dimension économique renforcée, notamment en renforçant les critères sociaux et environnementaux, plus favorables aux entreprises françaises, dans les appels d'offre du groupe.

En second lieu, la politique d'aide au développement est considérée comme un levier potentiel pouvant être mobilisé plus directement pour améliorer la maîtrise des flux d'immigration irrégulière. En ce sens, le dixième objectif porté par le Conseil présidentiel pour le développement de 2023 visait à « Aider nos partenaires à lutter contre les réseaux d'immigration clandestine ». Une stratégie interministérielle « migrations et développement » 2023-2030 a été réalisée pour définir l'approche française sur les liens entre migrations et développement.

L'aide au développement prend en compte les enjeux migratoires sur deux plans.

Sur le plan de l'orientation des projets, d'une part, l'APD peut être dirigée vers les causes profondes susceptibles d'entraîner des déplacements migratoires. Le cadre théorique et institutionnel en la matière est fixé par le plan d'action conjoint de La Valette (PACV), issu du sommet Union européenne-Afrique de novembre 2020 à La Valette. Le PACV comprend cinq domaines visant à renforcer la gouvernance des migrations entre le continent africain et l'Europe :

- « Avantages des migrations en termes de développement et lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière et du phénomène des personne déplacées » ;

- « Migration légale et mobilité » ;

- « Protection et asile » ;

- « Prévenir la migration irrégulière, le trafic de migrants et la traite des êtres humains et lutter contre ces phénomènes » ;

- « Retour, réadmission et réintégration ».

Récemment, la doctrine française a évolué vers une orientation des projets vers les piliers 4 (prévenir la migration irrégulière) et 5 (retour, réadmission et réintégration) du plan d'action conjoint. Dans cette perspective, les financements d'aide au développement en matière migratoire ont progressé afin qu'ils soient mis en oeuvre :

- par les opérateurs publics (groupe AFD, Office français de l'immigration et de l'intégration, Office française de protection des réfugiés et apatrides...). Sur la période 2024-2027, près de 150 millions d'euros ont été fléchés vers les piliers 4 et 5 du PACV ;

- par les instruments bilatéraux du ministère de l'Europe et des affaires étrangères ;

- par la mobilisation de financements européens.

Entre 2023 et 2024, le nombre de projets engagés sur les piliers 4 et 5 du plan d'action de La Valette a progressé de 166 % et le volume de financement de 213 %.

Suivi des financements consacrés aux piliers 4 et 5
du plan d'action conjoint de La Valette

(en millions d'euros)

 

Exercice 2023

Exercice 2024

Pilier 4

Programme 209

17,11 millions d'euros

27,76 millions d'euros

Crédits européens mobilisés par le groupe AFD

17,4 millions d'euros

60,45 millions d'euros

Total

34,51 millions d'euros

88,71 millions d'euros

Pilier 5

Programme 209

-

17,75 millions d'euros

Crédits européens mobilisés par le groupe AFD

3,9 millions d'euros

13,9 millions d'euros

Total

3,9 millions d'euros

31,65 millions d'euros

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Sur le plan des relations bilatérales avec les pays bénéficiaires, d'autre part, la question d'une mobilisation de l'APD comme un levier de négociation est aujourd'hui portée dans le débat public. Cette problématique soulève une question de compatibilité avec le principe de déliaison de l'aide. Les règles de comptabilité de l'aide au développement fixées par l'OCDE prohibent en effet le conditionnement des projets d'aide à des objectifs migratoires. L'efficacité du levier de l'APD demeure toutefois incertaine, comme le relevait la Cour des comptes dans son rapport sur la politique de lutte contre l'immigration irrégulière7(*), à propos des relations entre la France et les Comores.

L'utilisation de l'APD dans une perspective migratoire pourrait faire l'objet d'une réflexion plus approfondie dans le cadre de travaux de contrôle.


* 1 Hors Fonds de solidarité pour le développement.

* 2 Respectivement pour 206,85 millions d'euros et 528 millions d'euros en 2024.

* 3 Hubert de Milly, Les déterminants institutionnels de l'impact de l'aide publique au développement sur l'économie rurale des pays "à régime d'aide" : l'APD, pièce d'un équilibre de faible niveau ou incitation au développement ? thèse de doctorat, 2002, Institut national agronomique Paris-Grignon.

* 4 Cour des comptes, Le financement des actions multilatérales de la France, Communication à la commission des finances du Sénat, juillet 2023.

* 5 L'objectif d'orientation de l'aide vers les dix-neuf pays prioritaires n'était en tout état de cause pas respecté. En 2020, aucun de ces pays ne percevait une aide bilatérale de la France supérieure à celle octroyée au dixième pays bénéficiaire en termes de volume d'aide bilatérale, à savoir la Turquie.

* 6 La sélection est en revanche opérée par les autorités du pays bénéficiaire du projet.

* 7 Cour des comptes, La politique de lutte contre l'immigration irrégulière, Rapport public thématique, janviers 2024.

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