C. L'ENTRETIEN ET LE RENOUVELLEMENT DE LA FLOTTE DE CANADAIR

La DGSCGC a alerté le rapporteur spécial sur le triple enjeu de préparation entourant le budget 2025 de la sécurité civile et la situation des Canadair : la préparation de la prochaine saison des feux de forêt ; le renouvellement du marché MCO des avions qui arrivera à son terme en 2027 ; le renouvellement de la flotte de Canadair à échéance 2030 - 2035.

1. Des carences inquiétantes et un risque de rupture capacitaire à anticiper en vue de « saisons de feux » de plus en plus étendues

À l'aune du réchauffement climatique, qui étend très au-delà de la seule période estivale l'exposition au risque de feux de forêt, la saison des feux s'étire désormais sur la quasi-totalité de l'année. En ce sens, nombre de schémas départementaux d'analyse et de couverture des risques (SDACR) classent le risque feu de forêts en risque courant et non plus en risque exceptionnel, traduisant le besoin d'adaptation de la réponse opérationnelle au dérèglement climatique.

Si les résultats de la campagne 2024 de lutte contre les feux de forêts apparaissent satisfaisants, ils le doivent en partie à une météo clémente.

Aussi, le rapporteur spécial est particulièrement vigilant aux moyens alloués à l'entretien et au renouvellement annoncé de la flotte de Canadair. En effet, les difficultés posées par la vétusté croissante de la flotte de Canadair, conduisent à l'immobilisation d'une partie importante de cette dernière pour cause de panne et de maintenance : à certaines périodes critiques cet été, seuls trois appareils sur douze étaient opérationnels, ce qui a limité fortement leur capacité d'intervention et cela pourrait conduire à l'avenir à une situation de rupture capacitaire en cas de multiplication simultanée de feux d'ampleur.

2. Pallier les insuffisances et anticiper le renouvellement du contrat de maintien en condition opérationnelle en 2027

Lors des auditions menées par le rapporteur spécial, la DGSCGC a reconnu l'existence d'une réelle problématique concernant le marché de maintien en condition opérationnelle de la flotte de Canadair avec l'actuel prestataire Sabena technics.

Les difficultés objectives rencontrées cet été trouvent plusieurs causes.

D'une part, la vétusté des Canadair français s'explique par le vieillissement naturel de la flotte accéléré par une doctrine française de lutte contre les feux de forêts exigeant un régime d'emploi intense des avions bombardiers d'eau. D'autres doctrines et stratégies d'utilisation des appareils existent, comme en Espagne où les écopages plus lents et plus progressifs ménagent les appareils mais contraignent à un rythme de largage plus modéré.

D'autre part, certaines difficultés peuvent se justifier par le profil technique singulier des Canadair. En effet, les MCO des avions DASH et des Beechcraft, dont Sabena technics est également en charge, ne soulèvent pas de question. Le Canadair est un appareil amphibie moins répandu, que son rechargement par affleurement d'un plan d'eau soumet à des exigences opérationnelles lourdes. Il présente donc des caractéristiques techniques complexes susceptibles de rendre le remplacement de ses pièces et son entretien plus délicats.

Enfin, les difficultés susceptibles d'être directement imputables au prestataire Sabena technics, telle que l'incapacité à mobiliser des ressources humaines suffisantes en période estivale, doivent être identifiées et discutées pour être corrigées sans délai. Alors que le contrat court jusqu'en 2027, c'est-à-dire trois saisons de feux, sa dénonciation anticipée représenterait un coût budgétaire certain (indemnisation du prestataire, coût du nouveau contrat), sans garantie d'amélioration significative des résultats.

Fort de ces constats, le nouveau marché de MCO de la flotte d'avions de la sécurité civile qui entrera en vigueur 2027 exige d'être préparé dès à présent et d'y consacrer les moyens adéquats.

3. Le remplacement des 12 Canadair par 16 nouveaux appareils
a) Après les effets d'annonce, un échéancier enfin précisé concernant les deux avions français cofinancés par l'Union européenne

Afin de renforcer sa flotte et initier les perspectives de son renouvellement, la France s'est inscrite dans le mécanisme européen entré en vigueur en 2021 qui prévoit de créer une réserve de sécurité civile européenne (RescEU), dotée de moyens subventionnés par l'Union Européenne, l'état-membre acquéreur s'engageant en contrepartie à les rendre disponibles en cas d'activation du mécanisme.

Au terme d'un long processus entre les 6 pays candidats (France, Espagne, Italie, Croatie, Grèce, Portugal), la Commission Européenne (DG ECHO) et l'entreprise De Havilland Canada - DHC, le lancement effectif de la chaîne de production des nouveaux « CANADAIR » (DHC-515) a été officiellement annoncé le 31 mars 2022, sécurisant ainsi le programme RescUE avec au total une expression de commande pour 22 appareils. L'Europe finance 12 avions DHC-515, soit 2 par pays demandeur. Les 6 États européens, la Commission et l'entreprise ont officiellement signé les contrats à l'été 2024.

En termes budgétaires, les coûts d'acquisition de 2 DHC-515 par pays seront couverts par la Direction générale pour la protection civile et les opérations d'aide humanitaire européennes de la Commission européenne (DG ECHO) pour les appareil seuls, soit 98,8 millions d'euros (49,4 millions d'euros par appareil). En revanche, demeure à la charge du programme budgétaire : la TVA à l'importation (23 millions d'euros) ainsi que les frais de douanes (3 millions d'euros) et un lot initial de matériels de rechange et provisions (montant estimé entre 13 millions d'euros et 35 millions d'euros). Dans le cadre de cette commande, le coût total d'acquisition d'un appareil est évalué à environ 62 millions d'euros TTC.

Il convient de préciser que les deux Canadair commandés par la France ne sont pas achetés via la DG ECHO mais bien par la France, dans le cadre d'un cofinancement accordé par la DG ECHO au titre de RescUE. Il est par ailleurs prévu dans le contrat de pouvoir commander des appareils sur financement propre.

Comme l'a rappelé le rapporteur spécial dans son rapport du 5 juillet 2023 précité, la principale source de préoccupation réside dans les délais de livraison incertains de ces Canadair. En effet, ces délais ont été plusieurs fois repoussés depuis l'annonce de cette commande en 2018, en raison notamment de la décision tardive de la société De Havilland de relancer la chaîne de production, faute de commandes suffisantes.

Du fait de la primauté de son contrat de subvention avec la Commission européenne, la France est prioritaire dans le calendrier de livraison des appareils, qui doit cependant tenir compte du niveau d'urgence rencontré dans certains pays, dont la Grèce. Aujourd'hui, selon les prévisions, le premier avion français serait attendu en mars 2028, le deuxième en novembre 2028.

Par ailleurs, le contrat signé par la France avec la société canadienne DHC prévoit en option l'acquisition de 14 appareils de type DHC-515, commandables à l'unité et selon les conditions économiques à la date de la commande. Le coût unitaire de ces appareils serait ainsi plus élevé que ceux commandés via la Commission européenne. La butée contractuelle pour affermir tout ou partie ces appareils optionnels est fixée au 30 juin 2030.

b) Des enjeux de financements et de souveraineté industrielle européenne

Le rapporteur spécial alerte à nouveau sur le risque de non-respect du calendrier pour la livraison des deux premiers Canadair. D'une part, si le calendrier prévoit la livraison des deux appareils à horizon 2028, les difficultés intrinsèques à la remise en marche d'une chaîne de production industrielle de ce niveau laisse d'ores et déjà anticipé des retards et une livraison probable à horizon 2030. En outre, au regard des incendies ravageurs qui ont frappé l'Amérique du Nord cet été, certains acteurs de la sécurité civile craignent que ces délais de livraison soient également retardés par la pression des États et des populations en faveur de la livraison prioritaire de ces Canadair au Canada et aux États-Unis plutôt qu'aux États de l'Union européenne.

Dans ces conditions, le rapporteur spécial partage l'analyse des acteurs de la sécurité civile auditionnés : la France et les pays européens ne peuvent pas être dépendants d'un unique industriel ni d'un unique modèle d'avion. Dans un contexte de besoin croissant d'avions bombardiers d'eau et d'un marché qui s'agrandit, le double enjeu de souveraineté industrielle et sécuritaire est de parvenir à faire émerger un modèle d'avion européen aux caractéristiques similaires au Canadair. En ce sens, la DGSCGC étudie actuellement plusieurs projets industriels européens qui présentent des niveaux de développement et de maturité variables. En septembre 2024, à l'occasion du 130ème congrès national des sapeurs-pompiers de France, la DGSCGC a signé des courriers d'intérêt avec deux industriels aux projets qualifiés de prometteurs : KEPPLAIR et HYNAERO.

Dans le cadre du Beauvau de la sécurité civile, l'objectif de la DGSCGC est d'établir une stratégie de renouvellement de la flotte ABE d'ici le mois de janvier 2025.

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