N° 98

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 octobre 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes (procédure accélérée),

Par Mme Muriel JOURDA,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, MM. Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, MM. Georges Naturel, Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Sénat :

756 (2023-2024) et 99 (2024-2025)

L'ESSENTIEL

Déposée le 11 septembre 2024 par Marie Mercier et plusieurs de ses collègues, la proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes vise à améliorer l'efficacité des fichiers sur lesquels certains de ces condamnés peuvent être inscrits et à faciliter l'accès, par certaines entités publiques ou privées, aux données qu'ils contiennent. Pour atteindre cet objectif, le texte s'appuie largement sur des travaux législatifs récents du Sénat qui, faute d'avoir été inscrits à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, n'ont pas encore pu être intégrés à notre droit.

I. LE FIJAISV ET LE FIJAIT : DES OUTILS PRÉCIEUX, MAIS DONT L'EFFICACITÉ PEUT ENCORE ÊTRE AMÉLIORÉE

Respectivement créés par le législateur en 2004 et en 20151(*) et plusieurs fois étendus depuis lors, le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv) et le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions terroristes (Fijait) sont des outils essentiels à la prévention des crimes et délits les plus graves, à l'identification des auteurs des infractions commises ainsi qu'à la mise en oeuvre des mesures de sûreté qui peuvent être imposées aux personnes condamnées ou mises en cause pour les mêmes faits.

A. L'ENCADREMENT STRICT DU FONCTIONNEMENT DU FIJAISV ET DU FIJAIT PAR LE LÉGISLATEUR

Le fonctionnement du Fijait et du Fijaisv est régi, respectivement, par les articles 706-25-3 et suivants et 706-53-1 et suivants du code de procédure pénale.

Le Fijaisv et le Fijait ont, par nature, des périmètres différents : si le premier centralise les données relatives aux personnes condamnées (ou, dans certains cas, mises en examen) pour des atteintes graves aux personnes (il s'agit des infractions pour lesquelles est applicable la procédure spécifique aux infractions de nature sexuelle ou commises sur des mineurs2(*)), le second concerne les infractions en lien avec le terrorisme (soit les actes terroristes définis aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, y compris l'apologie du terrorisme, et la violation d'une interdiction administrative de quitter le territoire français ou d'une mesure de contrôle du retour sur le territoire, sanctionnée par le code de la sécurité intérieure).

Le nombre d'inscrits sur ces fichiers est conséquent et croît régulièrement : à titre d'illustration, le Fijaisv présentait un total d'environ 80 000 inscrits au 31 décembre 2018, contre plus de 111 000 inscrits au 30 septembre 2024.

Nombre de personnes inscrites au Fijaisv

Source : ministère de la justice.

Le Fijaisv et le Fijait présentent, dans leur fonctionnement, de nombreuses similarités :

- tous deux sont tenus par le service du casier judiciaire national du ministère de la justice et placés sous le contrôle du ministre et d'un magistrat ;

- ils présentent une double finalité commune, à savoir la prévention et la répression (via l'identification des auteurs) des infractions ;

les données enregistrées sont identiques : il s'agit des « informations relatives à l'identité ainsi que l'adresse ou les adresses successives du domicile et, le cas échéant, des résidences des personnes [inscrites] » (articles 706-25-4 et 706-53-2 du code de procédure pénale) ;

la liste des personnes concernées répond à des logiques analogues : sont ainsi visés les majeurs et les mineurs de plus de treize ans condamnés, même de manière non-définitive ou par défaut, et ce y compris en cas de dispense ou d'ajournement de la peine ou lorsque cette condamnation a été prononcée par une juridiction étrangère, ainsi que les personnes ayant fait l'objet d'une déclaration d'irresponsabilité pénale en raison d'un trouble mental. Sont également concernées les personnes mises en examen, avec une spécificité pour le Fijaisv puisque l'inscription à ce fichier n'est alors possible que dans l'hypothèse où une mesure de contrôle judiciaire ou d'assignation à résidence sous surveillance électronique a été prise ;

l'inscription sur chaque fichier s'effectue soit de manière automatique, soit sur décision de la juridiction compétente, selon la gravité des faits concernés ou l'âge de l'auteur ou de la victime. Pour le Fijaivs, l'inscription automatique3(*) concerne les crimes et les délits punis d'une peine d'emprisonnement de cinq ans ou plus et toutes les infractions commises sur des mineurs ; elle concerne également les mises en examen criminelles (l'inscription au fichier est soumise à une décision du juge d'instruction lorsqu'elle porte sur un délit). Pour le Fijiait, l'inscription est de plein droit dans tous les cas de figure pour les majeurs, sauf décision expresse contraire du magistrat compétent. À l'inverse, pour les deux fichiers, lorsque l'auteur est mineur, l'inscription automatique est exclue : elle doit être décidée au cas par cas par la juridiction de jugement4(*), quelle que soit l'infraction commise ;

des obligations (qui ont la nature de mesures de sûreté et dont le non-respect est assorti de sanctions pénales) sont imposées aux personnes inscrites sur les fichiers : celles-ci doivent déclarer leur adresse et d'éventuels changements ainsi que, pour les inscrits au Fijait, tout projet de déplacement hors de France (ou de retour sur le territoire pour ceux qui résident à l'étranger) ;

les règles d'accès aux deux fichiers sont similaires : les informations qui y figurent peuvent être consultées, par le biais d'un système sécurisé, par les autorités judiciaires, les officiers de police judiciaire dans le cadre des enquêtes liées aux infractions visées par chaque fichier, par les préfets et certaines administrations de l'État aux seules fins de sécuriser les décisions de recrutement, d'affectation, d'autorisation, d'agrément ou d'habilitation, par les agents des greffes pénitentiaires habilités. S'y ajoutent, pour le Fijait, les agents individuellement désignés des services de renseignement et les agents du ministère des affaires étrangères appelés à recevoir les déclarations obligatoires des personnes inscrites au fichier lorsque celles-ci résident à l'étranger ;

- enfin, dans les deux cas, le législateur a explicitement interdit toute interconnexion ou rapprochement entre le fichier et d'autres données qui ne seraient détenues par le ministère de la justice, à l'exception du fichier des personnes recherchées (FPR)5(*).

Ces exigences quant au périmètre, au contenu et aux modalités de consultation des deux fichiers sont une condition sine qua non de leur conformité à la Constitution. En effet, comme l'a souligné le Conseil constitutionnel dans différentes décisions, et singulièrement dans sa décision sur la loi mettant en place le Fijaisv en 20046(*), le fonctionnement de tels fichiers doit garantir une « conciliation entre, d'une part, la sauvegarde de l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la protection de principes et de droits de valeur constitutionnelle et, d'autre part, le respect de la vie privée et des autres droits et libertés constitutionnellement protégés », ce qui implique notamment :

- que des garanties soient apportées sur les conditions d'utilisation et de consultation des fichiers ;

- que l'autorité judiciaire soit responsable de l'inscription et du retrait des données nominatives qui y figurent ;

- que soient visées des infractions graves et présentant un taux de récidive élevé ;

- que les consultations administratives soient assorties de « restrictions et prescriptions » particulières.


* 1 Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (le Fijaisv avait été créé à l'initiative de la commission des lois du Sénat, à la suite de l'adoption d'un amendement du rapporteur François Zocchetto) et loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.

* 2 Il s'agit des infractions énumérées à l'article 706-47 du code de procédure pénale, notamment les meurtres ou assassinats commis sur un mineur ou en récidive ; les crimes de torture et d'actes de barbarie sur mineur ; le viol et l'agression sexuelle ; la traite des êtres humains et le proxénétisme à l'égard d'un mineur ; la corruption de mineur et la proposition sexuelle faite en ligne par un majeur à un mineur de quinze ans ; la pédopornographie ; l'atteinte sexuelle...

* 3 L'inscription peut ne pas avoir lieu sur décision contraire (et spécialement motivée) du magistrat compétent.

* 4 Ou par le procureur de la République lorsque l'inscription découle d'une composition pénale.

* 5 Les inscrits au Fijait sont, au demeurant, inscrits de plein droit au FPR pendant toute la durée d'application des mesures de sûreté rattachées à cette inscription (article 706-25-7 du code de procédure pénale).

* 6  Décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, « Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ».

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