EXAMEN EN COMMISSION
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MERCREDI 16 OCTOBRE 2024
- Présidence de M. Christophe-André Frassa, vice-président -
M. Christophe-André Frassa, président. - Nous passons à l'examen du rapport de Philippe Bas et Corinne Narassiguin sur la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.
Mme Corinne Narassiguin, rapporteure. - La situation en Nouvelle-Calédonie est extrêmement compliquée. Des violences ont éclaté le 13 mai et la Nouvelle-Calédonie traverse depuis une crise politique majeure, qui se conjugue à une crise économique et sociale d'une grande gravité. Ces événements ont été déclenchés par un projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie. Le dégel partiel du corps électoral prévu par le texte n'a pas été compris par la population néo-calédonienne, en particulier au sein de la jeunesse.
La séquence qui a conduit à la situation actuelle a été enclenchée en février 2024, lorsqu'un premier projet de loi organique a été déposé pour reporter les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, après que le Conseil d'État a considéré que les conditions de sécurité juridique n'étaient pas suffisantes pour organiser les élections provinciales avant le 12 mai 2024, en respectant les délais initiaux. En effet, le corps électoral étant gelé depuis la révision constitutionnelle de 2007, un problème démocratique et constitutionnel se serait posé si les élections avaient été organisées sur cette base, alors que le processus mis en place par l'accord de Nouméa était terminé depuis la fin de l'année 2021.
Les deux assemblées ont adopté ce projet de loi organique, qui a ensuite été approuvé par le Conseil constitutionnel. Les élections, qui devaient se tenir le 12 mai 2024, ont ainsi été reportées au 15 décembre 2024 au plus tard. Au-delà du report des élections provinciales, c'est l'examen au Parlement d'un projet de loi constitutionnelle pour dégeler partiellement le corps électoral, sans qu'un accord global ait été trouvé avec les populations locales, qui a déclenché les violences du mois de mai.
Dans ce contexte, nous devons examiner un texte prévoyant un nouveau report de ces élections, pour deux motifs essentiels : il n'est pas possible de garantir le bon déroulement d'une campagne électorale dans un climat apaisé compte tenu de l'urgence économique et sociale, et la question du corps électoral n'est toujours pas résolue, le projet de loi constitutionnelle ayant été abandonné, comme l'a annoncé le Premier ministre Michel Barnier lors de son discours de politique générale. Nous devons prendre le temps de réunir tous les acteurs autour de la table pour trouver un consensus.
M. Philippe Bas, rapporteur. - En dépit de la gravité de la crise - et peut-être même à cause d'elle -, nous apercevons quelques lueurs. Le 29 août dernier, l'ensemble des forces politiques calédoniennes représentées au congrès ont adopté une résolution pour appeler à l'exercice d'une solidarité nationale en faveur de la Nouvelle-Calédonie afin de reconstruire le territoire. Une délégation des signataires, malheureusement incomplète, a été reçue à la fin du mois de septembre par le président du Sénat, en présence de l'ensemble des présidents de groupes.
Cette signature, commune à des représentants indépendantistes et loyalistes, est un jalon très important, bien qu'il existe évidemment un consensus pour aider les Calédoniens en matière sociale, alors que le taux de chômage s'élève à 30 %. Il convient désormais de se donner un peu de temps pour que ce premier pas soit suivi d'effets.
Se pose ensuite une question juridique très simple : dans quelles conditions peut-on maintenir en fonction des élus dont le mandat est terminé ? Il existe une jurisprudence claire du Conseil constitutionnel en la matière ; il faut un motif d'intérêt général. Or de tels motifs sont surabondants dans le cas calédonien, l'ensemble du territoire n'étant pas pacifié, ce qui implique que la situation peut toujours s'embraser à la moindre étincelle.
Comme l'a rappelé Corinne Narassiguin, il serait irrégulier d'organiser les élections sur la base du corps électoral actuel. Si, en multipliant les efforts, nous parvenions à les organiser d'un point de vue matériel, elles risqueraient d'être annulées au moindre recours d'un électeur ou d'un candidat déçu.
Il convient donc de donner aux différentes parties calédoniennes la possibilité de conclure un accord, dont la question du corps électoral sera, comme toujours, un point essentiel. Il était contraire à la tradition calédonienne de traiter cette question sans qu'une négociation ait préalablement abouti à un accord.
Le motif d'intérêt général est incontestable, mais on ne peut pas indéfiniment laisser le pouvoir à des élus dont le mandat est achevé. La force de la loi peut faire beaucoup, mais le report des élections ne sera constitutionnel que s'il n'excède pas une durée que l'on évalue en général à dix-huit mois. Je ne vous dis pas qu'un nouveau report ne pourrait pas être prévu, mais il ne le serait que sur le fondement d'un accord sur le destin commun des Calédoniens, lequel serait suivi d'une révision constitutionnelle.
Mme Corinne Narassiguin, rapporteure. - Permettez-moi de vous dresser un compte rendu succinct des auditions que nous avons organisées. Nous avons bien sûr tenu à entendre toutes les forces politiques représentées au congrès de la Nouvelle-Calédonie, ainsi que les quatre parlementaires et les associations des maires, qui sont en première ligne pour organiser les élections. Nous en avons retenu un consensus sur la difficulté d'organiser des élections.
Certes, trois scrutins se sont déroulés en juin et juillet - les élections européennes et les deux tours des élections législatives -, mais certains candidats ont eu du mal à accéder à certaines parties du territoire pour mener leur campagne et la nature des élections provinciales, qui ont un impact local fort, est différente. De plus, des incertitudes perdurent sur la situation, qui peut encore se dégrader.
Il existe une volonté de revenir à la table des négociations et de renouer avec l'esprit du processus historique des accords de Matignon et de Nouméa. J'en profite pour souligner le travail du Sénat sur la question, en particulier le rapport d'information publié en 2023 par Philippe Bas, François-Noël Buffet, Hervé Marseille et Jean-Pierre Sueur sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, qui insistait sur la nécessité de maintenir le cadre de ce processus.
Toutefois, des différences d'appréciation se sont clairement exprimées. Un seul parti, L'Éveil océanien, nous a déclaré qu'il était contre le report, même si la nouvelle présidente du congrès, qui en est membre, affiche une position plus mitigée. Seules l'Union nationale pour l'indépendance (UNI) et Calédonie ensemble se sont officiellement prononcées pour le report hier lors de la commission du congrès. Tous les autres réservent leur déclaration officielle pour la séance plénière du 22 octobre.
La prudence est donc de rigueur sur les positions de chacun, mais elles se dessinent de la manière suivante : les non-indépendantistes sont plutôt pour le report ; les loyalistes estiment que les élections doivent se tenir le plus tôt possible, mais se rendent à l'évidence qu'il est compliqué de les organiser dans le contexte actuel ; et les positions divergent au sein du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), l'UNI et le Parti de libération kanak (Palika) étant plutôt favorables au report, et l'Union calédonienne (UC) étant plus partagée.
Les membres de cette dernière sont défavorables au report, mais ne s'y opposent pas, car l'essentiel pour eux est que le projet de loi constitutionnelle ait été définitivement enterré. Je précise que ces derniers estiment depuis le début qu'il n'est pas nécessaire de modifier le corps électoral pour tenir les élections.
De leur côté, l'UC et l'Éveil océanien ont tous deux douté de la légitimité des élus actuels à mener les négociations.
Les positions sont donc variables, mais nous avons perçu un esprit majoritairement favorable à un report.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Nous vous proposerons d'adopter cette proposition de loi prévoyant un report des élections, au plus tard au 30 novembre 2025. Toutefois, des amendements ont été déposés.
Un amendement de Robert Wienie Xowie et des membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky vise à fixer le report au 30 mai 2025 au plus tard. Cela nous semble trop court pour conduire toutes les opérations préalables à l'organisation des élections. En effet, nous devons parvenir à un accord global, qui comporte une modification du corps électoral, sans laquelle les élections ne peuvent pas se tenir régulièrement. Ensuite, une révision constitutionnelle et des lois organiques devront suivre. Je ne vois pas comment nous pourrions franchir toutes ces étapes d'ici au 30 mai. Nous nous opposerons donc à cet amendement.
Les autres amendements ne remettent pas en question le fond de la proposition de loi. Ils portent notamment sur la date d'entrée en vigueur de la loi et sur le maintien en fonction du président et des membres du bureau du congrès jusqu'aux élections.
Mme Cécile Cukierman. - Le calendrier de l'examen de cette proposition de loi organique pose un véritable problème : le texte sera examiné en séance publique le mercredi 23 octobre prochain, après-midi, et le Congrès de la Nouvelle-Calédonie se prononcera sur le texte le mardi 22 octobre, alors que la date limite pour le dépôt des amendements est fixé au lundi 21 octobre, à midi. Il ne s'agit pas que d'une question technique ; cela pose notamment la question de la capacité de certaines organisations politiques, qu'elles soient indépendantistes ou loyalistes, à exprimer une position claire sur l'opportunité et, en cas d'accord, sur la date du report.
Je ne reviens pas sur les évènements des derniers mois et des dernières années. Simplement, j'invite chacun à la plus grande prudence : l'expérience récente montre que ceux qui ont voulu imposer une évolution à marche forcée depuis Paris, en n'écoutant que d'une oreille les objections venues de Nouvelle-Calédonie, n'ont fait qu'amasser un tas de bois, qui s'est malheureusement embrasé en mai dernier.
L'existence même de ce texte, le fait qu'il ait été déposé sans consultation préalable, alors que les débats ne sont pas tranchés au sein même des différents camps politiques, a pu susciter des questions. Ceux qui connaissent le sujet savent combien les parties prenantes sont sensibles aux consultations, aux palabres, aux discussions en vue d'aboutir à un consensus.
Il est un écueil que nous devons absolument éviter de heurter, par respect pour le peuple néo-calédonien dans sa diversité, c'est celui qui consiste à affirmer que la situation actuelle ne permet pas de tenir les élections. Nous venons d'avoir des élections européennes et des élections législatives ; certains en regrettent peut-être les résultats, mais force est de constater que, malgré les difficultés, elles se sont tenues.
La question qui se pose est celle de la légitimité démocratique et de la capacité d'organiser, aujourd'hui et demain, un scrutin. Qui aura, dans le délai accordé, la légitimité démocratique pour organiser le dialogue de la reconstruction et pour relever économiquement et socialement l'île, principalement la province du Sud, où sont concentrées les destructions et qui cristallise les débats publics locaux ?
J'entends les arguments du rapporteur sur les amendements de Robert Xowie. Nous débattrons de ces questions en séance publique, mais nous maintenons nos amendements, car ils reflètent la position d'élus et de citoyens.
En l'état du texte, nous nous abstiendrons.
M. Olivier Bitz. - Quelles raisons poussent nos collègues du groupe CRCE-K à penser que les négociations pourraient aboutir avant le 30 mai prochain ? À quoi correspond cette date ?
Mme Cécile Cukierman. - C'est une date qui semble faire consensus entre les forces politiques du FLNKS. Sans doute, il s'agit d'un choix politique, mais nous l'assumons, c'est d'ailleurs tout à fait respectable !
Il y a encore quinze jours, la plus grande partie des dirigeants de cette fédération, que représente notre collègue Robert Xowie - que cela plaise ou non -, n'étaient pas d'accord avec l'idée même d'un report. Le travail des uns et des autres, y compris du nouveau ministre des outre-mer, François-Noël Buffet, permet d'avancer sur ce chemin. Or, sur ce chemin, la première étape est cette date du 30 mai.
M. Christophe-André Frassa, président. - Avant d'entamer l'examen du texte, nous devons déterminer le périmètre de la proposition de loi. En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que ce périmètre inclut les dispositions relatives à la date de renouvellement général des membres du congrès, des organes du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
M. Philippe Bas, rapporteur. - Notre amendement COM-2 propose une nouvelle rédaction de l'article pour en améliorer la lisibilité.
Le sous-amendement COM-5 vise à reporter les élections aux assemblées de province et au congrès de la Nouvelle-Calédonie au 30 mai prochain au plus tard. Avis défavorable.
Le sous-amendement COM-5 n'est pas adopté. L'amendement COM-2 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-1 devient sans objet.
L'article unique est ainsi rédigé.
Mme Corinne Narassiguin, rapporteure. - Nous avons reçu un courrier transpartisan émanant de l'ensemble des groupes politiques du congrès de la Nouvelle-Calédonie et du président du parti L'Éveil océanien. La loi organique prévoit que les instances du congrès, telles que le bureau, doivent être renouvelées tous les ans. Habituellement, cela se fait à la fin du mois d'août. Si des élections provinciales étaient programmées entre le mois d'août et le 30 novembre 2025, il serait incongru de changer la composition des instances internes pendant leur campagne électorale. Les groupes du congrès nous demandent donc, sans que cela engage leur avis sur le report lui-même, de prolonger le mandat de ces instances jusqu'aux élections. Cela nous paraît être une mesure de bon sens. Notre amendement COM-3 en est la traduction.
M. Francis Szpiner. - S'agit-il d'une demande unanime ?
Mme Corinne Narassiguin, rapporteure. - Oui.
L'amendement COM-3 est adopté et devient article additionnel.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Notre amendement COM-4 vise à faire entrer en vigueur la loi organique le lendemain de sa publication, et non dans le délai normal de dix jours, qui impliquerait la publication d'un décret de convocation des électeurs. Au moyen de cet amendement, on évite un désordre juridique.
L'amendement COM-4 est adopté et devient article additionnel.
La proposition de loi organique est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article unique |
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M. BAS, rapporteur |
2 |
Amélioration de la lisibilité du dispositif |
Adopté |
M. XOWIE |
5 |
Élections provinciales au plus tard le 30 mai 2025 |
Rejeté |
M. XOWIE |
1 |
Élections provinciales au plus tard le 30 mai 2025 |
Satisfait ou sans objet |
Article(s) additionnel(s) après l'article unique |
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M. BAS, rapporteur |
3 |
Prorogation des fonctions des membres des organes du congrès jusqu'à la première réunion du congrès nouvellement élu |
Adopté |
M. BAS, rapporteur |
4 |
Entrée en vigueur de la loi organique le lendemain de sa publication au Journal officiel de la République française |
Adopté |