B. DES CENSURES QUI APPELLENT À UN MEILLEUR RESPECT DES DROITS DES PARTIES
Deux censures prononcées à la suite de questions prioritaires de constitutionnalité, intervenues en 2021 en matière criminelle et en 2023 en matière correctionnelle (cette seconde censure, dans le dossier « François F. », étant celle qui justifie la présente proposition de loi), sont venues appeler le législateur à un plus grand respect de l'équilibre des droits des parties et de l'égalité des armes.
En effet, par sa décision n° 2021-900 QPC du 23 avril 2021, « Vladimir M. », le Conseil constitutionnel s'était prononcé une première fois sur le mécanisme de purge des nullités en matière criminelle5(*). Le requérant soutenait que les quatrièmes alinéas de l'article 181 du code de procédure pénale (CPP) et de l'article 305-1 du même code, dans leur rédaction issue de la loi n° 85-1407 du 30 décembre 1985, étaient contraires aux droits et libertés garanties par la Constitution, dans la mesure où l'article 181 précité disposait que « lorsqu'elle est devenue définitive, l'ordonnance de mise en accusation couvre, s'il en existe, les vices de la procédure » : dès lors, aucune exception de nullité tirée des vices de la procédure antérieure à la mise en accusation n'était prévue, si bien que, en cas de défaut d'information, l'intéressé ne pouvait pas contester utilement les irrégularités de la procédure.
Le Conseil constitutionnel avait par conséquent jugé que les dispositions attaquées « méconnaiss[aient] le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense ».
Extraits de la décision n° 2021-900 QPC du 23 avril 2021
« 8. Le mécanisme de purge des nullités prévu par les dispositions contestées rend irrecevable, une fois l'ordonnance de mise en accusation devenue définitive, toute exception de nullité visant les actes de la procédure antérieure à cette ordonnance.
« 9. En vertu de l'article 170 du code de procédure pénale, en toute matière, la chambre de l'instruction peut, au cours de l'information, être saisie aux fins d'annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure par le juge d'instruction, par le procureur de la République, par les parties ou par le témoin assisté. En vertu de son article 175, les parties peuvent également exercer ce recours dans un délai d'un à trois mois après la réception de l'avis de fin d'information qui leur est notifié par le juge d'instruction. Enfin, conformément à l'article 186 du même code, la personne mise en examen peut faire appel, devant la chambre de l'instruction, de l'ordonnance de mise en accusation.
« 10. Ces dispositions garantissent à l'accusé la possibilité de contester utilement les nullités avant qu'intervienne la purge des nullités.
« 11. Toutefois, l'exercice de ces voies de recours suppose que l'accusé ait été régulièrement informé, selon le cas, de sa mise en examen ou de sa qualité de partie à la procédure, de l'avis de fin d'information ou de l'ordonnance de mise en accusation.
« 12. Or, les dispositions contestées ne prévoient aucune exception à la purge des nullités en cas de défaut d'information de l'intéressé ne lui ayant pas permis de contester utilement les irrégularités de procédure et alors même que cette défaillance ne procède pas d'une manoeuvre de sa part ou de sa négligence.
« 13. Dès lors, elles méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense. Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres griefs, elles doivent être déclarées contraires à la Constitution. »
Ces dispositions ont été modifiées par le législateur à l'occasion de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, dont l'article 6 a créé un nouvel article 269-1 au sein du code de procédure pénale et modifié l'article 305-1 du même code afin d'ouvrir aux accusés, dans certains cas, la possibilité de saisir le président de la chambre de l'instruction pour soulever une nullité alors même que le délai normal de « purge » a expiré. Néanmoins, la réécriture issue de ce texte restait d'une ampleur limitée, puisque :
- d'une part, elle se limitait à la matière criminelle ;
- d'autre part, elle demeurait étroitement liée aux circonstances de l'espèce sous-jacente au dossier « Vladimir M. », à savoir un défaut d'information, l'hypothèse retenue par la loi étant celle où « l'accusé n'a pas été régulièrement informé, selon le cas, de sa mise en examen ou de sa qualité de partie à la procédure, de l'avis de fin d'information judiciaire ou de l'ordonnance de mise en accusation », sans que d'autres cas soient envisagés.
C'est dans ce contexte qu'est intervenue une nouvelle censure, prononcée là encore à la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité, le 28 septembre 2023. Dans cette décision6(*), le Conseil constitutionnel, appelé cette fois à se prononcer sur le mécanisme de purge des nullités en matière correctionnelle, a censuré - avec effet au 1er octobre 2024 - le premier alinéa de l'article 385 du code de procédure pénale selon lequel « Le tribunal correctionnel a qualité pour constater les nullités des procédures qui lui sont soumises sauf lorsqu'il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d'instruction ou la chambre de l'instruction ».
Extraits de la décision n° 2023-1062 QPC
« 8. Selon l'article 179 du code de procédure pénale, lorsque le juge d'instruction estime, à la fin de l'information judiciaire, que les faits dont il est saisi constituent un délit, l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel couvre, s'il en existe, les vices de la procédure. Dans ce cas, en application des dispositions contestées de l'article 385 du même code, les parties ne sont plus recevables, en principe, à soulever devant ce tribunal les nullités de la procédure antérieure.
« 9. D'une part, en vertu de l'article 170 du code de procédure pénale, en toute matière, la chambre de l'instruction peut, au cours de l'information, être saisie aux fins d'annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure par le juge d'instruction, par le procureur de la République, par les parties ou par le témoin assisté. Les articles 173-1 et 174 du même code soumettent à certaines conditions de recevabilité la possibilité de contester de tels actes ou pièces, sauf dans le cas où les parties n'auraient pu connaître le moyen de nullité. Son article 175 prévoit également que des requêtes en nullité peuvent être présentées, dans un certain délai, à compter de l'envoi de l'avis de fin d'information.
« 10. D'autre part, par dérogation au mécanisme de la purge des nullités prévu par les dispositions contestées, lorsque l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction a été rendue sans que les conditions prévues par le même article 175 aient été respectées, les parties demeurent recevables à soulever devant le tribunal correctionnel les nullités de la procédure.
« 11. Ces dispositions garantissent ainsi que le prévenu a été en mesure de soulever utilement les moyens de nullité dont il a pu avoir connaissance avant la clôture de l'instruction.
« 12. Toutefois, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition ne prévoient d'exception à la purge des nullités dans le cas où le prévenu n'aurait pu avoir connaissance de l'irrégularité éventuelle d'un acte ou d'un élément de la procédure que postérieurement à la clôture de l'instruction.
« 13. Dès lors, les dispositions contestées méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense. Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres griefs, elles doivent donc être déclarées contraires à la Constitution. »
L'abrogation immédiate de ces dispositions étant de nature à « entraîn[er] des conséquences manifestement excessives », le Conseil constitutionnel en a reporté l'effet au 1er octobre 2024 et a jugé que, dans l'intervalle, il appartiendrait aux juridictions du fond de se prononcer « lorsque la purge des nullités a été ou est opposée à un moyen de nullité qui n'a pu être connu avant la clôture de l'instruction ». Cependant, depuis le 1er octobre dernier, ce régime transitoire n'est plus applicable, si bien qu'aucune « purge » ne peut être effectuée devant les tribunaux correctionnels. Il est donc urgent de modifier la loi, sous peine de maintenir une dangereuse instabilité dans le traitement des dossiers correctionnels : comme l'ont rappelé à la rapporteure les personnes entendues en audition, si les dossiers faisant l'objet d'une instruction sont marginaux sur le plan quantitatif, ils concernent cependant les affaires les plus lourdes ou les plus complexes, l'instruction étant notamment utilisée en matière de trafic de stupéfiants ou pour des cas de fraudes particulièrement sophistiquées.