EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 9 octobre 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné le rapport de M. Bruno Belin sur la proposition de loi n° 682 (2023-2024) visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs.

M. Claude Raynal, président. - Nous en venons à l'examen du rapport de Bruno Belin sur la proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs. Je salue la présence parmi nous de notre collègue Jean-Luc Fichet, auteur du texte.

M. Bruno Belin, rapporteur. - Mes chers collègues, pour la clarté de mon propos je vous indique d'ores et déjà que je vais proposer à la commission de rejeter ce texte.

La plupart d'entre vous ont été, ou sont encore, conseiller départemental ou élu municipal : vous connaissez donc la situation dans laquelle se trouvent les Ehpad. Ceux-ci peuvent être classés en trois catégories : les Ehpad publics portés par des personnes publiques qui sont souvent des municipalités et des centres communaux d'action sociale (CCAS), les Ehpad privés à but non lucratif et les Ehpad privés à but lucratif, ces derniers étant visés par le texte.

En effet, la proposition de loi tend à créer une taxe sur le résultat net de ces établissements dont le produit serait versé à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Je m'interroge sur ce que pourrait penser le Conseil constitutionnel d'une taxe qui ne toucherait qu'une seule catégorie d'Ehpad au regard du principe d'égalité devant les charges publiques. Par ailleurs, il serait probable que les Ehpad concernés essayent d'optimiser leur compte de résultat pour ne pas être assujettis.

L'affaire Orpea a dégradé l'image des Ehpad à but lucratif : les travaux de la commission des affaires sociales du Sénat et les enquêtes des journalistes ont montré que, malgré des résultats florissants, de grands groupes ont eu des comportements condamnables. Nous avons tous été choqués de découvrir que les soins aux résidents étaient minutés et qu'il n'était parfois prévu de leur donner une douche qu'une fois tous les six jours...

Néanmoins, il faut noter que la situation des Ehpad n'est aujourd'hui plus la même qu'il y a quelques années, comme l'a souligné un rapport de la commission des affaires sociales : leurs résultats sont catastrophiques, ce qui met en difficulté un certain nombre d'établissements.

Je rappelle que le fonctionnement des Ehpad est assuré en grande partie par de l'argent public, notamment avec la participation des agences régionales de santé (ARS) et des conseils départementaux. Si l'on prévoit une taxe supplémentaire, il est à craindre que ce soit le résident qui la finance, via une augmentation du prix de journée.

J'y insiste, la situation a changé depuis la pandémie : des résidents ou potentiels résidents sont décédés, et des personnes âgées ont renoncé à entrer en établissement par crainte d'être encore davantage exposées. À cette baisse du « stock démographique » se sont ajoutées les conséquences de l'affaire Orpea. Le taux d'occupation des établissements a diminué, ce qui a eu un impact financier immédiat. Résultat : nous avons assisté à un effondrement de la cotation en bourse des deux groupes d'Ehpad les plus importants.

Un travail considérable doit maintenant être effectué, d'abord parce que la génération du baby-boom va entrer dans l'âge de la dépendance, mais aussi parce que nous vivons de plus en plus longtemps, et avec davantage de pathologies. Il sera nécessaire d'augmenter de manière importante le nombre de places en Ehpad dans la décennie 2030. On estime à plus de 100 000 le nombre de places nouvelles nécessaires d'ici à 2030. Enfin, il faut souligner le besoin de personnels. Les postes, et les formations qu'il serait nécessaire d'engager à cette fin, n'ont pas été planifiés.

Pour toutes ces raisons, je vous propose de rejeter la proposition de loi.

M. Jean-Luc Fichet, auteur de la proposition de loi. - Le rapporteur a indiqué d'emblée qu'il était défavorable au texte, ce qui a le mérite de la clarté. Nous sommes tous en relation avec des maires, des présidents de CCAS et de conseil d'administration d'Ehpad, mais aussi avec des bénévoles, présidents de conseils d'administration d'associations qui gèrent des Ehpad. Tous nous sollicitent quotidiennement tant ils sont aux abois, la situation s'étant particulièrement aggravée récemment : tous sont confrontés à des déficits abyssaux.

Dans un premier temps, ils se tournent vers l'État, qui renvoie à la préparation d'une loi « Grand Âge » dans laquelle figureraient les investissements à prévoir afin de garantir un accueil qualitatif pour les personnes en perte d'autonomie. Les départements, quant à eux, invoquent un manque de moyens. Pour prendre l'exemple du Finistère dans lequel s'était rendue Aurore Bergé il y a deux ans, 8 millions d'euros avaient été attribués afin de venir en aide aux Ehpad, une somme faible qui était venue combler un déficit de trésorerie, mais qui ne permettait pas de répondre aux besoins.

Il faut alors se tourner vers une réduction des dépenses, ce qui est synonyme d'effectifs amoindris et d'une moins bonne formation des personnels, d'où des difficultés d'accueil. Il est également possible de se tourner vers les résidents pour assurer le financement, mais ceux-ci se sont souvent déjà séparés de leurs biens et ne disposent plus de véritables ressources.

À l'inverse, le secteur privé bénéficie d'une dynamique très forte, même après l'affaire Orpea. Bien évidemment, nous sommes tous d'accord pour dire que le secteur privé est nécessaire, nul ne prétendant s'en passer pour assurer l'accueil de nos aînés. Cela étant, la question de la marge de ces groupes se pose : tel est le sens de la proposition de loi, qui vise à appliquer une taxe additionnelle au-delà d'un taux de rentabilité financière de 10 %, taxe dont les recettes iraient à la CNSA avant de procéder à une redistribution qui permettrait d'aider les établissements publics et associatifs, via les départements.

Si ladite taxe ne générerait sans doute pas des montants très élevés dans un premier temps, l'argument selon lequel le secteur privé s'arrangerait toujours pour réaliser des profits masqués ne me paraît guère convaincant : même sans cette taxe, la gestion privée conduira à rechercher des économies, ce qui est parfois positif, mais ce qui a parfois des conséquences directes et négatives sur la vie des résidents.

En outre, l'argent public n'est pas réservé aux établissements publics et sert à financer, dans une proportion non négligeable, les dépenses d'investissement et de fonctionnement des établissements privés. Les résultats du secteur privé sont ainsi parfois obtenus grâce à l'argent public et au financement de postes pourtant non pourvus. Dans nombre de cas, pour une masse salariale de 100 postes, 30 % d'entre eux ne sont pas occupés, cette manne revenant dans le budget général de l'établissement et devenant une source de profits.

Les ARS ne disposent cependant pas des moyens de contrôler finement les budgets des Ehpad privés à but lucratif, qui leur sont présentés comme étant en déficit alors que les résultats globaux des grands groupes sont excédentaires - voire très excédentaires - au niveau fiscal. Il y a donc bien matière à s'interroger sur la manière dont ces bénéfices ont été réalisés, l'argent public ayant peut-être servi de coup de pouce pour dégager ces excédents.

Je le redis pour conclure : mon objectif n'est pas de porter l'estocade au secteur privé à but lucratif, mais simplement de modérer les profits et de répartir les excédents, de façon que les autres Ehpad publics et associatifs en bénéficient.

M. Arnaud Bazin. - En préalable, je précise que je suis commissaire surveillant de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui détient près de 20 % du capital de l'ex-Orpea, qui s'appelle désormais Emeis. Laurent Guillot et Guillaume Pépy conduisent une remise en ordre du fonctionnement du groupe, tant au niveau national qu'international.

Je constate comme vous les grandes difficultés des Ehpad publics et privés non lucratifs, les départements peinant à répondre aux besoins dans le contexte budgétaire actuel. Le problème est vaste et concerne la totalité de la prise en charge du troisième âge, notamment à domicile : contraints et forcés, les départements contiennent la dépense horaire à un niveau difficilement conciliable avec une prise en charge de qualité.

Les Ehpad privés à but lucratif, quant à eux, jouent un rôle important et ne doivent pas être découragés, car de moindres investissements dans ce secteur ne feraient qu'accroître la pression pesant sur le privé à but non lucratif et le public. Par curiosité, je me suis renseigné plus précisément sur le montant moyen d'une mensualité auprès d'Emeis : celui-ci s'établit à 3 000 euros par mois, soit un montant élevé pour certaines catégories de la population, mais qui reste accessible, malgré tout, à une partie de nos concitoyens. Une fois encore, il ne faut pas décourager les investissements dans les Ehpad privés, car, au-delà des considérations techniques sur le produit de la taxe proposée, il s'agirait d'un très mauvais message envoyé au secteur. Pour autant, je ne partage pas l'objectif d'atteindre des rendements à deux chiffres dans ces établissements.

M. Pascal Savoldelli. - De nombreuses entreprises rêveraient d'atteindre le même résultat net et le même niveau de fonds propres que les Ehpad privés, et il me paraît difficile de reprocher à l'auteur de la proposition de loi une démarche confiscatoire.

Par ailleurs, le rapporteur a indiqué qu'une contribution additionnelle risquerait d'entraîner un recul de l'investissement privé dans les établissements commerciaux, ce qui reste à démontrer. En septembre 2024, le rendement avant avantages fiscaux s'établit entre 3,5 % et 6 % : invoquer le péril d'une fuite des investisseurs n'est pas très sérieux.

M. Marc Laménie. - Ce sujet de société nous interpelle, le volet humain devant être davantage pris en compte que le volet financier. Je note que la suppression de la vignette automobile a privé les départements de recettes non négligeables pour financer la prise en charge des personnes âgées, et qu'il est paraît impossible de réinstaurer ce dispositif.

M. Grégory Blanc. - Nous ne nous sommes plus dans la situation décrite par le journaliste Victor Castanet, Orpea, Korian et d'autres ayant été conduits à renflouer leur capital. Les pénuries de personnels expliquent désormais l'essentiel des difficultés à assurer une prise en charge correcte des personnes âgées, les douches espacées de parfois plus de six jours existant toujours.

Le véritable sujet reste celui du modèle économique des Ehpad, ce qui m'amène à exprimer une divergence avec le rapporteur lorsqu'il affirme que « l'alourdissement de la fiscalité sur le secteur des Ehpad commerciaux présente un risque réel de désinvestissement » : le désinvestissement est déjà à l'oeuvre, justement, car nous ne soulevons pas l'enjeu de leur modèle économique.

Notre débat porte donc non pas sur le fait de savoir si une nouvelle taxe générerait suffisamment de recettes pour renflouer la CNSA, mais sur le caractère juste d'une taxe visant des établissements commerciaux fort lucratifs grâce à la clientèle aisée qu'ils attirent, ainsi que sur la nécessité de corriger les écarts. Une telle démarche me paraît justifiée par rapport au message que nous devons adresser aux acteurs privés, à savoir que le modèle d'Ehpad qui doit être bâti à l'avenir doit s'appuyer sur la mixité des publics. C'est pourquoi je soutiens cette proposition de loi.

Mme Isabelle Briquet. - Les besoins sont énormes en matière de prise en charge des personnes âgées, en l'absence d'une loi relative au grand âge que nous attendons tous, mais qui ne verra peut-être jamais le jour. L'argument du rapporteur selon lequel les Ehpad à but lucratif habilleront leurs comptes de manière à ne pas s'acquitter d'une taxe additionnelle m'a surprise : devrions-nous abandonner toute idée de taxation pour ce motif ? D'autres secteurs se livrent à ce type de pratiques, mais nous n'avons pas à nous départir de toute velléité en la matière pour autant.

Jean-Luc Fichet a soulevé un point à creuser, à savoir le défaut de contrôle budgétaire de ces Ehpad. En tout état de cause, notre groupe soutient cette proposition de loi.

M. Michel Canévet. - Le groupe Union Centriste partage les préoccupations relatives au financement des structures d'accueil pour les personnes âgées, mais rejoint l'avis du rapporteur quant à l'inadéquation de cette proposition de loi à la situation. En effet, la presse se fait l'écho du redressement judiciaire de Réside Études Seniors, qui gère 73 résidences. En outre, des mesures relatives à la fiscalisation des gros opérateurs sont d'ores et déjà annoncées dans le prochain projet de loi de finances (PLF), qui semble être un outil plus adapté pour l'adoption de mesures fiscales appropriées. Nous partageons donc les conclusions du rapporteur.

M. Christian Bilhac. - Une fiscalisation peut effectivement passer par le PLF, mais je suis assez favorable à la taxation de ces Ehpad à but lucratif. Selon moi, un Ehpad doit assurer une fin de vie digne et bienveillante aux personnes âgées et n'a pas vocation à gagner de l'argent.

M. Bruno Belin, rapporteur. - Madame Briquet, nous n'encourageons évidemment pas la fraude fiscale, mais nous savons très bien qu'il est aisé d'optimiser les comptes de résultats en jouant avec les loyers, frais de siège et autres postes. Les services du ministère des finances nous ont confirmé que, en l'état actuel des choses, aucun établissement ne serait concerné par cette taxe.

Le président du Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (Synerpa) nous a indiqué au cours des auditions que les banques ne prêtaient plus aux Ehpad à but lucratif tant les risques de non-recettes sont élevés. Compte tenu du niveau atteint par les tarifs à la journée, il n'est pas certain que les potentiels résidents soient en mesure de les assumer. Une moyenne de 3 000 euros mensuels a été précédemment mentionnée par le sénateur Bazin : parmi l'ensemble des Ehpad analysés, je n'ai rien trouvé à moins de 2 000 euros par mois, le tarif le plus élevé atteignant 11 000 euros. Tous ces établissements ont d'ailleurs été contrôlés par les ARS et par les départements de tutelle, qui ont renforcé les services dédiés.

La crise des Ehpad commerciaux est réelle, malgré les changements de noms qui se sont imposés. Par exemple, le huitième groupe français, Medicharme, a été placé en liquidation judiciaire en février dernier.

M. Claude Raynal, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des finances a arrêté, lors de sa réunion du 9 octobre 2024, le périmètre indicatif de la proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs.

Ce périmètre comprend les dispositions relatives aux modalités applicables pour la détermination des impositions de toutes natures des gestionnaires d'Ehpad et les dispositions relatives à la création d'une nouvelle imposition à la charge des gestionnaires d'Ehpad.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi n'est pas adopté.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

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