N° 20

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 octobre 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport (1) sur la proposition de loi visant à renforcer l'indépendance des médias
et à
mieux protéger les journalistes,

Par Mme Sylvie ROBERT,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; MM. Jérémy Bacchi, Max Brisson, Yan Chantrel, Mme Laure Darcos, MM. Bernard Fialaire, Jacques Grosperrin, Martin Lévrier, Mmes Monique de Marco, Marie-Pierre Monier, M. Michel Savin, vice-présidents ; Mmes Colombe Brossel, Else Joseph, M. Pierre-Antoine Levi, Mme Anne Ventalon, secrétaires ; Mmes Marie-Jeanne Bellamy, Catherine Belrhiti, Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Sophie Briante Guillemont, M. Christian Bruyen, Mmes Samantha Cazebonne, Karine Daniel, Sabine Drexler, M. Aymeric Durox, Mmes Agnès Evren, Laurence Garnier, Béatrice Gosselin, MM. Jean Hingray, Patrick Kanner, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Mme Sonia de La Provôté, MM. Gérard Lahellec, Ahmed Laouedj, Michel Laugier, Jean-Jacques Lozach, Mmes Pauline Martin, Catherine Morin-Desailly, Mathilde Ollivier, MM. Pierre Ouzoulias, Jean-Gérard Paumier, Stéphane Piednoir, Bruno Retailleau, Mme Sylvie Robert, MM. David Ros, Pierre-Jean Verzelen, Cédric Vial, Adel Ziane.

Voir les numéros :

Sénat :

741 (2023-2024), 16 et 21 (2024-2025)

AVANT-PROPOS

La question de l'indépendance des médias occupe l'espace public depuis plusieurs années. Les controverses qui ont entouré certains mouvements capitalistiques récents, comme le rachat d'Itélé en 2016 ou du Journal du Dimanche (JDD) en 2023 ont en effet mis en lumière la question cruciale de la confiance en l'information délivrée, qui se surajoute aux difficultés structurelles de la presse dans son ensemble. Or cette confiance en des médias libres et transparents sur leurs modalités de fonctionnement apparait comme un préalable nécessaire à toute forme de débat public éclairé. Fondement essentiel de la démocratie, les médias sont désormais interrogés aussi bien sur les contenus délivrés (« Cette information est-elle vraie ? ») que sur leurs motivations (« Quels intérêts particuliers sert cette information ? »).

Si la presse écrite en France s'est dès le début du XIXe siècle distinguée par son caractère de presse d'opinion, encore perceptible aujourd'hui à travers la « couleur » politique bien connue des grands quotidiens nationaux, il a en effet toujours existé un consensus sur la qualité et la véracité des informations délivrées, que le journaliste, au-delà de l'interprétation, s'est employé à vérifier. Les médias audiovisuels, pour leur part, sont tenus par la loi du 30 septembre 1986 de pratiquer un « pluralisme interne » qui garantit l'expression de toutes les sensibilités sur les antennes.

Deux évolutions ont cependant marqué ces dernières années.

D'une part, alors que les médias écrits ou audiovisuels ont pendant longtemps exercé un monopole sur la vérification et la diffusion d'informations, ils sont désormais concurrencés par les grandes plateformes numériques et les réseaux sociaux, qui sont en mesure de diffuser instantanément toute forme d'information tout en asséchant les ressources économiques des médias traditionnels.

D'autre part, et pour faire face à cette concurrence liée à « l'instantanéité », les médias, notamment audiovisuels, ont adopté à leur tour un rythme plus soutenu, avec en particulier l'arrivée des chaînes d'information en continu et des émissions dites « de plateau » sur le modèle américain où l'actualité est analysée par des commentateurs, parfois au détriment de la recherche et de la vérification de l'information. Les frontières ont donc été brouillées entre l'information et le divertissement, avec le mot valise « d'infotainment ».

Ces deux mouvements ont abouti au paradoxe que jamais l'information n'a été disponible si rapidement, et jamais elle n'a paru aussi peu fiable et elle-même sujette à controverses et débats.

Comme le prévoit l'article 34 de la Constitution, depuis la révision de 20081(*), la loi fixe les règles concernant « la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias ». Le législateur a ainsi pris de nombreuses initiatives pour remplir cet objectif, comme la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias ou la loi du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse. Des travaux approfondis ont de surcroit été consacrés aux médias, comme le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur les concentrations en 20222(*) ou encore ceux de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'évaluation de la loi du 14 novembre 20163(*).

Dernièrement, enfin, des « États généraux de l'information » (EGI) se sont tenus d'octobre 2023 à juillet 2024 pour traiter l'intégralité des thématiques, des conditions de production de l'information à la lutte contre les fausses informations en passant par le financement.

Ces travaux ont tous souligné l'inadéquation de notre cadre législatif aux grands mouvements qui ont agité le monde de l'information ces vingt dernières années.

L'objet de la présente proposition de loi visant à renforcer l'indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes est donc de tirer les premiers enseignements de l'ensemble des réflexions menées, afin de tracer un cadre législatif adapté au XXIe siècle.

Son article premier a pour objet de donner une valeur législative à la décision du Conseil d'État du 13 février 2024 sur la manière dont l'Arcom doit d'assurer le respect du pluralisme dans les médias audiovisuels.

L'article 2 vise à doter l'Arcom de nouveaux outils de régulation pour lui permettre d'agir plus efficacement face à des débordements répétés à l'antenne.

L'article 3 renforce les comités relatifs à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes (CHIPIP).

L'article 4 complète la loi du 29 juillet 1881 en donnant une assise juridique aux chartes de déontologie issues de la loi du 14 novembre 2016.

L'article 5, qui traite du secret des sources, a été délégué au fond à la commission des lois.

L'article 6 vise à instituer un droit d'agrément des rédactions sur leur directeur.

L'article 7 améliore les dispositions de la loi du 24 juillet 2019 sur les droits voisins, adoptée à l'initiative du Sénat.

Ambitieuse, cette proposition de loi traite donc de plusieurs thématiques distinctes mais reliées par le souci de donner aux médias en France les moyens de revenir au centre du jeu démocratique.

I. LES DISPOSITIONS DE LA PROPOSITION DE LOI

Les quatre premiers articles de la proposition de loi visent à renforcer l'indépendance des médias.

A. UN RÔLE RÉNOVÉ POUR LE RÉGULATEUR

La régulation du secteur audiovisuel est assurée par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Elle est chargée de faire respecter les dispositions de la loi du 30 septembre 1986.

1. Assurer le respect de l'obligation de pluralisme par les médias audiovisuels

L'article 13 de la loi du 30 septembre 1986 confie à l'Arcom le contrôle du respect par les antennes des éditeurs de services de télévision et de radio du pluralisme de l'expression politique. L'Autorité utilise comme indicateur le temps d'antenne des personnalités politiques, qui doit être « équitable au regard des éléments de leur représentativité ».

Cette interprétation « arithmétique » a prévalu jusqu'à la décision du Conseil d'État du 13 février 2024, dans une affaire opposant l'association Reporters sans frontières (RSF) à la chaîne CNews. La Haute juridiction a alors indiqué que le régulateur devait exercer son contrôle de manière plus large et structurelle, en tenant compte de l'ensemble des éléments qui constituent le temps d'antenne. L'Arcom a alors adopté une délibération le 17 juillet 2024, dont l'article 1er précise qu'elle « prend en compte dans cette appréciation les interventions de l'ensemble des participants aux programmes diffusés ».

L'article 1er de la présente proposition de loi vise à donner une valeur législative à cette décision du Conseil d'État.

2. Donner à l'Arcom les moyens juridiques d'exercer plus efficacement les procédures de sanction

En application de la loi du 30 septembre 1986, l'Arcom contrôle le respect par les éditeurs de leurs obligations. Elle met en oeuvre une procédure de sanction graduée et proportionnée, qui va de la mise en demeure à diverses sanctions en fonction de la gravité des manquements.

Depuis 1989, le CSA, devenu Arcom, a ainsi émis 208 sanctions pécuniaires. La procédure a été réformée avec la loi du 25 octobre 2021 pour mieux tenir compte des exigences de procès équitables et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Cependant, la lourdeur et les délais nécessaires demeurent critiqués, notamment en cas de manquements avérés et graves et d'absence de prise en compte par l'antenne des mises en demeure. À l'occasion de l'examen du renouvellement des fréquences, l'Arcom a cependant retiré son autorisation d'émettre à la chaîne C8, en se fondant notamment sur les mises en garde répétées dont la chaîne avait fait l'objet.

L'article 2 de la proposition de loi vise à offrir au régulateur de nouveaux moyens juridiques, en autorisant les sanctions, pouvant aller jusqu'à la résiliation de l'autorisation d'émettre, quand deux ou trois mises en demeure ont été émises sur une période de trois ans. L'autorisation pourrait également être retirée sans mise en demeure préalable en cas « d'atteinte manifeste et grave à la vie démocratique de la Nation ».


* 1 À l'initiative du Sénat.

* 2 https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/structures-temporaires/commissions-denquete/commissions-denquete/commission-denquete-concentration-des-medias-en-france.html

* 3 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/commissions-permanentes/affaires-culturelles/missions-de-la-commission/me-pluralisme-independance-liberte-medias

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