N° 723

SÉNAT

2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 juillet 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l'accord se rapportant à la convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation
et l'
utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne
relevant pas de la
juridiction nationale,

Par M. André GUIOL,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Cédric Perrin, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mmes Hélène Conway-Mouret, Catherine Dumas, Michelle Gréaume, MM. Joël Guerriau, Jean-Baptiste Lemoyne, Akli Mellouli, Philippe Paul, Rachid Temal, vice-présidents ; M. François Bonneau, Mme Vivette Lopez, MM. Hugues Saury, Jean-Marc Vayssouze-Faure, secrétaires ; MM. Étienne Blanc, Gilbert Bouchet, Mme Valérie Boyer, M. Christian Cambon, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Olivier Cigolotti, Édouard Courtial, Jérôme Darras, Mme Nicole Duranton, M. Philippe Folliot, Mme Annick Girardin, M. Guillaume Gontard, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, André Guiol, Ludovic Haye, Loïc Hervé, Alain Houpert, Patrice Joly, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Ronan Le Gleut, Claude Malhuret, Didier Marie, Thierry Meignen, Jean-Jacques Panunzi, Mme Évelyne Perrot, MM. Stéphane Ravier, Jean-Luc Ruelle, Bruno Sido, Mickaël Vallet, Robert Wienie Xowie.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) :

2628, 2644 et T.A. 302

Sénat :

645 et 724 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

À la suite de l'Assemblée nationale, qui l'a adopté sans modification le 29 mai 2024 en première lecture, le Sénat est saisi du projet de loi n° 645 (2023-2024) autorisant la ratification de l'accord se rapportant à la convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale

M André Guiol, rapporteur, a présenté ses conclusions sur ce texte à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées le 10 juillet 2024, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président. À l'issue de cette réunion, la commission, suivant la proposition du rapporteur, a adopté, sans modification, le projet de loi précité.

Conformément aux orientations du rapport d'information « Redonner tout son sens à l'examen parlementaire des traités »1(*) adopté le 18 décembre 2014 par la commission, celle-ci a autorisé la publication du présent rapport sous forme synthétique : le compte rendu de l'examen en commission qu'on pourra lire ci-après en tient lieu.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 10 juillet 2024, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. André Guiol sur le projet de loi n° 645 (2023-2024) autorisant la ratification de l'accord se rapportant à la convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale (M. André Guiol, rapporteur).

M. André Guiol, rapporteur. - Nous examinons maintenant le projet de loi autorisant la ratification de l'accord se rapportant à la convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale, plus connu sous son acronyme anglais BBNJ ou traité sur la haute mer.

Cet accord, signé à New York au siège de l'ONU le 20 septembre 2023, est souvent qualifié d'historique. Au-delà de son fort niveau d'ambition, il est en effet remarquable que les discussions aient pu aboutir aux Nations unies dans un contexte fracturé par l'agression russe en Ukraine déclenchée un an plus tôt et la rivalité stratégique sino-américaine.

Il concerne juridiquement la haute mer, à savoir les espaces maritimes qui ne sont sous l'autorité d'aucun État - à l'inverse de la mer territoriale, de la zone économique exclusive ou du plateau continental -, soit un peu plus de 50 % de la surface planétaire et 64 % des océans. Autre spécificité, cette ressource collective constitue un potentiel inexploré, avec probablement 70 % à 80 % des espèces à découvrir dans les océans.

Il est l'aboutissement d'un long processus, qui a débuté en 2004, lorsque l'Assemblée générale des Nations unies a formulé ses premières préoccupations sur le caractère insuffisant du droit international relatif à la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité dans les espaces maritimes internationaux.

En effet, jusque-là, le cadre juridique applicable aux océans est la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, adoptée en 1982 à Montego Bay et entrée en vigueur en 1994. Cette convention est quasi universelle, puisque 169 États en sont parties, à l'exclusion notable des États-Unis. Elle définit certes de grands principes environnementaux pour la haute mer, mais qui restent d'application limitée.

La communauté internationale a pris conscience qu'il fallait aller plus loin. Un important travail préparatoire s'est tenu pendant plus de quinze ans, précédant la négociation formelle du texte de 2018 à 2023.

Le champ d'application de l'accord exclut toutefois certains secteurs : d'abord, le secteur militaire, puis l'exploration et l'exploitation des minéraux qui restent réglementées par la convention des Nations unies sur le droit de la mer et, enfin, la pêche, qui reste régie par les organisations régionales de gestion de la pêche.

Possédant la deuxième zone économique exclusive, la France est très engagée en matière de diplomatie environnementale en milieu maritime. Elle a ainsi accueilli à Brest le One Ocean Summit en février 2022 et se prépare à la tenue de la future conférence des Nations unies sur l'océan, prévue à Nice en juin 2025. On peut aussi relever que l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité, le 25 novembre 2021, une résolution pour la conservation et l'utilisation durable de l'océan et que l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) a consacré des auditions et un rapport à la protection de la biodiversité en pleine mer.

Très impliquée au niveau politique dans la négociation de l'accord, la France travaille à accélérer le processus de ratification par les États signataires et jouera un rôle important dans sa mise en oeuvre.

Je ne vous présenterai pas en détail le contenu de l'accord, qui comporte trente-quatre pages, soixante-seize articles et deux annexes et qui est assez technique. Je vais me concentrer sur l'essentiel.

L'accord contient principalement quatre volets principaux.

Il s'agit tout d'abord des outils de gestion par zone et des modalités de création d'aires marines protégées. Lorsque l'accord sera entré en vigueur, les États pourront désigner, collectivement ou individuellement, des aires protégées ou tout autre outil de gestion par zone. La procédure inclut la consultation et la collaboration avec toutes les parties prenantes et une évaluation par un organisme scientifique et technique. L'adoption par la conférence des parties du nouvel accord s'effectue, comme il est d'usage, par consensus, mais aussi - et c'est assez inédit - par vote à la majorité des trois quarts afin d'éviter d'éventuels blocages. Cette avancée doit beaucoup à la France et à l'Union européenne.

Un deuxième apport de l'accord est celui des études d'impact environnemental. Les États ont déjà une obligation générale de réaliser de telle études, lorsqu'ils projettent de nouvelles activités en pleine mer, mais jusque-là, aucune procédure spécifique n'était prévue et cette obligation n'était pas toujours respectée. Avec le BBNJ, la procédure est définie et prévoit la consultation des parties prenantes au sens large, y compris celle des États potentiellement affectés.

En troisième lieu, l'accord traite des ressources génétiques marines. Ces ressources, ainsi que les données numériques qui en sont extraites ont une valeur monétaire, dont les entreprises de biotechnologie recherchent l'utilisation à des fins commerciales, par exemple dans le domaine médical ou cosmétique.

Vous imaginez bien les gains potentiels que ces ressources génétiques marines représentent. Or seuls dix pays disposent de 90 % des brevets associés à ces ressources, ce qui soulève des questions d'équité et de justice auxquels le BBNJ tente de répondre.

L'article 7 de l'accord pose le principe de partage juste et équitable des avantages obtenus. Comment ? Cela n'est pas défini par l'accord. Il faudra attendre qu'il entre en vigueur et que soit constitué le comité sur l'accès et le partage des avantages, composé de quinze membres élus par la première conférence des parties. Ce comité formulera des recommandations sur les mécanismes à mettre en place.

Enfin, le quatrième apport principal de l'accord concerne l'accroissement des capacités des pays en développement et le transfert de technologies. Les États parties devront, en fonction de leurs moyens, contribuer au renforcement des capacités des États en développement et coopérer avec eux au titre du transfert de technologies marines. Concrètement, les pays en développement pourraient bénéficier de transfert de technologies à des conditions préférentielles.

Le nouveau traité va chevaucher des réglementations qui existent déjà en matière de navigation, d'exploration et d'exploitation des fonds marins ou de pêche. En effet, pour articuler ce texte avec l'existant, les États ont décidé de ne pas porter atteinte aux instruments juridiques existants et de favoriser la coordination et la coopération entre les différentes instantes compétentes, en particulier l'Autorité internationale des fonds marins ou les organisations de gestion de pêche, qui resteront souveraines dans leurs compétences.

L'une des recommandations de l'Opecst dans son rapport précité était que le Gouvernement émette une réserve afin que les activités relatives aux ressources génétiques marines ne s'appliquent pas aux ressources collectées avant l'entrée en vigueur de l'accord, comme celui-ci le prévoit. En effet, il fallait protéger les collections parfois très anciennes et issues de la haute mer du Muséum national d'histoire naturelle. J'ai obtenu l'assurance des commissaires du Gouvernement que cette réserve serait bien insérée.

À ce jour, quatre-vingt-dix États ont signé l'accord, dont l'ensemble des États européens. Il est d'ailleurs prévu que des États qui ne sont pas parties à la Convention de Montego Bay puissent être parties à l'accord BBNJ. Ainsi, même les États-Unis ont signé l'accord.

Le BBNJ entrera en vigueur cent vingt jours après la date de dépôt du soixantième instrument de ratification. À ce jour, seuls cinq États l'ont ratifié. Le Parlement européen a approuvé sa ratification le 24 avril dernier. Il serait conforme à l'implication de la France de figurer parmi les premiers États à autoriser sa ratification et même être le premier État européen à le faire.

La France ambitionne que soit atteint le stade des soixante ratifications à l'occasion de la conférence des Nations unies qu'elle accueille en juin 2025 à Nice. À ce titre, elle mobilise l'ensemble de son réseau diplomatique, en particulier pour que les États membres de l'Union européenne ratifient avant cette date le BBNJ.

L'adoption de cet accord constitue le début d'une nouvelle dynamique pour la coopération et le multilatéralisme au service de la protection et de la préservation des océans. Tout reste à construire par les conférences des parties qui se mettront en place dès l'entrée en vigueur du texte.

À plus long terme, le BBNJ ne sera efficace que si nous sommes capables d'assurer le suivi, le contrôle et la surveillance des activités humaines en haute mer. Compte tenu de la superficie du domaine maritime français, notre pays a une responsabilité particulière pour assurer cette surveillance.

L'Assemblée nationale s'est prononcée à l'unanimité le 29 mai en faveur de cet accord.

Une des forces de cet accord est de reposer sur des données objectives et des études scientifiques. Il fait confiance à la science pour fonder les orientations qui seront prises par l'organe scientifique et technique composé d'experts internationaux et qui permettront aux différents acteurs de prendre des décisions en toute connaissance de cause.

Cet accord construit une démarche protectrice et durable des richesses et des ressources marines, face à la prédation des hommes. Il permet ainsi à tous les acteurs du monde de prendre conscience de la beauté, de l'immensité, mais aussi de la fragilité des fonds marins. Pour illustrer cette démarche onusienne et vertueuse, je citerai Rabelais : « Science sans conscience, n'est que ruine de l'âme ! »

Mes chers collègues, compte tenu de ces éléments, je vous propose d'approuver ce texte, qui, vous l'aurez compris, constitue une avancée historique pour la protection de la biodiversité marine en haute mer et pour lequel la France s'est fortement mobilisée.

Le projet de loi est adopté sans modification.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères :

Mme Alexia POGNONEC, conseillère juridique, Sous-Direction du droit de la mer, du droit fluvial et des pôles ;

M. Guillaume MOUNIER, Chef de Mission, Mission des Accords et Traités, Direction des affaires juridiques.

 

Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires :

Mme Anca LEROY, Juriste - océans et mers, Direction des Affaires européennes et internationales (DAEI).


* 1 Rapport d'information n° 204 (2014-2015).

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