EXAMEN DES ARTICLES
CHAPITRE IER
RÉFORME DE LA FISCALITÉ
GÉNÉRALE DES SOCIÉTÉS
ARTICLE
1
Majoration du taux d'impôt sur les sociétés pour
certaines entreprises
Le présent article prévoit d'augmenter le taux d'impôt sur les sociétés de 25 à 30 % pour les entreprises :
- dont l'activité directe ou indirecte constitue ou contribue à une activité polluante au sens de la taxe générale sur les activités polluantes ;
- qui ne respectent pas l'obligation de publication annuelle des écarts de représentation des hommes et des femmes parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes ;
- qui ne respectent pas l'obligation d'emploi de personnes handicapées à hauteur de 6 % de leur effectif total, dès lors qu'elles emploient plus de 20 salariés ;
- en cas d'actes de gestion contraires à l'intérêt de la société ;
- dans lesquelles sont constatés des écarts salariaux de plus de 30 fois la rémunération moyenne du décile de salariés disposant de la rémunération la plus faible.
L'article vise ainsi un périmètre très large et mal défini, notamment au regard de la notion de « contribution indirecte à une activité polluante ». De plus, il emprunte une logique d'écologie punitive, qui sanctionne les entreprises sans apporter aucune solution favorisant la transition écologique du tissu productif.
Enfin, l'augmentation d'impôt proposée s'inscrit à rebours de la baisse de l'impôt sur les sociétés, qui a pourtant fait l'objet d'un consensus politique très large depuis 2016, afin de soutenir la compétitivité des entreprises et l'emploi.
La commission n'a pas adopté cet article.
I. LE DROIT EXISTANT : UNE TRAJECTOIRE DE BAISSE DE L'IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS ENGAGÉE EN 2016, QUI A ATTEINT L'OBJECTIF DE 25 % EN 2022
A. LA TRAJECTOIRE DE BAISSE DU TAUX D'IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS : UNE RÉFORME QUI A FAIT L'OBJET DE NOMBREUX AJUSTEMENTS
L'impôt sur les sociétés est assis sur les bénéfices réalisés par les entreprises, desquels est retranché l'ensemble des charges exposées dans l'intérêt de l'exploitation.
À cette assiette est appliqué un taux normal, fixé, pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2022, à 25 %. Ce taux a fait l'objet d'une trajectoire de baisse, définie d'abord en 2016 dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2017, puis révisée à trois reprises : par loi de finances initiale pour 2018, par la loi portant création d''une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l''impôt sur les sociétés du 24 juillet 2019, et enfin par la loi de finances initiale pour 2020.
La trajectoire décidée en loi de finances pour 2017, sous le quinquennat du Président François Hollande, visait à faire baisser, à horizon 2020, le taux normal d'impôt sur les sociétés à 28 %. La révision intervenue l'année suivante a conduit à fixer un nouvel objectif de 25 % en 2022, conformément aux engagements du nouveau Président de la République, Emmanuel Macron. Cette dernière cible a été atteinte, malgré deux ultimes révisions.
Synthèse des évolutions
apportées aux trajectoires de baisse du taux normal
de l'impôt
sur les sociétés
Exercice |
LFI 20175(*) |
LFI 20186(*) |
Loi du 24 juillet 20197(*) |
LFI 20208(*) |
2017 |
- 28 % pour les premiers 75 000 euros de bénéfice des PME - 33,1/3 % dans les autres cas |
- |
- |
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2018 |
- 28 % pour la tranche de bénéfice jusqu'à 500 000 euros de toutes les entreprises - 33,1/3 % au-delà |
[Maintien des dispositions de la LFI 2017] |
- |
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2019 |
- Pour les entreprises dont le CA est compris jusqu'à 1 milliard d'euros : 28 % sur l'ensemble du bénéfice - Pour les entreprises dont le CA est supérieur à 1 milliard d'euros, 28 % pour la tranche de bénéfice jusqu'à 500 000 euros, 33,1/3 % au-delà |
- 28 % pour la tranche de bénéfice jusqu'à 500 000 euros - 31 % au-delà |
- Pour la tranche de bénéfice jusqu'à 500 000 euros, 28 % pour l'ensemble des entreprises - Au-delà de cette tranche : (i) 31 % pour les entreprises dont le CA est inférieur à 250 millions d'euros (ii) 33,1/3 % pour les entreprises dont le CA est d'au moins 250 millions d'euros |
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2020 |
28 % |
28 % |
- Pour les entreprises dont le CA est inférieur à 250 millions d'euros : 28 % - Au-delà de ce niveau de CA : 31 % |
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2021 |
26,5 % |
- Pour les entreprises dont le CA est inférieur à 250 millions d'euros : 26,5 % - Au-delà de ce niveau de CA : 27,5 % |
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2022 |
25 % |
25 % |
Source : commission des finances du Sénat
B. DANS UN CONTEXTE DE PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES ÉLEVÉS, LA BAISSE DU TAUX NORMAL D'IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS A CONTRIBUÉ À DIMINUER LA PRESSION FISCALE SUR LES ENTREPRISES
D'après François Ecalle dans une note pour l'institut Montaigne9(*), la diminution du taux d'impôt sur les sociétés aurait eu un coût pour les finances publiques de 11 milliards d'euros.
Il convient néanmoins de relever que les recettes d'impôt sur les sociétés ont été dynamiques sur cette période, du fait de la croissance du résultat imposable des entreprises. Le Gouvernement impute cette évolution précisément à la baisse de taux. Ainsi, alors que celui-ci était ministre des comptes publics, Gabriel Attal avait défendu en séance publique au Sénat que « le cas de l'impôt sur les sociétés est édifiant. Son taux est passé de 33 % à 25 %. Or les recettes issues de cet impôt sont plus importantes depuis la baisse de son taux qu'à l'époque où ce dernier s'élevait à 33 %. Taxer moins un gâteau qui grossit - parce que vous le taxez moins - rapporte davantage que surtaxer un gâteau qui rétrécit parce que vous le taxez trop. »10(*)
Alors que la rhétorique gouvernementale considère comme acquis le lien de causalité direct entre la hausse des recettes d'impôt sur les sociétés et la baisse de son taux, il semble néanmoins peu plausible que la hausse significative des recettes résulte uniquement de la baisse du taux. L'augmentation du résultat imposable des entreprises peut en effet s'observer dans plusieurs autres États, sans qu'elle ne soit liée à des modifications de taux. Il s'agit davantage d'une base fiscale dynamique, constatée au-delà des seules frontières hexagonales.
Par ailleurs, alors que le Gouvernement ne cesse de rappeler les baisses d'impôts auxquelles il a procédé, il convient de rappeler :
- d'abord, que les baisses d'impôts mises en oeuvre depuis 2017 n'ont pas remis en cause la première place française sur le podium des prélèvements obligatoires dans les pays de l'organisation de la coopération et du développement économique (OCDE). Les impôts demeurent, pour nos concitoyens et nos entreprises, les plus élevés parmi les pays développés (part des recettes fiscales sur le produit intérieur brut) ;
- ensuite, que faute de stratégie cohérente en matière de dépenses publiques, le bilan depuis 2017 est celui d'un creusement du déficit public, tant par l'augmentation des dépenses que par les baisses de fiscalité financées uniquement par la dette.
Part des prélèvements obligatoires dans le produit intérieur brut en 2022
(en % du PIB)
Source : commission des finances du Sénat
II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : UNE MAJORATION À 30 % DU TAUX D'IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS POUR CERTAINES ENTREPRISES
Le présent article vise à compléter l'article 219 du code général des impôts, afin d'augmenter le taux d'impôt sur les sociétés de 25 à 30 % pour les entreprises :
- dont l'activité directe ou indirecte constitue ou contribue à une activité polluante au sens de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) ;
- qui ne respectent pas l'obligation de publication annuelle des écarts de représentation des hommes et des femmes parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes ;
- qui ne respectent pas l'obligation d'emploi de personnes handicapées à hauteur de 6 % de leur effectif total, dès lors qu'elles emploient plus de 20 salariés ;
- en cas d'actes de gestion contraires à l'intérêt de la société ;
- dans lesquelles sont constatés des écarts salariaux de plus de 30 fois la rémunération moyenne du décile de salariés disposant de la rémunération la plus faible.
III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : UN DISPOSITIF AUX CONTOURS MAL DÉFINIS ET QUI AUGMENTE LA PRESSION FISCALE SANS RÉELLEMENT FAVORISER LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE
A. UN PÉRIMÈTRE TRÈS LARGE ET AUX CONTOURS MAL DÉFINIS
Alors que le présent article ne remet pas en cause le taux normal d'impôt sur les sociétés à 25 %, le périmètre retenu pour rehausser le taux d'imposition à 30 % n'en apparaît pas moins extrêmement large, et générateur d'insécurité juridique pour les entreprises, qui ne seront pas systématiquement à même d'évaluer si elles sont visées ou non par la majoration de taux.
Ainsi, les entreprises dont « l'activité directe ou indirecte constitue ou contribue à une activité polluante » ne correspond pas à un périmètre clairement défini.
La notion de contribution indirecte à une activité polluante pourrait laisser d'importantes marges d'interprétations, alors que même que, d'après la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la loi doit faire l'objet de « dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques », devant « prémunir les sujets de droit [...] contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi. »11(*)
Ainsi, le taux d'imposition des bénéfices doit pouvoir être évalué facilement par les entreprises de sorte que l'imprécision des termes retenus par l'article n'est pas satisfaisante.
Surtout, une lecture maximaliste de la notion de « contribution indirecte » à une activité polluante pourrait conduire à imposer un très grand nombre d'entreprises à 30 %.
Par ailleurs, plusieurs autres critères retenus par le présent article relèvent de manquements des entreprises à leurs obligations légales. Comme l'indique la direction générale du Trésor dans ses réponses au questionnaire du rapporteur, « l'impôt sur les sociétés a vocation à taxer les bénéfices des sociétés et non à discriminer les types de comportements selon leurs effets. Le non-respect de certaines règles a vocation à être sanctionné par des amendes ou pénalités, ou encore par des types de taxation spécifiques qui peuvent également désinciter des comportements générateurs d'externalités négatives. »
De plus, un tel dispositif pose la question des conditions juridiques de sa mise en oeuvre : reviendrait-il à l'administration fiscale de constater un manquement à une obligation légale12(*), n'ayant que peu à voir a priori avec la fiscalité ? Ou bien s'agirait-il d'une sanction complémentaire aux éventuelles condamnations judiciaires des entreprises ? Le texte de l'article ne permet pas de clarifier cette question.
Enfin, le critère d'écart salarial de trente fois la rémunération moyenne du décile de salariés disposant de la rémunération la plus faible, conduirait aussi à inclure un grand nombre de très grandes entreprises dans la majoration de taux.
Ainsi, alors que la rémunération moyenne des présidents directeurs généraux du CAC40 se situerait à 7,5 millions d'euros en 202313(*), il faudrait que ces entreprises versent au premier décile de salariés une rémunération moyenne de 250 000 euros. La seule option serait dès lors de baisser les plus hautes rémunérations, conduisant à une division par plus de 10 de celles-ci. À défaut, les entreprises en question seraient imposées à 30 %.
B. UNE AUGMENTATION DE LA FISCALITÉ DES ENTREPRISES QUI N'EST AUCUNEMENT SOUHAITABLE
L'augmentation de fiscalité proposée par le présent s'inscrit à rebours de la position de la commission des finances depuis plusieurs exercices. Alors que la fiscalité sur les entreprises constitue un frein important à la compétitivité et à l'emploi, il est nécessaire de maîtriser la pression fiscale sur ces dernières.
Par ailleurs, le choix des auteurs de la proposition de loi de retenir, au lieu de dispositifs de soutien à la transition, une logique d'écologie punitive dans laquelle les entreprises seraient contraintes de payer des impôts bien plus élevés, n'est aucunement souhaitable.
Dans une économie ouverte et concurrentielle, le recours à une logique de sanction et d'augmentation des prélèvements obligatoires ne peut avoir que des effets négatifs sur l'économie, sans permettre la transition écologique qui semble pourtant être l'objectif des auteurs de la proposition de loi.
Des outils sectoriels ou encore le recours à une taxation comportementale visant à limiter les externalités négatives sur l'environnement seraient bien plus à même d'accompagner la transition sans pénaliser l'économie.
Décision de la commission : la commission des finances n'a pas adopté cet article.
ARTICLE
2
Contribution additionnelle sur la croissance du résultat des
entreprises
Le présent article prévoit de mettre en oeuvre une contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés, calculée sur la croissance des bénéfices, dès lors que celle-ci est supérieure à 25 % par rapport à une période de référence correspondant aux trois exercices précédant l'année de la promulgation de la présente loi.
La contribution proposée ne vise donc pas les résultats exceptionnels mais uniquement la croissance du résultat : une entreprise qui, dans dix ans, aurait vu son résultat augmenter de 25 % au regard de la période de référence figée aux trois exercices précédant l'année de promulgation de la proposition de loi, serait redevable de la contribution.
Ainsi, il s'agit d'une taxe sur la croissance et sur les réussites des entreprises, plutôt qu'une contribution sur des bénéfices exceptionnels.
La commission n'a pas adopté cet article.
I. LE DROIT EXISTANT : DEPUIS LA CRISE SANITAIRE, DES DÉBATS RÉCURRENTS SUR LA MISE EN PLACE D'UNE CONTRIBUTION SUR LES BÉNÉFICES EXCEPTIONNELS
A. LES DÉBATS ENGAGÉS AU MOMENT DE LA CRISE SANITAIRE POUR LA MISE EN PLACE D'UNE CONTRIBUTION SUR LES BÉNÉFICES EXCEPTIONNELS ONT ABOUTI À DEUX TAXES SECTORIELLES
1. L'émergence de débats sur la taxation des « superprofits » dès l'automne 2020
À l'automne 2020, soit quelques mois après le début de la crise sanitaire, la mise en place d'une contribution exceptionnelle, afin d'appréhender les revenus de certaines entreprises, qualifiés de « superprofits », a fait l'objet de débats au sein des deux assemblées.
Ainsi, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, plusieurs amendements ont été déposés, visant à appréhender l'augmentation des revenus de certaines entreprises. Le ministre de l'Économie M. Bruno Le Maire, s'est néanmoins toujours opposé à la mise en place d'un tel dispositif, indiquant ne pas savoir ce qu'était un « superprofit ».
Si aucun dispositif visant les « superprofits » n'a été mis en oeuvre depuis lors, deux taxes visant le secteur de l'énergie ont néanmoins été mises en place, avec un succès limité.
2. La mise en place d'une contribution sur les rentes infra-marginales sur la production d'électricité et la contribution temporaire de solidarité sur les secteurs des combustibles fossiles
Le règlement (UE) 2022/1854 du Conseil du 6 octobre 2022 sur une intervention d'urgence pour faire face aux prix élevés de l'énergie a prévu la mise en oeuvre de deux taxes visant respectivement les rentes des producteurs d'électricité et les profits exceptionnels du secteur des combustibles fossiles.
Ainsi, la contribution sur les rentes infra-marginales (CRIM), a été instaurée par l'article 54 de la loi de finances initiale pour 2023. Cette contribution devait initialement permettre de capter une partie des recettes exceptionnelles engrangées par les producteurs du seul fait de l'augmentation considérable et sans équivalent historique des prix de gros de l'électricité sur le marché européen de l'énergie.
La contribution représentait 90 % de la part des revenus des exploitants de moyens de production excédant un niveau forfaitaire, fixé par technologie, appliqués aux volumes de production. Elle s'est appliquée jusqu'à fin 2023 et devait initialement rapporter jusqu'à 12 milliards d'euros d'après les prévisions du Gouvernement lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023. D'après les chiffres annoncés par le ministre des comptes publics, Thomas Cazenave, elle n'a conduit qu'à 600 millions d'euros de recettes en 202314(*), du fait notamment de la baisse des prix de l'électricité et de la capacité de reports des marges taxables donnée aux producteurs d'énergie15(*). Elle a été prorogée en 2024, avec un taux de 50 %, mais son rendement devrait encore être très limité sur cette période, au regard de la baisse du coût de l'électricité.
Par ailleurs, une contribution temporaire de solidarité sur les secteurs de l'extraction, de l'exploitation minière, du raffinage du pétrole ou de la fabrication de produits de cokerie, a été introduite par l'article 40 de la loi de finances initiale pour 2023. L'article a transposé fidèlement la contribution prévue au niveau européen, que la France était tenue de mettre en place avant le 31 décembre 2022, jusqu'au 31 décembre 2023.
Cette contribution n'a concerné que marginalement la France, à travers la seule activité de raffinage. Elle a rapporté 69 millions d'euros, soit un revenu également bien inférieur aux 200 millions d'euros prévus initialement.
B. DES INTERROGATIONS Y COMPRIS AU SEIN DE LA MAJORITÉ PRÉSIDENTIELLE SUR LA TAXATION DES RENTES
Plus récemment, certains membres de la majorité présidentielle ont pu évoquer une réflexion sur la mise en place d'une taxation des rentes.
Ainsi, en mars dernier, la présidente de l'Assemblée nationale a indiqué, lors d'une interview sur France Bleu : « nous ne souhaitons pas que les impôts des français augmentent. Nous sommes un des pays qui a le plus fort taux de prélèvements obligatoires. Cela étant dit, moi je suis partisane de regarder lorsqu'il y a des superdividendes, des superprofits, des rachats d'actions massifs par les entreprises, à une réflexion pour savoir s'il n'y a pas là, de façon exceptionnelle, une capacité que nous pourrions avoir à augmenter les recettes de l'État lorsque les profits, finalement, sont des profits qui résultent de cette situation exceptionnelle. Dépenses exceptionnelles, recettes exceptionnelles. Ça me paraît en tout cas être quelque chose qu'il faut poser dans le débat et que nous en discutions collectivement. »16(*)
Le Premier ministre lui-même, interrogé sur le sujet, a indiqué ne pas avoir de « dogme sur le sujet ». Parallèlement, le ministre de l'économie défend toutefois la stabilité fiscale et refuse d'introduire de nouvelles taxes.
II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : L'INTRODUCTION D'UNE CONTRIBUTION EXCEPTIONNELLE SUR LA CROISSANCE DU RÉSULTAT DES ENTREPRISES
Le I du présent article vise à insérer une nouvelle section intitulée « contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises » au chapitre II du titre Ier de la première partie du livre Ier du code général des impôts.
Cette contribution additionnelle ne serait due que par les entreprises dont le chiffre d'affaires serait supérieur à 750 millions d'euros, dès lors que leur bénéfice imposable est supérieur ou égal à 1,25 fois la moyenne du résultat imposable lors des trois exercices précédant la promulgation de la présente loi.
Le taux de la contribution serait dépendant du niveau de bénéfice, par rapport à la période de référence, à savoir :
- 20 % pour la fraction supérieure ou égale à 1,25 fois et inférieure à 1,5 fois le résultat imposable moyen de la période de référence ;
- 25 % pour la fraction supérieure ou égale à 1,5 fois et inférieure à 1,75 fois le résultat imposable moyen de la période de référence ;
- 33 % pour la fraction supérieure ou égale à 1,75 fois le résultat imposable moyen de la période de référence.
Le texte dispose par ailleurs que les réductions et crédits d'impôts ne sont pas imputables à la contribution, que les évolutions liées à la cession ou l'acquisition d'actifs sont exonérées, et que la contribution est établie, contrôlée et recouvrée dans les mêmes conditions que l'impôt sur les sociétés.
Le II prévoit que le dispositif s'applique dès l'exercice fiscal de l'année de la publication de la présente loi.
Enfin, le III prévoit que le Gouvernement remet au Parlement un rapport d'évaluation de la présent loi - et non pas uniquement de l'article.
III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : UN DISPOSITIF MAL CALIBRÉ, QUI REVIENT À TAXER LA CROISSANCE ET LA RÉUSSITE DES ENTREPRISES
A. UN DISPOSITIF QUI ATTEINT INDIFFÉREMMENT TOUTES LES ENTREPRISES EN CROISSANCE
Le dispositif proposé au présent article est mal calibré : il conduit à imposer l'ensemble des entreprises de plus de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires dont les bénéfices progressent de plus de 25 %.
Ainsi, le choix d'une période de référence figée aux trois exercices précédant l'entrée en vigueur de la loi conduit à ce qu'une entreprise dont les bénéfices auraient augmenté de 25 %, y compris d'ici plusieurs dizaines d'années, soient imposables à la contribution additionnelle.
Aussi, des entreprises qui auraient enregistré des résultats exceptionnels au cours des trois derniers exercices, souvent visés par les amendements « superprofits », entreraient plus difficilement dans le dispositif proposé. En effet, les profits tirés pendant la période de référence étant élevés, l'augmentation de 25 % sera plus difficile à atteindre. À l'inverse, les entreprises qui ont rencontré des difficultés en sortie de crise seraient quant à elles beaucoup plus facilement imposables, du fait de la reprise de leurs bénéfices.
Le niveau de taxation proposé est en tout état de cause très élevé, l'article conduisant à une augmentation sensible de l'imposition des bénéfices.
Ainsi, pour exemple, une entreprise qui aurait réalisé, en moyenne 2021-2023, un bénéfice d'un million d'euros, et qui aurait triplé son résultat en 2030, serait redevable de près de 775 000 euros de contribution exceptionnelle, soit 1 275 000 euros d'impôts sur les bénéfices.
Exemple d'une entreprise qui aurait triplé son bénéfice imposable
(en euros, et en pourcentage du bénéfice imposable)
Tranche à 25 % |
Tranche à 25 % + 20 % |
Tranche à 25 % + 25 % |
Tranche à 25 % + 33 % |
|
2021 - 2023 |
1 000 000 euros |
|||
2030 |
1 250 000 euros |
250 000 |
250 000 |
1 250 000 euros |
Imposition par tranche |
312 500 euros |
112 500 |
125 000 |
725 000 |
Imposition finale |
1 275 000 euros, soit un taux d'imposition final de 42,5 % |
|||
Imposition actuelle |
2 000 000 * 25 % = 500 000 euros. |
Source : commission des finances du Sénat
B. UN TAUX MARGINAL D'IMPOSITION QUI RISQUERAIT DE DEVENIR CONFISCATOIRE
Sans tenir compte des modifications apportées par l'article premier, la contribution pourrait porter à 58 % le taux marginal d'imposition des bénéfices des entreprises.
En revanche, cumulé aux dispositions de l'article premier, le taux marginal d'imposition des entreprises dont le bénéfice aurait augmenté de plus de 75 % pourrait atteindre 63 %. Or, ce niveau est proche du seuil dégagé par l'analyse des décisions du Conseil constitutionnel, qui situerait autour de deux tiers le niveau à partir duquel un impôt est confiscatoire.
Évaluation du niveau à partir duquel
un impôt doit être considéré comme
confiscatoire
La Conseil constitutionnel a considéré comme confiscatoire :
- un taux d'imposition marginal maximal de 75,04 % pour les retraites dites « chapeau » excédant 288 000 euros annuels perçues en 2012 et de 75,34 % pour celles perçues à compter de 2013 ;
- un taux d'imposition forfaitaire de 90,5 % sur les revenus des bons anonymes ;
- un taux d'imposition marginaux maximaux de 72 % ou 77 % pour les gains et avantages procurés par la levée de stock-options ou l'attribution gratuite d'actions ;
- ou encore un taux d'imposition marginal maximal de 82 % pour les plus-values immobilières.
Par un avis du 21 mars 2013, le Conseil d'État a synthétisé cette jurisprudence en relevant « qu'il résulte de la décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012 qu'un taux marginal maximal d'imposition des deux tiers, quelle que soit la source des revenus, doit être regardé comme le seuil au-delà duquel une mesure fiscale risque d'être censurée par le juge constitutionnel comme étant confiscatoire ou comme faisant peser une charge excessive sur une catégorie de contribuables en méconnaissance du principe d'égalité ».
Source : Chronique de droit fiscal, Stéphane Austry, avocat associé CMS Francis Lefebvre avocats, professeur associé à l'Université Paris II Panthéon Assas17(*)
De plus, il convient de relever que les bénéfices, lorsqu'ils sont distribués sous forme de dividendes, font également l'objet d'une taxation lors de la distribution. Ainsi, on peut considérer que le bénéfice distribué ferait l'objet, si l'on additionne la taxation sur les bénéfices et le prélèvement forfaitaire unique, d'une taxation de 74,1 %, soit un niveau risquant encore plus clairement d'être caractérisé comme confiscatoire par le Conseil constitutionnel.
Décision de la commission : la commission des finances n'a pas adopté cet article.
* 5 Loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017.
* 6 Loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
* 7 Loi n° 2019-759 du 24 juillet 2019 portant création d'une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés.
* 8 Loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.
* 9 François Ecalle, Quinquennat Macron : le grand décryptage, Institut Montaigne.
* 10 Sénat, séance du 18 novembre 2022, compte rendu intégral des débats, projet de loi de finances pour 2023.
* 11 Décision n° 2005-514 DC du 28 avril 2005, loi relative à la création du registre international français.
* 12 Notamment en matière d'emploi des personnes handicapés, de non-publication des écarts de représentation entre les femmes et les hommes parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes, ou encore d'actes de gestion contraires à l'intérêt de la société.
* 13 Agefi, La hausse des rémunérations des dirigeants pour 2024 pourrait crisper nombre d'actionnaires, 12 avril 2024.
* 14 Public Sénat, Taxe sur les énergéticiens : « on est prêts à revoir le dispositif pour récupérer plus de ces superprofits », annonce Thomas Cazenave.
* 15 D'après la Cour des comptes dans son rapport public thématique sur les mesures exceptionnelles de lutte contre la hausse des prix de l'énergie, la marge taxable d'EDF ayant été fortement négative sur la période juillet-novembre 2022, le report de ces pertes a conduit à ce qu'aucune contribution ne soit attendue de l'entreprise.
* 16 France Bleu, Déficit : Yaël Braun-Pivet favorable à une contribution des entreprises en cas de superprofits, Bruno Le Maire tempère.