EXAMEN DE L'ARTICLE

ARTICLE unique

Motivation de la fermeture du compte par la banque
à la demande du client

Le présent article vise à imposer à l'établissement de crédit qui résilie unilatéralement une convention de compte de dépôt de motiver cette résiliation, de façon gratuite, auprès du client qui en fait la demande.

Si la situation de principe qui permet à une banque d'empêcher l'accès aux services de paiement qu'elle fournit sans avoir jamais à le justifier n'est pas acceptable, l'article laissait subsister dans sa rédaction initiale le risque de soumettre l'établissement de crédit à des injonctions contradictoires entre, d'une part, l'obligation de motiver la fermeture d'un compte et, d'autre part, l'interdiction de divulguer la déclaration de soupçon - qui peut précéder la fermeture de ce compte dans le cadre de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

La commission a donc adopté un amendement COM-1 du rapporteur prévoyant que la demande de résiliation ne peut pas faire l'objet d'une motivation lorsque celle-ci contrevient aux objectifs de sécurité nationale ou de maintien de l'ordre public. Ce faisant, il s'appuie sur une rédaction éprouvée pour les personnes bénéficiaires du droit au compte. Celle-ci permet d'inclure le cas où la banque a procédé à une déclaration de soupçon, sans pour autant s'y limiter, ce qui constituerait une divulgation en négatif. 

Par ailleurs, le même amendement vise à renforcer la portée opérationnelle du dispositif. Il prévoit ainsi, d'une part, que le délai de réponse de l'établissement de crédit est limité à quinze jours ouvrés à compter de la réception de la demande et, d'autre part, que la motivation est effectuée par écrit, sur support papier ou sur un autre support durable.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

I. LE DROIT EXISTANT : HORMIS DANS LE CAS DU DROIT AU COMPTE, L'ÉTABLISSEMENT DE CRÉDIT QUI FERME UN COMPTE BANCAIRE N'A PAS À LE JUSTIFIER, CE QUI PEUT EXPOSER LE CLIENT À DES ABUS

A. LE RÉGIME DE DROIT COMMUN : UNE FERMETURE DU COMPTE BANCAIRE PAR L'ÉTABLISSEMENT DE CRÉDIT QUI DOIT ÊTRE PRÉCÉDÉE D'UN PRÉAVIS DE DEUX MOIS MAIS N'A PAS À ÊTRE JUSTIFIÉE

Dans la relation qui lie un client à sa banque dans le cadre d'une convention de compte, le premier dépend de la seconde pour son accès aux moyens de paiement. Le législateur a souhaité corriger cette asymétrie de fait au profit de la banque par une asymétrie de droit au profit du client.

Ainsi, le V de l'article L. 312-1-1 du code monétaire et financier prévoit que si le client peut mettre fin à tout moment, et sans délai, à cette convention1(*) - on dit plus couramment qu'il ferme ou clôture son compte en banque -, la banque est, quant à elle, tenue de faire précéder la résiliation qu'elle décide d'un délai de deux mois. Ce préavis doit en effet permettre au client de trouver une nouvelle banque auprès de laquelle ouvrir un nouveau compte. Malgré ce préavis, cette recherche peut ne pas être sans difficulté pour les clients, notamment ceux qui résident dans une zone rurale dont le réseau bancaire est peu dense.

Dans ce contexte, la protection du client est également assurée par la procédure du droit au compte, introduite par la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit en son article 58, et actuellement codifiée à l'article L. 312-1 du code monétaire et financier. Lorsqu'une banque refuse l'ouverture d'un compte en banque à une personne, celle-ci peut demander à la Banque de France de lui désigner un établissement de crédit pour lui ouvrir un compte, situé à proximité de son domicile ou d'un autre lieu de son choix, permettant d'accéder aux services bancaires de base. Il faut noter ici que les services bancaires de base auquel donne accès le droit au compte constituent une sorte de service minimum, de sorte que si une personne voit son compte en banque fermé et obtient l'ouverture d'un nouveau compte par la procédure du droit au compte, il s'agira d'une régression par rapport à sa situation antérieure.

La fermeture d'un compte se fait à la discrétion de la banque. Elle peut résulter d'une évolution de sa politique de risques la conduisant, par exemple, à se séparer des clients fragiles du fait de ses propres difficultés, ou encore de sa stratégie commerciale, une banque pouvant souhaiter se spécialiser sur certaines catégories de clientèle.

Par ailleurs, dans le régime de droit commun prévu à l'article L. 312 1-1 du code monétaire et financier, la banque qui, en fermant un compte bancaire, exclut pourtant son client d'un service essentiel qu'elle lui fournissait jusque-là, n'est pas tenue de justifier sa décision de résiliation. Il est loisible à celle-ci de lui clôturer du jour au lendemain son compte pour toute raison qu'elle estimerait valable, y compris au titre des engagements ou des activités de son client, sans jamais avoir à l'expliquer. Cela est autorisé car l'accès à un compte bancaire ne résulte pas d'un service public, et qu'il est toujours possible, en cas de fermeture du compte, d'avoir au moins accès à des services bancaires de base grâce au droit au compte. Mais cette situation est peu satisfaisante pour le client.

B. SEULS LES TITULAIRES D'UN COMPTE OCTROYÉ DANS LE CADRE DE LA PROCÉDURE DE DROIT AU COMPTE ONT LE DROIT DE CONNAÎTRE SYSTÉMATIQUEMENT LES RAISONS DE SA RÉSILIATION

La loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions a prévu en son article 137 un régime protecteur propre aux bénéficiaires du droit au compte (DAC). Comme en dispose le IV de l'article L. 312-1 du code monétaire et financier qui l'a codifié, une fois que le client dispose d'un compte dans un établissement de crédit désigné par la Banque de France, la décision de clôture de ce compte prise à l'initiative de la banque doit ainsi être motivée. La motivation est communiquée pour information à la Banque de France.

Ce régime a toutefois fait l'objet d'une limitation, puisque la motivation ne doit pas être communiquée si elle porte atteinte à la sécurité nationale ou au maintien de l'ordre public.

Cette limitation a été instituée par l'ordonnance n° 2016-1808 du 22 décembre 2016 relative à l'accès à un compte de paiement assorti de prestations de base transposant, comme le prévoyait l'article 67 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, la directive 2014/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 sur la comparabilité des frais liés aux comptes de paiement, le changement de compte de paiement et l'accès à un compte de paiement assorti de prestations de base. En particulier, l'article 2 de l'ordonnance transpose l'article 19 de la directive, dont la substance est reprise au IV de l'article L. 312-1 du code monétaire et financier.

La rédaction actuelle, qui prévoit que « la décision de résiliation est motivée sauf lorsque cette motivation contrevient aux objectifs de sécurité nationale ou de maintien de l'ordre public », résulte de l'ordonnance n° 2017-1433 du 4 octobre 2017.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : LA MOTIVATION DE LA FERMETURE DU COMPTE EFFECTUÉE À L'INITIATIVE DE LA BANQUE, LORSQUE LE CLIENT EN FAIT LA DEMANDE

La présente proposition de loi n° 519 (2023-2024), déposée le 8 avril 2024 par Philippe Folliot, vient modifier le V de l'article L. 312-1-1 du code monétaire et financier, de façon à imposer à l'établissement de crédit, qui résilie, à son initiative, une convention de compte de dépôt, de fournir gratuitement au client les motifs de cette résiliation lorsqu'il en fait la demande expresse.

III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : UNE PROPOSITION DE LOI NÉCESSAIRE MAIS QUI DOIT ÊTRE CONSOLIDÉE POUR ÉVITER TOUT RISQUE D'INJONCTION CONTRADICTOIRE PESANT SUR LES BANQUES

A. UNE PROPOSITION DE LOI NÉCESSAIRE QUI NE RENCONTRE QUE PEU D'OBJECTIONS SÉRIEUSES

La situation de principe qui permet à une banque d'empêcher l'accès aux services de paiement qu'elle fournit sans avoir jamais à le justifier n'est pas acceptable.

Cette faculté de résiliation accordée par l'article L. 312-1-1 du code monétaire et financier aux deux parties du contrat peut exposer le client à une forme d'arbitraire et susciter chez lui une légitime incompréhension.

Sans connaissance de la motivation, le client ne peut donc pas comprendre ni « tirer de leçons » de ce qui a conduit la banque à fermer son compte.

Certes, bien que l'association UFC-Que choisir ait pu confirmer au rapporteur que les fermetures de compte sont souvent mal comprises par les clients et peuvent dans certains cas donner lieu à des abus, il n'existe pas de données permettant de quantifier le nombre de fermetures abusives de comptes bancaires et son évolution dans le temps. Lors des auditions menées par le rapporteur, celui-ci a ainsi pu entendre que la présente proposition de loi n'était pas nécessaire.

Pourtant, que le problème ne fasse pas l'objet de contestation massive de la part des clients ne doit pas empêcher, ne serait-ce que préventivement, de légiférer. Un accord de place peut certes toujours advenir, mais cet argument a été trop souvent avancé sans pour autant donner lieu aux évolutions escomptées pour qu'il puisse y être fait droit. Ainsi, en matière de frais bancaires sur les successions, le Gouvernement a longtemps défendu l'option de l'accord de place, mais il a fallu attendre une proposition de loi récente sur le sujet pour que ceux-ci soient en passe de faire l'objet d'un encadrement satisfaisant2(*).

Les banques estiment par ailleurs que le dispositif sera de nature à alourdir les charges administratives qui pèsent sur elles. Outre que cet argument est contradictoire avec le précédent - également mobilisé par les banques - puisque si le problème est inexistant, il ne saurait créer une charge administrative, la charge attendue sera très faible par rapport à l'ensemble des obligations qui pèsent déjà sur les établissements de crédit. En effet, la motivation de la fermeture du compte n'est pas systématique et ne doit se faire qu'à la demande du client.

Il y a d'ailleurs tout lieu de croire que, si le client comprend, grâce à des explications orales détaillées, les raisons de la fermeture de son compte, il ne recourra pas à la possibilité offerte par la présente proposition de loi. Il ne tient ainsi qu'à l'établissement de crédit de faire en sorte que, de très faible, la charge administrative créée par le texte devienne infinitésimale.

Enfin, les banques revendiquent une certaine liberté contractuelle dans la relation qui les lie à leur client dans le cadre d'une convention de dépôt. Le banquier doit en effet avoir la liberté de rompre son contrat si celui-ci est à durée indéterminée - c'est le cas visé ici -, notamment en raison de la prohibition des engagements perpétuels reconnue par l'article 1210 du code civil3(*). Mais rien dans ce texte ne vise à limiter la possibilité pour les banquiers de rompre ces contrats, puisqu'il ne s'agit que d'une obligation de motivation lorsque le client en fait la demande. À titre de comparaison, la résiliation unilatérale de certains contrats d'assurance de particuliers fait obligatoirement l'objet d'une motivation au titre de l'article L. 113-12-1 du code des assurances. Le Gouvernement souhaite d'ailleurs, par l'article 14 de son projet de loi de simplification de la vie économique n° 550 (2023-2024) déposé au Sénat le 24 avril 2024, étendre cette disposition aux professionnels.

Il est donc loisible au législateur d'encadrer les conditions dans lesquelles se déploie la liberté contractuelle. Pour mémoire, le Conseil constitutionnel a bien précisé dans sa décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999 que, si la liberté contractuelle résultant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen justifie qu'un contrat à durée indéterminée puisse être rompu unilatéralement, l'information du cocontractant doit en revanche être garantie. Il revient au législateur de déterminer dans quelles conditions.

B. UN DISPOSITIF À PRÉCISER, ET UN RISQUE D'INJONCTION CONTRADICTOIRE À DISSIPER

Les travaux menés par le rapporteur l'ont toutefois amené à identifier un risque réel dans la rédaction initiale du texte.

En effet, une relation contractuelle entre l'établissement et son client peut être rompue pour motifs de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

Deux cas se présentent alors.

D'une part, l'article L. 561-8 du code monétaire et financier prévoit que, lorsque la banque ne dispose pas d'une assez bonne connaissance de son client, elle doit mettre fin à la relation d'affaires et peut transmettre une déclaration de soupçon à Tracfin, le service de renseignement compétent du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

D'autre part, l'article L. 561-15 du même code prévoit que, lorsqu'un établissement de crédit sait, soupçonne ou a de bonnes raisons de soupçonner que des sommes inscrites dans ses livres ou des opérations portant sur ces sommes proviennent d'une infraction passible d'une peine privative de liberté supérieure à un an ou sont liées au financement du terrorisme, il est tenu de le déclarer à Tracfin.

Or, l'article L. 561-18 dudit code, transposant l'article 39 de la directive « anti-blanchiment » du 20 mai 20154(*), lui-même conforme à la recommandation n° 21 du groupe d'action financière (GAFI)5(*), prévoit par ailleurs que la déclaration de soupçon est confidentielle et qu'il est interdit de porter à la connaissance du propriétaire des sommes ou de l'auteur de ces opérations suspectes l'existence et le contenu de cette déclaration et de donner des informations sur les suites qui ont été réservées à cette déclaration. Comme le précise l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution dans ses principes d'application sectoriels relatifs aux obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme dans le cadre du droit au compte en date du 25 avril 2018, en cas de déclaration de soupçon pour blanchiment ou liée au financement du terrorisme, « la notification du motif de clôture est dans ce cas de nature à contrevenir au maintien de l'ordre public, voire à la sécurité nationale en ce qui concerne le financement du terrorisme ».

Le risque de soumettre l'établissement de crédit à une injonction contradictoire, entre, d'un côté, une obligation de motiver la fermeture du compte à la demande du client et, de l'autre, une interdiction de divulguer toute déclaration de soupçons, n'est donc pas nul.

Pour résoudre cette difficulté, l'amendement COM-1 du rapporteur, adopté par la commission, prévoit que la demande de résiliation ne peut pas faire l'objet d'une motivation lorsque celle-ci contrevient aux objectifs de sécurité nationale ou de maintien de l'ordre public. Ce faisant, il reprend une rédaction éprouvée pour les personnes bénéficiaires du droit au compte (cf. supra). Celle-ci permet par ailleurs d'inclure le cas où la banque a procédé à une déclaration de soupçon, sans pour autant s'y limiter, ce qui constituerait une divulgation en négatif. 

Par ailleurs, le même amendement COM-1 vise à renforcer la portée opérationnelle du dispositif. Il prévoit ainsi, d'une part, que le délai de réponse de l'établissement de crédit est limité à quinze jours ouvrés à compter de la réception de la demande et, d'autre part, que la motivation est effectuée par écrit, sur support papier ou sur un autre support durable.

Décision de la commission : la commission des finances a adopté cet article ainsi modifié.


* 1 Sauf stipulation contractuelle d'un préavis qui ne peut dépasser un délai de 30 jours.

* 2 Proposition de loi n° 374 (2023-2024) visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession, déposée à l'Assemblée nationale le 16 janvier 2024 par Mme Christine PIRÈS BEAUNE. Voir le rapport n° 575 (2023-2024) de M. Hervé MAUREY, déposé le 7 mai 2024.

* 3 « Les engagements perpétuels sont prohibés. Chaque contractant peut y mettre fin dans les conditions prévues pour le contrat à durée indéterminée ». L'article 1211 du code civil précise que « lorsque le contrat est conclu pour une durée indéterminée, chaque partie peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuelle prévu ou, à défaut, un délai raisonnable ».

* 4 Directive (UE) 2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) n° 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission.

* 5 Normes internationales sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération. Les recommandations du GAFI. Mise à jour en novembre 2023.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page