N° 671

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 juin 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la proposition de loi visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires,

Par M. Marc LAMÉNIE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Sénat :

519 et 672 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

Réunie le 5 juin 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné le rapport de M. Marc Laménie sur la proposition de loi n° 519 (2023-2024) visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires, déposée le 8 avril 2024 par M. Philippe Folliot.

Cette proposition de loi, composée d'un article unique, vise à imposer à l'établissement de crédit qui résilie une convention de compte de dépôt - autrement dit qui ferme un compte bancaire - de justifier cette résiliation lorsque le client en fait la demande expresse.

I. HORMIS DANS LE CAS DU DROIT AU COMPTE, L'ÉTABLISSEMENT DE CRÉDIT QUI FERME UN COMPTE BANCAIRE N'A PAS À LE JUSTIFIER, CE QUI PEUT EXPOSER LE CLIENT À DES ABUS

A. LE RÉGIME DE DROIT COMMUN : UNE FERMETURE DU COMPTE BANCAIRE PAR L'ÉTABLISSEMENT DE CRÉDIT QUI DOIT ÊTRE PRÉCÉDÉE D'UN PRÉAVIS DE DEUX MOIS MAIS N'A PAS À ÊTRE JUSTIFIÉE

Dans la relation qui lie un client à sa banque dans le cadre d'une convention de compte, le premier dépend de la seconde pour son accès aux moyens de paiement. Le législateur a souhaité corriger cette asymétrie de fait au profit de la banque par une asymétrie de droit au profit du client.

Ainsi, si le client peut mettre fin à tout moment, et sans délai, à cette convention - on dit plus couramment qu'il ferme ou clôture son compte en banque -, la banque est, quant à elle, tenue de faire précéder la résiliation qu'elle décide d'un délai de deux mois. Ce préavis doit en effet permettre au client de trouver une nouvelle banque auprès de laquelle ouvrir un nouveau compte. Malgré ce préavis, cette recherche peut ne pas être sans difficulté pour les clients, notamment ceux qui résident dans une zone rurale dont le réseau bancaire est peu dense.

Dans ce contexte, la protection du client est également assurée par la procédure du droit au compte, introduite en 1984. Lorsqu'une banque refuse l'ouverture d'un compte en banque à une personne, celle-ci peut demander à la Banque de France de lui désigner un établissement de crédit pour lui ouvrir un compte, situé à proximité de son domicile ou d'un autre lieu de son choix, permettant d'accéder aux services bancaires de base.

La fermeture d'un compte bancaire, bien qu'elle soit précédée
d'un préavis de deux mois, se fait à la discrétion de la banque

La fermeture d'un compte se fait à la discrétion de la banque. Elle peut résulter d'une évolution de sa politique de risques la conduisant, par exemple, à se séparer des clients fragiles du fait de ses propres difficultés, ou encore de sa stratégie commerciale, une banque pouvant souhaiter se spécialiser sur certaines catégories de clientèle.

Cette faculté de résiliation accordée aux deux parties du contrat peut exposer le client à une forme d'arbitraire et susciter chez lui une légitime incompréhension. En effet, dans le régime de droit commun, la banque qui, en fermant un compte bancaire, exclut pourtant son client d'un service essentiel qu'elle lui fournissait jusque-là, n'est pas tenue de justifier sa décision de résiliation. Il est loisible à celle-ci de lui clôturer du jour au lendemain son compte pour toute raison qu'elle estimerait valable, y compris au titre des engagements ou des activités de son client, sans jamais avoir à l'expliquer. Le client ne peut donc pas comprendre ni « tirer de leçons » de ce qui a conduit la banque à fermer son compte. Cela est autorisé car l'accès à un compte bancaire ne résulte pas d'un service public, et qu'il est toujours possible, en cas de fermeture du compte, d'avoir au moins accès à des services bancaires de base grâce au droit au compte. Mais cette situation est peu satisfaisante pour le client. La motivation de la résiliation de la convention de compte n'est actuellement obligatoire que dans un cas.

B. SEULS LES TITULAIRES D'UN COMPTE OCTROYÉ DANS LE CADRE DE LA PROCÉDURE DE DROIT AU COMPTE ONT LE DROIT DE CONNAÎTRE SYSTÉMATIQUEMENT LES RAISONS DE SA RÉSILIATION

Depuis 1998, il existe un régime protecteur propre aux bénéficiaires du droit au compte (DAC). Une fois que le client dispose d'un compte dans un établissement de crédit désigné par la Banque de France, la décision de clôture de ce compte prise à l'initiative de la banque doit ainsi être motivée.

Dans le cadre de la transposition, fin 2016, d'une directive du 23 juillet 2014 concernant notamment l'accès à un compte de paiement assorti de prestations de base, ce régime a toutefois fait l'objet d'une limitation, puisque la motivation ne doit pas être communiquée si elle porte atteinte à la sécurité nationale ou au maintien de l'ordre public.

II. SI LE CLIENT EN FAIT LA DEMANDE, LA BANQUE DOIT MOTIVER LA FERMETURE DE SON COMPTE BANCAIRE À CONDITION DE NE PAS AVOIR À DIVULGUER D'INFORMATIONS CONFIDENTIELLES

La proposition de loi vise à imposer à l'établissement de crédit qui résilie une convention de compte de dépôt de fournir gratuitement au client les motifs de cette résiliation lorsqu'il en fait la demande. La série d'objections avancées à l'encontre de ce texte paraissent insuffisamment sérieuses pour ne pas légiférer. Toutefois, sa portée opérationnelle peut être renforcée, et le risque d'injonction contradictoire auquel il pouvait soumettre les banques doit être écarté.

A. UN TEXTE NÉCESSAIRE QUI NE RENCONTRE QUE PEU D'OBJECTIONS SÉRIEUSES

La situation de principe qui permet à une banque d'empêcher l'accès aux services de paiement qu'elle fournit sans avoir jamais à le justifier n'est pas acceptable. Que le problème ne fasse pas l'objet de contestation massive de la part des clients ne doit pas empêcher, ne serait-ce que préventivement, de légiférer. Un accord de place peut certes toujours intervenir, mais cet argument a été trop souvent avancé sans pour autant donner lieu aux évolutions escomptées pour qu'il puisse y être fait droit. Ainsi, en matière de frais bancaires sur les successions, le Gouvernement a longtemps défendu l'option de l'accord de place, mais il a fallu attendre une proposition de loi récente sur le sujet pour que ceux-ci soient en passe de faire l'objet d'un encadrement satisfaisant.

Les banques estiment par ailleurs que le dispositif sera de nature à alourdir les charges administratives qui pèsent sur elles. Outre que cet argument est contradictoire avec le précédent - également mobilisé par les banques - puisque si le problème est inexistant, il ne saurait créer aucune charge administrative, la charge attendue sera très faible par rapport à l'ensemble des obligations qui pèsent déjà sur les établissements de crédit. En effet, la motivation de la fermeture du compte n'est pas systématique et ne doit se faire qu'à la demande du client. Il y a d'ailleurs tout lieu de croire que, si le client comprend, grâce à des explications orales détaillées, les raisons de la fermeture de son compte, il ne recourra pas à la possibilité offerte par la présente proposition de loi. Il ne tient ainsi qu'à l'établissement de crédit de faire en sorte que, de très faible, la charge administrative créée par le texte devienne infinitésimale.

Enfin, les banques revendiquent une certaine liberté contractuelle dans la relation qui les lie à leur client dans le cadre d'une convention de dépôt. Le banquier doit en effet avoir la liberté de rompre son contrat si celui-ci est à durée indéterminée - c'est le cas visé ici -, notamment en raison de la prohibition des engagements perpétuels reconnue par le code civil. Mais rien dans ce texte ne vise à limiter la possibilité pour les banquiers de rompre ces contrats, puisqu'il ne s'agit que d'une obligation de motivation lorsque le client en fait la demande. À titre de comparaison, la résiliation unilatérale de certains contrats d'assurance de particuliers fait obligatoirement l'objet d'une motivation, le Gouvernement souhaitant actuellement, dans le cadre de son projet de loi de simplification de la vie économique, étendre cette disposition aux professionnels.

Il est donc loisible au législateur d'encadrer les conditions dans lesquelles se déploie la liberté contractuelle. Pour mémoire, le Conseil constitutionnel a bien précisé dans une décision de 1999 que, si la liberté contractuelle résultant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen justifie qu'un contrat à durée indéterminée puisse être rompu unilatéralement, l'information du cocontractant doit en revanche être garantie dans des conditions qu'il revient au législateur de déterminer.

B. UNE PORTÉE OPÉRATIONNELLE À RENFORCER ET UN RISQUE D'INJONCTION CONTRADICTOIRE DÛ À L'INTERDICTION DE DIVULGUER DES INFORMATIONS CONFIDENTIELLES QUI DOIT ÊTRE DISSIPÉ

Les travaux menés par le rapporteur l'ont toutefois amené à identifier un risque réel dans la rédaction initiale du texte.

En effet, une relation contractuelle entre l'établissement et son client peut être rompue pour motifs de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Deux cas se présentent alors. D'une part, l'impossibilité d'actualisation des éléments de connaissance du client impose à l'établissement de mettre fin à la relation d'affaires et, dans ce cas, l'établissement de crédit peut faire une déclaration de soupçon à Tracfin. D'autre part, l'établissement de crédit peut mettre fin à la relation d'affaires à sa convenance dans le cadre d'opérations suspectes, auquel cas il lui est imposé de procéder à cette déclaration de soupçon. Or, cette déclaration est confidentielle, et l'établissement de crédit ne doit donc en faire état d'aucune manière.

Les obligations de déclaration et d'information des banques
en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme

L'article L. 561-15 du code monétaire et financier prévoit que, lorsqu'un établissement de crédit sait, soupçonne ou a de bonnes raisons de soupçonner que des sommes inscrites dans ses livres ou des opérations portant sur ces sommes proviennent d'une infraction passible d'une peine privative de liberté supérieure à un an ou sont liées au financement du terrorisme, il est tenu de le déclarer à Tracfin, le service de renseignement compétent du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. On parle de « déclaration de soupçon ». L'article L. 561-8 du même code prévoit que, lorsque la banque ne dispose pas d'une assez bonne connaissance de son client, elle doit mettre fin à la relation d'affaires et peut transmettre à Tracfin cette déclaration.

L'article L. 561-18, transposant l'article 39 de la directive « anti-blanchiment » du 20 mai 2015, lui-même conforme à la recommandation n° 21 du groupe d'action financière (GAFI), prévoit par ailleurs que la déclaration de soupçon est confidentielle et qu'il est interdit de porter à la connaissance du propriétaire des sommes ou de l'auteur de ces opérations suspectes l'existence et le contenu de cette déclaration et de donner des informations sur les suites qui ont été réservées à cette déclaration.

Comme le précise l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution dans ses principes d'application sectoriels relatifs aux obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme dans le cadre du droit au compte en date du 25 avril 2018, en cas de déclaration de soupçon pour blanchiment ou liée au financement du terrorisme, « la notification du motif de clôture est dans ce cas de nature à contrevenir au maintien de l'ordre public, voire à la sécurité nationale en ce qui concerne le financement du terrorisme ».

Le risque de soumettre l'établissement de crédit à une injonction contradictoire, entre, d'un côté, une obligation de motiver la fermeture du compte à la demande du client et, de l'autre, une interdiction de divulguer toute déclaration de soupçons, n'est donc pas nul.

Pour résoudre cette difficulté, l'amendement COM-1 du rapporteur, adopté par la commission, prévoit que la demande de résiliation ne peut pas faire l'objet d'une motivation lorsque celle-ci contrevient aux objectifs de sécurité nationale ou de maintien de l'ordre public. Ce faisant, il reprend une rédaction éprouvée pour les personnes bénéficiaires du droit au compte (cf. supra). Celle-ci permet par ailleurs d'inclure le cas où la banque a procédé à une déclaration de soupçon, sans pour autant s'y limiter, ce qui constituerait une divulgation en négatif. 

Par ailleurs, le même amendement COM-1 vise à renforcer la portée opérationnelle du dispositif. Il prévoit ainsi que :

- le délai de réponse de l'établissement de crédit est limité à quinze jours ouvrés à compter de la demande ;

- la motivation est effectuée par écrit, sur support papier ou sur un autre support durable.

La commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.

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