EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 5 JUIN 2024

M. François-Noël Buffet, président. - Nous en venons au rapport sur la proposition de loi visant à assouplir la gestion des compétences « eau » et « assainissement ».

M. Alain Marc, rapporteur. - Pour la deuxième fois en l'espace d'un an, notre commission se réunit pour examiner une proposition de loi relative à la gestion des compétences « eau » et « assainissement ».

L'examen du texte déposé par notre collègue Jean-Michel Arnaud, qui entend apporter une réponse à cette problématique qui nous préoccupe régulièrement, intervient dans un contexte particulier à plusieurs égards.

D'une part, la proposition de loi de notre collègue Jean-Yves Roux, adoptée le 16 mars 2023 par le Sénat, a été inscrite à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale par le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT) : deux textes ayant un objet similaire seront donc examinés le même jour - à savoir le 13 juin 2024 - en séance publique dans les deux chambres !

D'autre part, l'échéance du 1er janvier 2026, date à compter de laquelle doit intervenir le transfert obligatoire des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes, approche à grands pas. Plus que jamais, nous avons le devoir d'apporter une réponse sans équivoque aux inquiétudes exprimées par les élus locaux sur le terrain.

Je suis conseiller municipal d'une petite commune de 215 habitants et conseiller d'une petite communauté de communes de 5 200 habitants, dont j'ai été président pendant quelques années. Dans nos territoires ruraux et de montagne, l'intercommunalisation forcée des compétences « eau » et « assainissement » n'est pas en phase avec les capacités techniques et financières des communes.

Pour cette raison, je partage pleinement l'objectif poursuivi par Jean-Michel Arnaud : il nous faut redonner de la souplesse aux communes, qui doivent pouvoir juger de l'échelle la plus pertinente pour l'exercice des compétences « eau » et « assainissement », conformément à la position constamment défendue par le Sénat depuis près de dix ans.

En matière d'eau et d'assainissement, le Gouvernement a brutalement remis en cause la liberté des communes par le biais de simples amendements déposés à l'Assemblée nationale lors de l'examen du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) en 2015. L'objectif poursuivi était de rendre obligatoire le transfert de ces compétences aux communautés de communes et d'agglomération, à l'instar de ce qui était déjà prévu pour les communautés urbaines et les métropoles.

Notre assemblée s'est opposée à ce transfert obligatoire, consciente des difficultés qu'il allait poser à certaines communes rurales et de montagne. Lors de la commission mixte paritaire qui s'était alors tenue, le Parlement avait trouvé un compromis en reportant le transfert obligatoire au 1er janvier 2020.

Il s'agissait d'un premier aménagement obtenu par le Sénat, qui a été suivi d'une longue série. En 2018, la loi dite « Ferrand » a permis le report l'échéance au 1er janvier 2026, sous réserve que les communes parviennent à réunir une « minorité de blocage » ; en 2019, la loi dite « Engagement et proximité » a prévu la possibilité de déléguer les compétences « eau » et « assainissement » à une commune membre de la communauté de communes ou à un syndicat infra-communautaire.

Cette faculté est toutefois très encadrée : le syndicat doit être existant au 1er janvier 2019 et être inclus en totalité dans le périmètre de l'intercommunalité. Les communes ne peuvent donc pas créer un nouveau syndicat pour bénéficier de cette faculté de délégation. Le maintien du syndicat lors du transfert est, de surcroît, subordonné à une décision de l'organe délibérant de la communauté de communes.

En 2022, la loi du 21 février relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS) a apporté un assouplissement supplémentaire en permettant le maintien par principe des syndicats infra-communautaires existants lors de la prise de compétence de l'intercommunalité au 1er janvier 2026, sauf délibération contraire de la communauté de communes.

Si le cadre législatif n'évolue pas, le transfert des compétences aura lieu au 1er janvier 2026, avec d'importantes conséquences pour les communes. Tout d'abord, les 3 600 communes qui exercent seules la compétence « eau » seront contraintes de la transférer. J'ajoute que ces communes dites « isolées » n'ont aucune difficulté en termes de qualité et de quantité de l'eau, et qu'elles ont déjà réalisé l'interconnexion avec d'autres syndicats.

Ensuite, les syndicats infra-communautaires actuellement compétents ne pourront être maintenus que par la voie de la « subdélégation » soumise à l'accord de l'intercommunalité. Enfin, dans les syndicats regroupant des communes appartenant à plusieurs établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), la communauté de communes viendra se substituer à ses communes membres dans le syndicat.

Les assouplissements successifs consentis pour atténuer les effets d'un transfert obligatoire imposé aux communes en méconnaissance des réalités du terrain ont créé une situation d'une grande complexité. Les associations d'élus m'ont notamment fait part de l'incompréhension et de la confusion suscitées par les conventions de délégation.

Le risque d'une augmentation de la facture pour les usagers, l'affaiblissement du lien entre le maire et ses administrés, la nécessité de maintenir une fine connaissance des réseaux existants ou encore l'absence de correspondance entre les périmètres intercommunaux et les bassins hydrographiques sont autant d'arguments qui plaident en faveur d'une gestion différenciée de ces compétences.

La coexistence de communautés de communes ne souhaitant pas exercer ces compétences et de communes souhaitant préserver une gestion au plus proche des réalités de leur territoire démontre, s'il le fallait encore, le non-sens que constitue ce transfert obligatoire dont l'échéance approche désormais à grands pas. De surcroît, l'évaluation des actifs ne pourra en aucun cas être réalisée d'ici au 1er janvier 2026, sans oublier le risque de voir les recours se multiplier devant les tribunaux administratifs.

La proposition de loi que nous examinons repose sur deux principaux axes. D'une part, l'article 1er vise à créer une dérogation au bénéfice des communes membres d'une communauté de communes ou d'une communauté d'agglomération située en zone de montagne. Pour ces intercommunalités, les compétences « eau » et « assainissement » redeviendraient facultatives et les communes ayant déjà transféré les compétences pourraient en obtenir la restitution.

Pour les communes membres d'une communauté de communes dont le territoire n'est pas situé en zone de montagne, le transfert des compétences « eau » et « assainissement » demeurerait obligatoire, mais serait assorti de nouveaux assouplissements prévus aux articles 2 et 3. Ainsi, de nouveaux syndicats infra-communautaires pourraient être créés avant 2026 ; au moment de la prise de compétence par la communauté de communes, tout syndicat pourrait être maintenu par la voie de la délégation, sauf délibération contraire de l'intercommunalité.

Par ailleurs, les communes membres n'ayant pas encore transféré les compétences « eau » et « assainissement » à l'intercommunalité pourraient les transférer à un syndicat infra-communautaire avant le 1er janvier 2026.

Enfin, l'article 4 vise à étendre les possibilités d'intervention des départements en matière de gestion et d'approvisionnement en eau potable, afin de faciliter une gestion à une échelle dépassant les frontières de l'intercommunalité.

J'avais initialement envisagé de vous proposer de réaffirmer la position adoptée par notre commission puis le Sénat en son entier en 2023, à l'occasion de l'examen de la proposition de loi de Jean-Yves Roux, dont j'avais été le rapporteur.

Toutefois, face à l'imminence de l'échéance de 2026, notre priorité doit être de protéger les communes contre une intercommunalisation « brutale » des compétences « eau » et « assainissement ». Si le coeur du problème demeure le transfert obligatoire, je considère que des « pas » peuvent être faits pour assouplir, dans un premier temps, les modalités de mutualisation.

En l'état, les dispositifs prévus par la proposition de loi ne permettent pas d'offrir toute la souplesse et la sécurité juridique attendues. Nous attendons donc, de la part du Gouvernement, des assouplissements et des garanties en termes de calendrier, car certains préfets et grands syndicats de l'eau sont à l'oeuvre pour inciter nos collègues maires à anticiper ces évolutions. Par ailleurs, l'opportunité d'une dérogation spécifique pour les communes de montagne mérite d'être discutée et soulève des interrogations du point de vue de l'égalité devant la loi.

Afin de poursuivre la réflexion jusqu'à la séance et dans la perspective de trouver rapidement une solution, je vous propose de retirer mes amendements.

Je vous propose, à titre conservatoire, de ne pas adopter la proposition de loi, afin que la discussion en séance publique puisse s'engager sur la proposition de loi dans sa rédaction originale.

J'appelle le Gouvernement, qui n'a que trop tardivement pris conscience des difficultés liées à l'intercommunalisation forcée que nous dénonçons ici depuis dix ans, à prendre ses responsabilités et à tenir les engagements qu'il a pris devant le Sénat dans le sens d'une gestion différenciée et respectueuse des particularités des zones de montagne et sous-denses.

Aussi, je me réserve le droit de vous proposer, au stade de la séance publique, des amendements en ce sens. Dans ce dossier, nous avançons de manière collaborative et transpartisane, afin de répondre aux attentes de nos communes. Comment accorder du crédit à une démarche très descendante qui entend mobiliser les intercommunalités, alors que leurs périmètres n'ont pas été définis en fonction des bassins hydrographiques ?

Le Sénat prône, comme il l'a toujours fait, une démarche ascendante, en écoutant les remontées du terrain et en accordant suffisamment de souplesses, de sorte que cette compétence puisse s'exercer dans de bonnes conditions. Je rappelle que l'enjeu réside avant tout dans notre capacité à assurer à tous les usagers une eau de bonne qualité et en quantité suffisante.

M. Jean-Michel Arnaud, auteur de la proposition de loi. - Je salue le travail de synthèse du rapporteur. Depuis 2015, nous réitérons notre volonté d'apporter des assouplissements et de la liberté dans l'organisation des compétences « eau » et « assainissement » dans les territoires. L'objectif avec ce texte ne consiste aucunement à créer une insurrection territoriale en remettant en cause des choix volontaires de transferts de compétences vers les intercommunalités, à l'exception des zones de montagne, territoires spécifiques pour lesquels je souhaite introduire une souplesse dans le cadre de l'article 1er. Je souligne d'ailleurs qu'il y a là l'opportunité d'appliquer, pour une fois, l'article 8 de la loi « Montagne » de 1985, qui crée de la différenciation territoriale.

Par ailleurs, les dispositifs assouplis, notamment sur l'initiative de Jacqueline Gourault, ont démontré leur vacuité dans les territoires. C'est le cas de la subdélégation : dans ce schéma, les compétences « eau » et « assainissement » sont transférées à une intercommunalité qui n'en veut pas réellement et qui les subdélègue à tout ou partie de ses communes membres. Dans la pratique, l'intercommunalité décide des grandes orientations et les élus de proximité assument la gestion quotidienne, mais sans en avoir les moyens stratégiques et budgétaires.

Il faudrait donc faire en sorte que les nouveaux syndicats, qui pourraient être créés dans des communes isolées qui n'ont pas encore transféré leurs compétences, soient gérés sans subdélégation, c'est-à-dire sous la forme d'une gestion directe par les syndicats intercommunaux à vocation unique (Sivu), sans passer par le biais des intercommunalités.

Un autre point a trait aux modalités de fixation des périmètres : à la suite de discussions, la direction générale des collectivités locales (DGCL) s'est engagée à nous faire des propositions afin de clarifier les conditions d'établissement des périmètres des Sivu qui pourraient naître si cette proposition de loi venait à être adoptée. Il s'agit donc de s'assurer que les commissions départementales de coopération intercommunale (CDCI) émettent un avis conforme et non pas un avis simple, afin de fixer - volontairement et dans le respect de la liberté locale - les périmètres desdits syndicats.

Enfin, l'article 4 de la proposition de loi, identique à l'article 18 du projet de loi d'orientation agricole, octroie aux départements une faculté - et non pas une obligation - d'intervenir, dans le cadre de syndicats mixtes par exemple, afin de pouvoir accompagner les politiques infra-départementales de modernisation des réseaux portées par les intercommunalités.

Tels sont les grands points de l'équilibre actuel, auxquels s'ajoute un sujet évoqué par le Président de la République lors d'un discours prononcé le 30 mars 2023 sur les rives d'un lac qui m'est cher, le lac de Serre-Ponçon, dans mon département des Hautes-Alpes. Le chef de l'État avait alors pris conscience - enfin ! - de la nécessité de trouver une voie de passage entre le transfert de compétences sans discussion à l'intercommunalité et une autre solution plus souple, qui s'inscrirait néanmoins dans une logique de mutualisation.

Tel est l'esprit du texte qui vous est proposé. Il reste désormais à convaincre le Gouvernement, Christophe Béchu et nos collègues de l'Assemblée nationale qu'il est possible de trouver ce point d'équilibre, qui permettrait non pas de garantir une liberté totale des communes d'organiser leurs compétences, mais de disposer d'une possibilité complémentaire et de trouver une solution souple de nature àapaiser les tensions sur ce sujet, tout en identifiant des solutions dans les 3 600 communes « isolées » - selon les chiffres de la DGCL - qui seront confrontées à des difficultés dans les prochains mois.

Je conclus en remarquant que la proposition de loi de Jean-Yves Roux, telle qu'elle a été modifiée lors de son examen par la commission des lois de l'Assemblée nationale, présente une différence majeure avec la mienne : elle se concentre essentiellement sur les modalités de la subdélégation, alors que le texte qui vous est proposé prévoit bien le transfert de la compétence de base vers des syndicats, sans subdélégation.

- Présidence de M. Christophe-André Frassa, vice-président -

M. Michel Masset. - Je rappelle que la proposition de loi déposée par Jean-Yves Roux a été adoptée ici à l'unanimité. Dans mon territoire rural comme dans bien d'autres, l'eau et l'assainissement sont des sujets majeurs, en raison d'un manque d'ingénierie et de compétences en interne.

Le 13 juin 2024, le texte de Jean-Yves Roux sera examiné à l'Assemblée nationale : pourquoi ne pas attendre le retour de cette discussion afin d'aller au terme de la procédure parlementaire en amendant ce texte le cas échéant ?

M. Alain Marc, rapporteur. - Le problème réside dans le fait que la proposition de loi de Jean-Yves Roux a été complètement dénaturée par la commission des lois de l'Assemblée nationale. Si la procédure parlementaire suit son cours, la proposition de loi qui n'a pas été votée à l'identique va suivre une navette qui nous emmènera au moins jusqu'au mois d'octobre 2024, alors que l'échéance du 1er janvier 2026 approche à grands pas : le Gouvernement pourrait en profiter pour gagner du temps. Nous nous donnons donc quelques jours pour tâcher de trouver une solution avec la DGCL et Christophe Béchu, mais nous ne manquerons pas de nous exprimer en séance si cette démarche n'aboutissait pas.

Mme Cécile Cukierman. - Je tiens à remercier le rapporteur pour la qualité de son travail et pour les efforts qu'il fournit afin de trouver une issue positive sur ce sujet qui nous occupe depuis plusieurs années, dans l'intérêt communal.

En préalable, il convient de rappeler que les communes n'ont pas attendu la loi et se sont regroupées, dès la fin du XIXe siècle, pour gérer au mieux l'eau dans leurs territoires. Ce débat revient avec récurrence depuis plus la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam), alors que notre pays est très loin d'être dans une situation de grande catastrophe, les dysfonctionnements liés à l'entretien des canalisations ou à l'assainissement étant relativement limités.

Des choix précédents ont consisté à aller à marche forcée vers la « remontée » de cette compétence. Dans le cadre d'un travail législatif de qualité, il appartient au Gouvernement, indépendamment du vote de l'Assemblée nationale le 13 juin prochain, soit de nous donner la capacité d'aller très vite en poursuivant la navette législative de la proposition de loi déposée par notre collègue Jean-Yves Roux, quitte à devoir la modifier, soit d'enclencher une navette dans le cadre de la proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise.

Je rejoins le rapporteur sur l'urgence qui caractérise ce dossier, autour duquel se joue l'un des points essentiels de la liberté communale dans notre pays. Je tiens à saluer sa volonté de reprendre un véritable travail collectif associant l'ensemble des sensibilités du Sénat. Aussi, dans la volonté d'aboutir ensemble, je retire mon amendement.

M. Alain Marc, rapporteur. - Nous sommes, pour la plupart, issus de territoires ruraux, voire très ruraux. De véritables problèmes se posent en Corse pour parvenir à transférer la compétence, et je pense que la voix de notre collègue Paul Toussaint Parigi doit être entendue par la DGCL et le ministre.

M. Mathieu Darnaud. - À défaut de faire montre d'un certain agacement sur ce sujet, je préfère user d'un trait d'humour : j'ai un peu le sentiment d'être à la place de Bill Murray dans le film Un jour sans fin, dans lequel l'acteur est condamné à revivre indéfiniment la même journée. Il y a sept ans quasiment jour pour jour, je déposais une proposition de loi pour le maintien des compétences « eau » et « assainissement » dans les compétences facultatives des communautés de communes - adoptée à l'unanimité par le Sénat -, considérant que l'eau - plus que tout autre compétence - ne relève absolument pas d'une problématique intercommunale, mais d'une problématique de bassin hydrographique et de bassin versant.

Il est tout à fait possible de contester cette analyse, pourtant scientifique, et de vouloir absolument que cette compétence revienne à l'intercommunalité. Nous n'avons pas d'autre choix que de prendre acte de la position du Gouvernement, ce dernier ne nous décevant jamais dès lors qu'il s'agit de parler de politiques des territoires ! Je le dis très directement : si nous ne partagions pas les positions de la majorité de gauche en 2014, au moins parvenions-nous à travailler.

Depuis sept ans, nous n'avons jamais eu de réponse précise quant aux intentions de la majorité actuelle. Certes, nous avons bien compris sa philosophie générale selon laquelle toutes les compétences doivent échoir aux intercommunalités, mais c'est un peu court, car c'est méconnaître la réalité des territoires. Ce n'est pas le moindre des paradoxes que de constater que la majorité actuelle, qui n'a que la « différenciation » ou la « prise en compte des réalités des territoires » à la bouche, ne les écoute en fait jamais.

J'en viens à l'essentiel en saluant le travail accompli par notre collègue Jean-Michel Arnaud et par le rapporteur Alain Marc afin de trouver une porte de sortie, l'exercice relevant davantage du numéro d'équilibriste que du travail parlementaire.

La première vertu de ce texte est qu'il conforte les syndicats, c'est-à-dire un outil qui a fait ses preuves et qui ne demande qu'à vivre. J'en profite d'ailleurs pour étayer le peu de considération que le Gouvernement porte au Parlement : nous avions prévenu le ministre Sébastien Lecornu, à l'époque, que le mécanisme de la subdélégation ne fonctionnerait pas ; au cours des dernières auditions, la DGCL et le Gouvernement nous expliquent désormais que le dispositif ne fonctionne pas ! La belle affaire alors que nous le disons depuis quatre ans ! Voilà qui illustre le fonctionnement d'une majorité qui a hélas ! pour angle mort la politique des territoires.

Préserver des syndicats qui fonctionnent bien me paraît donc essentiel, d'autant que ce choix d'organisation, distinct du modèle intercommunal, peut permettre d'avoir une gouvernance bien plus équilibrée. Plus largement - je serai très vigilant sur ce point -, je veux que la parole finale revienne aux élus des territoires.

Nous avons souhaité que l'arbitrage, en matière de constitution de syndicats et de rattachement de certaines communes à ces derniers, voire à l'intercommunalité, se fasse par le biais de la CDCI, mais encore faut-il qu'elle puisse émettre un avis conforme, et non pas un avis simple. Un avis simple déboucherait sur un scénario écrit d'avance, quand bien même la DGCL et le Gouvernement nous assurent que l'avis des préfets sera éclairé par les agences de l'eau : les avis des élus seraient évidemment ignorés, tandis qu'il serait démontré que tout converge pour rattacher une commune à un syndicat donné.

Cette proposition de loi nous fournit l'occasion de revendiquer notre attachement au libre choix des élus sur un sujet aussi essentiel que celui de l'eau. Dans mon département de l'Ardèche, le préfet a interdit à 26 des 335 communes la délivrance de permis de construire, la conditionnant à une autorisation au regard des ressources en eau. Je pense que la question de l'eau sera débattue bien plus régulièrement dans les années à venir, car elle ouvre plusieurs interrogations sur la ressource elle-même, sur la gouvernance et sur les moyens. De nombreux défis se profilent et concerneront autant les territoires ruraux que les territoires urbains.

En outre, j'ai bien pris note de la stratégie présentée par le rapporteur et de sa volonté d'aboutir tout en préservant la liberté des territoires et en tenant compte des spécificités des territoires ruraux comme des zones de montagne. Je note d'ailleurs que le report du transfert de la compétence de 2020 à 2026 - qui était d'abord le souhait du Sénat avant d'être le choix du Gouvernement - a été justifié par les problématiques particulières de ces zones de montagne.

Enfin, il faudra traiter la question des délais : parmi les élus, l'inquiétude est vive quant au respect des échéances fixées pour les transferts, notamment lorsqu'ils concernent des périmètres intercommunaux très vastes qui regroupent plusieurs bassins hydrographiques.

Mme Laurence Harribey. - Je tiens à saluer la démarche du rapporteur consistant à conserver des ouvertures en vue de parvenir à un texte qui conviendrait sinon à tous, du moins à la majorité, ainsi que le sens du dialogue dont il a fait preuve lors des discussions avec la DGCL.

Nous avons tous occupé des mandats d'élus locaux, ce qui est à la fois un atout et un risque, puisque chacun est tenté d'ériger son expérience personnelle en généralité. Or, on ne bâtit pas une politique publique en généralisant un cas particulier. J'ai été élue d'une commune rurale qui avait opté pour la régie, puis présidente d'une communauté de communes au moment il fallait mutualiser la compétence, dans une configuration où coexistaient trois bassins et quatre systèmes de gestion différents. In fine, nous avons vécu cette mutualisation non pas comme une obligation, mais comme une opportunité d'avoir un véritable projet de territoire en matière de gestion de l'eau : cette réussite suppose, il est vrai, un certain sens de la gouvernance partagée et une prise en compte des enjeux locaux liés à la ressource en eau.

Au-delà du travail législatif stricto sensu, un rapport d'information d'Hervé Gillé consacré aux enjeux de l'eau et remis en juillet 2023 montre bien qu'il ne suffit pas d'enfiler des bottes et de bien connaître le réseau de sa commune, mais qu'il faut à la fois articuler les cycles de l'eau, veiller à la qualité de cette ressource et combattre les fuites. Si une épidémie venait à se déclarer en raison d'un problème de qualité de l'eau, les maires ne manqueraient pas de nous solliciter pour légiférer, car ils en seraient alors tenus responsables.

Prenons donc de la hauteur, tout en restant fidèles aux exigences de démocratie locale qui doivent nous rassembler. Après dix ans de débat autour de cette compétence, des améliorations - ou en tout cas des adaptations - ont été apportées, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) ayant toujours soutenu ces progrès.

Seuls 14 % des communes sont encore isolées, une proportion dont il est possible de se féliciter ou qui amène, à l'inverse, à considérer que nous avons encore des difficultés d'adaptation.

Par ailleurs, le dernier rapport d'Intercommunalités de France montre qu'il n'y a aucune urgence à tout bouleverser. C'est dans cet esprit que nous avons abordé cette proposition de loi, que nous regardions d'un oeil favorable avant la réécriture de l'article 1er qui a été envisagée qui nous a posé un véritable problème. Je me félicite que les amendements afférents soient désormais retirés.

Des portes de sortie semblent encore accessibles, mais il faudra agir rapidement. J'estime que nous pouvons réussir en partant du texte de Jean-Michel Arnaud plus que du texte de notre collègue Jean-Yves Roux, qui suscitait des réserves au sein de notre groupe. Nous nous associerons à la démarche en prenant garde, comme l'a souligné Mathieu Darnaud, à conforter les syndicats et à garantir une démocratie ascendante plutôt que descendante. Nous devrions réussir si nous nous écoutons mutuellement.

M. François Bonhomme. - L'accumulation de textes sur cette question depuis une décennie et l'absence d'avancées suscitent une grande déception, chacun des textes ayant suscité l'espoir de voir corrigée l'erreur originelle, à savoir la volonté d'imposer un transfert obligatoire de cette compétence stratégique qu'est la gestion de l'eau et de l'assainissement : la perdre équivaut à abandonner un levier d'action essentiel et un élément majeur de souveraineté communale.

Je rappelle que nous avions souhaité corriger cette erreur initiale en revenant à une compétence optionnelle ou facultative, mais que le Gouvernement n'y avait répondu en 2018 que par une concession sur le calendrier. Depuis cette date, il tergiverse et feint de vouloir régler le problème, en espérant que les communes se dirigeront, bon an mal an, vers l'intercommunalité. Ce faisant, les obstacles persistent et s'accumulent même : les questions de gouvernance et de convergence tarifaire se poseront, sans oublier le travail considérable que représentera l'évaluation des actifs. Mis bout à bout, ces problèmes vont entraîner une multiplication des contentieux, qui ont déjà émergé dans certains endroits.

Le véritable sujet réside dans un manque de volonté politique et renvoie à une liberté communale dont le Gouvernement, épaulée par l'administration centrale, ne veut pas. L'administration centrale met l'accent sur des taux de fuites et des rendements insuffisants pour vanter des schémas déconnectés de la réalité des territoires et des bassins, en affirmant que des organisations de plus grande taille généreraient des résultats bien meilleurs : c'est pourtant le bassin hydrographique qui forme la base sur laquelle doit s'organiser la compétence.

Nous sommes maintenant à moins de deux ans de l'échéance, mais le Gouvernement procrastine, pire encore il fait semblant de procrastiner, c'est dire le niveau d'acrobatie auquel nous sommes arrivés.

Mme Lauriane Josende. - Je souhaite féliciter l'auteur de la proposition de loi, ainsi que le rapporteur. Il faut à la fois trouver un point d'équilibre et montrer que le Sénat souhaite agir sur ce sujet : il ne se passe pas un jour sans que l'on me sollicite sur l'avancée du dossier et notre assemblée doit montrer qu'elle entend les élus et les maires qui sont en grande difficulté aujourd'hui.

Mon département des Pyrénées-Orientales souffre terriblement de la sécheresse depuis deux ans et l'eau est au coeur de nos préoccupations, et ce d'autant plus que nous avons constaté que les fuites sur nos réseaux étaient bien plus importantes qu'ailleurs, avec des taux de rendement parfois réduits à 30 %. Des financements considérables devront donc être consacrés aux travaux de réparation.

Bons connaisseurs de ces réseaux, les maires ne veulent pas abandonner cette compétence et rejettent ce transfert obligatoire à l'intercommunalité. Trouver des compromis est louable, mais il faudra dire au Gouvernement qu'il n'entend pas les territoires, alors que l'échéance de 2026 arrive à grands pas.

Certains élus m'ont fait part de leur intention de démissionner en raison de cette problématique de la gestion de l'eau, refusant d'être tenus responsables des problèmes ultérieurs. Aucun d'entre eux ne sera prêt pour le 1er janvier 2026, le préfet leur ayant même indiqué que la loi sera probablement inapplicable à cette date. Le ministre doit l'entendre et nous aider sur ces sujets, je compte sur le rapporteur pour le lui rappeler.

Mme Marie Mercier. - Le moins qu'on puisse dire sur ce sujet, c'est que nous naviguons en eaux troubles depuis fort longtemps. Dans de nombreux départements, l'eau est désormais livrée, et nous devons prendre conscience de la valeur de cet « or bleu ».

Je partage complètement les propos de Mathieu Darnaud : à un moment, les transferts de compétences se sont faits à marche forcée en raison de la volonté des agglomérations d'améliorer leur coefficient d'intégration, d'où des transferts qui n'avaient rien de naturel. J'ajoute que les usagers ont payé l'eau deux fois avec la convergence tarifaire et que le prix de cette ressource a augmenté. Merci de porter ce dossier complexe et de penser à nos élus et à nos usagers.

Mme Cécile Cukierman. - Je tiens à ce que mes propos ne soient pas mal interprétés : tout d'abord, la défense de la liberté communale n'est pas synonyme de défense de l'isolement communal, elle ne s'oppose pas à des regroupements qui ont pu être des réussites lorsqu'ils ont été pensés et voulus. Ensuite, le problème des fuites d'eau est réel et peut être résolu si l'on accorde aux communes concernées les moyens de procéder aux investissements dans les réseaux.

Après la loi NOTRe ; la proposition de loi de Mathieu Darnaud, qui visait à abroger le transfert obligatoire de compétences ; la loi Engagement et proximité, qui nous avait permis d'arracher un report du délai en 2026 ; la proposition de loi Jean-Yves Roux, qui portait initialement une abrogation du transfert avant d'être fortement encadrée ; et enfin la proposition de loi actuelle, qui vise à trouver des ajustements pour quelques communes, je tiens à souligner, mes chers collègues, que les grands discours tenus par un certain nombre d'entre vous n'empêchent pas d'accepter progressivement le transfert de compétences et la fin de la liberté communale.

S'il n'est pas question d'appeler à l'insurrection territoriale et que tous s'accordent pour rechercher l'apaisement, il n'y aura pas non plus de renoncement sur ce sujet : si l'eau vient à manquer, la problématique ne sera pas celle de la gouvernance communale ou intercommunale, mais celle de la gestion d'une ressource précieuse, par exemple en la retenant mieux lorsqu'elle tombe avec excès pour ensuite mieux la redistribuer et pourvoir à l'ensemble des activités humaines.

M. Alain Marc, rapporteur. - Nous devons composer avec l'échéance du 1er janvier 2026. Dans l'idéal, un report de plusieurs années aurait été bienvenu, en l'assortissant d'un schéma de gestion de l'eau adapté à chaque département : le préfet aurait pu flécher les crédits de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et de l'agence de l'eau sur plusieurs années. Telle n'est pas l'option retenue et la loi est censée s'appliquer de manière indifférenciée, sans tenir compte des spécificités des territoires. Une fois encore, l'évaluation des actifs sera une opération très malaisée : comment évaluer, par exemple, le coût d'une station d'épuration bâtie huit ans plus tôt ? De fait, la loi sera très difficilement applicable.

Nous suggérons donc de ne pas adopter la proposition de loi de Jean-Michel Arnaud à ce stade et de continuer les discussions afin de trouver une solution. Nous voulons bien avancer en partenariat, mais un refus de nos propositions « de bon sens » entraînera très certainement de sérieuses difficultés. Si nos amendements sont refusés et si le Gouvernement n'accepte pas de recourir à la procédure accélérée pour l'examen de ce texte, nous prendrons acte du fait que le Gouvernement tergiverse à dessein et souhaite nous voir discuter sans fin autour de ce sujet, afin d'aboutir à une situation qui posera de toute façon problème en 2026.

S'agissant du périmètre indicatif de la proposition de loi, je vous propose, chers collègues, de considérer que ce périmètre inclut les dispositions relatives aux compétences des communes et de leurs groupements, des établissements publics de coopération intercommunale et des départements en matière d'eau et d'assainissement des eaux usées.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Les amendements identiques COM-2 et COM-1 sont retirés.

L'article 1er n'est pas adopté.

Article 2

L'amendement COM-3 est retiré.

L'article 2 n'est pas adopté.

Article 3

L'amendement COM-4 est retiré.

L'article 3 n'est pas adopté.

Article 4

L'amendement COM-5 est retiré.

L'article 4 n'est pas adopté.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er

M. MARC,
rapporteur

2

Rétablissement du caractère facultatif du transfert des compétences "eau" et "assainissement" pour les communes membres d'une communauté de communes

Retiré

Mme CUKIERMAN

1

Rétablissement du caractère facultatif du transfert des compétences "eau" et "assainissement" pour les communes membres d'une communauté de communes

Retiré

Article 2

M. MARC,
rapporteur

3

Suppression de l'article

Retiré

Article 3

M. MARC,
rapporteur

4

Suppression de l'article

Retiré

Article 4

M. MARC,
rapporteur

5

Assouplissement des conditions requises pour confier au département un mandat de maîtrise d'ouvrage en matière de gestion de l'approvisionnement eau potable

Retiré

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