CHAPITRE II
SIMPLIFIER
ET CLARIFIER
CERTAINES FORMES DE CONTRATS
Article 11
Habilitation du Gouvernement à légiférer par
voie d'ordonnance
pour réformer le droit des contrats
spéciaux
L'article 11 tend à habiliter le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance pour réformer le droit des contrats spéciaux.
Reconnaissant la nécessité d'une telle réforme, la commission a néanmoins désapprouvé la méthode choisie par le Gouvernement. Le recours à une habilitation à légiférer par voie d'ordonnance, qui conduirait à dessaisir le Parlement d'un large pan des relations contractuelles pendant deux ans, a été jugé problématique par la commission. Alors que le Parlement a déjà fait la preuve de sa capacité à se saisir de textes amples par leur volume et techniques par leur contenu, la commission a jugé que la conduite d'une telle réforme ne saurait faire l'économie d'un débat en bonne et due forme devant le Parlement.
1. Le dispositif proposé : habiliter le Gouvernement à adopter par ordonnance la réforme nécessaire et attendue du droit des contrats spéciaux
1.1. Une réforme consensuelle dans son principe, aux contours encore flous
Comme l'ont rappelé lors de leur audition par le rapporteur les représentants de la direction des affaires civiles et du Sceau (DACS), le projet d'une réforme du droit des contrats spéciaux s'inscrit dans le mouvement de modernisation du droit civil entrepris à compter du bicentenaire du code civil, en 2004. D'importants chantiers législatifs ont ainsi été conduits à cet égard, dont la réforme des sûretés - à laquelle a procédé l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés, qui n'a fait l'objet d'aucune ratification - et la réforme du droit commun des contrats - dont dispose l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, ratifiée et amendée par la loi n° 2018-287 du 20 avril 201898(*).
La réforme du droit des contrats spéciaux constitue le pendant de cette seconde réforme : le droit commun des contrats ayant fait l'objet d'une modernisation attendue, il paraît dès lors nécessaire de procéder à la réforme du droit des contrats spéciaux. Outre cette nécessité, l'association Henri Capitant relevait, dans le propos introductif à son avant-projet de réforme, trois autres arguments à l'appui de cette réforme99(*) :
- renforcer l'intelligibilité de ce droit : le code étant demeuré pour l'essentiel inchangé depuis 1804, les adaptations du droit rendues nécessaires ont été apportées par la jurisprudence ; en conséquence, le code civil « n'est plus l'écrin du droit des contrats spéciaux, ce qui, dans un système de droit codifié comme le droit français, est pour le moins incongru » et nuit à son accessibilité et son intelligibilité. Une réforme permettrait ainsi la codification de ces évolutions jurisprudentielles ;
- actualiser ce droit en lien avec les mutations économiques connues depuis 1804 : en particulier, l'association Henri Capitant relevait ainsi que la hiérarchie des contrats spéciaux telle qu'elle est aujourd'hui prévue par le code civil est devenue, au regard de l'importance prise par certains contrats - prenant l'exemple du dépôt et du mandat - sans réel objet avec la réalité économique que recouvrent ces régimes juridiques ;
- mieux valoriser le droit des contrats spéciaux : l'association relevait ainsi que « des contrats très spéciaux ont proliféré (la vente immobilière, les baux spéciaux, les crédits consentis à des non-professionnels, etc.) de sorte que le droit des contrats spéciaux constitue aujourd'hui un corps de règles intermédiaires entre les règles communes à tous les contrats et les règles propres aux contrats les plus spéciaux ». Une réforme permettrait donc, comme l'a indiqué la DACS dans sa réponse au questionnaire transmis par les rapporteurs, de « tenir compte de la multiplication des contrats spéciaux en dehors du code civil (comme dans le cadre de la vente ou du bail) ».
Manifestement réceptive à la nécessité d'une telle réforme, la Chancellerie a missionné en mars 2020 une commission présidée par le professeur Philippe Stoffel-Munck pour l'établissement d'un nouvel avant-projet de réforme, qui a rendu ses conclusions au mois de juillet 2022100(*). Rejoignant le consensus sur la nécessité d'une telle réforme101(*), cet avant-projet guidé par trois objectifs - clarifier lorsque nécessaire, simplifier lorsque possible, moderniser - était structuré autour de quatre axes :
- une certaine « faveur » pour la liberté contractuelle, les dispositions de l'avant-projet étant largement supplétives de volonté ;
- une « forme de réalisme », l'avant-projet ayant été conçu au prisme d'une méthode inductive, revendiquant « le souci de construire le droit à partir des phénomènes du réel, d'avancer du concret vers l'abstrait plutôt que l'inverse » ;
- la volonté de « faire oeuvre pratique », en concevant la réforme en ayant à l'esprit les contraintes d'application et de mise en oeuvre qui se poseront aux usagers et praticiens de ce droit ;
- le souhait de « faire oeuvre de sagesse », en particulier par la méthode collégiale retenue pour l'élaboration du projet et en sollicitant l'aide de praticiens lorsque nécessaire.
L'avant-projet qui en a résulté, composé d'environ 300 articles, a été soumis à consultation publique de juillet 2022 à janvier 2023, ce qui a selon la DACS « permis de recueillir une soixantaine de contributions provenant de professionnels et de divers spécialistes de droit ». La Chancellerie, qui a indiqué dans son retour au questionnaire des rapporteurs être « en cours d'élaboration de cette réforme », tient à cette fin compte de ces contributions ainsi que des « contributions de la doctrine, [des] retours des professionnels des secteurs concernés et aussi des aspects de droit comparé, notamment [du] très récent projet de réforme belge ».
En conséquence, la DACS n'a pas été en mesure de communiquer au rapporteur de plus amples détails sur le fond de la réforme proposée s'agissant de chacun des huit contrats concernés, ce qui n'apparaît pas anormal au regard du caractère encore embryonnaire des travaux conduits et de l'ampleur de la tâche.
1.2. Le choix du recours à une ordonnance
Le présent article tend à habiliter le Gouvernement, pour un délai de deux ans, à légiférer par voie d'ordonnance pour mener à bien cette réforme. Le Gouvernement aurait ainsi la possibilité pendant ce délai de prendre toute mesure législative pour « moderniser, compléter, simplifier, clarifier et harmoniser le droit des contrats spéciaux » à la double finalité de « renforcer son efficacité » et de « l'adapter aux besoins et enjeux économiques, sociaux et technologiques ». Ces finalités générales sont déclinées, pour chacun des huit contrats concernés.
Dispositions de l'habilitation à
légiférer par voie d'ordonnance
relatives à chacun des
huit contrats concernés
« 1° Réformer le droit du contrat de vente, notamment en précisant les règles applicables aux avant-contrats préparatoires à la vente ;
« 2° Simplifier les règles relatives au contrat d'échange ;
« 3° Moderniser le contrat de louage des choses (ou contrat de location) et élargir son champ d'application aux biens incorporels ;
« 4° Préciser et réviser les règles relatives au contrat de louage d'ouvrage (ou contrat d'entreprise), à la sous-traitance, le cas échéant en modifiant la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, au contrat de construction et à la responsabilité des constructeurs, de même qu'au contrat d'entreprise mobilière ;
« 5° Moderniser le droit du contrat de prêt, s'agissant, en particulier, du prêt à usage (commodat) et du prêt de consommation ;
« 6° Clarifier et adapter le droit des contrats de dépôt et de séquestre, notamment le contrat de dépôt hôtelier ;
« 7° Compléter et préciser le droit des contrats aléatoires, notamment le jeu et le pari, le contrat de rente viagère et la tontine ;
« 8° Moderniser les règles relatives aux contrats de mandat ou assimilés, introduire dans le code civil des règles destinées à régir de nouvelles formes de mandat, devenues usuelles, tels les mandats en blanc, les mandats avec clause ducroire et les mandats d'intérêt commun, ainsi que le contrat de courtage et le contrat de commission. »
Le II de l'article tend à habiliter le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance pour tirer certaines conséquences juridiques de cette réforme, en adaptant ou en déplaçant certaines dispositions. Le Gouvernement pourrait ainsi prendre les mesures législatives visant à :
- adapter le droit commun des contrats « afin d'améliorer [son] articulation avec le droit des contrats spéciaux réformé » ;
- « réorganiser dans le code civil les dispositions relatives d'une part, à la cession de droits successifs, d'autre part, à la cession de droits litigieux » ;
- « insérer dans le code de la construction et de l'habitation les dispositions du code civil relatives aux ventes d'immeubles à construire » ;
- « insérer dans le code rural et de la pêche maritime les dispositions du code civil relatives aux baux ruraux et au bail à cheptel » ; ;
- « aménager et modifier toutes dispositions de nature législative permettant d'assurer la mise en oeuvre et de tirer les conséquences des modifications » évoquées ci-dessus ;
- rendre applicables et adapter les dispositions aux outre-mer.
Enfin, le III de l'article prévoit qu'un projet de loi de ratification serait déposé dans les quatre mois suivant la publication de l'ordonnance prévue aux I et II de l'article.
2. La position de la commission : une réforme qui ne saurait faire l'économie d'un débat en bonne et due forme devant le Parlement
Si la commission a apporté son plein soutien à un projet de réforme dont la nécessité ne saurait être démentie, elle a néanmoins, par l'adoption des amendements COM-323 du rapporteur et COM-296 de Thomas Dossus, supprimé le présent article, considérant que la conduite d'une telle réforme ne saurait faire l'économie d'un débat en bonne et due forme devant le Parlement. En effet, si la fin poursuivie par cet article ne peut que recueillir l'assentiment, il a néanmoins paru difficilement justifiable à la commission que la conduite d'une telle réforme, aussi nécessaire soit-elle, ne puisse être réalisée que par ordonnance, pour trois raisons.
D'une part, l'octroi d'une telle habilitation, pendant une durée de vingt-quatre mois, reviendrait à dessaisir le Parlement de sa compétence sur un large champ des relations contractuelles pendant deux ans. L'on ne saurait se satisfaire que le Parlement ne soit en mesure, pendant une durée aussi longue, d'apporter quelque modification que ce soit à ce droit.
D'autre part, la conduite par le Gouvernement de l'important travail d'analyse et de consultation nécessaire à la modernisation de ce droit peut parfaitement être réalisée sans habilitation législative. En effet, si l'ampleur et la complexité du travail à conduire ne sont nullement en cause, celui-ci peut être mené sans l'aiguillon que représente une habilitation à légiférer par voie d'ordonnance. Plus fondamentalement, l'octroi au Gouvernement d'une habilitation à légiférer par voie d'ordonnance sur un projet de réforme dont les contours demeurent aussi flous revient à exclure le Parlement des choix de réforme et de modernisation qui seront faits. Il aurait paru de meilleure méthode que de ne solliciter une telle habilitation qu'une fois le travail de conception de la réforme plus avancé, afin que le Gouvernement présente à l'appui de cette demande d'habilitation un projet connu. La conduite préalable de ce travail et la sollicitation ultérieure - par exemple dans un véhicule annuel de simplification - d'une habilitation d'un délai plus resserré auraient ainsi paru mieux proportionnées à l'objectif poursuivi.
Enfin, le Sénat s'était déjà opposé en 2015 à l'habilitation du Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance pour procéder à la réforme du droit commun des contrats et des obligations. Les motifs de cette opposition étaient d'ailleurs identiques à ceux justifiant l'opposition de la commission à l'habilitation prévue au présent article. Soutenant une réforme « attendue » et « nécessaire », le rapporteur, Thani Mohamed Soilihi, insistait « sur l'enrichissement que constituerait, pour une telle réforme, un examen parlementaire, qui donnerait audience aux analyses de la doctrine sur le projet déposé, et permettrait une discussion publique et éclairée sur les grandes options qu'il engage »102(*). Il relevait également « que les précédentes réformes du droit civil conduites à travers des projets ou des propositions de loi témoignent de la résolution du Parlement à faire aboutir ces réformes rapidement et de l'écho que rencontrent alors leurs travaux. »
En cohérence avec cette position et alors que le Parlement a déjà fait la preuve de sa capacité à se saisir de textes amples et techniques, la commission a en conséquence supprimé cette habilitation à légiférer par voie d'ordonnance pour réformer le droit des contrats spéciaux.
La commission a supprimé l'article 11.
* 98 La réforme de la responsabilité civile, également attendue de longue date, a également fait l'objet de projets, sans aboutir pour l'heure. La codification du régime de responsabilité extracontractuelle pour troubles anormaux de voisinage, qui constituait l'un des éléments de ces projets, a néanmoins été adoptée par la loi n° 2024-346 du 15 avril 2024 visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels.
* 99 « Offre de réforme du droit des contrats spéciaux », Association Henri Capitant, projet d'avant-réforme du droit des contrats spéciaux remis à la Chancellerie le 26 juin 2017 et actualisée en 2020.
* 100 « Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux », commission présidée par le professeur Philippe Stoffel-Munck, juillet 2022.
* 101 La commission relevait notamment, au regard de l'inadéquation entre un droit commun des contrats rénové et un droit des contrats spéciaux demeuré - ou peu s'en faut - inchangé depuis 1804 : « Il n'est pas bon qu'un droit commun du XXIème siècle soit prolongé par un droit spécial dont l'expression écrite reste ancrée dans le début du XIXème. »
* 102 Rapport n° 288 (2013-2014) de Thani Mohamed Soilihi sur le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, fait au nom de la commission des lois, déposé le 15 janvier 2014, commentaire de l'article 3.