EXAMEN EN COMMISSION
Désignation du
rapporteur
(Mercredi 6 mars 2024)
M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, j'en viens désormais au dernier point de notre ordre du jour avant les questions diverses. Nous devons procéder à la désignation d'un rapporteur sur la proposition de loi visant à endiguer la prolifération du frelon asiatique et à préserver la filière apicole.
Cette proposition de loi, déposée le 26 février dernier par notre collègue Michel Masset et les membres du groupe RDSE, vise à doter la France d'un plan national de lutte contre le frelon asiatique, dont l'invasion occasionne des dégâts aux vergers, décime des colonies d'abeilles et génère un grand désarroi de la filière apicole, dont les pertes annuelles sont estimées à près de 20 M€.
Le frelon asiatique est l'archétype même de l'espèce exotique envahissante : arrivée en France il y a environ 20 ans, cette espèce a proliféré et est désormais présente partout en France métropolitaine. Son adaptabilité, son opportunisme et l'absence de prédateurs capables de réguler sa progression sont à l'origine de son développement exponentiel.
Chacun d'entre nous, dans son territoire, a certainement pu échanger avec des apiculteurs désemparés face à cette menace. La stratégie nationale relative aux espèces exotiques envahissantes ne répond que de façon trop partielle à cette problématique, à travers des opérations « coup de poing » qui ne permettent pas d'endiguer la progression de ce ravageur.
Afin de prévenir plus efficacement les dégâts causés par les frelons asiatiques, cette proposition de loi vise à créer un outil de lutte global et cohérent au niveau national, qui se décline en plans départementaux élaborés par les préfets, instaure une obligation de signaler les nids de frelons asiatiques et acte le principe d'une indemnisation pour les apiculteurs touchés.
En ce qui concerne le calendrier d'examen, le groupe RDSE a demandé l'inscription de cette proposition de loi dans le cadre de son espace réservé du 11 avril prochain. En conséquence, l'examen du rapport et du texte de commission devra intervenir le mercredi 3 avril, dans le cadre de la procédure dite du « gentlemen's agreement ». Le délai limite de dépôt des amendements de séance pourrait, quant à lui, être fixé au lundi 8 avril à midi.
J'ai reçu la candidature de notre collègue Jean-Yves Roux pour être rapporteur de cette proposition de loi.
Il n'y a pas d'opposition ?
Il en est ainsi décidé.
Examen du rapport
et du texte de la commission
(Mercredi 3 avril 2024)
M. Jean-François Longeot, président. - Nous en venons maintenant au rapport de Jean-Yves Roux sur la proposition de loi visant à endiguer la prolifération du frelon asiatique et à préserver la filière apicole. Ce texte a été présenté par notre collègue Michel Masset, dont je salue la présence avec nous ce matin, les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE) et plus de vingt sénateurs d'autres groupes politiques.
Je remercie tout d'abord le rapporteur Jean-Yves Roux d'avoir mené un cycle complet d'auditions dans un délai, comme toujours, assez contraint et de son investissement pour assurer l'information de la commission.
L'examen de cette proposition de loi intervient vingt ans après la première détection du frelon asiatique à pattes jaunes sur notre territoire, vingt années durant lesquelles cette espèce n'a cessé de proliférer sans qu'une politique cohérente, efficace et globale ne permette de réduire l'ampleur de ce fléau, dont le secteur apicole est l'une des premières victimes.
Ce texte n'est pas le premier à être déposé au Sénat : je mentionnerai notamment la proposition de loi de notre collègue Nicole Bonnefoy, déposée en 2011, et le texte élaboré par notre collègue Kristina Pluchet en février 2023, qui nous rappelait déjà l'importance de prendre des mesures rapides.
Alors que, avec l'arrivée du printemps, le frelon asiatique se rappelle à notre bon souvenir, puisque les femelles fondatrices sortent de leur hibernation pour reconstituer les nids, il nous revient d'étudier l'article unique de cette proposition de loi qui servira de cadre législatif à la définition d'une politique ambitieuse de lutte contre cette espèce exotique envahissante.
Cette politique s'organisera autour de deux axes : tout d'abord, la définition d'un plan national de lutte contre le frelon asiatique ainsi que sa déclinaison au niveau départemental afin de fixer les objectifs et les moyens à mettre en oeuvre ; ensuite, la création d'un régime de déclaration des nids et d'indemnisation des dommages au secteur apicole imputables à cette espèce.
Cette proposition de loi sénatoriale est inscrite à l'ordre du jour des travaux du Sénat au sein d'un espace réservé au groupe du RDSE. Dans ce cadre, je vous rappelle que le gentlemen's agreement s'applique, dans l'objectif de préserver l'initiative sénatoriale. Aussi, les groupes minoritaires ou d'opposition ont le droit à l'examen, jusqu'à leur terme, des textes dont ils sont les auteurs et qui sont inscrits dans leur espace réservé. Sauf accord du groupe à l'origine de la demande d'inscription à l'ordre du jour, la commission ne peut donc modifier le texte de la proposition de loi et, à défaut, elle peut seulement ne pas l'adopter pour permettre son examen article par article en séance publique. En outre, la commission et les sénateurs s'abstiennent de déposer des motions.
Je vous rappelle que le délai limite pour le dépôt des amendements de séance a été fixé par la Conférence des présidents au lundi 8 avril prochain à 12 heures et que la commission se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 10 avril prochain à 9 heures. L'examen en séance publique aura lieu le matin du jeudi 11 avril.
M. Michel Masset, auteur de la proposition de loi. - Je vous remercie de m'avoir invité au sein de votre commission pour vous présenter mon texte. À titre liminaire, je souhaite saluer les travaux de nombreux parlementaires, députés et sénateurs, qui ont précédé ce travail. Je pense à Kristina Pluchet qui a déposé l'année dernière une proposition de loi en ce sens, ou à Nicole Bonnefoy. J'aimerais également remercier les nombreux collègues, toutes tendances politiques confondues, qui ont soutenu ce texte en le cosignant.
En ce moment même, c'est la période de nidification des frelons asiatiques. Ils sont désormais présents sur tout le territoire national, mais également dans les pays voisins, et c'est malheureusement dans mon département, le Lot-et-Garonne, que l'invasion a commencé il y a vingt ans. Sans ressentir de culpabilité, je ne peux m'empêcher de trouver une certaine cohérence à ce que ce soit un sénateur issu de ce département qui porte aujourd'hui ce texte devant vous.
Vous connaissez les enjeux et les conséquences de la présence de cette espèce invasive dans nos territoires. En tant qu'élus municipaux ou départementaux, nous avons tous été confrontés à des citoyens démunis face ce fléau. J'aimerais revenir sur trois enjeux qui, selon moi, sous-tendent ce sujet.
Le premier enjeu, sûrement le plus évident, est sanitaire. En effet, la pression du frelon va grandissante et les nids ne sont plus seulement à la cime des arbres en pleine forêt. On en retrouve aujourd'hui dans les cours d'école, à proximité des lieux accueillant du public, dans les charpentes, dans les buissons, dans les abris de jardin, etc. Or, on le sait, la piqûre du frelon peut être très dangereuse, si elle est répétée, voire mortelle pour les personnes allergiques ou pour les enfants. Ainsi, il devient indispensable d'avoir une véritable politique publique pour préserver la sécurité des personnes et le bien-vivre.
Le deuxième enjeu est, bien sûr, environnemental. Le frelon asiatique est un prédateur des pollinisateurs et notamment un des responsables de la mortalité des abeilles. C'est une véritable problématique pour la pollinisation à double titre : pour l'ensemble de la biodiversité, mais aussi pour l'agriculture. Les abeilles sont responsables de 80 % de la pollinisation nécessaire au maintien et au développement de la production agricole, notamment arboricole. Il est urgent de protéger les abeilles pour préserver les services écosystémiques immenses qu'elles rendent.
Enfin, le troisième enjeu est économique. D'une part, le chiffrage de la production alimentaire qui dépend de l'action des insectes pollinisateurs s'élève à plusieurs milliards d'euros par an. D'autre part, c'est le deuxième volet de ma proposition de loi, les conséquences du frelon asiatique sur la filière apicole sont très importantes. Les frelons déciment les ruches et stressent les abeilles, ce qui conduit à la diminution de la production de miel. La perte de chiffre d'affaires pour la filière apicole est estimée à 12 millions d'euros par an, soit près de 14 % du chiffre d'affaires global du secteur. Or les apiculteurs connaissent déjà une période de morosité économique sans précédent, subissant la baisse du pouvoir d'achat et la concurrence déloyale des miels importés, de Chine ou d'Europe de l'Est, souvent frauduleux.
Face à ces enjeux, quelle position l'État a-t-il prise depuis le début de l'invasion ? De l'aveu même du Gouvernement, la problématique est trop large pour être prise en charge uniquement par l'État. Cela nous questionne véritablement sur l'intérêt d'un travail collectif. Ne prend-on pas des mesures d'indemnisation pour les éleveurs dont le cheptel est victime de la prédation du loup ? Ne prend-on pas des mesures d'indemnisation pour les dégâts causés par le gibier ? La place de l'État doit être la même face au frelon : l'organisation de la prévention, de la protection et de la mutualisation des risques par l'indemnisation. Tel est l'objet de la présente loi.
Loin de faire de l'État le seul comptable des politiques de lutte contre les conséquences délétères du frelon asiatique, le texte prévoit d'en faire un pilote pour mettre en cohérence les actions. De nombreuses collectivités territoriales ont tracé le chemin en mettant en oeuvre de véritables politiques de lutte. Je pense au Calvados, à la Charente ou encore à la Gironde, tant de départements sursollicités par les particuliers et les professionnels. Les maires sont aussi, souvent, en première ligne face à ce danger. Avec les départements, ils financent régulièrement des destructions de nids ou des opérations de prévention. Mais ces investissements demeurent insuffisants par manque de coordination, notamment entre les territoires voisins. Le frelon ne se soucie pas des frontières administratives, comme vous le savez.
Il faut soutenir ces initiatives, notamment en participant à leur financement. Certains organismes à vocation sanitaire tentent également de mettre en place des outils de protection des ruches, mais ces initiatives ne sont pas ou peu soutenues. Enfin, c'est par le nécessaire financement de la recherche sur l'espèce que nous parviendrons à améliorer l'efficacité de nos outils ou de nos techniques de lutte tout en veillant à ce que leur impact sur le reste de la biodiversité soit minime. Ce travail est d'autant plus nécessaire au vu de l'apparition du frelon oriental et du frelon vespa mandarinia. Voilà ce qui m'a conduit à déposer ce texte. Je me réjouis qu'il soit examiné par notre chambre. Il était temps d'en parler, vingt ans après !
Je crois que l'adoption de ce texte nous permettra, à l'avenir, d'évaluer notre capacité à répondre à l'invasion d'autres espèces. J'ai toute confiance dans le travail de votre commission pour avancer collectivement sur ce texte, aussi bien ici qu'en séance pour répondre à la vraie détresse exprimée par nos territoires face à ce redoutable prédateur, et pas seulement les territoires ruraux.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - J'ai le plaisir de vous présenter mon rapport sur la proposition de loi de notre collègue Michel Masset visant à endiguer la prolifération du frelon asiatique et à préserver la filière apicole. Mon propos condense et synthétise les informations recueillies au terme d'une dizaine d'auditions, qui m'ont permis d'entendre près d'une trentaine d'intervenants, les acteurs de la filière apicole bien entendu, mais aussi des élus locaux, des scientifiques et experts du Muséum national d'histoire naturelle et de l'Office français de la biodiversité (OFB), les chambres d'agriculture, sans oublier des échanges avec les apiculteurs de mon département des Alpes de Haute-Provence et de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca), où le miel et ses produits dérivés constituent un marqueur fort du savoir-faire territorial.
Ces auditions ont mis en évidence plusieurs constats, largement partagés par les acteurs et la littérature scientifique. Tout d'abord, la réponse publique face aux menaces et à la progression du frelon asiatique a manqué de cohérence, de moyens et n'a pas répondu aux attentes des territoires et des apiculteurs face à ce redoutable prédateur de l'abeille domestique et de l'entomofaune. Ensuite, l'État a pris trop tardivement la mesure de la progression de cette espèce exotique envahissante et des préjudices qu'elle cause à la filière apicole, à l'arboriculture et à la biodiversité. En outre, les mesures réglementaires ont manqué d'ambition, d'agilité et d'efficacité. Enfin, la lutte contre le frelon asiatique s'est organisée en ordre dispersé, avec un soutien notoirement insuffisant de l'État, par les apiculteurs eux-mêmes, qui ont tenté d'atténuer les dégâts causés aux ruchers au travers de leurs structures syndicales et des organismes à vocation sanitaire, bien souvent aidés par l'accompagnement volontariste des collectivités territoriales.
Ce manque de cohérence en matière de lutte contre l'invasion du frelon asiatique a contribué à l'échec et à l'impuissance collective face à la progression du front de colonisation de cette espèce, dont les capacités de dispersion ont été évaluées pour la France à 78 kilomètres par an depuis sa détection en 2004 dans le Lot-et-Garonne.
Vingt ans à peine après sa détection, le frelon asiatique a colonisé l'ensemble du territoire national et est désormais une espèce endémique dont il est devenu illusoire d'espérer l'éradication. Les apiculteurs sont désemparés face à cette pression supplémentaire pesant sur leur activité, l'État est aux abonnés absents en matière d'indemnisation, les assureurs refusent de couvrir ce type de risque et les collectivités territoriales en sont réduites à colmater les brèches en tentant de pallier les défaillances du système assurantiel.
Sans entrer dans une description d'entomologiste, je me contenterai de présenter les principales caractéristiques du frelon asiatique à pattes jaunes. Il s'agit d'une espèce exotique envahissante, originaire d'Asie, qui s'est implantée en France en raison des flux commerciaux internationaux, à partir d'une seule femelle. Espèce opportuniste et très résiliente aux parasites, elle n'a rencontré aucune concurrence ni aucun prédateur sur son segment écologique. Les conditions climatiques ont favorisé son invasion du territoire national, d'autant que cette espèce se caractérise par de fortes capacités de dispersion. Son bol alimentaire est composé d'environ un tiers d'abeilles domestiques, le reste consistant en des pollinisateurs sauvages et des insectes sociaux. L'abeille européenne, n'ayant pas co-évolué avec le frelon asiatique, n'a développé aucune technique de défense pour se protéger des prédations.
Aujourd'hui, neuf pays européens sont, à des degrés divers, infestés par le frelon asiatique. Les seules barrières qu'il rencontre sont d'ordre climatique et topographique : on ne le retrouve pas au-delà d'une certaine altitude, estimée à 1 300 ou 1 400 mètres, et en deçà d'une certaine température. Les techniques de piégeage et de lutte ont jusqu'à présent échoué à réduire les pressions de prédation et à endiguer sa prolifération. Environ 20 % de la mortalité totale des abeilles est imputable au frelon asiatique, entraînant un manque à gagner pour la filière apicole estimé à 12 millions d'euros par an et des pertes indirectes bien supérieures, difficiles à estimer faute d'organismes pour assurer ce suivi. Voilà dressé le portrait-robot de ce prédateur d'abeilles et de pollinisateurs auxiliaires de culture.
Quelle a été la réponse publique face à ce fléau noir et jaune ? Le frelon asiatique a été classé de 2012 à 2022 sur la liste des dangers sanitaires de deuxième catégorie pour l'abeille domestique, mais il a été déclassé pour mise en conformité avec la réglementation européenne concernant la santé animale. Aujourd'hui, le frelon asiatique fait l'objet d'une réglementation au titre des espèces exotiques envahissantes, mais la lutte n'est pas obligatoire et aucun régime indemnitaire n'est prévu dans ce cadre : l'État n'accompagne pas les apiculteurs au regard des dégâts causés par le frelon asiatique. J'y vois là une lacune de premier plan. Le mérite de cette proposition de loi est de contribuer à définir un cadre législatif de lutte contre cette espèce envahissante, avec des objectifs, des modalités, des financements dédiés et une organisation territoriale pour coordonner les actions afin de réduire les pressions exercées par les frelons asiatiques.
Le dispositif proposé présente plusieurs avantages. Il organise de manière cohérente et concertée la lutte contre cette espèce, qui occasionne des dégâts significatifs à notre agriculture - apiculture, arboriculture et toutes les espèces végétales dont la croissance est assurée par des pollinisateurs -, en plaçant l'État au centre du jeu, en associant les collectivités, les acteurs et les filières, afin de coordonner les méthodes de lutte qui ont fait la preuve de leur efficacité : piégeage de printemps, destruction des nids et protection des ruches.
Il apporte également une réponse volontariste à la détresse des apiculteurs, qui désespéraient de ne rien voir venir. L'élaboration d'un plan dédié constitue une avancée par rapport à la lutte qui s'articule dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre les espèces exotiques envahissantes. Du fait de la dilution des moyens pour lutter contre les autres espèces exotiques envahissantes - il en existe plus de 2 000 rien qu'en France ! -, seulement une dizaine d'opérations coups de poing ont concerné le frelon asiatique. Quand on sait que l'Europe continentale consacre 12,5 milliards d'euros par an pour réparer les dommages causés par les invasions biologiques et qu'un département français fait face en moyenne à l'installation de cinq nouvelles espèces envahissantes tous les dix ans, l'action n'est pas une option, mais une nécessité.
Ce dispositif constitue en outre la première brique d'une réponse publique plus cohérente, mieux dimensionnée et territorialisée contre le frelon asiatique, en associant tous les acteurs sous l'égide de l'État et de son représentant dans les départements. L'article 40 de la Constitution encadre notre capacité à allouer à cette stratégie les financements qui lui permettraient de répondre aux enjeux, mais j'ai bon espoir que le Gouvernement s'appuie sur la sagesse du Sénat et se range à l'idée que je propose d'un fonds dédié au financement des actions du plan national de lutte. Participeraient au financement de ce fonds l'État, les collectivités territoriales, la profession apicole, les organismes à vocation sanitaire, pour mutualiser et fédérer des financements aujourd'hui épars afin d'optimiser l'efficacité de chaque euro dépensé dans ce cadre. Cette évolution pourrait être proposée d'ici à la séance publique.
Mes auditions ont mis en lumière la nécessité de procéder à quelques modifications législatives par amendement, pour améliorer la lisibilité et la clarté du dispositif et préciser des axes qui ne figuraient pas dans le texte initial, que je vous présenterai tout à l'heure, avec l'accord de l'auteur du texte bien sûr, conformément à la procédure du gentlemen's agreement.
En conclusion, je vous propose d'adopter cette proposition de loi, sous le bénéfice de l'adoption de six amendements que je vous présenterai. Ce texte répond aux attentes de la filière, après plus d'une décennie d'atermoiements et un engagement trop timide de la part de l'État. Je ne vous cache pas que ce texte arrive un peu tard quand on analyse la carte de France de l'invasion par le frelon asiatique, mais, comme le dit l'adage, mieux vaut tard que jamais.
La lutte ne sera pas aisée, l'éradication de l'espèce n'est pas un horizon réaliste, mais cette première réponse constitue un signal politique fort et redonnera confiance aux acteurs qui luttent contre cette espèce envahissante de façon isolée, avec un plan qui s'appuiera sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles, articulera et coordonnera les méthodes de lutte - piégeage, destruction de nids et protection des ruchers - afin d'accompagner la filière apicole et tous les acteurs dont le revenu dépend, à un titre ou un autre, des services écosystémiques rendus par les pollinisateurs.
M. Guillaume Chevrollier. - Cette proposition de loi touche un sujet important pour nos territoires ruraux et la biodiversité de façon générale. Comment ce nouveau texte s'articulera-t-il avec le plan national de lutte contre le frelon asiatique, récemment adopté par l'ensemble des organismes à vocation sanitaire ? Nous veillons à ne pas alourdir les strates administratives et à simplifier la vie de nos compatriotes pour plus d'efficacité. De nombreux acteurs sont déjà mobilisés sur le terrain sur le sujet. Je pense notamment au réseau Polleniz. Quel impact le texte pourrait-il avoir sur ces acteurs, qui ont fait la preuve de leur efficacité ?
Vous proposez que le préfet organise les destructions des nids déclarés. Que deviendront les professionnels qui interviennent aujourd'hui sur ce point ? Les filières organisées risquent-elles de se trouver déstructurées par l'organisation de marchés publics ?
Mme Nicole Bonnefoy. - Cette proposition de loi a le mérite d'aborder un sujet vieux d'une vingtaine d'années. Comme cela a été rappelé, j'avais déposé une proposition de loi en 2011 tendant à créer un fonds de prévention contre la prolifération du frelon asiatique.
Nous sommes nombreux à avoir interpellé le Gouvernement à ce sujet. En janvier dernier j'ai moi-même questionné le ministère de la transition écologique sur l'absence de stratégie nationale contre le frelon asiatique. Le Gouvernement s'est défaussé sur des études au long cours et sur les financements des collectivités territoriales. Ces dernières tentent de mettre en oeuvre des aides parfois substantielles pour venir en aide aux particuliers confrontés à cette nuisance. Dans mon département, la Charente, en lien avec le sénateur et président du conseil départemental de l'époque, Michel Boutant, nous avions lancé en 2012 un plan de lutte contre le frelon asiatique, qui avait donné des résultats. Toutefois, il faut une lutte égale partout sur le territoire national, pour une réelle efficacité.
Même si l'espèce a fait souche, la situation actuelle n'est pas acceptable. Il faut soutenir le volontarisme des collectivités territoriales et le mettre en cohérence avec une stratégie nationale. L'incurie de l'État a permis au frelon asiatique de se propager jusqu'au Portugal et en Allemagne. La politique de l'autruche doit enfin cesser. Saisissons l'opportunité de ce texte pour répondre à cet enjeu, organiser les bonnes volontés et apporter des solutions pratiques au problème, et ce pour les apiculteurs et les particuliers.
Notre groupe n'a pas déposé d'amendements conformément au gentlemen's agreement. Nous voterons la plupart des amendements du rapporteur, mais nous nous abstiendrons sur les amendements COM-5 et COM-6.
M. Ronan Dantec. - Cette proposition de loi soulève deux questions importantes. Tout d'abord, au vu de l'importance de la filière apicole en France, pourquoi ne pas nous mobiliser, au-delà du frelon asiatique, sur les autres causes de disparition des abeilles comme l'utilisation des néonicotinoïdes ?
Ensuite, le frelon asiatique prolifère depuis vingt ans. Ce n'est pas la première fois que l'État met ainsi un temps considérable à réagir. Ainsi, alors que la plante envahissante qu'est la jussie commençait à poser d'importants problèmes pour la gestion des espaces humides, elle était encore en vente dans les jardineries.
Une véritable stratégie est-elle déployée contre les espèces invasives, qui sont l'une des cinq causes de disparition de la biodiversité ? Pourquoi l'État met-il ainsi des années à réagir ?
Au-delà de ce texte qui va dans le bon sens, nous devons interpeller l'État sur la lenteur de ses réactions face aux espèces invasives, d'autant que ces dernières proliféreront à la faveur du réchauffement climatique dans les trente à quarante prochaines années. Nous devrons alors faire le tri entre certaines espèces aux impacts négatifs forts et d'autres qui seraient liées à l'adaptation des écosystèmes. Il y a une réflexion à approfondir sur ce point. Quoi qu'il en soit, l'incurie de l'État face au frelon asiatique doit être dénoncée.
La lutte contre cette espèce ne peut être la responsabilité des collectivités territoriales, le frelon asiatique ne connaissant pas les frontières départementales ou nationales. Une coordination européenne pourrait d'ailleurs être bienvenue à ce sujet. Cette proposition de loi constitue donc une première étape.
Une fois que l'espèce est installée et que nous luttons contre sa prolifération, nous devons faire attention aux conséquences potentielles de cette lutte sur d'autres espèces d'abeilles sauvages ou d'hyménoptères. L'amendement du rapporteur qui soulève ce point est bienvenu.
Mme Marie-Claude Varaillas. - Les enjeux liés à la prolifération du frelon asiatique sont bien mis en exergue dans ce texte, que nous approuvons et que je regrette de ne pas avoir cosigné : enjeu sanitaire, enjeu environnemental et agricole et enjeu économique. La perte de chiffre d'affaires pour la filière apicole est estimée à 12 millions d'euros par an, ce qui n'est pas négligeable.
Ce frelon est présent en France, en Espagne, au Portugal et en Belgique. Chaque nid produit mille nouvelles fondatrices ! C'est une véritable invasion.
Nos abeilles n'ont aucun système de défense. A contrario, celles d'Asie ont compris que le frelon asiatique ne résistait pas à des températures de 45 degrés alors qu'elles-mêmes pouvaient survivre par 50 degrés. Elles font donc cercle autour de lui, battent des ailes jusqu'à augmenter la température et le tuer par hyperthermie. Nos abeilles apprendront peut-être à faire de même.
Le texte prévoit l'accompagnement financier des collectivités territoriales par l'État ainsi que l'indemnisation des dommages causés aux apiculteurs, mais il reste un peu flou sur les modalités de mise en oeuvre de ces principes. Pourrez-vous nous éclairer à ce sujet ?
Mme Kristina Pluchet. - Nous avons essayé d'élaborer le texte le plus efficace et le plus abouti possible pour lutter contre le frelon asiatique, en prenant en compte des données scientifiques, mais aussi les initiatives des acteurs de terrain qui ont instauré parfois des piégeages efficaces.
Le frelon asiatique concerne par ailleurs toute une chaîne, outre la filière apicole : les productions maraîchères, l'arboriculture, et plus largement toute l'entomofaune. Une colonie de frelons consomme environ 11 kilos d'insectes, ce qui affecte la pollinisation. Cela fait en outre moins d'insectes pour les oiseaux.
Ce texte est abouti et bienvenu. Nous appelons à voter en sa faveur.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Nous nous sommes appuyés sur le plan national de lutte contre le frelon asiatique pour le décliner au niveau départemental. Certaines collectivités territoriales financent parfois le piégeage, mais de façon dispersée. Nous proposons de rationaliser ces initiatives, par l'intermédiaire d'un fonds dédié.
Le texte ne changera rien pour les sociétés privées qui se chargent de détruire les nids de frelons. Les collectivités territoriales appellent indistinctement les sapeurs-pompiers ou des entreprises privées pour intervenir sur le domaine public. Le fonds que nous proposons devra inclure tous les participants à la lutte contre le frelon.
Nous avons travaillé cette proposition de loi avec les apiculteurs et les associations de défense des abeilles, qui y sont très favorables. Ce texte est transpartisan. Nous constatons que l'État aurait dû anticiper davantage ce problème. Nous avons expliqué au Gouvernement que d'autres frelons, comme le frelon oriental, risquaient d'arriver, par exemple dans le sud de la France. Nous espérons que l'État anticipera davantage leur arrivée.
Concernant le périmètre de cette proposition de loi, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que le périmètre de recevabilité des amendements inclue des dispositions relatives aux objectifs, aux modalités et à l'organisation nationale et territoriale de la lutte contre le frelon asiatique à pattes jaunes ; à la surveillance, la déclaration et la destruction des nids de frelons ; au régime d'indemnisation des apiculteurs dont les ruchers ont subi des pertes imputables au frelon asiatique à pattes jaunes et aux aides à l'acquisition de techniques de prévention et de lutte contre cette espèce exotique envahissante.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - L'amendement COM-1 vise à préciser, pour lever toute ambiguïté, que l'espèce ciblée par le plan de lutte prévu par la proposition de loi est le frelon asiatique à pattes jaunes, vespa velutina nigrithorax.
L'amendement COM-1 est adopté.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - L'amendement COM-2 tend à préciser le contenu et la portée du plan national de lutte contre le frelon asiatique, pour axer la recherche sur la connaissance du frelon asiatique et sur des systèmes de piégeage plus sélectifs, pour accentuer l'information du public et soutenir l'acquisition de moyens de lutte au niveau du rucher.
L'amendement COM-7 vise les dégâts directs et indirects causés par le frelon asiatique pour opérer le classement des départements. Il est satisfait par la rédaction que je propose, car l'amendement COM-2 englobe les dommages aux ruchers et aux pollinisateurs sauvages. À ce propos, je voudrais saluer la qualité des échanges que nous avons eus avec notre collègue Kristina Pluchet. Je partage notamment sa mise en garde sur le fait qu'il ne faut pas réduire la lutte contre le frelon à son volet apicole, mais intégrer également son impact sur l'entomofaune. Je demande donc le retrait de l'amendement COM-7 pour maintenir la cohérence du dispositif proposé. Je demande également le retrait de l'amendement COM-8 rectifié.
Mme Kristina Pluchet. - Il faut citer l'ensemble des dégâts causés par le frelon asiatique. C'est toute une chaîne qui est concernée, associant notamment les productions maraîchère et arboricole. La mention « dégâts directs et indirects » me semble plus précise à cet égard. Si les abeilles disparaissent, un tiers du contenu de nos assiettes risque de disparaître avec elles.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Il est déjà difficile de déterminer les dégâts « indirects » causés par le frelon, la causalité sera malaisée à établir. La disposition proposée me semble donc peu applicable. Par ailleurs, l'amendement COM-2 insiste sur le rôle des départements dans la lutte contre le frelon asiatique et sa rédaction souligne l'impact de ce dernier sur l'ensemble de la biodiversité et non sur les seules abeilles. Nous pourrons retravailler ensemble sur ce point.
Mme Kristina Pluchet. - On a trop souvent tendance à considérer que ce problème ne touche que la filière apicole. En fait, c'est toute une chaîne qui est affectée.
M. Jean-François Longeot, président. - Vous pourrez redéposer votre amendement en séance publique après l'avoir retravaillé.
L'amendement COM-7 est retiré. L'amendement COM-2 est adopté.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - L'amendement COM-3 a pour objet de préciser les modalités de concertation et d'élaboration du plan national de lutte contre le frelon asiatique.
L'amendement COM-3 est adopté.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - L'amendement COM-4 précise les modalités d'élaboration du plan départemental et son articulation avec le plan national de lutte contre le frelon asiatique.
L'amendement COM-4 est adopté.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - L'amendement COM-5 tend à remplacer l'obligation générale faite au préfet de procéder à la destruction des nids de frelons asiatiques qui lui sont signalés par un régime lui laissant une marge d'appréciation, en tenant compte du danger qu'il comporte pour la santé publique et du cycle de vie du frelon.
M. Ronan Dantec. - Cet amendement donne le sentiment que l'État pourra toujours trouver une raison de ne pas agir. Pourriez-vous nous éclairer à ce sujet ?
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Il est ici question d'une période déterminée. Après le mois d'octobre, il n'y a plus de frelons dans les nids, il est donc inutile de les détruire, d'autant plus que cette espèce ne recolonise pas les anciens nids. Il faut agir surtout au printemps.
L'amendement COM-5 est adopté.
M. Jean-François Longeot, président. - Qu'en est-il de l'amendement COM-8 rectifié ?
Mme Kristina Pluchet. - Mettre du piégeage sélectif n'importe où, n'importe comment, est inutile. Il faut positionner ces outils au bon endroit et au bon moment, pour gagner en efficacité. L'idée de cet amendement est d'insérer le mot « techniques » à l'alinéa 5 de l'article unique pour piéger le mieux possible le frelon asiatique.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - L'amendement COM-2 répond à cette préoccupation, d'où ma demande de retrait. Toutefois, nous pourrons envisager une évolution rédactionnelle d'ici la séance publique.
L'amendement COM-8 rectifié est retiré.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - L'amendement COM-6 vise à préciser le régime d'indemnisation des apiculteurs en raison des préjudices causés au rucher par la prédation du frelon asiatique. Seraient éligibles les chefs d'exploitation apicole, dont une part significative de l'activité repose sur la vente des produits de la ruche et l'exploitation des ruchers.
L'amendement COM-6 est adopté.
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Les sorts de la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :
Article unique |
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Auteur |
N° |
Objet de l'amendement |
Sort de l'amendement |
M. ROUX, rapporteur |
1 |
rédactionnel précisant l'espèce ciblée |
Adopté |
M. ROUX, rapporteur |
2 |
précision du contenu et de la portée du plan national de lutte contre le frelon asiatique |
Adopté |
Mme PLUCHET |
7 |
précision de la notion de dégâts à retenir pour opérer le classement des départements |
Retiré |
Mme PLUCHET |
8 rect. |
précision selon laquelle le plan national contribue à l'évaluation et à la diffusion d'outils de lutte efficaces contre la prédation du frelon |
Retiré |
M. ROUX, rapporteur |
3 |
précision des modalités de concertation et d'élaboration du plan national de lutte contre le frelon asiatique |
Adopté |
M. ROUX, rapporteur |
4 |
précision des modalités d'élaboration du plan départemental et son articulation avec le plan national |
Adopté |
M. ROUX, rapporteur |
5 |
possibilité pour le préfet d'apprécier les mesures à prendre en cas de signalement d'un nid de frelons asiatiques |
Adopté |
M. ROUX, rapporteur |
6 |
précision du régime d'indemnisation des chefs d'exploitation apicole en cas de préjudice économique imputable au frelon asiatique |
Adopté |