II. EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 13 mars 2024, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission examine le rapport de Mme Pascale Gruny, rapporteur sur la proposition de loi (n° 307, 2023-2024) visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles.

M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, l'ordre du jour appelle à présent l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non-salariés des professions agricoles. Ce texte sera examiné en séance mardi 19 mars 2024.

Mme Pascale Gruny, rapporteur. - J'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui les dispositions de la proposition de loi que nous avons déposée avec notre collègue et président Philippe Mouiller, inscrite à l'ordre du jour des travaux du Sénat dans le cadre de l'espace réservé du groupe Les Républicains, et visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles.

Je tiens tout d'abord à vous rappeler, aussi simplement que possible, les paramètres régissant le fonctionnement du régime de retraite de base des non-salariés agricoles, c'est-à-dire non seulement des chefs d'exploitation et d'entreprise agricole, mais aussi de leurs conjoints collaborateurs et aides familiaux.

Ces assurés bénéficient à la fois d'une pension de retraite forfaitaire, dont le montant est identique pour une carrière de même durée, quel que soit le montant des cotisations acquittées, et d'une pension de retraite proportionnelle. Contrairement à la pension servie par les régimes alignés, qui fonctionnent par annuités, c'est-à-dire par l'application au revenu annuel moyen des 25 meilleures années d'un taux variant en fonction de la durée d'assurance, la pension proportionnelle est calculée dans le cadre d'un système par points, en multipliant le nombre de points acquis au cours de l'ensemble de la carrière par la valeur de service du point.

La pension de base ainsi calculée peut être portée à 876 euros lorsque l'assuré bénéficie du taux plein. Au surplus, les assurés cotisent à un régime de retraite complémentaire, lequel garantit aux seuls chefs d'exploitation justifiant du taux plein et d'au moins 17,5 années accomplies dans le régime en cette qualité un niveau minimal de pension pouvant aller jusqu'à 85 % du Smic, lorsque l'exploitant a accompli une carrière complète en cette qualité.

Le régime des non-salariés agricoles partage néanmoins des caractéristiques essentielles avec les régimes alignés. Ils reposent tous, en effet, sur un âge légal de départ à la retraite, fixé à 64 ans à compter de la génération de 1968, sur une durée d'assurance requise pour l'obtention du taux plein fixée à 43 annuités à compter de la génération 1965, sur le plafonnement du montant de la pension à 50 % du plafond de la sécurité sociale, soit 1 932 euros par mois, ou encore sur l'indexation des pensions sur l'inflation.

En tout état de cause, les pensions agricoles demeurent les plus faibles de celles qui sont servies par un régime de base. D'après la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), à la fin de l'année 2021, les retraités de droit direct affiliés à titre principal à ce régime percevaient une pension mensuelle moyenne de 840 euros, contre 1 530 euros pour l'ensemble des retraités de droit direct. Toutefois, ce constat masque de grandes disparités, notamment entre les polypensionnés, qui représentent près de 90 % des assurés du régime et qui percevaient, en moyenne, à la fin de l'année 2023, une pension globale, tous régimes confondus, de 1 453 euros par mois, tandis que celle des monopensionnés s'élevait à seulement 1 033 euros par mois.

Néanmoins, le régime présente des avantages par rapport aux régimes alignés, notamment du fait de son barème d'attribution de points de retraite proportionnelle, qui n'est pas purement proportionnel aux revenus, mais qui assure une véritable redistribution en faveur des assurés à bas revenus, pour lesquels le taux de remplacement est supérieur aux 50 % des régimes alignés.

Il n'est toutefois pas légitime que les affiliés de ces régimes bénéficient d'une pension calculée sur les seules 25 meilleures années, tandis que celle des non-salariés agricoles repose sur l'ensemble de leur carrière, d'autant que les revenus agricoles sont non seulement souvent modestes, mais aussi de plus en plus volatils, du fait des aléas climatiques.

C'est la raison pour laquelle des travaux de préfiguration d'une réforme du régime ont été conduits en 2012, dans le sillage de la réforme des retraites de 2010, par Yann-Gaël Amghar, alors membre de l'inspection générale des affaires sociales (Igas), devenu, depuis, conseiller social du Premier ministre. Il a logiquement été démontré, dans ce cadre, que la transition vers un régime par annuités favoriserait les assurés aux revenus situés en haut de l'échelle et désavantagerait ceux dont les revenus sont les plus faibles. Cependant, M. Amghar a identifié un scénario ne faisant pas de perdants, qui consiste à calculer la pension de base des non-salariés agricoles sur la base des 25 meilleures années, en conservant un régime par points.

Concrètement, il s'agirait d'attribuer aux assurés, pour chaque année de leur carrière, le nombre annuel moyen de points acquis au cours de leurs 25 années d'assurance les plus avantageuses. Une telle réforme aurait représenté un coût de l'ordre de 470 millions d'euros au terme d'une trentaine d'années de mise en oeuvre, pour un gain mensuel moyen de près de 50 euros.

Aucune suite n'ayant été donnée à cette étude et la situation de la paysannerie française empirant, la question a été réinscrite à l'agenda politique par notre collègue député Julien Dive, auteur d'une proposition de loi adoptée à l'unanimité en février 2023. Celle-ci a fixé un objectif de calcul des pensions de retraite agricoles sur la base des 25 meilleures années à compter du 1er janvier 2026 et confié la définition des modalités de mise en oeuvre de cette réforme au pouvoir réglementaire.

Rapporteur de ce texte, je vous avais invité à l'adopter, étant parvenue à la conclusion, au terme de mes auditions, qu'une solution ne faisant pas de perdants existait et devait être envisagée par le Gouvernement. J'avais toutefois émis de sérieuses réserves quant à la délégation, à mes yeux excessive, d'une telle compétence au pouvoir réglementaire, sans droit de regard du Parlement. Il était néanmoins nécessaire d'adopter ce texte conforme à la version issue des travaux de l'Assemblée nationale, afin de permettre que les travaux préalables à la mise en oeuvre de la réforme soient amorcés au plus vite.

Malheureusement, et comme je le craignais, le rapport de préfiguration de cette dernière, dont la remise au Parlement était prévue par la loi dans un délai de trois mois et qui ne nous a finalement été communiqué qu'un an plus tard et après avoir été consulté par la presse, indique que le Gouvernement n'entend pas retenir le scénario pour lequel le législateur avait marqué sa préférence.

Éludant, pour ainsi dire, ce scénario, en se bornant à constater qu'il ne peut pas faire de perdants, le rapport se focalise sur trois autres pistes de réforme et en recommande tout particulièrement une, sur laquelle travaillerait actuellement le Gouvernement. Il s'agirait, en pratique, de liquider la partie de la carrière antérieure à 2016 sur la base des modalités de calcul actuelles, c'est-à-dire d'un régime par points, dans la mesure où la Mutualité sociale agricole (MSA) ne conserve pas l'historique des revenus au-delà des huit dernières années, puis la partie postérieure à 2015 dans le cadre d'un système par annuités. Ne serait retenu, pour le calcul de la deuxième fraction de la pension, qu'un nombre de meilleures années inférieur à 25, pour éviter une longue montée en charge. Ce nombre de meilleures années serait ainsi calculé au prorata de la durée de la partie de la carrière postérieure à 2016 par rapport à la durée totale de la carrière.

Pour ma part, je ne puis me résoudre à approuver cette proposition, qui me paraît contraire aux deux exigences posées par le législateur l'an dernier : une mise en oeuvre de la réforme dès 2026 et l'absence de perdants.

En effet, compte tenu de leur complexité, la MSA estime ne pas être en mesure d'intégrer ces paramètres à son système d'information dans les délais prévus par la loi. L'annonce, par le Premier ministre, du report de l'examen des modalités de la réforme au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 réduit d'autant le délai accordé à la MSA dans cette perspective. Au reste, d'après le rapport remis au Parlement, ce scénario ferait, en 2040, 30 % de perdants pour seulement 20 % de gagnants, tandis que la pension de 50 % des assurés resterait inchangée par rapport au mode de calcul actuel. Au surplus, les pertes seraient principalement concentrées sur les assurés à bas revenus et à carrière courte, dans la mesure où ils ne bénéficient pas du taux plein et ne sont donc pas éligibles aux minima de pension, qui permettraient de couvrir les pertes liées à l'abandon du barème garantissant un taux de remplacement supérieur aux 50 % des régimes par annuités.

C'est la raison pour laquelle j'ai cosigné, avec plusieurs de nos collègues, la proposition de loi du président Mouiller que nous examinons aujourd'hui.

Son article 1er abroge les dispositions de la loi Dive, qui confient au Gouvernement le soin de définir les paramètres de la réforme, pour que nous puissions les inscrire nous-mêmes directement dans la loi. Il s'agirait de calculer les pensions liquidées à compter du 1er janvier 2026 sur la base des 25 meilleures années. En d'autres termes, serait attribué aux assurés, pour chaque année de leur carrière, un nombre de points correspondant au nombre annuel moyen de points acquis pendant leurs 25 meilleures années. Comme aujourd'hui, le nombre total de points serait multiplié par la valeur de service du point pour déterminer le montant de la pension. Par ailleurs, le texte prévoit la fusion de la pension de retraite forfaitaire et de la pension de retraite proportionnelle, à des fins de simplification.

Compte tenu des multiples réformes intervenues depuis 2012, à commencer par la création et les multiples revalorisations des minima de pension agricole prévues notamment par les lois Chassaigne, le coût de cette réforme serait sensiblement inférieur aux 472 millions d'euros projetés par M. Amghar : il devrait atteindre, d'après la MSA, un maximum compris entre 285 et 322 millions d'euros en 2046.

Ces paramètres, vous l'aurez compris, ne peuvent pas faire de perdants. Ils peuvent tout au plus faire des « non-gagnants », de l'aveu même du Gouvernement. Associés à la réforme de l'assiette sociale des travailleurs indépendants, que nous avons votée dans le PLFSS pour 2024 et qui permettra, à compter de 2027, d'augmenter les droits à pension des non-salariés agricoles à niveau global de prélèvements sociaux constant, ils constitueront une réponse rapide, concrète et efficace aux difficultés exprimées par nos agriculteurs. Dès lors, ils s'inscrivent pleinement dans la perspective que vous avez tracée vous-mêmes l'an dernier, en adoptant la loi Dive.

C'est la raison pour laquelle je vous propose naturellement d'adopter cette proposition de loi. Je vous inviterai toutefois à en supprimer les dispositions portant fusion de la retraite forfaitaire et de la retraite proportionnelle, dans la mesure où la MSA n'est pas à même d'évaluer avec précision les effets de cette unification et souhaite que le moins de paramètres possibles évoluent, afin de pouvoir garantir l'application de la réforme dès 2026.

Pour terminer, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère que celui-ci inclut des dispositions relatives au mode de calcul des pensions de retraite de base des chefs d'exploitation ou d'entreprise agricole et de leurs conjoints collaborateurs et aides familiaux ; au mode de calcul des cotisations d'assurance vieillesse de ces travailleurs non salariés des professions agricoles ; et aux modalités d'attribution et de calcul des minima de pension du régime de retraite de base des travailleurs non-salariés des professions agricoles et de l'allocation de solidarité aux personnes âgées.

En revanche, j'estime que ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé, des amendements relatifs aux paramètres applicables aux régimes de retraite autres que le régime de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles ; à la couverture des risques maladie, maternité, invalidité, décès, famille, accidents du travail et maladies professionnelles ; aux caractéristiques des différents statuts professionnels agricoles ; aux relations commerciales entre producteurs et distributeurs de denrées agricoles et à la rémunération des agriculteurs ; aux conditions de travail dans le secteur agricole ; à la fiscalité agricole et aux règles successorales ; au soutien à l'investissement dans le capital agricole ; à la protection des activités agricoles contre les risques naturels et les aléas climatiques ; et à la promotion de modes de production respectueux de l'environnement et de la santé humaine.

Il en est ainsi décidé.

M. Philippe Mouiller, président, auteur de la proposition de loi. - Je veux m'exprimer en tant qu'auteur de la proposition de loi. Mme le rapporteur avait déjà beaucoup travaillé sur le sujet l'an dernier, notamment lorsque nous avons examiné la loi Dive. Nous connaissions donc les différents scenarii envisageables, et cela nous a permis de réagir rapidement.

Ce texte a pour principal objet de mettre la pression sur le Gouvernement pour qu'il respecte l'engagement qu'il a pris il y a un an et qu'il a réitéré auprès du monde agricole voilà quelques semaines, alors même que tout est fait pour que cette réforme soit enterrée, ce à quoi contribue la complexité soulevée par le rapport remis au Parlement. Pour discuter en ce moment de cette question avec Matignon, je sais que c'est cette complexité qui explique le choix du statu quo. La réflexion sera peut-être menée dans le cadre de l'examen du prochain PLFSS.

Notre démarche a surtout pour vocation de réaffirmer l'option qui a été choisie par le Sénat au regard des travaux menés par Pascale Gruny et d'inscrire dans le dur la réforme attendue sur le principe, votée à l'unanimité par l'ensemble des parlementaires, consistant à retenir les 25 meilleures années de points.

Il s'agit d'une proposition d'appel. Elle pourra être appliquée par la MSA dès 2026. Elle n'est peut-être pas entièrement satisfaisante sur le fond, mais elle a le mérite, premièrement, de conforter la position du Sénat présentée et votée à l'unanimité il y a un an ; deuxièmement, d'aider le Gouvernement à respecter son engagement dans les délais impartis ; troisièmement, de réaffirmer le soutien du Sénat au monde agricole.

M. Xavier Iacovelli. - Merci, madame la rapporteure, pour la qualité de votre rapport, même si je n'y souscris pas complètement. Je partage, en revanche - cela fait l'unanimité notamment depuis l'examen de la proposition de loi de notre collègue député Julien Dive -, la nécessité de trouver une solution de calcul des pensions sur les 25 meilleures années. Nous sommes d'accord sur ce point.

J'entends qu'il s'agit d'une proposition de loi d'appel, afin de mettre la pression. Je peux en comprendre l'utilité politique après la crise agricole qui vient d'éclater, mais nous devons aussi dire la vérité.

Nous aurions aimé avoir connaissance du rapport de l'Igas qui a été remis à la commission à la fin du mois de janvier dernier. J'ai dû solliciter le Gouvernement pour le recevoir.

La mission de l'Igas estime que le mode de calcul retenu par la proposition de loi est inopérant. Telle que celle-ci est présentée, elle ne fait pas de perdants. Cependant, si elle n'est pas applicable, il n'y aura pas de gagnants !

Par ailleurs, la mission a creusé trois hypothèses retenues avec la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) et la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA). Ces deux structures ont, en effet, testé plusieurs hypothèses pour dégager des projections statistiques jusqu'en 2100, ce qui les a conduites à converger vers l'une d'entre elles.

À la suite de ces analyses, la mission a classé les scenarii par ordre de priorité. Elle a classé le scénario n° 3, dit « type 4C », en proposition n° 1. De fait, il apparaît comme le plus pertinent, car, bien que faisant des gagnants et des perdants, le nombre de perdants est plus limité et les pertes qu'il occasionne pour les assurés concernés sont plus faibles que dans les autres scenarii.

En outre, à court et long termes, il provoque une augmentation de la pension moyenne. De plus, ce scénario est celui qui permet d'appliquer le plus rapidement la logique de sélection des meilleures années.

Nous sommes donc globalement assez favorables au principe retenu dans la proposition de loi, mais nous débattrons en séance de ses aspects techniques.

Mme Monique Lubin. - De même que nous avions bien évidemment voté la proposition de loi qui a été adoptée à l'unanimité l'an dernier, nous voterons également celle-là.

Madame la rapporteure, je regrette que vous ayez été obligée de surseoir à la fusion des deux composantes des pensions de retraite de base des non-salariés agricoles, qui constituait tout de même un bon début pour simplifier le régime, auquel personne ne comprend plus rien.

Je veux répéter ce que j'ai déjà dit et j'insisterai là-dessus en séance : la proposition de loi que nous avons votée, le rapport qui a été rendu un an plus tard, mais qui risque de rester lettre morte parce qu'aucune solution ne se dégage, la présente proposition de loi d'appel, tout démontre qu'il faut s'attaquer au régime de retraite des non-salariés agricoles pour en changer complètement l'architecture, voire la philosophie. Cela ne peut plus durer. Nous en venons à mettre des cataplasmes sur des jambes de bois. Nous en venons à voter des dispositions qui ne sont jamais complètement satisfaisantes. On le voit bien, si cette proposition de loi ne fait pas de perdants, elle n'est pas non plus empreinte d'une justice parfaite !

J'espère vraiment que c'est la dernière fois que nous sommes obligés de voter une proposition de loi telle que celle-ci et que nous serons tous d'accord pour demander au Gouvernement la mise en place d'une mission, qui devra aboutir dans un délai acceptable - nous le fixerons -, sur la refonte totale de ce régime.

Je sais bien que cela se fera dans la douleur avec les organisations syndicales agricoles, compte tenu des divergences de vues et d'intérêts. N'oublions pas que, si le régime de retraite agricole en est là aujourd'hui, c'est parce qu'il souffre d'un péché originel, que les agriculteurs ont commis ! Il faudra donc retravailler avec eux, ne pas avoir peur de dire clairement les choses, ni redouter les conséquences qui en découleront et ne satisferont pas tout le monde.

Mme Anne Souyris. - Merci, monsieur le président, d'avoir présenté une telle proposition de loi. Il est très important que les agriculteurs soient écoutés, qu'une égalité de traitement soit assurée et qu'un regard très spécifique soit porté sur leur retraite.

Quels sont les profils des 1 % à 6 % de perdants du texte proposé ? À quelle hauteur perdraient-ils ?

Quid des effets de ce texte sur les non-salariés aux plus petits revenus ?

Dans quelle mesure les données du rapport Amghar, sur lequel s'appuie ce texte, sont-elles à ce jour et permettent-elles d'estimer les effets de son application ?

Enfin, qu'en est-il des conjoints des agriculteurs - généralement, des femmes -, qui, je le crains, sont encore bien loin de l'égalité de traitement ?

M. Daniel Chasseing- Je vous félicite, monsieur le président, madame la rapporteure, pour cette proposition de loi.

La pension des agriculteurs est en moyenne de 840 euros. Il sera difficile pour la MSA d'intégrer rapidement de nouveaux paramètres pour le calcul de la retraite. Nous savons que 50 % des agriculteurs partiront à la retraite dans les dix années à venir. Or nous sommes tous d'accord sur l'objectif de parvenir à la souveraineté agricole. Pour cela, il faut améliorer les revenus des agriculteurs, par l'application de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Égalim), et prévoir une pension décente pour ceux qui vont partir à la retraite, ce qui sera le cas avec la prise en compte des 25 meilleures années.

Mme Frédérique Puissat. - Je remercie notre rapporteure et le président pour cette proposition de loi. La prise de parole de M. Iacovelli me pousse à intervenir : je suis surprise par ses propos, par lesquels il a en quelque sorte reproché à la commission de ne pas avoir transmis des documents. Mais pourquoi en est-on arrivé là ? C'est parce que nous attendons des projets de loi, et pas que sur les retraites agricoles ! Je rappelle que la réforme des retraites s'est faite via un projet de loi de financement de la sécurité sociale, ce qui a limité notre droit d'amendement, et que le texte portant diverses mesures relatives au grand âge et à l'autonomie était une proposition de loi.

M. Xavier Iacovelli. - Quel est le rapport ?

Mme Frédérique Puissat- Aujourd'hui, c'est encore une proposition de loi que nous examinons. À chaque fois, il faut attendre que les crises se manifestent dans la rue : les « gilets jaunes », les agriculteurs... Notre commission a le sentiment de n'apporter que des bouts de solution aux sujets de fond sur lesquels nous travaillons. Les propositions de loi ne sont pas la solution à tous les enjeux ! Sur le sujet qui nous intéresse, nous voulons un projet de loi, avec une étude d'impact et un engagement financier du Gouvernement.

Monsieur Iacovelli, vous faites partie de la majorité gouvernementale, et votre intervention n'était pas appropriée.

M. Xavier Iacovelli. - Le rapport vient de l'Igas !

Mme Frédérique Puissat. - Je remercie la rapporteure et le président de s'être substitués au Gouvernement avec le faible outil dont nous, parlementaires, disposons. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Cathy Apourceau-Poly. - J'entends parler du sujet qui nous occupe depuis que je suis arrivée au Sénat en 2018 ! Gouvernement après gouvernement, nous avons attendu des projets de loi agricoles, notamment sur les retraites... en vain ! Nous n'avons eu qu'une multitude de propositions de loi, qui, cumulées, ne font pas une grande loi. Dans le département dont je suis l'élue, on dit qu'un pauvre plus un pauvre, cela ne fait pas un riche. Les propositions de loi s'additionnent, et nous en en perdons notre latin.

Nous examinons aujourd'hui une proposition de loi d'appel : comme l'a dit le président, nous voulons forcer le Gouvernement à travailler à une loi globale, car les retraites des agriculteurs sont trop basses. La majorité sénatoriale avait refusé le texte que nous avions proposé sur l'individualisation du calcul de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) au prétexte que la réforme aurait entraîné des perdants... Un dispositif avait été prévu à l'époque pour permettre, en quelque sorte, un droit d'option. Pourquoi ne pas proposer une mesure similaire dans la proposition de loi puisqu'il est indiqué dans l'exposé des motifs qu'il y aurait 6 % de perdants ? Il faut trouver une solution pour toutes et tous.

Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Monsieur Iacovelli, je vous indique que, lors de mes multiples réunions avec des membres des cabinets ministériels, ma proposition de loi n'a jamais été évoquée : seuls sont abordés les autres scénarii.

En ce qui concerne le rapport, il a fallu littéralement aller le chercher en recourant aux prérogatives accordées par la loi organique aux rapporteurs de la commission ! Il est maintenant à la disposition de chacun d'entre vous. Le scénario qui y est le plus étudié n'est pas applicable avant au moins 2028 ; il nécessite de lourds investissements, notamment en ce qui concerne le système d'information de la MSA, et donc des moyens supplémentaires.

Plutôt que de parler d'une proposition de loi « d'appel », je dirai qu'il s'agit d'une première marche, dont la MSA a besoin. Par ailleurs, notre texte porte le seul scénario pouvant être mis en oeuvre dès 2026.

Madame Lubin, vous avez regretté que je vous propose de supprimer les dispositions prévoyant la fusion de la retraite forfaitaire et de la retraite proportionnelle - j'insiste, pour le moment, la MSA n'est pas capable d'en évacuer les effets. Il est envisageable d'y procéder dans un second temps.

Sur la remise à plat de ce régime de retraite, je suis d'accord avec vous. Jusqu'à présent, je suivais le dossier de loin ; je constate maintenant que les paramètres sont vraiment extrêmement compliqués. Nous n'avons fait qu'ajouter des rustines pour parvenir à des minima de pension corrects pour les agriculteurs. J'espère tout comme vous que c'est la dernière fois que nous serons obligés de voter une telle proposition de loi.

La proposition de loi est soutenue par la MSA et la profession agricole. Nous l'avons déposée en réponse à la crise agricole.

Madame Apourceau-Poly, les 6 % de perdants sont ceux qui perdraient au scénario envisagé dans le rapport Amghar de 2012, du fait du plafonnement de la durée de cotisation prise en compte à la durée requise pour le taux plein. Les assurés travaillant au-delà de cette dernière ne bénéficieraient plus que d'une surcote et non plus d'un supplément de points. Notre proposition ne fait pas de perdants.

Madame Souyris, les perdants du scénario 4C seraient majoritairement les assurés ayant de bas revenus et des carrières courtes, ainsi que ceux qui ne bénéficient pas des minima de pension car leurs pensions tous régimes dépassent les seuils d'écrêtement et ceux qui travaillent au-delà de la durée requise pour le taux plein.

Dans ce scénario, le taux de perdants serait de 30 % à l'horizon 2040 sur le champ des pensions agricoles. Le rapport ne documente pas avec précision les montants de pertes enregistrés par ces assurés.

Quant aux conjoints, ils touchent souvent des revenus très bas et ne justifient que de carrières courtes. Ils perdraient donc à la réforme du Gouvernement. Ce sont souvent des femmes, qui ont parfois pu travailler sans être déclarées. Leurs pensions sont donc très faibles, de leur fait ou de celui du chef d'exploitation dans certains cas. Un certain nombre de parlementaires ont encore reçu des demandes en ce sens lors de l'examen du dernier PLFSS.

Le droit d'option, évoqué par Cathy Apourceau-Poly, est une possibilité envisageable, mais cela revient à entériner le fait que les plus favorisés bénéficieront de la réforme, tandis que, pour les autres, ce sera le statu quo.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Je ne comprends pas bien l'argument. L'absence de gain supplémentaire pour certains avec votre proposition est aussi un statu quo.

Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Dans notre proposition, il n'y a pas de perdants : les 6 % que vous avez évoqués sont ceux du scénario proposé en 2012 par M. Amghar dans son rapport. La plupart des assurés y gagneraient, à l'exception de ceux qui bénéficient de minima de pension et dont la pension après réforme resterait inférieure à ces minima ; ils continueront donc à en bénéficier.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Certes, mais pour certains, je le redis, il n'y aura pas de changement.

Examen des articles

Article 1er

Mme Pascale Gruny, rapporteur. - L'amendement COM-1 vise à supprimer les dispositions qui prévoient l'unification de la retraite forfaitaire et de la retraite proportionnelle des non-salariés agricoles.

Au cours de nos travaux, la MSA nous a informés que les contraintes engendrées par une telle unification ne lui permettaient pas de garantir l'entrée en vigueur de la réforme dès 2026, ce que nous souhaitons.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

L'article 2 est adopté sans modification.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

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