N° 398
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024
Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 mars 2024
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques,
Par Mme Catherine DI FOLCO,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Philippe Bonnecarrère, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, M. Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.
Voir les numéros :
Assemblée nationale (16ème législ.) : |
1494, 1903 et T.A. 209 |
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Sénat : |
183 et 399 (2023-2024) |
L'ESSENTIEL
Déposée le 4 juillet 2023 à l'Assemblée nationale par le député Marc Ferracci, la proposition de loi entend confier à un service placé sous l'autorité du Premier ministre, qui serait a priori la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH), la réalisation de tests de discrimination individuels et statistiques. Ledit service serait également compétent pour accompagner ou, le cas échéant, sanctionner les organismes dont les pratiques potentiellement discriminatoires auraient été révélées par un test statistique.
Si la commission des lois partage pleinement la volonté de lutter contre les discriminations de toute nature, elle a néanmoins estimé que le dispositif proposé n'était pas la voie la plus adéquate. Au-delà du caractère discutable de la nécessité d'une intervention du législateur, la commission a pris acte des réserves sinon de l'opposition à ce texte de la très grande majorité des personnes auditionnées.
S'agissant des tests individuels, la commission a estimé que la Défenseure des droits était la mieux placée pour s'acquitter de cette mission. Elle a ensuite relevé que les tests statistiques étaient des outils utiles pour objectiver des pratiques discriminatoires, sous réserve du respect d'importantes précautions méthodologiques. Si elle a admis la conduite d'opérations de testing à grande échelle par l'État, la commission a néanmoins estimé que l'approche méthodologique et corrective proposée, peu lisible et construite essentiellement autour d'une logique de sanction, avait de faibles chances de succès. En conséquence, la commission a limité la compétence de la DILCRAH à la production de tests statistiques ainsi qu'à la diffusion annuelle de résultats généraux sur l'état des discriminations en France obtenus par cet intermédiaire. Elle a également a supprimé les dispositions créant un comité des parties prenantes et définissant les procédures applicables à la suite d'un test statistique.
I. LES TESTS DE DISCRIMINATION : DES OUTILS UTILES POUR OBJECTIVER LES DISCRIMINATIONS
L'existence d'une situation de discrimination se définit traditionnellement par la conjonction de trois éléments : le traitement moins favorable d'une personne par l'utilisation d'un critère de distinction interdit par la loi et dans un domaine également prohibé par la loi1(*). Les faits de discrimination sont punis de trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende (article 225-1 du code pénal). En matière civile, c'est principalement la loi du 27 mai 2008 qui définit les deux catégories de discriminations - directes et indirectes - qui peuvent ouvrir droit à réparation.
L'ensemble des données et études disponibles convergent pour démontrer la persistance de discriminations en France, et ce dans tous les domaines. À titre d'exemple, la Défenseure des droits a indiqué avoir reçu 6 703 réclamations en matière de discrimination en 2023 contre 5 215 en 2021. Les trois principaux critères sont le handicap (21 %), l'origine (13 %) et l'état de santé (9 %). L'ampleur réelle du phénomène est probablement plus importante, compte tenu du fort taux de non-recours.
Les tests de discrimination sont des outils visant selon les cas à confirmer ou révéler l'existence d'une pratique discriminatoire. Selon les termes de la Défenseure des droits, il s'agit de soumettre un ou plusieurs profils similaires pour une même demande, à l'exception de la variable perçue comme discriminante, afin d'observer si celle-ci modifie le résultat obtenu. Deux catégories de tests de discrimination doivent être distinguées :
- le test individuel : il vise à confirmer ou infirmer une situation de discrimination dont s'estime victime une personne réelle. On y oppose donc la candidature de l'intéressé à une candidature fictive analogue. Ce test est principalement utilisé à des fins judiciaires. Les services de la Défenseure des droits y recourent régulièrement dans l'exercice de leurs missions ;
- le test statistique : il repose sur l'envoi d'un grand nombre de candidatures exclusivement fictives afin de révéler l'existence éventuelles de pratiques discriminatoires dans une entité déterminée. Compte tenu de l'importance des moyens matériels nécessaires, ces textes sont aujourd'hui essentiellement pratiqués par des chercheurs et, de manière sporadique, par l'État.
* 1 Défenseur des droits, Fiche pratique, « Le test de discrimination, une méthodologie à respecter ».