N° 398

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 mars 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques,

Par Mme Catherine DI FOLCO,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Philippe Bonnecarrère, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, M. Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) :

1494, 1903 et T.A. 209

Sénat :

183 et 399 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

Déposée le 4 juillet 2023 à l'Assemblée nationale par le député Marc Ferracci, la proposition de loi entend confier à un service placé sous l'autorité du Premier ministre, qui serait a priori la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH), la réalisation de tests de discrimination individuels et statistiques. Ledit service serait également compétent pour accompagner ou, le cas échéant, sanctionner les organismes dont les pratiques potentiellement discriminatoires auraient été révélées par un test statistique.

Si la commission des lois partage pleinement la volonté de lutter contre les discriminations de toute nature, elle a néanmoins estimé que le dispositif proposé n'était pas la voie la plus adéquate. Au-delà du caractère discutable de la nécessité d'une intervention du législateur, la commission a pris acte des réserves sinon de l'opposition à ce texte de la très grande majorité des personnes auditionnées.

S'agissant des tests individuels, la commission a estimé que la Défenseure des droits était la mieux placée pour s'acquitter de cette mission. Elle a ensuite relevé que les tests statistiques étaient des outils utiles pour objectiver des pratiques discriminatoires, sous réserve du respect d'importantes précautions méthodologiques. Si elle a admis la conduite d'opérations de testing à grande échelle par l'État, la commission a néanmoins estimé que l'approche méthodologique et corrective proposée, peu lisible et construite essentiellement autour d'une logique de sanction, avait de faibles chances de succès. En conséquence, la commission a limité la compétence de la DILCRAH à la production de tests statistiques ainsi qu'à la diffusion annuelle de résultats généraux sur l'état des discriminations en France obtenus par cet intermédiaire. Elle a également a supprimé les dispositions créant un comité des parties prenantes et définissant les procédures applicables à la suite d'un test statistique.

I. LES TESTS DE DISCRIMINATION : DES OUTILS UTILES POUR OBJECTIVER LES DISCRIMINATIONS

L'existence d'une situation de discrimination se définit traditionnellement par la conjonction de trois éléments : le traitement moins favorable d'une personne par l'utilisation d'un critère de distinction interdit par la loi et dans un domaine également prohibé par la loi1(*). Les faits de discrimination sont punis de trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende (article 225-1 du code pénal). En matière civile, c'est principalement la loi du 27 mai 2008 qui définit les deux catégories de discriminations - directes et indirectes - qui peuvent ouvrir droit à réparation.

L'ensemble des données et études disponibles convergent pour démontrer la persistance de discriminations en France, et ce dans tous les domaines. À titre d'exemple, la Défenseure des droits a indiqué avoir reçu 6 703 réclamations en matière de discrimination en 2023 contre 5 215 en 2021. Les trois principaux critères sont le handicap (21 %), l'origine (13 %) et l'état de santé (9 %). L'ampleur réelle du phénomène est probablement plus importante, compte tenu du fort taux de non-recours.

Les tests de discrimination sont des outils visant selon les cas à confirmer ou révéler l'existence d'une pratique discriminatoire. Selon les termes de la Défenseure des droits, il s'agit de soumettre un ou plusieurs profils similaires pour une même demande, à l'exception de la variable perçue comme discriminante, afin d'observer si celle-ci modifie le résultat obtenu. Deux catégories de tests de discrimination doivent être distinguées :

- le test individuel : il vise à confirmer ou infirmer une situation de discrimination dont s'estime victime une personne réelle. On y oppose donc la candidature de l'intéressé à une candidature fictive analogue. Ce test est principalement utilisé à des fins judiciaires. Les services de la Défenseure des droits y recourent régulièrement dans l'exercice de leurs missions ;

le test statistique : il repose sur l'envoi d'un grand nombre de candidatures exclusivement fictives afin de révéler l'existence éventuelles de pratiques discriminatoires dans une entité déterminée. Compte tenu de l'importance des moyens matériels nécessaires, ces textes sont aujourd'hui essentiellement pratiqués par des chercheurs et, de manière sporadique, par l'État.

II. UNE PROPOSITION DE LOI AUX OBJECTIFS LOUABLES MAIS AUX TROP NOMBREUSES IMPERFECTIONS

A. LA PROPOSITION DE LOI : MASSIFIER L'USAGE DES TESTS AFIN DE DÉTECTER, PRÉVENIR ET CORRIGER LES DISCRIMINATIONS

Dans ce contexte, la proposition de loi confie à un service placé sous l'autorité du premier ministre qui serait a priori la DILCRAH, une compétence élargie en matière de prévention et de correction des situations de discrimination, en priorité s'agissant de l'accès à l'emploi, au logement et aux biens et services publics ou privés (article 1er). La DILCRAH aurait notamment pour missions la réalisation et le financement de tests de discrimination individuels et statistiques. Elle serait également compétente pour accompagner les organismes visés par un test statistique afin de corriger leurs pratiques et, le cas échéant, pour les sanctionner.

L'article 2 prévoit quant à lui la mise en place d'un comité des parties prenantes au sein de la DILCRAH qui, d'une part, participerait à l'élaboration de la méthodologie des tests et, d'autre part, émettrait des avis et recommandations sur les suites à leur donner. Il serait composé notamment de parlementaires, d'experts, ainsi que de représentants des organismes susceptibles d'être testés, des employeurs, des salariés et des associations.

L'article 3 fixe quant à lui la procédure applicable lorsqu'un test statistique révèle de potentielles pratiques discriminatoires (voir schéma ci-après). Il soumet l'organisme concerné à une obligation de négociation en vue d'établir un accord portant sur des mesures correctives ou, à défaut, d'établir unilatéralement un plan d'action. En l'absence d'accord ou de plan d'action ou lorsque le contenu de celui-ci est insuffisant, le nom de la personne morale peut être publié ou celle-ci peut faire l'objet d'une amende administrative.

B. LE COMITÉ DES PARTIES PRENANTES : UN INSTRUMENT DE DIALOGUE RIGIDE ET INSATISFAISANT

Parce qu'il permet une participation des entreprises à l'élaboration des tests, le comité des parties prenantes est présenté comme le moyen de prévenir toutes critiques sur la robustesse de leur méthodologie, comme cela avait été le cas lors de la dernière grande opération de testing statistique conduite par l'État. La commission a néanmoins estimé que la création d'un comité ad hoc n'était pas la voie la plus appropriée pour aboutir à un consensus sur la méthodologie. De fait, la confiance se construit plutôt qu'elle ne se décrète et il serait illusoire d'espérer un ralliement des entreprises à la cause du testing statistique au seul motif que la loi le prescrit. Plus encore, les missions confiées au comité des parties prenantes vont bien au-delà de celles qui devraient revenir à un comité scientifique. Elles pourraient même le conduire à interférer avec un accord régulièrement conclu au sein de l'entreprise. En conséquence, la commission n'a pas retenu le dispositif.

C. LA NÉCESSITÉ DE PRÉSERVER LA COMPÉTENCE DE LA DÉFENSEURE DES DROITS EN MATIÈRE DE TESTS INDIVIDUELS

La commission a pris acte de l'opposition de la quasi-totalité des personnes auditionnées par le rapporteur, y compris au sein du milieu associatif, à la réalisation de tests individuels de discrimination par la DILCRAH. Sur ce point, il importe d'éviter toute concurrence potentiellement contre-productive entre les acteurs de la lutte contre les discriminations. Or, la Défenseure des droits dispose d'une expertise ancienne en ce domaine, est l'institution la mieux placée pour accompagner les victimes dans la suite de la procédure et sera, de par son indépendance, mieux à même de gérer les cas où l'administration serait responsable d'une discrimination. En conséquence, la commission a supprimé l'ensemble des références aux tests individuels.

D. UNE INSTITUTIONNALISATION DU RECOURS AUX TESTS STATISTIQUES BIENVENUE, MAIS UNE STRATÉGIE CORRECTIVE POTENTIELLEMENT CONTRE-PRODUCTIVE

1. Un instrument de la lutte contre les discriminations potentiellement pertinent

Si la nécessité d'une intervention du législateur pour confier la mise en oeuvre d'une politique de testings à grande échelle à la DILCRAH n'est pas établie, la commission des lois ne s'y est néanmoins pas opposée. Les tests statistiques représentent en effet un outil intéressant pour objectiver l'état des discriminations en France. La commission est de même favorable à la mise en place de campagnes annuelles de tests statistiques, qui relèvent d'une démarche vertueuse sous réserve du respect de certaines précautions.

Il est ainsi important de garder à l'esprit les limites des tests de discrimination. D'une part, ceux-ci ne sont qu'un outil parmi d'autres de la lutte contre les discriminations. Ils ne permettent de détecter que certains types de discriminations (à raison de l'origine notamment) et pour des situations déterminées (l'accès à un entretien d'embauche, par exemple). D'autre part, seul le suivi d'une méthodologie rigoureuse et exigeante est à même de garantir la fiabilité de leurs résultats. Ceux-ci ne permettent pas, à eux seuls, de tirer des conclusions définitives sur les pratiques d'un organisme.

2. Une procédure de suivi des résultats des tests excessivement complexe et qui présente de faibles chances de succès

La commission a estimé que la procédure corrective proposée présentait de faibles chances de succès. La grande majorité des personnes auditionnées a regretté son caractère excessivement complexe et difficilement lisible. L'ensemble du processus peut ainsi être découpé en une dizaine d'étapes et durer potentiellement jusqu'à deux ans. Sur le fond, il ne comprend aucune phase contradictoire préalable aux négociations, qui permettrait pourtant de purger rapidement les situations où la personne morale concernée est d'apporter une réponse convaincante aux anomalies mises en évidence par le test, et porte les germes d'un conflit de légitimité entre la DICLRAH et les partenaires sociaux.

La commission a également regretté que la logique sous-jacente au dispositif soit, comme cela est trop souvent le cas en la matière, celle de la sanction. D'une part, cette approche ignore les nombreuses initiatives, sans doute perfectibles, mais cependant déjà prises par les employeurs en matière de lutte contre les discriminations. D'autre part, l'objectif visé peut tout à fait être atteint à droit constant par l'intermédiaire d'un dialogue informel avec les organismes concernés et, au besoin, une saisine de l'inspection du travail. Pour ces raisons, la commission a supprimé l'article 3.

La commission des lois a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Réalisation de tests de discriminations individuels et statistiques
par un service placé sous l'autorité du Premier ministre

L'article 1er confie à un service placé sous l'autorité du Premier ministre la mission de réaliser des tests de discrimination de nature individuelle comme statistique. Ledit service serait également compétent pour accompagner ou, le cas échéant, sanctionner les personnes morales dont les pratiques potentiellement discriminatoires auraient été révélées par un test statistique.

La commission a considéré que la réalisation de tests individuels devait rester une compétence exclusive de la Défenseure des droits, qui pratique lesdits tests de longue date et qui est la mieux placée pour accompagner les victimes de discrimination dans la suite de la procédure.

Si la commission a ensuite reconnu l'utilité des tests statistiques de discrimination pour détecter des pratiques potentiellement problématiques, elle a néanmoins estimé que l'approche corrective proposée, peu lisible et construite essentiellement autour d'une logique de sanction, avait de faibles chances de succès.

À l'initiative du rapporteur, la commission a, en conséquence, adopté cet article en limitant les compétences du service du Premier ministre à la production de tests statistiques et à la diffusion annuelle de résultats généraux sur l'état des discriminations en France obtenus par cet intermédiaire.

1. Un recours croissant aux tests de discrimination individuels comme statistiques

1.1. Les définitions juridiques de la discrimination

L'existence d'une situation de discrimination se définit traditionnellement par la conjonction de trois éléments : le traitement moins favorable d'une personne par l'utilisation d'un critère de distinction interdit par la loi et dans un domaine également prohibé par la loi2(*). Concrètement, le droit de la discrimination comprend :

- un versant pénal : l'article 225-1 du code pénal liste 25 critères constitutifs du délit de discrimination, lequel est passible de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ;

- un versant civil : longtemps de nature jurisprudentielle, le régime civil de la discrimination a trouvé une consécration législative avec la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, qui a procédé à la transposition de cinq directives européennes relatives à l'égalité de traitement. Son article 1er définit les deux catégories de discrimination - directe et indirecte - qui peuvent ouvrir droit à réparation, tandis que son article 2 fixe le principe général de leur interdiction. En complément de cette définition générale, le droit français comprend également de nombreuses dispositions sectorielles visant à prohiber certaines différences de traitement dans des situations ou pour des personnes déterminées. C'est par exemple le cas s'agissant de l'accès à l'emploi3(*), au logement4(*), à certaines prestations sociales5(*) ou encore pour les agents publics6(*).

Les 25 critères de discrimination fixés par le code pénal

Article 225-1 du code pénal

« Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur perte d'autonomie, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs moeurs, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur qualité de lanceur d'alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d'alerte au sens, respectivement, du I de l'article 6 et des 1° et 2° de l'article 6-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, de leur capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée. »

Les différences entre les branches civiles et pénales du droit de la discrimination sont aujourd'hui marginales. La loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 a procédé à un travail d'harmonisation des critères du code pénal et de la loi du 27 mai 2008 précitée, qui sont aujourd'hui sensiblement identiques.

1.2. Des discriminations en France qui se maintiennent à un niveau préoccupant

L'ensemble des données et études disponibles convergent pour démontrer la persistance de discriminations en France, et ce dans tous les domaines. À titre d'exemple, la Défenseure des droits a indiqué avoir reçu 6 703 réclamations en matière de discrimination en 2023 contre 5 215 en 2021. Les trois principaux critères sont le handicap (21 %), l'origine (13 %) et l'état de santé (9 %). L'ampleur réelle du phénomène est probablement plus importante, compte tenu du fort taux de non-recours dans ces situations. Une enquête de la Défenseure des droits relative à la discrimination parmi les avocats estime ainsi que seuls 5 % des membres de cette profession s'estimant victime d'une discrimination ont par la suite entamé des démarches pour y mettre un terme ou la sanctionner7(*).

Source : Rapport annuel 2022 de la Défenseure des droits.

Les dernières données publiées par l'INSEE mentionnent par ailleurs que 4,8 % des personnes en emploi déclarent avoir subi, dans leur emploi, des traitements inégalitaires avec un motif discriminatoire8(*). Ce taux s'élève même à 6,5 % s'agissant des femmes. Les motifs invoqués sont, dans l'ordre de prévalence, le sexe (19 %), l'origine (11 %), l'âge (7 %), ainsi que l'état de santé ou le handicap (6 %).

1.3. Les tests de discrimination : un outil utile pour objectiver des situations de discrimination

Les tests de discrimination sont des outils visant, selon les cas, à confirmer ou révéler l'existence d'une pratique discriminatoire. Selon les termes de la Défenseure des droits, il s'agit de soumettre un ou plusieurs profils similaires pour une même demande, à l'exception de la caractéristique qui est perçue comme discriminante, afin d'observer si cette variable modifie le résultat obtenu. Dans la pratique cela revient par exemple à envoyer plusieurs CV semblables sauf pour ce qui est, par exemple, du sexe ou de l'origine de l'intéressé, afin d'évaluer si cette distinction obère les chances d'obtenir un entretien d'embauche. Le test peut se réaliser physiquement, par mail ou encore par téléphone.

Deux catégories de tests de discrimination doivent être distinguées. Le test individuel vise tout d'abord à confirmer ou infirmer une situation de discrimination dont s'estime victime une personne réelle. On y oppose donc la candidature de l'intéressé à une candidature fictive analogue.

Ce procédé est présenté par les acteurs institutionnels et associatifs compétents comme un outil utile pour faciliter la démonstration souvent malaisée de pratiques discriminatoires. Il est recevable devant le juge pénal depuis 2006, étant entendu qu'il reviendra au requérant de prouver l'intention discriminatoire9(*), ainsi que devant le juge civil, sous réserve du respect du principe de loyauté de la preuve10(*). Dans les deux cas, il s'agit toutefois d'un élément de preuve parmi d'autres qui doit trouver sa place dans un faisceau d'indices. Les premiers testings judiciaires ont été réalisés à partir des années 1990 par des associations.

Le test statistique repose quant à lui sur l'envoi d'un grand nombre de candidatures exclusivement fictives afin de révéler l'existence éventuelle de pratiques discriminatoires dans une entité déterminée. Sa mise en oeuvre requiert toutefois des moyens matériels importants, ce qui explique le recours relativement faible à cet outil. Des tests statistiques ne sont mis en oeuvre que depuis le début des années 2000 et principalement par des chercheurs ou, de manière sporadique, par l'État. Les études disponibles se concentrent par ailleurs majoritairement sur les discriminations liées à l'origine.

Le dernier plan national de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à l'origine préconisait de systématiser cette démarche en organisant « des testings réguliers dans différents secteurs d'activités, privés et public ». Le Président de la République comme le ministre du travail se sont par ailleurs récemment prononcés en faveur respectivement d'opérations de testing statistiques sur les offres d'emploi publiées par toutes les entreprises de plus de 5 000 salariés et de campagnes annuelles de testing en matière de discrimination à l'emploi.

Deux exemples de recours aux tests statistiques en France

· Sur les discriminations à l'embauche fondées sur l'origine : une étude produite en 200611(*) sous la supervision du Bureau international du travail démontrait que « les jeunes peu qualifiés d'origine apparente maghrébine ou noire africaine sont victimes de discriminations à l'embauche par rapport aux jeunes Français d'origine apparente hexagonale ancienne ». Concrètement, les tests de discrimination ont été conduits dans six bassins d'emploi et 2 440 offres d'emploi de l'hôtellerie-restauration et du commerce ont été testées via la soumission de deux candidatures ne différant que sur les points précités. Il en résulte que les choix exprimés par les employeurs favorisaient le candidat d'origine apparente hexagonale ancienne dans 70 % des cas et que seuls 11 % des employeurs traitaient les deux candidats de manière identique tout au long de la procédure.

· Sur les discriminations dans l'accès au logement selon l'origine : une étude commandée par la Défenseure des droits et le ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales12(*) a évalué l'effet de l'envoi d'un courrier de sensibilisation à la discrimination à près de 170 agences immobilières. La conduite de trois opérations de testing (envoi par courriel d'une demande de visite par deux candidats fictifs identiques, à l'exception de l'origine supposée) trois, neuf et quinze mois après cette démarche a montré l'intérêt de celle-ci, puisqu'il n'y avait plus de différence de traitement significative entre les candidats neuf mois après la réception du courrier. Cet effet s'est toutefois estompé après quinze mois.

2. L'article 1er : la création d'un service du Premier ministre compétent pour la réalisation de tests de discrimination et le traitement de leurs résultats

Dans ce contexte, l'article 1er confie à un service placé sous l'autorité du Premier ministre qui serait a priori la DILCRAH, une compétence élargie en matière de prévention et de correction des situations de discrimination, en priorité s'agissant de l'accès à l'emploi, au logement et aux biens et services publics ou privés. Cette dernière précision a été rajoutée à l'Assemblée nationale par l'adoption d'un amendement n° 46 du groupe écologiste.

Outre un rôle d'information, de conseil et d'orientation des personnes souhaitant réaliser un test de discrimination, ce service aurait notamment pour missions la réalisation et le financement desdits tests individuels, et ce à titre expérimental pour une durée de trois ans. Ce caractère expérimental, qui résulte de l'adoption de trois amendements du député Davy Rimane (n° 34), de la députée Fanta Berete (n° 35) ainsi que du groupe écologiste (n° 51), visait aux termes de leur objet à répondre aux craintes exprimées par la Défenseure des droits dans un avis n° 23-06 du 13 novembre 2023 quant à un risque de concurrence entre les différents acteurs de la lutte contre les discriminations.

Il reviendrait également au service du Premier ministre désigné de procéder à des campagnes annuelles de tests statistiques, selon des orientations définies par le Gouvernement après consultation du Défenseur des droits, ainsi que d'accompagner les personnes morales visées pour corriger les éventuelles pratiques discriminatoires décelées. Il lui appartiendrait également de rendre publics les résultats des tests des personnes morales n'ayant pas pris les mesures correctives appropriées, selon la pratique connue sous le nom de « name and shame ». Enfin, ledit service publierait un rapport annuel précisant les suites données aux tests individuels et statistiques réalisés par ses soins ainsi que les bonnes pratiques en matière de discrimination.

3. La position de la commission : limiter la compétence du service du Premier ministre à la mise en oeuvre de tests statistiques

3.1. Sur les tests individuels

La commission a pris acte de l'opposition de la quasi-totalité des personnes auditionnées par le rapporteur, y compris au sein du milieu associatif, à la réalisation de tests individuels de discrimination par la DILCRAH.

Dans un avis rendu public le 13 novembre 2023, celle-ci s'est dite « très défavorable à la possibilité offerte à la DILCRAH de réaliser des testings individuels à visée contentieuse car cette évolution serait préjudiciable aux victimes de discrimination qui ne sauraient plus à quelle institution s'adresser »13(*).

Les autres arguments mis en avant sont tout aussi fondés. Les services de la Défenseure des droits disposent premièrement d'une expertise avérée que la DILCRAH ne possède pas encore pour la réalisation de ces opérations à la méthodologie complexe.

Elle est deuxièmement l'institution la mieux placée pour accompagner les victimes de discrimination dans la suite de la procédure. Outre les conseils juridiques qu'ils peuvent dispenser au réclamant, les services de la Défenseure des droits disposent concrètement de pouvoirs d'enquête et peuvent recourir à la voie de la médiation, émettre une décision portant recommandation ou, en cas de contentieux, produire des observations devant le juge.

L'indépendance de la Défenseure des droits aura troisièmement une plus-value indéniable dans les cas où une personne publique serait mise en cause.

Pour l'ensemble de ces raisons, la commission des lois a estimé préférable que la Défenseure des droits demeure l'interlocuteur privilégié en matière de réalisation de tests individuels. À l'initiative du rapporteur, elle a adopté en conséquence un amendement COM-1 supprimant l'ensemble des références aux tests individuels.

3.2. Sur les tests statistiques

Si la nécessité d'une intervention du législateur pour confier la mise en oeuvre d'une politique de testing à grande échelle à la DILCRAH n'est pas établie, la commission des lois ne s'y est néanmoins pas opposée. Les tests statistiques représentent en effet un outil utile pour objectiver l'état des discriminations en France. La commission est de même favorable à la mise en place de campagnes annuelles de tests statistiques, qui relèvent d'une démarche vertueuse sous réserve du respect de certaines précautions.

Il est ainsi important de garder à l'esprit les limites des tests de discrimination. D'une part, ceux-ci ne sont qu'un outil parmi d'autres de la lutte contre les discriminations. Le test statistique ne permet de détecter que certaines discriminations parmi d'autres (à raison de l'origine notamment) et pendant un laps de temps déterminé. S'il est particulièrement adapté pour détecter de potentielles discriminations dans des phases de pré-sélection - la convocation à un entretien d'embauche -, il est ainsi beaucoup moins pertinent pour les discriminations qui s'étendent dans le temps, notamment au cours de la carrière. Les résultats ne permettent enfin de tirer des enseignements que sur un fragment, certes utile mais limité, des pratiques des organismes visés. Ils peuvent également différer selon les modalités de fonctionnement de l'organisme, en particulier l'organisation de leur processus de recrutement.

D'autre part, seul le suivi d'une méthodologie rigoureuse et exigeante est à même de garantir la fiabilité des résultats d'un test statistique. Le relatif échec des deux grandes vagues de testing conduites par l'État entre 2016 et 2019 est à cet égard révélateur puisqu'elles avaient engendré une vive contestation de la méthodologie employée par les entreprises visées, nuisant à la crédibilité de l'ensemble de la démarche. La taille de l'échantillon, la qualité des CV ou la capacité à adapter le test aux spécificités du processus de recrutement de l'organisme visé sont ainsi autant d'enjeux critiques.

Les campagnes de tests statistiques produits par l'État, un échec ?

· La campagne de 2016 : la DARES a conduit entre avril et juillet 2016, conjointement avec l'association ISM-Corum, un test statistique à grande échelle matérialisé par l'envoi de 3 000 CV à 40 grandes entreprises, en réponse à des offres d'emploi publiées. Parmi les entreprises visées, 12 présentaient des écarts statistiques significatifs, de 15 à 35 points14(*), entre les CV témoins et ceux présentant des noms à consonnance maghrébine. Un dialogue s'est par la suite engagé entre ces dernières et le ministère du travail en vue d'engager des mesures correctives. In fine, le nom de deux d'entre elles dont les efforts ont été jugés insuffisants a été publié dans la presse. La direction générale du travail a indiqué au rapporteur que les deux entreprises ont par la suite présenté des plans d'action.

· La campagne de 2019 : une seconde opération de tests statistiques à grande échelle a évalué entre octobre 2018 et janvier 2019 les discriminations dans l'accès à l'emploi en fonction de l'origine et du lieu de résidence au sein de 103 très grandes entreprises françaises (envoi de 17 613 demandes). L'étude met en évidence « une discrimination significative et robuste selon le critère de l'origine, à l'encontre du candidat français présumé maghrébin, dans tous les territoires testés »15(*). Son périmètre a ensuite été restreint à 40 grandes entreprises (réalisation de 5 329 tests et envoi de 10 349 candidatures)16(*). Là encore, il apparaissait que la personne au nom à consonnance maghrébine avait 25 % de chances de moins d'obtenir une réponse à sa candidature (9,3 % contre 12,5 % pour le candidat témoin). Le rapport final était par ailleurs accompagné d'une note d'avertissement rappelant les précautions à respecter dans l'interprétation des résultats.

À l'instar du procédé suivi en 2016, le nom de 7 entreprises a été publié par les pouvoirs publics. Celles-ci ont réagi publiquement par un communiqué de presse critiquant vivement la méthodologie employée, dénonçant notamment les « faiblesses manifestes de la méthodologie utilisée qui aboutit à des conclusions erronées ».

Sans remettre en cause le bien-fondé de l'organisation régulière de tests statistiques par la puissance publique, la commission a estimé que le dispositif proposé devait être corrigé sur deux aspects :

- d'une part, l'énumération des principales situations de discrimination testées génère une confusion sur le périmètre réel des tests statistiques. Par l'adoption d'un amendement COM-1 du rapporteur, la commission lui a donc substitué une mention générale des situations de discrimination, qui comprennent bien évidemment celles relatives à l'accès à l'emploi ou au logement mais ne s'y limitent pas ;

- d'autre part, la commission a considéré que l'approche corrective proposée, complexe et reposant essentiellement sur la crainte de la sanction, présentait de faibles chances de succès17(*). Outre la possibilité d'un dialogue informel, le code du travail offre suffisamment d'instruments à l'administration pour accompagner la personne morale visée dans la modification de ses pratiques et, le cas échéant, engager des contrôles rigoureux. En conséquence, la commission a, par l'adoption du même amendement COM-1, limité les missions de la DILCRAH à la production de tests statistiques et à la diffusion annuelle de résultats généraux sur l'état des discriminations en France obtenus par cet intermédiaire. Afin de favoriser l'acceptabilité de la démarche par les entreprises, elle a par ailleurs renvoyé au pouvoir règlementaire le soin de déterminer les modalités de consultation des partenaires sociaux pour l'élaboration de la méthodologie des tests.

La commission a adopté l'article 1er ainsi modifié.

Article 2 (supprimé)
Création d'un comité des parties prenantes compétent pour l'élaboration et le suivi de tests de discrimination statistiques

L'article 2 prévoit la mise en place d'un comité des parties prenantes au sein de l'organisme en charge de la réalisation des tests de discrimination. Il contribuerait à l'élaboration de la méthodologie des tests et émettrait des avis et des recommandations sur les suites à donner aux tests statistiques.

La commission a, d'une part, considéré que ce nouveau comité, dont la composition est hétéroclite et les modalités de délibération imprécises, ne pourrait permettre l'émergence d'un consensus sur la méthodologie des tests. Elle a, d'autre part, considéré qu'un tel comité ne pouvait se substituer à l'administration du travail ou interférer dans le dialogue social interne à l'entreprise en cas de présomption de discrimination. À l'initiative du rapporteur, la commission a supprimé l'article 2.

1. L'article 2 : la mise en place d'un comité des parties prenantes participant à l'élaboration de la méthodologie des tests statistiques et émettant des avis sur les suites à leur donner

L'article 2 prévoit la mise en place d'un « comité des parties prenantes » au sein du service placé sous l'autorité du Premier ministre désigné pour procéder à des tests de discrimination. La proposition de loi initiale prévoyait la participation de deux députés et deux sénateurs, de personnalités qualifiées indépendantes18(*), de représentants des personnes morales publiques et privées susceptibles d'être testées ainsi que d'un représentant désigné par le Défenseur des droits19(*). La composition du comité a par la suite été étendue par l'Assemblée nationale :

- lors de l'examen en commission20(*), pour intégrer des représentants des organisations des employeurs et des employés représentatives au niveau national et interprofessionnel ;

- lors de l'examen en séance publique21(*), pour intégrer « représentants d'associations choisies par le président du Conseil économique, social et environnemental parmi celles régulièrement déclarées depuis cinq ans au moins intervenant dans la lutte contre les discriminations ou oeuvrant dans le domaine du handicap ».

Sur le fond, la proposition de loi attribue tout d'abord à ce comité la tâche d'organiser des débats et d'être force de propositions dans le champ de la lutte contre les discriminations. Au-delà de cette mission générale, le comité des parties prenantes occupe surtout un rôle prépondérant dans la mise en oeuvre des tests de discrimination et « émet des recommandations sur les suites devant leur être données »22(*). Il intervient ainsi à toutes les étapes de la procédure, que ce soit :

dans la phase de préparation des tests, individuels comme statistiques : le comité des parties prenantes participe à l'élaboration de la méthodologie de ces tests. Sur ce point l'Assemblée nationale a adopté en commission un amendement n° CL 70 du rapporteur dont l'objectif était de clarifier le fait que « le comité ne participe à l'élaboration de la méthodologie que dans le cadre des tests qu'il finance ». Si l'objectif était de garantir le libre-choix méthodologique des acteurs de la recherche académique, cette modification a toutefois créé une ambiguïté quant à l'identité de l'instance décisionnaire s'agissant de la méthodologie des tests financés par la DILCRAH ;

dans la phase de dialogue avec les personnes morales visées par un test statistique : lorsque le test conclut à de potentielles pratiques discriminatoires prohibées par l'article L. 1132-1 du code du travail ou 225-1 du code pénal, son résultat est transmis à la personne morale concernée, assorti d'un avis du comité. L'absence de précision sur le contenu de cet avis ne permet toutefois pas de déterminer avec certitude s'il s'agit d'une simple certification de la conformité de la mise en oeuvre du test à la méthodologie commune, d'une interprétation du résultat ou d'un ensemble de recommandations immédiatement adressées à la personne morale en vue de l'accompagner dans la correction de ses pratiques. La mention selon laquelle l'accord ou le plan d'action de la personne morale tient compte des recommandations du comité laisse néanmoins entendre que le comité des parties prenantes adopte un rôle de conseil dès l'enclenchement de la procédure ;

dans la phase de sanction lorsque la personne morale n'a pas procédé aux mesures correctives appropriées : la DILCRAH doit recueillir l'avis du comité des parties prenantes avant de procéder à la publication du nom d'une personne morale soit lorsque celle-ci s'est soustraite à l'obligation de conclure un accord ou plan d'action pour la lutte contre la discrimination, soit lorsqu'elle juge insuffisante la qualité de leur contenu.

La proposition de loi renvoie en revanche intégralement au pouvoir règlementaire la détermination des règles de fonctionnement concrètes du comité des parties prenantes, en particulier s'agissant des procédures de délibération et de la répartition entre voix délibératives et consultatives.

2. La position de la commission : une entité qui ne permettra pas le consensus sur la méthodologie des tests et qui ne dispose pas d'une légitimité suffisante pour en assurer les suites

Parce qu'il permet une participation des entreprises à l'élaboration des tests, le comité des parties prenantes est notamment présenté par l'auteur de la proposition comme le moyen de prévenir toutes critiques sur la robustesse de leur méthodologie. Comme l'a démontré l'échec relatif de l'opération de testing conduite entre 2019 et 202023(*), l'émergence d'un consensus sur ce point est effectivement la condition sine qua non de l'acceptation par les personnes morales visées du déploiement d'une politique de test statistiques à grande échelle.

Si le rapporteur partage la volonté d'associer le plus largement possible les parties prenantes à cette politique de test, ses travaux ont néanmoins démontré que le comité ad hoc prévu par l'article 2 n'était pas un instrument pertinent pour aboutir à un consensus sur la méthodologie adéquate.

Le nombre important de ses membres conjugué à l'absence de précision sur son processus de délibération rendent, en premier lieu, le dispositif peu opérationnel. Il semblerait en effet illusoire de requérir l'unanimité compte tenu de la diversité des personnalités représentées, tandis qu'une mise en minorité de l'une des parties fixerait d'entrée de jeu les jalons d'une contestation future des résultats obtenus. Sur ce point, les doutes exprimés par exemple par le Mouvement des entreprises de France sont révélateurs. L'organisation a ainsi souligné que la composition du comité « très hétérogène, ne [permettait] pas de rendre des décisions cohérentes et légitimes » et a plutôt plaidé pour une collecte par les pouvoirs publics de l'avis individuel des différents membres. De fait, la confiance se construit plutôt qu'elle ne se décrète et il serait illusoire d'espérer un ralliement des entreprises à la cause du testing statistique au seul motif que la loi le prescrit.

Deuxièmement, les spécificités de chaque situation de discrimination peuvent justifier d'adapter la méthode de test, voire de s'adresser à des interlocuteurs différents. La composition figée de ce comité ne permet pas de répondre à cet impératif de souplesse. En conséquence, la commission a jugé que la création d'un comité supplémentaire serait superflue, sinon contreproductive. Elle est par ailleurs contraire à l'ambition de simplification normative dont se revendique actuellement l'exécutif. Afin de favoriser l'émergence d'un consensus, il apparaît plus pertinent de laisser aux pouvoirs publics la liberté d'établir au cas par cas le format d'échange le plus adapté, étant entendu que les partenaires sociaux devront systématiquement être associés.

Troisièmement, les missions confiées au comité des parties prenantes vont bien au-delà de celles qui devraient revenir à un comité scientifique faisant office de tiers de confiance sur l'élaboration de la méthodologie et certifiant que la mise en oeuvre du test y a été conforme. Si les résultats d'un test statistique laissent présager de pratiques discriminatoires, il revient en priorité à l'administration du travail d'accompagner l'entreprise pour qu'elle mette en place, en concertation avec les représentants du personnel, des mesures correctives. Le comité des parties prenantes, qui comprend par exemple des personnalités qualifiées en matière statistique ou des représentants d'associations, ne dispose pas des compétences ou de la légitimité requises et ne peut se substituer au dialogue social interne à la personne morale concernée. Il est à cet égard inconcevable qu'il puisse avoir voix au chapitre sur le contenu d'un accord régulièrement conclu au sein de celle-ci.

Pour l'ensemble de ces raisons, la commission a considéré que la création d'un comité des parties prenantes ne se justifiait pas. À l'initiative du rapporteur, elle a adopté un amendement COM-2 supprimant l'article 2.

La commission a supprimé l'article 2.

Article 3 (supprimé)
Procédure applicable aux pratiques potentiellement discriminatoires révélées par un test de discrimination statistique

L'article 3 soumet les personnes morales soupçonnées de pratiques discriminatoires à la suite d'un test statistique à une obligation de négociation en vue d'établir un accord portant sur des mesures correctives ou, à défaut, d'établir unilatéralement un plan d'action. En l'absence d'accord ou de plan d'action ou lorsque le contenu de celui-ci est insuffisant, le nom de la personne morale peut être publié ou celle-ci peut faire l'objet d'une amende administrative.

Considérant que la procédure proposée était à la fois peu lisible et peu opérationnelle, la commission a, à l'initiative du rapporteur, supprimé l'article 3. De fait, les mêmes objectifs semblent pourvoir être plus sûrement atteints à droit constant par l'intermédiaire d'un dialogue informel et, le cas échéant, la mobilisation des instruments prévus par le code du travail.

1. L'article 3 : une procédure ad hoc applicable aux personnes morales soupçonnées de pratiques discriminatoires à la suite d'un test statistique

L'article 3 traite des suites données à un test statistique de discrimination dont le résultat laisse entrevoir de potentielles pratiques prohibées par les articles 225-2 du code pénal ou L. 1132-1 du code du travail.

Quelle que soit la nature de la discrimination en cause, il reviendrait alors à la DILCRAH d'informer la personne morale visée par le test ainsi que de lui transmettre les résultats assortis d'un avis du comité des parties prenantes24(*). Ces mêmes informations seraient parallèlement transmises à l'autorité administrative territorialement compétente, à savoir le préfet. Deux cas de figure sont ensuite prévus :

- lorsque les pratiques discriminatoires alléguées relèvent du champ du code du travail : l'employeur concerné est soumis à une obligation de négociation25(*) en vue de la conclusion, sous les six mois26(*) à compter de la transmission du résultat du test, d'un accord sur des mesures visant à prévenir ou à corriger les discriminations. À défaut d'accord, il revient à l'employeur d'établir unilatéralement un plan d'action dans le même délai et après consultation du comité social et économique27(*). L'accord ou le plan d'action, dont le contenu doit respecter un rigoureux cahier des charges28(*), est ensuite transmis sans délai à l'autorité administrative en charge du travail territorialement compétente (la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités - DREETS). Celle-ci transmet des observations à l'employeur sur le contenu du plan ou de l'accord, après avis de la DILCRAH. En l'absence d'accord ou de plan dans le délai imparti ou lorsqu'elle considère que leur contenu n'est pas conforme aux standards de qualité fixée par la loi, la DILCRAH pourrait enfin, après une procédure contradictoire, publier son résultat ;

- lorsque les pratiques discriminatoires alléguées relèvent du champ du code pénal : le préfet met en demeure la personne morale concernée de procéder sous six mois aux corrections nécessaires par un plan d'action soumis aux mêmes exigences de qualité. De la même manière, ce plan peut faire l'objet d'observations de la DREETS et le résultat du test peut faire l'objet d'une publication par la DILCRAH selon les mêmes critères.

Dans les deux cas, la personne morale concernée peut également, à l'issue d'une procédure contradictoire, faire l'objet d'une amende administrative d'un montant maximal de 1 % de ses rémunérations et gains lorsqu'elle se soustrait à son obligation de conclure un accord ou d'établir un plan d'action, qu'elle ne le transmet pas, ou que leur contenu ne répond pas aux exigences légales de qualité. La proposition de loi précise que l'amende est prononcée par « l'autorité administrative » et que son montant « tient compte des efforts constatés en matière de lutte contre les discriminations ainsi que des motifs de la méconnaissance des obligations [prévues par la procédure décrite ci-dessus] ». Au contraire de la procédure prévue pour le « name and shame », ni la DILCRAH ni le comité des parties prenantes ne semblent toutefois intervenir dans la procédure. Le rapporteur en déduit que l'appréciation de la qualité des actions engagées est du seul ressort de l'entreprise. Comme le relève la Défenseure des droits dans son avis n° 23-06 du 13 novembre 2023, l'articulation entre les deux sanctions n'est pas explicitée. Il semblerait en l'état qu'elles puissent être concomitantes, ce qui interroge d'autant plus qu'elles ne sont pas décidées par la même autorité.

Enfin, il est précisé que la personne morale peut faire l'objet d'un nouveau test statistique dans les dix-huit mois à compter de la transmission des résultats du premier test. En l'absence de progrès, le montant maximal de l'amende administrative encourue est alors majoré pour atteindre jusqu'à 5 % des rémunérations et gains.

2. La position de la commission : une procédure à la fois peu lisible et peu opérationnelle

2.1. Une procédure difficilement lisible et qui comporte des lacunes

La commission des lois a estimé que les procédures prévues par l'article 3 présentaient peu de chance de succès en pratique.

Le dispositif se caractérise tout d'abord par une forte complexité qui va à l'encontre de l'objectif de simplification normative actuellement mis en avant par l'exécutif et que le Sénat partage pleinement. L'ensemble du processus peut être découpé en une dizaine d'étapes et durer potentiellement jusqu'à deux ans. Il implique par ailleurs un nombre important d'acteurs (la DICLRAH, son comité des parties prenantes, les organisations syndicales et l'administration du travail) dont certains interviennent à plusieurs reprises et sans que l'articulation entre leurs différentes actions ne soit toujours clairement explicitée. Les représentants des employeurs auditionnés par le rapporteur ont parfois regretté cette charge administrative nouvelle qui viendrait peser sur les entreprises.

Sur le fond, les procédures proposées comportent également plusieurs vices majeurs. D'une part, leur déclenchement n'est précédé d'aucune phase contradictoire préalable, qui permettrait pourtant de purger rapidement les situations où la personne morale concernée est en mesure d'apporter une réponse convaincante aux anomalies mises en évidence par le test. D'autre part, il existe un risque important de conflit de légitimité dans les cas où le contenu d'un accord conclu au niveau de l'entreprise serait jugé insuffisant par la DILCRAH, après avis du comité des parties prenantes. La commission considère qu'aucune de ces deux instances ne dispose d'une légitimité suffisante pour remettre en cause un accord régulièrement conclu entre l'employeur et les partenaires sociaux. Enfin, il ne peut être exclu qu'un test statistique révèle une anomalie au sein d'une entreprise qui dispose déjà d'un accord ou d'un plan d'action en la matière.

Procédure prévue par la proposition de loi lorsqu'un test statistique révèle une pratique discriminatoire potentielle prohibée par le code du travail

Source : Commission des lois

Procédure prévue par la proposition de loi lorsqu'un test statistique révèle une pratique discriminatoire potentielle prohibée par le code pénal

Source : Commission des lois

2.2. Une logique essentiellement punitive et potentiellement contre-productive

La commission a également regretté que la logique sous-jacente au dispositif soit, comme cela est trop souvent le cas en la matière, celle de la sanction. Du reste, les auditions conduites par le rapporteur n'ont pas fait émerger de consensus quant à l'efficacité de la publication des noms des entreprises. L'association SOS Racisme a ainsi exprimé des doutes sur la capacité de cet outil à provoquer un réel changement des pratiques. Vis-à-vis des entreprises, les représentants des employeurs ont mis en avant le préjudice réputationnel important, tandis que l'association française des managers de la diversité a également estimé qu'il ne fallait pas « condamner l'ensemble de la politique et des actions menées par un employeur sur la base d'un testing ne concernant qu'un ou deux critères de discrimination ». En tout état de cause, peu de données tangibles permettent d'objectiver le caractère dissuasif ou non de cette sanction, de même que ses conséquences à long terme sur l'entreprise visée.

S'agissant de l'amende administrative, son montant particulièrement important rend son application peu crédible. À titre de comparaison, les pénalités analogues prévues en cas de non déclaration de l'index de l'égalité professionnelle ne sont notoirement pas appliquées. La proposition de loi ne traite par ailleurs pas les cas où la personne morale visée serait une personne publique et pour lesquels l'instrument de l'amende administrative semble particulièrement peu adapté.

Cette approche fondée uniquement sur la crainte de la sanction ignore de plus les initiatives, sans doute perfectibles, mais cependant déjà prises par les employeurs en matière de lutte contre les discriminations. Sur ce point, les personnes auditionnées par le rapporteur ont notamment mis en avant le fait que :

- la lutte contre les discriminations est déjà partiellement prise en compte dans le cadre des négociations en entreprise : le 3 ° de l'article L. 2242-17 du code du travail prévoit notamment, à titre supplétif, que la négociation annuelle sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie et des conditions de travail porte sur « les mesures permettant de lutter contre toute discrimination en matière de recrutement, d'emploi et d'accès à la formation professionnelle ». Au-delà des négociations obligatoires, il convient de rappeler qu'un accord national interprofessionnel a été conclu le 12 octobre 2006 avec pour objectif la promotion de la diversité en entreprise. À moindre échelle, des accords existent au sein de plusieurs branches professionnelles29(*). Enfin, les données transmises par la CPME font état de 5 450 accords conclus depuis le 1er janvier 2023 sur les thématiques « égalité professionnelle », « égalité salariale », « mesures d'âges », « non-discrimination - diversité » et « travailleurs handicapés »30(*) ;

- des obligations légales de formation existent déjà dans certains secteurs : c'est par exemple le cas des agents immobiliers. Le décret n° 2020-1259 du 14 octobre 2020 conditionne ainsi le renouvellement triennal de la carte professionnelle à une formation de deux heures sur la non-discrimination dans l'accès au logement ;

- des outils de droit souple sont mis en oeuvre en coopération avec l'État pour prévenir les discriminations : il est possible de citer le dispositif du « label diversité » qui reconnaît depuis 2008 « l'engagement effectif, volontaire et durable d'un organisme pour prévenir les discriminations et promouvoir la diversité dans le cadre de la gestion de ses ressources humaines ». Selon les données publiées par le ministère du travail, 94 organismes en étaient titulaires au 1er novembre 2023, couvrant plus de 1,2 million d'actifs ;

- des entreprises volontaristes mettent en oeuvre des bonnes pratiques, voire recourent à « l'auto-testing » : l'association française des managers de la diversité a signalé l'existence de dispositifs d'alertes internes dans certaines entreprises, ainsi que de formation des encadrants. S'agissant des « auto-testing », l'association a recensé 30 opérations de ce type depuis 2006. Le groupe Casino fait office de précurseur en la matière et a été régulièrement cité au cours des auditions.

2.3. La possibilité d'atteindre les mêmes objectifs à droit constant

In fine, la commission considère que la lutte contre les discriminations n'est jamais aussi efficace que lorsqu'elle suscite l'adhésion des employeurs. Elle suppose donc l'établissement d'un dialogue reposant sur la confiance et la mise en place d'un accompagnement aussi rigoureux qu'exigeant.

Cet objectif peut tout à fait être atteint à droit constant, par l'intermédiaire d'un dialogue informel avec les personnes morales concernées. C'est d'ailleurs cette démarche constructive qui avait été choisie lors des précédentes campagnes de testing de 2016 et 2019 et qui apparaît d'autant plus justifiée que les organismes concernés n'ont le plus souvent pas conscience de leurs pratiques discriminantes.

S'il est vrai que le dialogue a parfois ses limites, l'État est toutefois loin d'être désarmé pour répondre aux entreprises les plus récalcitrantes. L'inspection du travail dispose d'une compétence générale31(*) pour contrôler l'application des dispositions du code du travail. Celle-ci lui permet d'effectuer une action en recherche des discriminations sur le fondement des articles L. 1132-1 et suivants du même code, assortie, le cas échéant, d'une transmission du procès-verbal au procureur de la République et au préfet. Les inspecteurs disposent par ailleurs dans l'exercice de leur mission de droits d'entrée et d'accès aux documents qui font d'eux les acteurs les mieux placés pour détecter d'éventuelles pratiques discriminatoires. Ils sont également explicitement compétents pour constater les faits de discrimination pénale en matière d'embauche, de sanction ou de licenciement d'une personne ainsi qu'en cas de refus de stage32(*).

Au-delà des limites exposées précédemment de la procédure prévue à l'article 3, la commission a donc estimé que les mêmes objectifs pouvaient être plus sûrement atteints par un dialogue informel avec l'entreprise et, au besoin, la saisine de l'inspection du travail. À l'initiative du rapporteur, elle a en conséquence adopté un amendement COM-3 de suppression de l'article 3.

La commission a supprimé l'article 3.

Article 3 bis
Intégration de la domiciliation bancaire
aux critères pénaux de la discrimination

L'article modifie l'article 225-1 du code pénal qui fixe les critères constitutifs du délit de discrimination afin, d'une part, de substituer au terme de « patronyme » ceux de « nom de famille » et, d'autre part, d'y introduire un nouveau critère de discrimination à raison de la domiciliation bancaire.

La commission n'a pas remis en cause cette démarche d'harmonisation des définitions civiles et pénales de la discrimination qu'elle a, à l'initiative du rapporteur, prolongée en supprimant également le terme de « patronyme » dans la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ainsi que dans le code général de la fonction publique. Elle a adopté l'article 3 bis ainsi modifié.

L'article 3 bis, qui résulte de l'adoption de deux amendements en séance publique par l'Assemblée nationale, modifie les critères du délit de discrimination fixés par l'article 225-1 du code pénal.

Le premier amendement entendait « moderniser la rédaction du critère prohibé de discrimination lié au nom de naissance afin de tenir compte des récentes évolutions sociales et familiales »33(*) en substituant le terme de « nom de famille », à celui de « patronyme ». Les modifications successives depuis le début des années 2000 de la législation relative au choix du nom ont en effet rendu ce terme largement obsolète34(*). Si cet ajustement a bien été réalisé dans la liste des critères de discrimination figurant à l'article L. 1132-1 du code du travail, tel n'est pas le cas s'agissant de la définition de la discrimination pénale. La commission a donc approuvé cette démarche d'harmonisation qu'elle a, par l'adoption d'un amendement COM-4 du rapporteur, prolongée en remplaçant également le terme de « patronyme » dans la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ainsi qu'à l'article L. 131-1 du code général de la fonction publique.

Poursuivant un même objectif d'harmonisation, le second amendement35(*) a ensuite rajouté la domiciliation bancaire à la liste des critères fondant une discrimination pénale. L'introduction de ce nouveau critère à l'article L. 1132-1 du code du travail et dans la loi du 27 mai 2008 précitée avait été approuvée par le Sénat en 2017, malgré l'avis défavorable de la commission et sans qu'il ne soit procédé à la coordination correspondante en matière pénale36(*). La commission avait en effet avancé l'argument selon lequel une situation de discrimination à raison de la domiciliation bancaire pouvait déjà être sanctionnée par l'utilisation du critère du lieu de résidence. Tirant les conséquences de la position exprimée par le Sénat en 2017, la commission n'a donc pas remis en cause l'extension du critère de discrimination à raison de la domiciliation bancaire.

Cette disposition a néanmoins suscité de vives inquiétudes chez les représentants de professions immobilières, qui ont mis en avant au cours de leur audition le fait que l'extension de ce critère pouvait, d'une part, faire obstacle à l'analyse de solvabilité objective d'un dossier de candidature et, d'autre part, entrer en contradiction avec les obligations de ces professionnels au titre de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

Cette crainte demeure largement théorique, dans la mesure où le rejet d'un dossier au détriment d'un autre résulte moins de la différence de domiciliation bancaire en tant que telle que des conséquences que celle-ci peut entraîner sur la solvabilité d'un demandeur, en particulier lorsque son compte est situé à l'étranger. Lorsque la domiciliation bancaire est sans effet sur la solvabilité, il est en revanche légitime que cette donnée soit exclue des critères de sélection. Sans s'interdire de revenir sur le sujet en séance publique, la commission a adopté l'article 3 bis ainsi modifié.

La commission a adopté l'article 3 bis ainsi modifié.

Article 4 (suppression maintenue)
Gage financier

L'article 4 de la proposition de loi avait pour objet de compenser la charge résultant pour l'État de l'application de la nouvelle loi, à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services. Ce gage a été levé en séance à l'Assemblée nationale par l'adoption d'un amendement n°72 présenté par le Gouvernement.

La commission a maintenu la suppression de l'article 4.

EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 6 MARS 2024

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Cette proposition de loi visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques a été déposée à l'Assemblée nationale le 4 juillet 2023 par le député Marc Ferracci. Elle répond à un engagement du Président de la République et au souhait du ministre du travail de l'époque, Olivier Dussopt, de lancer des campagnes annuelles de testing.

Une situation de discrimination est caractérisée par la conjonction de trois éléments, à savoir le traitement moins favorable d'une personne par l'utilisation d'un critère de distinction interdit par la loi, dans un domaine également prohibé par la loi. Le droit de la discrimination comprend un versant pénal, l'article 251-1 du code pénal listant vingt-cinq critères constitutifs du délit de discrimination, lequel est passible de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.

Sur le versant civil, le régime de la discrimination, longtemps de nature jurisprudentielle, a trouvé une consécration législative avec la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, qui a procédé à la transposition de cinq directives européennes relatives à l'égalité de traitement. Son article 1er définit deux catégories de discrimination - directe et indirecte - qui peuvent ouvrir droit à réparation, tandis que son article 2 fixe le principe général de leur interdiction.

Le droit français comprend également de nombreuses dispositions sectorielles visant à prohiber certaines différences de traitement dans des situations ou pour des personnes déterminées. C'est par exemple le cas s'agissant de l'accès à l'emploi, au logement, à certaines prestations sociales ou encore pour les agents publics.

L'ensemble des données et études disponibles convergent pour démontrer la persistance de discriminations en France, et ce dans tous les domaines. À titre d'exemple, la Défenseure des droits a indiqué avoir reçu 6 703 réclamations en matière de discrimination en 2023, contre 5 215 en 2021. Les trois principaux critères sont le handicap, à hauteur de 21 %, l'origine dans 13 % des cas et l'état de santé pour 9 %.

Les dernières données publiées par l'Insee mentionnent par ailleurs que 4,8 % des personnes en emploi déclarent avoir subi, dans leur emploi, des traitements inégalitaires avec un motif discriminatoire. Ce taux s'élève même à 6,5 % s'agissant des femmes. Les motifs invoqués sont le sexe - 19 % -, l'origine - 11 % -, l'âge - 7 % -, ainsi que l'état de santé ou le handicap, à hauteur de 6 %.

Dans ce contexte, les tests de discrimination sont des outils visant, selon les cas, à confirmer ou à révéler l'existence d'une pratique discriminatoire. Deux catégories de tests de discrimination doivent être distinguées : le test individuel vise tout d'abord à confirmer ou à infirmer une situation de discrimination dont s'estime victime une personne réelle, en opposant donc la candidature de l'intéressé à une candidature fictive analogue.

Le test statistique repose, quant à lui, sur l'envoi d'un grand nombre de candidatures exclusivement fictives afin de détecter d'éventuelles pratiques discriminatoires dans une entité déterminée.

J'en viens au contenu de la proposition de loi.

L'article 1er confie à un service placé sous l'autorité du Premier ministre - qui serait a priori la direction interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) - une compétence élargie en matière de prévention et de correction des situations de discrimination, en priorité s'agissant de l'accès à l'emploi, au logement et aux biens et services publics ou privés. La Dilcrah aurait notamment pour missions la réalisation et le financement de tests de discrimination individuels et statistiques. Elle serait également compétente pour accompagner les organismes visés par un test statistique afin de corriger leurs pratiques et, le cas échéant, pour les sanctionner.

S'agissant des tests individuels, les nombreuses auditions que j'ai réalisées m'ont permis de mesurer l'opposition de la quasi-totalité des personnes interrogées, y compris au sein du milieu associatif, à leur réalisation par la Dilcrah.

La Défenseure des droits, notamment, s'est dite dans un avis public « très défavorable à la possibilité offerte à la Dilcrah de réaliser des testings individuels à visée contentieuse, car cette évolution serait préjudiciable aux victimes de discrimination qui ne sauraient plus à quelle institution s'adresser ». En effet, les services de la Défenseure des droits disposent d'une expertise avérée que la Dilcrah ne possède pas. De plus, elle est l'institution la mieux placée pour accompagner les victimes de discrimination dans la suite de la procédure. Enfin, l'indépendance de la Défenseure des droits aura une plus-value indéniable dans les cas où une personne publique serait mise en cause.

Je vous proposerai donc un amendement tendant à limiter les missions de la Dilcrah à la production de tests statistiques et à la diffusion annuelle de résultats généraux sur l'état des discriminations en France, afin que la Défenseure des droits demeure l'interlocuteur privilégié en matière de tests individuels.

Les tests statistiques représentent quant à eux un outil utile pour objectiver l'état des discriminations en France. La mise en place de campagnes annuelles de tests statistiques peut relever d'une démarche vertueuse, sous réserve du respect de certaines précautions.

Il est ainsi important de garder à l'esprit les limites des tests de discrimination. D'une part, ceux-ci ne sont qu'un outil parmi d'autres de la lutte contre les discriminations, puisque le test statistique ne permet de détecter que certaines discriminations parmi d'autres et pendant un laps de temps déterminé ; d'autre part, seul le suivi d'une méthodologie rigoureuse et exigeante est à même de garantir la fiabilité de ses résultats. Ceux-ci ne permettent pas, à eux seuls, de tirer des conclusions définitives sur les pratiques d'un organisme.

Sans remettre en cause le bien-fondé de l'organisation régulière de tests statistiques par la puissance publique, il me semble en premier lieu que l'utilité du recours à la loi pour confier la mise en oeuvre d'une politique de testing à grande échelle à la Dilcrah n'est pas établie. Cependant, je vous propose de ne pas nous y opposer.

En second lieu, j'estime que le dispositif proposé devait être corrigé sur deux aspects. D'une part, l'énumération des principales situations de discrimination testées crée une confusion sur le périmètre réel des tests statistiques ; d'autre part, l'approche corrective proposée, complexe et reposant essentiellement sur la crainte de la sanction, présente de faibles chances de succès.

Je vous proposerai donc dans le même amendement de corriger l'énumération des situations de discrimination par une mention générale des situations de discrimination, qui comprennent bien évidemment celles relatives à l'accès à l'emploi ou au logement, mais qui ne s'y limitent pas.

Je vous proposerai également de limiter les missions de la Dilcrah à la production de tests statistiques et à la diffusion annuelle de résultats généraux sur l'état des discriminations en France obtenus par cet intermédiaire. Celle-ci ne serait donc plus chargée d'assurer la suite des tests. Enfin, je vous proposerai de renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de déterminer les modalités de consultation des partenaires sociaux pour l'élaboration de la méthodologie des tests, afin de favoriser l'acceptabilité de la démarche par les entreprises.

L'article 2 prévoit ensuite la mise en place d'un comité des parties prenantes au sein de la Dilcrah, qui, d'une part, participerait à l'élaboration de la méthodologie des tests et, d'autre part, émettrait des avis et recommandations sur les suites à leur donner. Il serait composé de parlementaires, d'experts, ainsi que de représentants des organismes susceptibles d'être testés, des employeurs, des salariés et des associations.

Il interviendrait à toutes les étapes de la procédure, à commencer par la phase de préparation des tests, individuels comme statistiques, en participant à l'élaboration de leur méthodologie. Il interviendrait ensuite dans la phase de dialogue avec les personnes morales visées par un test statistique. Lorsque le test conclut à de potentielles pratiques discriminatoires, son résultat serait transmis à la personne morale concernée, assorti d'un avis du comité. L'absence de précision sur le contenu de cet avis ne permet toutefois pas de déterminer avec certitude s'il s'agit d'une simple certification de la conformité de la mise en oeuvre du test à la méthodologie commune, d'une interprétation du résultat ou d'un ensemble de recommandations immédiatement adressées à la personne morale en vue de l'accompagner dans la correction de ses pratiques. Enfin, le comité interviendrait dans la phase de sanctions, lorsque la personne morale n'aurait pas procédé aux mesures correctives appropriées. La Dilcrah devrait ainsi recueillir l'avis du comité des parties prenantes avant de procéder à la publication du nom d'une personne morale, soit lorsque celle-ci se serait soustraite à l'obligation de conclure un accord ou un plan d'action pour la lutte contre les discriminations, soit lorsqu'elle jugerait insuffisante la qualité de leur contenu.

La proposition de loi renvoie en revanche intégralement au pouvoir réglementaire la détermination des règles de fonctionnement concret de ce comité, en particulier pour ce qui concerne les procédures de délibération et la répartition entre voix délibératives et voix consultatives.

Parce qu'il permet une participation des entreprises à l'élaboration des tests, le comité des parties prenantes est présenté comme le moyen de prévenir toute critique sur la robustesse de leur méthodologie. Pour rappel, une précédente campagne de tests introduite entre 2019 et 2020 avait connu un relatif échec, en raison notamment d'importantes contestations par les entreprises « épinglées » de la méthodologie employée.

Les auditions ont néanmoins démontré que ce comité n'était pas un instrument pertinent pour aboutir à un consensus sur la méthodologie adéquate. Le nombre important de ses membres, conjugué à l'absence de précisions sur son processus de délibération rend le dispositif peu opérationnel. Il semblerait en effet illusoire de requérir l'unanimité compte tenu de la diversité des personnes représentées. Une mise en minorité de l'une des parties fixerait quant à elle d'entrée de jeu les jalons d'une contestation future des résultats obtenus. De fait, la confiance se construit plutôt qu'elle se décrète, et il serait illusoire d'espérer un ralliement des entreprises à la cause du testing statistique au seul motif que la loi le prescrit. De plus, les spécificités de chaque situation de discrimination peuvent justifier d'adapter la méthode de test, voire de s'adresser à des interlocuteurs différents. La composition figée de ce comité ne permet pas de répondre à cet impératif de souplesse.

En conséquence, il me semble que la création d'un énième comité supplémentaire serait superflue, voire contre-productive. Elle est par ailleurs contraire à l'ambition de simplification normative dont se revendique actuellement l'exécutif. Il serait plus pertinent de laisser aux pouvoirs publics la liberté d'établir au cas par cas le format d'échanges le plus adapté, étant entendu que les partenaires sociaux devront systématiquement être associés.

Enfin, les missions confiées au comité des parties prenantes vont bien au-delà de celles qui devraient revenir à un comité scientifique faisant office de tiers de confiance sur l'élaboration de la méthodologie et certifiant que la mise en oeuvre du test y a été conforme. Si les résultats d'un test statistique laissent présager de pratiques discriminatoires, il revient en priorité à l'administration du travail d'accompagner l'entreprise pour qu'elle mette en place, en concertation avec les représentants du personnel, des mesures correctives.

Le comité des parties prenantes, qui comprend, par exemple, des personnalités qualifiées en matière statistique ou des représentants d'associations ne dispose pas des compétences ou de la légitimité requises pour cela. Il ne peut pas non plus se substituer au dialogue social interne à la personne morale concernée. Il me paraît notamment inconcevable qu'il puisse avoir voix au chapitre sur le contenu d'un accord régulièrement conclu au sein de celle-ci.

Pour l'ensemble de ces raisons, je vous proposerai un amendement supprimant l'article 2.

L'article 3 fixe la procédure applicable lorsqu'un test statistique révèle de potentielles pratiques discriminatoires. La personne morale concernée est soumise à une obligation de négociation en vue d'établir un accord portant sur des mesures correctives ou, à défaut, d'établir unilatéralement un plan d'action. En l'absence d'accord ou de plan d'action, ou bien lorsque le contenu de celui-ci est insuffisant, le nom de la personne morale peut être publié - c'est ce que l'on appelle le « name and shame » - et/ou celle-ci peut faire l'objet d'une amende administrative.

L'ensemble du processus peut être découpé en une dizaine d'étapes et durer potentiellement jusqu'à deux ans. Il implique un nombre important d'acteurs - la Dilcrah, le comité des parties prenantes, les organisations syndicales, l'administration du travail -, dont certains interviennent à plusieurs reprises, sans que l'articulation entre leurs différentes actions soit toujours clairement explicitée. Cette procédure se caractérise par une forte complexité qui va à l'encontre de l'objectif de simplification normative mis en avant par l'exécutif et que le Sénat partage pleinement.

Sur le fond, les procédures proposées comportent également plusieurs vices majeurs. D'une part, leur déclenchement n'est précédé d'aucune phase contradictoire, qui permettrait pourtant de purger rapidement les situations où la personne morale concernée est en mesure d'apporter une réponse convaincante aux anomalies mises en évidence par le test. D'autre part, il existe un risque important de conflit de légitimité, dans les cas où le contenu d'un accord conclu au niveau de l'entreprise serait jugé insuffisant par la Dilcrah après avis du comité des parties prenantes. Aucune de ces deux instances ne dispose d'une légitimité suffisante pour remettre en cause un accord régulièrement conclu entre l'employeur et les partenaires sociaux, comme je l'ai indiqué précédemment.

J'en viens aux sanctions : le « name and shame » ou l'amende administrative. Il paraît évident que la logique sous-jacente du dispositif, comme cela est trop souvent le cas en la matière, est celle de la sanction. Lorsque nous avons consulté les chercheurs à l'initiative des méthodologies et des campagnes de tests de 2019 et 2020, ils ont par exemple employé le mot « piéger ».

Les auditions n'ont pourtant pas fait émerger de consensus quant à l'efficacité de la publication des noms des entreprises. Concernant l'amende administrative, son montant particulièrement important, qui pourrait aller de 1 % à 5 % des rémunérations et des gains, et les précédents en la matière rendent son application peu crédible.

Cette approche fondée uniquement sur la crainte de la sanction ignore, de plus, les initiatives, certes sans doute perfectibles, déjà prises par les employeurs en matière de lutte contre les discriminations. Par exemple, la lutte contre les discriminations est déjà partiellement prise en compte dans le cadre des négociations en entreprise. Des obligations légales de formation existent déjà dans certains secteurs. Des outils de droit souples sont mis en oeuvre, en coopération avec l'État, pour prévenir les discriminations. Des entreprises volontaristes mettent enfin en oeuvre de bonnes pratiques, voire recourent à des autotestings.

La lutte contre les discriminations ne peut être efficace que lorsqu'elle suscite l'adhésion des employeurs. Elle suppose donc l'établissement d'un dialogue reposant sur la confiance et la mise en place d'un accompagnement aussi rigoureux qu'exigeant. Cet objectif peut tout à fait être atteint en droit constant, par l'intermédiaire d'un dialogue informel avec les personnes morales concernées. S'il est vrai que le dialogue a parfois ses limites, l'État est toutefois loin d'être désarmé pour répondre aux entreprises les plus récalcitrantes. L'inspection du travail dispose notamment d'une compétence générale pour contrôler l'application des dispositions du code du travail. En conséquence, je vous proposerai un amendement de suppression de l'article 3.

Enfin, l'article 3 bis modifie les critères du délit de discrimination fixés par l'article 225-1 du code pénal. Il substitue le terme de « nom de famille » à celui de « patronyme ». Les modifications successives, depuis le début des années 2000, de la législation relative au choix du nom, ont en effet rendu ce terme largement obsolète. L'article ajoute également la domiciliation bancaire à la liste des critères fondant une discrimination pénale. Je vous proposerai un amendement visant à prolonger cette harmonisation, en remplaçant également le terme « patronyme » dans la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ainsi que dans le code général de la fonction publique.

Mme Corinne Narassiguin. - Je remercie la rapporteure de son travail. Ce texte, aux intentions louables, comporte de nombreuses mesures problématiques, voire contre-productives. Nous ne pourrions donc le voter en l'état. Confier à la Dilcrah, organisme non indépendant, des prérogatives déjà exercées par le Défenseur des droits pose notamment problème. Le rôle de ce dernier doit être préservé.

Nous approuvons le premier amendement de la rapporteure qui retire à la Dilcrah la capacité de mener des tests individuels. La suppression du mot « correction » à l'alinéa 1 de l'article 1er nous semble en revanche regrettable.

Nous approuvons également votre deuxième amendement portant suppression de l'article 2. Le comité des parties prenantes n'est effectivement pas la bonne solution par rapport aux objectifs fixés par le texte.

Votre quatrième amendement ne pose aucun problème.

En revanche, nous ne sommes pas d'accord avec votre proposition de supprimer la totalité de l'article 3, même si sa rédaction pose effectivement problème. Une réécriture nous semblerait préférable. Nous voterons donc contre cette suppression. Si nous comprenons votre volonté d'équilibrer le texte et de le rendre le plus opérationnel possible, cette suppression ne nous paraît pas conforme à cet objectif. L'article contient en effet une partie substantielle du dispositif de la proposition de loi, car il doit assurer que les résultats des tests révélant l'existence de discriminations soient bien suivis d'effet. Il est important que des sanctions véritablement dissuasives existent en cas d'absence de réponse apportée à l'issue de la constatation de l'existence de pratiques discriminatoires.

Il ne s'agit pas d'ignorer les initiatives vertueuses prises par beaucoup d'entreprises, mais de s'assurer que les situations qui exigent une correction sont bien corrigées.

Par ailleurs, cet amendement dénonce des sanctions particulièrement lourdes et trop peu appliquées par les entreprises. Il faudrait plutôt voir comment encourager une meilleure application. Selon nous, seules des sanctions lourdes peuvent être dissuasives. Il faut peut-être simplement chercher à les diversifier et à les rendre plus applicables, pour juguler correctement le phénomène discriminatoire.

Enfin, l'objet de l'amendement précise que les mêmes objectifs semblent pouvoir être plus sûrement atteints à droit constant par la mobilisation des outils offerts par le code du travail. Cette supposition est fausse, sinon il n'y aurait plus de discriminations et cette proposition de loi n'aurait pas d'objet ! Il y a encore des mesures à prendre pour contraindre les entreprises qui n'agissent pas, sans ignorer pour autant celles qui font beaucoup d'efforts, et donc un équilibre à trouver entre mesures incitatives et mesures punitives.

Mme Marie Mercier. - Je félicite la rapporteure pour son travail précis et fouillé. On dit que la confiance se gagne en gouttes et se perd en litres. Or la suspicion est le fondement de ce texte. Nous constatons pourtant au cours de nos visites que le dialogue social prévaut véritablement dans les entreprises. Des cas de discrimination peuvent survenir, mais le souci des chefs d'entreprise en ce moment est de pourvoir les postes vacants. Un texte comme celui-ci va à l'encontre de volonté d'apporter de la richesse à leurs territoires. Ce texte, qui les met en difficulté et témoigne d'une suspicion à leur égard, serait un très mauvais signe en ce temps où nous essayons de simplifier les embauches.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Nous avons proposé de supprimer le mot « correction » dans l'article 1er, parce que cela était cohérent avec notre proposition de supprimer l'article 3.

Si l'inspection du travail constate des problèmes, elle peut saisir le procureur de la République pour que des sanctions interviennent. Il reste qu'elle doit faire son travail, aller au bout de la démarche et disposer des moyens pour le faire.

Si l'on impose des sanctions très lourdes aux entreprises, cela peut poser problème. Le « name and shame » a des conséquences, notamment réputationnelles, très lourdes. Concernant l'amende, son montant minimal, initialement fixé à 0,5 % des rémunérations et des gains, a été augmenté à 1 % lors de l'examen à l'Assemblée nationale, et peut aller jusqu'à 5 % en cas de récidive. Or cela risque de tuer certaines entreprises.

Par ailleurs, les entreprises n'ont pas intérêt à faire de la discrimination à l'embauche, alors même qu'elles essaient de trouver des employés. Réduire leur vivier en appliquant des critères discriminatoires n'aurait pas de sens.

Il existe toutefois des cas de discrimination, c'est évident. C'est la raison pour laquelle nous avons conservé l'article 1er. Pour lutter contre les discriminations, il faut une photographie fiable de la situation. Pour ce faire, il importe de donner des moyens à la Dilcrah. Il est intéressant de noter, au passage, que celle-ci a reçu des crédits avant même que la loi ne soit votée, puisque 3 millions d'euros lui ont été attribués dans la loi de finances pour 2024.

J'ai été assez sensible à la demande du Défenseur des droits et du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes pour la création d'un observatoire. J'inciterai le Gouvernement à répondre à cette demande. Par l'intermédiaire de cet observatoire, nous pourrions peut-être aller plus loin dans les mesures correctives à apporter.

M. François-Noël Buffet, président. - Concernant le périmètre de ce projet de loi, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer qu'il comprend les dispositions relatives aux tests statistiques et individuels de discrimination ainsi qu'aux suites apportées à leurs résultats.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

L'amendement  COM-1 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

L'amendement  COM-2 est adopté.

L'article 2 est supprimé.

Article 3

L'amendement  COM-3 est adopté.

L'article 3 est supprimé.

Article 3 bis (nouveau)

L'amendement de coordination  COM-4 est adopté.

L'article 3 bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 4 (supprimé)

L'article 4 demeure supprimé.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Les sorts des amendements du rapporteur examinés par la commission sont retracés dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er

Mme DI FOLCO, rapporteur

1

Limitation de la compétence de la DILCRAH à la seule production de tests statistiques

Adopté

Article 2

Mme DI FOLCO, rapporteur

2

Suppression du comité des parties prenantes

Adopté

Article 3

Mme DI FOLCO, rapporteur

3

Suppression de la procédure ad hoc de traitement des résultats d'un test statistique

Adopté

Article 3 bis (nouveau)

Mme DI FOLCO, rapporteur

4

Coordination

Adopté

RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45 DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS DU RÈGLEMENT DU SÉNAT

Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 37(*).

De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie38(*). Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte39(*). Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial40(*).

En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.

En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des lois a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 6 mars 2024, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 183 (2023-2024) visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques.

Elle a considéré que ce périmètre incluait les dispositions relatives aux tests statistiques et individuels de discrimination ainsi qu'aux suites apportées à leurs résultats.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
ET CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Assemblée nationale

M. Marc Ferracci, député représentant les Français établis hors de France, auteur et rapporteur de la proposition de loi

Ministère du travail, de la santé et des solidarités

Direction générale du travail

Mme Aurore Vitou, sous-directrice des relations du travail

M. Théo Albarracin, chef du bureau des relations individuelles du travail (RT1)

Mme Coraline Berthe, chargée de mission au sein du bureau RT1

Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH)

M. Olivier Klein, délégué interministériel

M. Hadrien Bureau, conseiller discriminations

M. Laurent Doraï, directeur du développement et des programmes

Défenseure des droits

Mme Claire Hedon, Défenseure des droits

Mme Mireille Le Corre, secrétaire générale

M. Jimmy Charruau, chargé de mission - Droit de la non-discrimination

Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes

Mme Sylvie Pierre-Brossolette, présidente

Mme Julia Mery, déléguée à la formation égalité professionnelle

Représentants des salariés

Confédération générale du travail (CGT)

M. Hugo Coldeboeuf, membre du collectif CGT confédéral en charge de la lutte contre les discriminations

Mme Anais Ferrer, membre du collectif CGT confédéral en charge de la lutte contre les discriminations

Représentants des employeurs

Association française des entreprises privées (AFEP)

M. Bruno Clément-Ziza, directeur général adjoint

Mme Amina Tarmil, responsable des affaires parlementaires France

Mouvement des entreprises de France (Medef)

Mme France Henry-Labordere, responsable du Pôle social

Mme Pia Voisine, directrice adjointe des emploi et relations sociales

Mme Inès Fontelas, chargée de mission égalité, diversité et inclusion

M. Adrien Chouguiat, directeur de mission affaires publiques

Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME)

M. Amir Reza-Tofighi, membre du comité exécutif

Mme Claire Richier, juriste affaires sociales

M. Adrien Dufour, responsable affaires publiques

Représentants des professions immobilières

Syndicat National des Professionnels Immobiliers (SNPI)

M. Samuel Taieb, juriste immobilier

UNIS Immobilier

M. François-Emmanuel Borrel, délégué de l'UNIS auprès du Défenseur Des Droits

Mme Emmanuelle Benhamou, juriste immobilier en charge de la gestion locative, et de la discrimination au logement

Fédération nationale de l'immobilier (FNAIM)

M. Loïc Cantin, président

Mme Rachel Chane See Chu, directrice de Cabinet

Associations

Association française des managers de la diversité (AFMD)

Mme Maya Hagege, déléguée générale

Mme Delphine Pouponneau, coprésidente

SOS Racisme

Mme Alice Murgier, responsable du Pôle juridique

Personnalités qualifiées

M. Yannick L'Horty, directeur de TEPP-CNRS, directeur de l'ONDES

Mme Pascale Petit, enseignant-chercheur, professeure d'Économie, directrice de l'UFR Sciences Économiques et de Gestion

M. Sylvain Chareyron, maître de conférences, université Paris Est Créteil

Mme Laetitia Challe, chercheuse postdoctorante au sein du laboratoire ERUDITE, à l'Université Gustave Eiffel

CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Représentants des salariés

Confédération Force ouvrière (FO)

Confédération française de l'encadrement-confédération générale des cadres (CFE-CGC)

Représentants des employeurs

Union des entreprises de proximité (U2P)

Associations

Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH)

Association française des managers de la diversité (AFMD)

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl23-183.html


* 1 Défenseur des droits, Fiche pratique, « Le test de discrimination, une méthodologie à respecter ».

* 2 Défenseur des droits, Fiche pratique, « Le test de discrimination, une méthodologie à respecter ».

* 3 Article L. 1132-1 du code du travail.

* 4 Article 1er de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs.

* 5 Article L. 931-3-2 du code de la sécurité sociale.

* 6 Article L. 131-1 du code général de la fonction publique.

* 7 Défenseur des droits, Conditions de travail et expérience des discriminations dans la profession d'avocat.e en France (mai 2018).

* 8 INSEE première, n° 1983, 2 février 2024.

* 9 Article 225-3-1 du code pénal.

* 10 Article 4 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations

* 11 DARES, Discriminations à l'embauche fondées sur l'origine à l'encontre de jeunes français(es) peu qualifié(e)s - Une enquête nationale par tests de discrimination ou testing, février 2008, n° 06.03.

* 12 Étude MICADO, DDD/TEPP-CNRS, octobre 2019.

* 13 Avis du Défenseur des droits n° 23-06, 13 novembre 2023.

* 14 DARES, « Discrimination à l'embauche selon « l'origine » : que nous apprend le testing auprès de grandes entreprises ? », décembre 2016, n° 076.

* 15 Laetitia Challe, Sylvain Chareyron, Yannick L'Horty, Pascale Petit. Discrimination dans le recrutement des grandes entreprises : une approche multicanal. 2020. hal-02441144.

* 16 Denis Anne, Laetitia Challe, Pascale Petit, Sylvain Chareyron, Yannick L'Horty, Loïc du Parquet, Rapport final pour le CGET - Discrimination dans le recrutement des grandes entreprises : une approche multicanal », Mars 2019.

* 17 Voir commentaire de l'article 3.

* 18 Qui seraient choisies en raison de leur « compétence statistique, juridique, économique ou sociale en matière de tests de discrimination ».

* 19 L'adoption en commission à l'Assemblée nationale d'un amendement n° CL 67 du rapporteur Marc Ferraci a par la suite modifié ce point pour prévoir la participation d'un représentant du Défenseur des droits lui même et non d'une personne extérieure désignée par ses soins.

* 20 Par l'adoption de quatre amendements identiques de la députée Clara Chassaniol (n° CL29), des députés Olivier Serva (n° CL71) et Philippe Latombe (n° CL 72) ainsi que du groupe écologiste (n° CL 75).

* 21 Par l'adoption de quatre amendements identiques des groupes Rennaissance (n° 24), MoDem et Indépendants (n° 31), communiste (n° 33) et écologiste (n° 55).

* 22 Si le texte ne le précise pas, cette possibilité d'émettre des recommandations doit être entendue comme concernant les seuls tests statistiques. L'appréciation des suites à donner à un test individuel, et en particulier de l'opportunité d'introduire un recours, relève de facto du seul intéressé.

* 23 Voir commentaire de l'article 1er.

* 24 Voir commentaire de l'article 2.

* 25 Si les acteurs de la négociation ne sont pas précisés dans le dispositif, l'intention de l'auteur de la proposition de la loi est bien qu'il s'agit d'une négociation interne à l'entreprise avec les organisations syndicales de salariés compétentes et conformément à l'article L. 2231-1 du code du travail. L'ambiguïté de la rédaction a toutefois pu conduire à des interprétations divergentes préjudiciables à la lisibilité du texte. La DILCRAH a notamment indiqué au cours de son audition que ladite négociation se tenait avec ses services.

* 26 Le délai peut être prolongé de trois mois par l'autorité administratives chargée de la politique du travail territorialement compétente afin de favoriser la conclusion de l'accord ou l'établissement du plan d'action.

* 27 Ledit accord ou plan « comporte des mesures précises et concrètes, détermine les objectifs de progression prévus et les actions qualitatives et quantitatives permettant de les atteindre, qui portent sur un nombre de domaines d'action identifiés par les recommandations du comité mentionné à l'article 2, et évalue leur coût. ».

* 28 Ils doivent comporter « des mesures précises et concrètes, détermine les objectifs de progression prévus et les actions qualitatives et quantitatives permettant de les atteindre, qui portent sur un nombre de domaines d'action identifiés par les recommandations du comité mentionné à l'article 2, et évalue leur coût ». La proposition de loi renvoie par ailleurs au pouvoir règlementaire le soin d'expliciter ces éléments.

* 29 L'U2P souligne la coexistence d'accords conclus sur des thèmes de non-discrimination spécifiques, à l'instar de l'emploi des personnes en situation de handicap (par exemple dans la branche de l'électronique et de l'équipement ménager), et d'accords transversaux sur la lutte contre les discriminations (par exemple la convention collective de la collective de la coiffure et des professions connexes ou accord relatif à la diversité et l'égalité des chances de la branche des fleuristes).

* 30 Il est néanmoins précisé que l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes représente une part prépondérante de ces accords.

* 31 Voir article L. 8112-1 du code du travail.

* 32 Voir le 1° de l'article L. 8112-2 du code du travail.

* 33 Exposé des motifs de l'amendement n° 8 (rect) du député Raphaël Gérard.

* 34 La loi n° 2002-304 du 4 mars 2002 relative au nom de famille qui a autorisé, à compter du 1er mars 2005, les parents à choisir comme nom de famille pour l'enfant celui du père, de la mère ou les deux accolés, tandis que la loi n° 2022-301 du 2 mars 2022 relative au choix du nom issu de la filiation a créé une procédure de changement de nom déclarative et décentralisée permettant à chacun d'exercer ce même choix.

* 35 Amendement n° 6 (rect) du député Raphaël Gérard.

* 36 Voir l'article 70 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique.

* 37 Voir le commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.

* 38 Voir par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.

* 39 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.

* 40 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.

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