CHAPITRE II : RÉNOVER LES MOYENS D'ENTRAVE ADMINISTRATIVE AUX ACTIVITÉS ET GROUPEMENTS TERRORISTES
Article 8
Adaptation des critères de dissolution
administrative
d'une association ou d'un groupement de fait
L'article 8 aménage les critères de dissolution administrative d'une association ou d'un groupement de fait qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens, d'une part, en substituant à la notion de manifestation armée celle de « l'appel à commettre des violences en groupe » et, d'autre part, en autorisant la dissolution en cas d'inaction de l'association ou du groupement à faire cesser ces agissements.
Dans un contexte de persistance d'une menace terroriste de haute intensité, la commission a pleinement reconnu la nécessité d'adapter les critères de dissolution administrative aux situations rencontrées dans la pratique et adopté l'article en conséquence. Elle a toutefois estimé que, pour atteindre cet objectif, la consécration législative de la définition de la « provocation » telle qu'elle ressort des récentes décisions du Conseil d'État offrait davantage de sécurité juridique. À l'initiative du rapporteur, elle a en outre créé un régime ad hoc de dévolution des biens des associations dissoutes.
1. La dissolution administrative des associations ou groupements de fait : un outil indispensable à la lutte antiterroriste
1.1 Le régime juridique de la dissolution administrative
Si la dissolution non volontaire d'une association relève traditionnellement en droit commun d'une décision judiciaire, prononcée en application des articles 3 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association ou à titre de peine complémentaire prononcée par une juridiction pénale22(*), le législateur a introduit de longue date, à titre dérogatoire, une procédure administrative de dissolution23(*). Celle-ci était initialement prévue par l'article 1er de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées avant sa codification en 2012 à l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure24(*).
En l'état du droit, la dissolution administrative d'une association ou d'un groupement de fait, entendu comme un groupe de personnes organisé en vue de leur expression collective25(*), peut être prononcée par décret du Président de la République en conseil des ministres dans sept cas de figure :
- en cas de provocation à des manifestations armées dans la rue ou, depuis la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République26(*), à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens (1°) ;
- lorsque l'association ou le groupement présente le caractère d'un groupe de combat ou d'une milice privée (2°) ;
- lorsque l'objet ou, depuis la loi du 24 août 2021 précitée, l'action de l'association ou du groupement tend à porter atteinte à l'intégrité du territoire national ou à attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement (3°) ;
- lorsque l'activité de l'association ou du groupement tend à faire échec aux mesures concernant le rétablissement de la légalité républicaine (4°) ;
- lorsque l'association ou le groupement a pour but de rassembler des individus ayant fait l'objet de condamnation du chef de collaboration avec l'ennemi ou d'exalter cette collaboration (5°) ;
- lorsque l'association ou le groupement soit (6°) :
? provoque ou contribue par ses agissements à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée. Ce dernier critère a également été complété par l'article 16 de la loi du 24 août 2021 précitée27(*) ;
? propage des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ;
- en cas d'agissements, sur ou à partir du territoire français, en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger (7°).
En 2021, le législateur a également introduit un nouvel article L. 212-1-1 au code de la sécurité intérieure visant à faciliter la dissolution administrative d'une association ou d'un groupement à raison des agissements individuels d'un ou plusieurs de ses membres agissant en cette qualité ou directement liés à ses activités lorsque les dirigeants se sont abstenus, en connaissance de cause, de faire cesser lesdits agissements.
Enfin, il convient de préciser que le maintien ou la reconstitution d'une association ou d'un groupement de fait est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende, en application de l'article 431-15 du code pénal.
1.2 Une procédure utilisée de manière croissante dans la lutte antiterroriste
Si la procédure de dissolution administrative a été régulièrement utilisée par les pouvoirs publics depuis sa création, une nette intensification de son usage peut être observée sur les cinq dernières années. À titre d'illustration, 135 dissolutions ont été prononcées depuis 1936, dont 19 depuis 2019 soit environ 20 %. À cet égard, la commission a réaffirmé sa position exprimée en 2021 où elle s'était « montrée favorable au renforcement de ce régime de police administrative qui a fait ses preuves pour rétablir ou maintenir l'ordre public en cas d'atteintes graves »28(*).
En outre, le profil des associations ou groupement dissous a sensiblement évolué sur la période récente, avec une montée en puissance d'entités en lien avec la mouvance islamistes. Ainsi, 19 des 35 dissolutions prononcées depuis 2016 sur le fondement du 6° ou du 7° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure concernaient ces entités. La commission a estimé que cette politique volontariste, qui faisait par ailleurs partie des recommandations du rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur les réponses apportées par les autorités publiques au développement de la radication islamiste et les moyens de la combattre29(*), allait dans le bon sens.
2. L'article 8 : un aménagement des critères de dissolution à raison de provocation à des manifestations armées ou d'agissements violents
Traduisant des préconisations d'un rapport de l'Assemblée nationale sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en France30(*), l'article 8 aménage les critères de dissolution administrative d'une association ou d'un groupement de fait qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens, d'une part, en substituant à la notion de manifestation armée celle de « l'appel à commettre des violences en groupe » et, d'autre part, en autorisant la dissolution en cas d'inaction de l'association ou du groupement à faire cesser ces agissements. Sur ce second point, les auteurs de la proposition de loi estiment que cette modification permettrait de « faire échec aux stratégies de contournement existantes et de rattacher des agissements individuels à une personne morale - l'association ou le groupement de fait ».
3. La position de la commission : consacrer la définition jurisprudentielle de la « provocation » et créer un régime ad hoc de dévolution des biens des associations dissoutes
Dans un contexte de persistance d'une menace terroriste de haute intensité, le rapporteur a pleinement reconnu la nécessité d'adapter les critères de dissolution administrative aux situations rencontrées dans la pratique. Rejoignant l'analyse exprimée par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur (DLPAJ) au cours de son audition, il a toutefois estimé que, pour atteindre cet objectif, la consécration législative de la définition de la « provocation » telle qu'elle ressort des récentes décisions du Conseil d'État offrirait davantage de sécurité juridique et de marges de manoeuvres opérationnelles aux services compétents.
À l'initiative du rapporteur, la commission a en conséquence adopté un amendement COM-13 inscrivant à l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure la définition de la « provocation » justifiant la dissolution d'une association ou d'un groupement de fait sur le fondement du 1°, du 6° ou du 7° telle qu'elle a été énoncée par le Conseil d'État, dans sa jurisprudence récente relative notamment aux Soulèvements de la Terre31(*). Pour rappel, la provocation est, aux termes du Conseil d'État, notamment constituée dans trois cas de figure :
- l'incitation explicite ou implicite, par propos ou par actes, à se livrer aux agissements mentionnés aux 1°, 6° et 7° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure précité ;
- la légitimation publique de ces agissements ;
- l'abstention à mettre en oeuvre les moyens de modération à disposition pour réagir à la diffusion d'incitations à commettre ces agissements.
Par l'adoption du même amendement COM-13 du rapporteur, la commission a par ailleurs créé un régime de dévolution des biens des associations ayant fait l'objet d'une dissolution. Cette modification vise à combler une lacune de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association qui ne fait aucune mention du devenir des biens des associations dissoutes, dès lors régi par les dispositions civiles de droit commun. Un tel dispositif apparaît pourtant indispensable pour prévenir la transmission du patrimoine d'une association dissoute à une association ou groupement poursuivant un objet similaire. Comme l'a rappelé la DLPAJ au cours de son audition, ces comportements ont pu être constatés dans la pratique et privent les mesures de dissolution d'une grande partie de leur effet.
Le dispositif adopté par la commission prévoit la désignation, à la demande de l'autorité administrative, d'un curateur par le président du tribunal judiciaire. Il reviendrait à celui-ci de procéder à la liquidation des biens de l'association en convoquant pour ce faire une assemblée générale. Afin d'éviter que les biens puissent être transmis à une association dont l'objet ou les agissements sont de même nature, l'autorité administrative pourrait saisir le tribunal judiciaire aux fins d'annulation de la décision de l'assemblée générale et de désignation d'une association ou d'une fondation reconnue d'utilité publique ou d'une personne morale de droit public à laquelle les biens seraient dévolus. Concrètement, la dévolution des biens ne pourrait intervenir qu'à l'expiration du délai de recours précité pour saisir le tribunal judiciaire aux fins de désignation d'une association ou d'une fondation, ou, le cas échéant, lorsque cette demande est rejetée, ou, lorsque la dissolution a fait l'objet d'un recours en annulation, à la date du rejet.
La commission a adopté l'article 8 ainsi modifié.
* 22 En application du 1° de l'article 131-39 du code pénal.
* 23 Pour un commentaire exhaustif sur les régimes judiciaires et administratifs de dissolution des associations ou groupement de fait, voir le commentaire de l'article 8 du projet de loi n° 3649 confortant le respect des principes de la République dans le rapport n° 454, tome I (2020-2021) de Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien.
* 24 D'autres régimes de police spéciale autorisent par ailleurs dans certains cas la dissolution administrative de dissolution ou de groupement de fait, en application notamment de l'article 6-1 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et de l'article L. 332-8 du code du sport.
* 25 Voir par exemple la décision du Conseil d'État du 17 novembre 2006, n° 296214.
* 26 Article 16.
* 27 Ce dernier a, d'une part, inséré les nouveaux critères liés au sexe, à l'orientation sexuelle ou à l'identité de genre et, d'autre part, permis la prise en compte de la contribution, par les agissements des associations visées à ces mêmes faits.
* 28 Rapport n° 454, tome I (2020-2021) de Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République (18 mars 2021).
* 29 Recommandation n° 10 : Procéder de manière plus systématique à la dissolution des associations cultuelles qui diffusent un discours incitant à la discrimination, à la haine ou à la violence. Ajuster les motifs de dissolution administrative d'une association ou d'un groupement de fait à la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison du sexe ou de l'orientation sexuelle (Radicalisation islamiste : faire face et lutter ensemble, rapport n° 595 (2019-2020) de Jacqueline Eustache-Brinio, fait au nom de la commission d'enquête, déposé le 7 juillet 2020).
* 30 Rapport d'information n° 2006 (XIV lég.) de M. Adrien Morenas au nom de la commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en France.
* 31 Conseil d'État, décision n° 476384 du 9 novembre 2023.