N° 258

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 janvier 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste,

Par M. Marc-Philippe DAUBRESSE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Philippe Bonnecarrère, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, M. Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Sénat :

202 et 259 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

Déposée le 12 décembre 2023, en réponse aux récents attentats d'Arras et de Bir-Hakeim, par François-Noël Buffet, Bruno Retailleau et Hervé Marseille, la proposition de loi a pour but, dans un contexte de persistance d'une menace terroriste très élevée et évolutive, de combler plusieurs lacunes de la législation pénale en vigueur et d'octroyer aux pouvoirs publics les moyens judiciaires et administratifs indispensables à une lutte antiterroriste efficace.

Bien que l'arsenal législatif antiterroriste ait été régulièrement complété au cours des dix dernières années, la commission des lois a considéré, suivant les conclusions du rapporteur, que ce texte - fruit d'une réflexion approfondie nourrie des observations et propositions des acteurs de la lutte antiterroriste - complétait utilement les prérogatives des autorités judiciaires et administratives en la matière.

Approuvant l'économie générale du texte, la commission a adopté vingt amendements du rapporteur visant, d'une part, à garantir la sécurité juridique et l'opérationnalité des dispositifs et, d'autre part, à compléter la proposition de loi par des mesures attendues par les acteurs judiciaires et administratifs de la lutte contre le terrorisme pour garantir l'efficacité de leur action et s'adapter aux évolutions récentes de la menace.

I. FACE À UNE MENACE TERRORISTE TRÈS ÉLEVÉE ET ÉVOLUTIVE, UN ARSENAL JURIDIQUE INCOMPLET

A. UNE MENACE ISLAMISTE PERSISTANTE, MISE EN LUMIÈRE PAR LES RÉCENTS ATTENTATS D'ARRAS ET DE BIR-HAKEIM

Trois phénomènes clairement identifiés par les acteurs de la lutte antiterroriste participent du maintien de la menace terroriste à un niveau très élevé en France.

Il s'agit, en premier lieu, des difficultés de prise en charge à l'issue de leur peine des condamnés terroristes, y compris ceux souffrant de troubles psychologiques ou psychiatriques.

Depuis l'été 2018, 486 détenus islamistes ont été libérés selon la DGSI. Selon l'appréciation portée par ses représentants devant le rapporteur, si plus de la moitié de ces sortants présentent aujourd'hui un profil considéré comme « désengagé », parmi l'autre moitié, aux profils plus ambivalents, certains restent ancrés dans l'idéologie radicale . L'acuité du suivi après leur peine des condamnés terroriste est aujourd'hui entière : la DGSI estime ainsi que « parmi les 391 détenus aujourd'hui incarcérés pour des faits de terrorisme, un noyau dur d'une cinquantaine d'individus présentent, à ce stade de leur peine qui est encore longue, un profil particulièrement inquiétant ».

Auditionné par le rapporteur, le procureur de la République antiterroriste a affirmé que cette problématique des sortants de détention était aujourd'hui nouvelle pour deux raisons cumulatives :

- leur nombre, estimé à 70 pour les deux prochaines années ;

leurs profils, dès lors que les deux prochaines années verront des sorties de détention d'individus ayant été condamnés, en moyenne, à des peines significativement plus lourdes que les détenus libérés ces trois dernières années.

De façon analogue, parmi les 5 200 objectifs inscrits au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste et suivis par la DGSI, 20 % présentent un trouble psychique documenté. Son directeur, Nicolas Lerner, a d'ailleurs récemment rappelé, sur ce point, que « sur les douze attentats que la France a connus depuis fin 2018, sept auteurs présentaient des troubles soit psychiatriques, dans un nombre restreint de cas, soit psychologiques ».

En deuxième lieu, il faut relever le caractère plus imprévisible des attaques terroristes qui sont désormais le plus souvent perpétrées par des individus solitaires ne s'étant jamais rendus sur des zones de combats, ne bénéficiant pas de l'appui de réseaux djihadistes très organisés, mais qui se sont radicalisés sur les réseaux sociaux et ont recours à des armes blanches vendues librement.

Cette évolution de la menace endogène inquiète particulièrement la DGSI, dont le directeur a récemment déclaré que, malgré l'investissement des services, ces individus « restent à la merci d'un passage à l'acte soudain, soit au terme d'un comportement dissimulateur, soit du fait d'une décompensation, sans qu'il y ait forcément de signes avant-coureurs, et parfois désorganisé ».

Il semblerait également que les groupes terroristes organisés et connus des services de renseignement aient opéré un changement stratégique visant, plutôt que d'inciter et de recruter des personnes susceptibles de se rendre sur des théâtres d'opérations, à endoctriner et provoquer à la commission d'actes de terrorisme sur le sol national des individus par des contacts opérés au moyen des réseaux sociaux.

Ainsi, le procureur national antiterroriste Jean-François Ricard a alerté le rapporteur sur le rôle essentiel joué par les réseaux sociaux pour alimenter les phénomènes « d'auto-radicalisation » qu'il juge « plus difficiles à suivre et à judiciariser » en l'état du droit puisqu'ils résultent de la consultation répétée de contenus en ligne à caractère religieux ou apologétique sans mise en relation, même virtuelle, avec un individu incitant explicitement au passage à l'acte.

En dernier lieu, la radicalisation croissante de mineurs, parfois particulièrement jeunes, s'opère désormais directement sur le territoire national.

Comme l'a rappelé le 6 décembre dernier Nicolas Lerner, « nous constatons depuis plus d'un an que la menace [islamiste] est de nouveau orientée à la hausse sous l'effet (...) d'abord d'une redynamisation de la mouvance endogène, singulièrement portée par de très jeunes individus ».

Le profil de ces jeunes n'est pas sans interroger les services qui rapportent que dans plusieurs affaires - parfois traitées avec les services d'autres États européens, dans la mesure où ce phénomène n'est pas que français -, ces jeunes individus ne fréquentaient pas de mosquées ni des lieux de socialisation mais se structuraient en ligne, sur les réseaux sociaux, à travers un « enfermement idéologique et numérique très préoccupant ».

Partageant ce constat lors de son audition, le procureur national antiterroriste de la République a affirmé observer en 2023 une nette augmentation des mineurs impliqués pour des faits de terrorisme, 14 mineurs ayant été mis en examen pour des faits exclusivement commis en tant que mineurs dont 4 étaient âgés de moins de 16 ans. Abondant en ce sens, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse a affirmé pour sa part que « 2023 constitue la troisième année ayant connu le plus de mise en examen de mineurs, les deux autres étant 2016 et 2017 (...) et concernaient plutôt des tentatives de départs sur zone irako-syrienne » mais observe désormais « des profils de mineurs plus jeunes et également avec des projets d'attentats assez aboutis ».

B. UNE MENACE ÉVOLUTIVE ET PROTÉIFORME QUE L'ARSENAL ANTITERRORISTE PEINE À APPRÉHENDER

Les récents attentats d'Arras et de Bir-Hakeim ont mis en lumière la prégnance de deux manifestations de la menace islamiste qui, sans être entièrement nouvelles, connaissent aujourd'hui un regain et sont mal appréhendées par l'arsenal pénal actuel.

Celui-ci a en effet été profondément modifié entre 2014 et 2016 pour tenir compte de deux manifestations de la menace terroriste qui ne semblent plus être les plus importantes aujourd'hui : d'une part, le retour de ressortissants ou de résidents français s'étant rendus sur les théâtres d'opérations de groupes terroristes, y compris accompagnés de mineurs ; d'autre part, la préparation ou la commission d'actes terroristes par des « filières » djihadistes organisées en groupements et disposant d'importants moyens logistiques, opérationnels et armés pour commettre des attaques de grande envergure, longuement préméditées et préparées.

De façon analogue, l'ensemble des mesures spécifiques à la lutte contre le terrorisme aujourd'hui applicables aux mineurs visent à prendre en charge ceux qui reviennent sur le sol national après avoir été emmenés ou être nés dans une zone de conflit. Elles ont donc une vocation d'assistance éducative et de protection de mineurs considérés comme des victimes et ne permettent pas, à elles seules, une prise en charge pleinement satisfaisante des profils de plus en plus nombreux de mineurs durablement radicalisés sans avoir quitté le territoire national ; qui sont parfois condamnés pour des faits de terrorismes.

Par ailleurs, si elle a le mérite d'avoir partiellement complété l'arsenal antiterroriste, la récente création d'une mesure de suivi judiciaire des condamnés terroristes est manifestement insuffisante. Près de deux ans après sa création, celle-ci n'a pu être mise en oeuvre qu'à une seule reprise en raison de l'inadéquation les conditions requises par le législateur et la réalité des situations rencontrées.

Enfin, le haut niveau de menace résultant de l'ancrage persistant dans l'idéologie djihadiste de profils expérimentés sortant de détention à l'issue de leur peine et les récentes évolutions géopolitiques appellent plus largement à une consolidation de l'arsenal juridique antiterroriste existant.

II. UNE PROPOSITION DE LOI VISANT À RÉPONDRE AUX NOUVELLES FORMES DE LA MENACE TERRORISTE

La proposition de loi présentée par François-Noël Buffet n'entend pas bouleverser les équilibres construits en matière de lutte contre le terrorisme au cours des trente dernières années. Elle poursuit l'objectif principal de consolider cet édifice juridique, de remédier aux lacunes judiciaires et administratives qui sont apparues à la lumière des récents attentats.

A. INSTITUER DES MESURES JUDICIAIRES DE SÛRETE À L'ENCONTRE DES CONDAMNÉS TERRORISTES, Y COMPRIS SOUFFRANT DE TROUBLES PSYCHIATRIQUES

Réunies dans le premier titre de la proposition de loi, trois nouvelles mesures de sûreté applicables aux condamnés pour terrorisme afin de renforcer leur surveillance à leur sortie de détention sont envisagées :

- la réintroduction d'une mesure de suivi et de surveillance judiciaire votée à deux reprises par le Sénat (article 1er) ;

- l'ouverture de la rétention de sureté en raison de troubles psychiatriques graves aux criminels terroristes (article 2) ;

- la création d'une nouvelle forme de rétention de sureté, réservée aux condamnés terroristes encore engagés dans une idéologie radicale à l'issue de leur peine, indépendamment de critères psychiatriques (article 2).

B. RENFORCER LE SUIVI ET LE TRAITEMENT JUDICIAIRE DES MINEURS RADICALISÉS

Prenant acte de l'implication croissante de mineurs, y compris de moins de seize ans dans des projets parfois très aboutis à caractère terroriste, la proposition de loi prévoit plusieurs évolutions de l'arsenal pénal applicable en cas de commission d'actes de terrorisme par les mineurs.

Ainsi, elle vise à modifier le régime du contrôle judiciaire, de l'assignation à résidence avec surveillance électronique et de la détention provisoire applicables aux mineurs de plus de treize ans, en particulier afin de déroger aux règles de droit commun en la matière et d'étendre la durée maximale du placement en centre éducatif fermé ou en détention provisoire des mineurs radicalisés et placés sous main de justice (article 3).

Poursuivant les mêmes objectifs, elle autorise la prise en charge des mineurs sous main de justice par la protection judiciaire de la jeunesse au-delà de leur majorité, de manière à éviter les ruptures de prise en charge (article 4), et favorise, plus largement, l'intervention conjointe de l'aide sociale à l'enfance et de la PJJ dans la prise en charge de ces mineurs, en particulier ceux qui sont de retour de zones de combat (article 5).

C. ADAPTER L'ARSENAL PÉNAL AUX NOUVEAUX MODES OPÉRATOIRES DES TERRORISTES

Prenant acte des différentes observations formulées par les acteurs judiciaires et administratifs de lutte contre le terrorisme à la suite, notamment, des attentats terroristes d'Arras et de Bir-Hakeim, la proposition de loi ambitionne d'adapter l'arsenal pénal antiterroriste aux nouveaux modes opératoires des individus se rendant coupables d'actes de terrorisme. Pour ce faire, elle prévoit de :

réintroduire un délit de recel d'apologie du terrorisme en l'assortissant de garanties supplémentaires, afin d'en garantir la constitutionnalité. Pour rappel, ces faits ne peuvent plus faire l'objet de poursuites judiciaires depuis une censure par le Conseil constitutionnel, et ce alors même qu'ils sont le signe d'une radicalisation, parfois très ancrée, d'un individu et qu'un tel dispositif permettrait de judiciariser, en amont d'un passage à l'acte, des profils particulièrement dangereux (article 11) ;

- créer plusieurs nouvelles circonstances aggravantes au délit d'apologie ou de provocation à des actes de terrorisme lorsque les propos incriminés sont tenus dans l'exercice du culte ou dans un lieu de culte par un ministre du culte (article 12), qu'ils sont commis en ligne ou sur une personne vulnérable (article 13) ou qu'ils ont été suivis d'effets (article 13) ;

- introduire une peine complémentaire dite de « bannissement numérique » de tout individu ayant provoqué, au moyen d'un support numérique, à la commission d'actes de terrorisme (article 14) ;

- introduire une peine complémentaire d'interdiction de paraître dans les transports en commun dès lors qu'un individu se serait rendu coupable d'un acte terroriste dans ce type de lieux (article 15).

D. CONFIER À L'ADMINISTRATION DES MOYENS DE PRÉVENTION ET D'INVESTIGATION POUR CONTRER L'ENSEMBLE DES MANIFESTATIONS DE LA MENACE TERRORISTE

La proposition de loi comporte enfin une série de dispositions visant à permettre à l'administration d'agir en urgence et selon des procédures adaptées et simplifiées pour prévenir des dérives susceptibles de mener à des actes terroristes. Certaines de ces mesures, dont la portée excède parfois la seule lutte contre le terrorisme, visent à doter les enquêteurs des moyens juridiques nécessaires pour faire échec à l'ensemble des manifestations de la menace terroriste. Ainsi, il est proposé :

de simplifier l'acquisition de produits licites et illicites par des agents infiltrés dans le cadre d'enquêtes conduites sous pseudonyme (article 6) ;

- d'introduire une interdiction de paraitre dans les transports en commun dans le régime des MICAS (article 7) ;

- de moderniser les critères permettant la dissolution administrative des associations et groupements de fait (article 8) ;

- de faciliter la levée des protections contre l'éloignement dont bénéficient certaines catégories d'étrangers aux liens particuliers avec la France (articles 9 et 10).

III. LA POSITION DE LA COMMISSION : DOTER LES POUVOIRS PUBLICS DES MOYENS INDISPENSABLES À UNE ACTION EFFICACE ET PROPORTIONNÉE CONTRE LE TERRORISME

A. LE RENFORCEMENT BIENVENU DE L'ARSENAL JUDICIAIRE ET ADMINISTRATIF ET DES MOYENS DES SERVICES DE LUTTE CONTRE LE TERRORISME

Si l'arsenal législatif antiterroriste a été assez régulièrement complété au cours des dix dernières années, le rapporteur est, d'un constat partagé avec l'ensemble des acteurs de la lutte antiterroriste auditionnés, convaincu de la nécessité d'apporter certains correctifs aux dispositions pénales et administratives en ce domaine afin d'en améliorer l'efficacité et l'opérationnalité.

En ce qu'il adapte l'action des pouvoirs publics aux nouvelles formes prises par le terrorisme, qu'il modernise certains moyens des services enquêteurs, qu'il dote l'autorité administrative de nouveaux instruments pour entraver le passage à l'acte d'individus ou de groupements, qu'il permet de réprimer pénalement la détention d'images à caractère apologétique et de renforcer le suivi et la répression des mineurs se rendant coupables d'actes à caractère terroriste, la commission a considéré que ce texte complétait utilement l'arsenal de lutte contre le terrorisme et en a accepté, à l'initiative de son rapporteur, l'économie générale.

Elle a, de surcroit, considéré que ces mesures étaient rendues d'autant plus indispensables que notre pays s'apprête à accueillir, pendant près de deux mois et sur plusieurs sites hexagonaux et outre-mer, les jeux Olympiques et Paralympiques, évènement mondial particulièrement exposé à une menace terroriste d'ampleur. Les mesures ainsi proposées sont, dès lors, apparues à la commission comme particulièrement bienvenues en ce qu'elles constituent des réponses proportionnées et pragmatiques à une situation de menace imminente et de haute intensité pour l'ordre public et la sûreté des personnes et des biens.

B. DES AJUSTEMENTS NÉCESSAIRES POUR GARANTIR LA SÉCURITÉ JURIDIQUE ET L'OPÉRATIONNALITÉ DES DISPOSITIFS

La commission des lois a porté une attention particulière, dans le cadre de son examen, à garantir un équilibre entre opérationnalité des mesures, efficacité de la lutte contre le terrorisme et garantie des droits et libertés constitutionnels.

C'est pourquoi, à l'initiative du rapporteur, elle a procédé à plusieurs ajustements destinés à garantir la solidité juridique et l'opérationnalité des dispositifs, afin de permettre aux acteurs de la lutte contre le terrorisme de s'appuyer sur des outils et des instruments efficaces, adaptés et proportionnés à l'objectif de protection de l'ordre public et ne portant que des atteintes strictement nécessaires et ponctuelles à l'exercice de certaines libertés fondamentales.

1. Assurer l'applicabilité des deux mesures de judiciaires de sûreté proposées sans fragiliser leur proportionnalité

Compte tenu du bilan non-concluant du déploiement de la mesure de prévention de la récidive terroriste, la commission a souhaité améliorer l'opérationnalité de la mesure et son adéquation aux profils des individus concernés, ainsi qu'attendu par les services du parquet national antiterroriste (PNAT) et les juges d'application des peines antiterroristes.

Presque aussi exigeants que ceux de la définition de l'infraction d'association de malfaiteurs terroristes, les critères de dangerosité de la mesure la rendaient quasiment inapplicable. La commission a donc estimé nécessaire de reformuler les critères applicables et a, en conséquence, visé une probabilité élevée de récidive et une adhésion avérée à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme, plutôt qu'une probabilité très élevée et une adhésion persistante à ces idéologies.

De manière à garantir la proportionnalité de la mesure et à éviter de fragiliser le dispositif éprouvé des Micas, elle a contrebalancé cet élargissement par l'ajout de plusieurs garanties :

- elle a, d'une part, renforcé le volet de réinsertion et d'accompagnement de la mesure en permettant aux juges d'application des peines de prononcer une injonction de soins pour certains profils dont ils peinent à assurer un suivi adapté et favorable à leur réinsertion en l'état du droit ;

- elle a, d'autre part, exclu du contenu de la mesure les trois mesures de surveillance particulièrement attentatoires aux libertés individuelles que sont l'interdiction de paraitre en certains lieux, l'obligation d'établir son domicile en un lieu donné et l'interdiction de port d'une arme.

Cette seconde modification répond également à une exigence constitutionnelle : saisi de la conformité à la Constitution de l'allongement de la durée des Micas à deux ans, le Conseil constitutionnel a en effet également apprécié la nécessité et la proportionnalité de ces mesures au regard de l'existence de mesures moins attentatoires aux droits et libertés individuelles existantes. Dès lors, un renforcement du volet surveillance de cette mesure de sûreté judiciaire pourrait fragiliser les Micas en dépit de leur bilan opérationnel très positif.

De la même manière, afin d'assurer l'opérationnalité et la sécurité juridique des mesures de rétention de sureté proposées par le texte, le rapporteur a souhaité, d'une part, limiter le champ de ces mesures aux seuls condamnés pour des crimes à caractère terroriste à des peines supérieures à quinze ans d'emprisonnement, ou dix ans en cas de récidive et, d'autre part, prévoir une prise en charge adaptée aux profils radicalisés en y ajoutant l'acquisition des valeurs de la citoyenneté.

2. Renforcer l'opérationnalité et la sécurité juridique des mesures administratives de lutte contre le terrorisme

Soucieuse d'assurer l'efficacité des outils et instruments mis à la disposition des autorités administratives au titre de la lutte contre le terrorisme, la commission a, à l'initiative du rapporteur :

maintenu le caractère obligatoire d'une autorisation judiciaire préalable pour l'ensemble des opérations d'achats de fournitures effectuées par des enquêteurs sous pseudonyme, tout en aménageant les modalités de sa délivrance lorsque les produits concernés sont licites en permettant d'autoriser pour quarante-huit heures toutes opérations portant sur une ou plusieurs catégories de produits déterminées ;

- substitué à l'interdiction de paraitre dans les transports en commun dans le cadre de la Micas une interdiction de paraitre autonome, moins attentatoire aux libertés individuelles qu'une Micas mais aux critères de prononcé plus souples. Une telle interdiction apparait particulièrement opportune dans la perspective de la tenue des jeux Olympiques et Paralympiques l'été prochain ;

- consacré au niveau législatif la définition de la « provocation » justifiant la dissolution d'une association ou d'un groupement de fait, quel qu'en soit le motif, énoncée par le Conseil d'État dans sa jurisprudence récente relative notamment aux Soulèvements de la Terre ;

- institué un régime de dévolution des biens des associations ayant fait l'objet d'une dissolution pour faire échec aux stratégies mises en oeuvre par celles-ci, pendant la durée de la procédure de dissolution, afin d'organiser la vente ou le transfert de leurs biens, y compris à des associations ou groupements partageant le même objectif et empêchant leur saisie à l'issue de la procédure.

3. Garantir la robustesse des évolutions de l'arsenal pénal de lutte contre le terrorisme

Poursuivant un double objectif de renforcement de la cohérence judiciaire du texte et de la pénalisation de certains comportements particulièrement dangereux pour l'ordre public, la commission a :

réécrit l'infraction visant à réprimer la détention de contenus apologétiques, tout en veillant à la constitutionnalité de la mesure. Pour ce faire, la commission a souhaité restreindre le champ d'application de ce délit par deux moyens. D'une part, elle a introduit un critère de gravité particulièrement restreint, sur le modèle des dispositions incriminant la détention d'images pédopornographiques. Ainsi, plutôt que de sanctionner la détention de contenus apologétiques de manière générale, elle propose de ne sanctionner que la seule détention des contenus les plus graves, exhibant des crimes terroristes D'autre part, à la différence du délit de recel d'apologie, ce critère est complété d'un élément intentionnel : l'infraction permettant de sanctionner les individus détenant de telles images apologétiques ne serait constituée qu'à condition que l'adhésion de l'auteur à un ou plusieurs crimes terroristes ainsi exhibés soit manifeste ;

supprimé l'article 13, compte tenu des importantes réserves formulées par le procureur national de la République antiterroriste quant aux effets de bord dommageables susceptibles d'être induits par les dispositions proposées ;

rétabli la cohérence des dispositions applicables aux mineurs de moins de seize ans et de plus de seize ans en relevant à deux ans la durée maximum de placement en détention provisoire d'un mineur de plus de seize ans mis en examen pour des faits d'entreprise individuelle à caractère terroriste.

C. DES MESURES ADDITIONNELLES PERMETTANT DE COMPLÉTER UTILEMENT LA PROPOSITION DE LOI

Forte des observations et propositions des acteurs judiciaires et administratifs de la lutte antiterroriste, la commission a, à l'initiative du rapporteur, introduit neuf mesures additionnelles. Elle a ainsi :

- conféré un caractère suspensif au recours en appel formulé par le ministère de l'intérieur à l'encontre d'une décision d'annulation du renouvellement d'une Micas ;

- harmonisé les voies de recours contre les décisions d'autorisation de saisie et d'exploitation des données dans le cadre des visites domiciliaires ;

- augmenté la durée de rétention administrative applicable aux étrangers condamnés pour des infractions terroristes, y compris pour des faits d'apologie du terrorisme ou de provocation à des actes de terrorisme ;

- intégré au délit d'apologie du terrorisme la diffusion de contenu apologétique sur les réseaux privés de communication lorsque son ampleur ou l'absence de communauté d'intérêts entre les destinataires permettent de l'assimiler à de l'apologie publique ;

- renforcé les informations communiquées quant à la prise en charge d'une personne radicalisée hospitalisée sans son consentement aux préfets du lieu d'hospitalisation et du lieu domicile ;

- introduit une obligation d'information du procureur de la République en cas de demande de changement de nom d'une personne condamnée pour des crimes à caractère terroriste ;

- prévu l'information obligatoire de l'autorité académique et du chef d'établissement d'une mise en examen ou condamnation pour une infraction terroriste - y compris l'apologie - d'une personne scolarisée ou ayant vocation à être scolarisée dans un établissement scolaire, public ou privé.

- introduit la notion d'inconduite notoire comme motif de retrait d'un sursis probatoire et d'un suivi socio-judiciaire ;

- institué la commission d'une nouvelle infraction comme motif de révocation d'une mesure de surveillance judiciaire ou d'un suivi socio-judiciaire.

*

* *

La commission des lois a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.

EXAMEN DES ARTICLES

TITRE IER : INSTITUER DE NOUVELLES MESURES
DE SURETÉ APPLICABLES AUX CONDAMNÉS
POUR TERRORISME À LEUR SORTIE DE DÉTENTION

Article 1er
Renforcement de la mesure judiciaire de prévention
de la récidive terroriste et de réinsertion

Prenant acte du bilan particulièrement peu concluant de la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion, la commission a, en s'inspirant de dispositions déjà votées, souhaiter renforcer le contenu des obligations susceptibles d'être prononcées dans cette mesure ainsi qu'en modifier la procédure afin qu'elle soit prononcée par la juridiction régionale de rétention de sureté (JRRS). En outre, à l'initiative du rapporteur, elle a proposé un assouplissement des critères de prononcé de la mesure afin d'en améliorer l'opérationnalité et son adéquation aux profils des individus concernés.

Elle a adopté cet article ainsi modifié.

1. Le faible bilan de la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion en dépit de l'acuité renouvelée de la problématique du suivi des condamnés terroristes sortants de détention

Au 31 décembre 2023, sont détenues 258 personnes condamnées pour des actes de terrorisme en lien avec la mouvance islamiste, dénommés « TIS ».

D'ici au 31 décembre 2026, on peut estimer entre 150 et 250 le nombre de « TIS » qui devraient sortir de détention. Parmi ceux-ci, entre 50 et 150 devraient faire l'objet d'un suivi socio-judiciaire. 122 n'ont pas été condamnés à une telle peine. Le nombre de personnes qui devraient sortir sans mesure, autrement dit « en sortie sèche », est estimé entre 25 et 50.

Ces libérations nombreuses d'individus condamnés pour des faits de terrorisme constituent un enjeu majeur de sécurité publique.

Il est en effet aujourd'hui largement admis qu'en dépit des réformes engagées au cours des dernières années, la prison peine encore à prendre en charge les individus radicalisés et ne permet pas d'aboutir, sur le temps de la détention, à un désengagement de l'idéologie djihadiste.

Les auditions menées par le rapporteur ont confirmé ce constat. Pour les services de renseignement intérieur, les sortants de détention constituent aujourd'hui l'une des principales menaces auxquelles notre pays est exposé en matière de terrorisme. La directrice générale de la sécurité intérieure, Céline Berthon, indiquait lors de son audition que figuraient parmi les personnes dont la libération était prévue en 2023 et 2024 des « profils lourds », souvent des personnes condamnées pour des projets terroristes particulièrement aboutis ou s'étant rendus pendant plusieurs années dans des zones tenues par les terroristes islamistes.

Il s'agit également d'une préoccupation majeure du procureur de la République antiterroriste qui, auditionné par le rapporteur, a affirmé que cette problématique des sortants de détention était aujourd'hui nouvelle, pour deux raisons cumulatives :

- leur nombre, estimé à 70 pour les deux prochaines années ;

- leurs profils, dès lors que les deux prochaines années verront des sorties de détention d'individus ayant été condamnés, en moyenne, à des peines significativement plus lourdes que les détenus libérés ces trois dernières années.

Face à cet enjeu majeur, les outils à disposition des pouvoirs publics, bien que nombreux, se révèlent dans la pratique soit incomplets, soit inadaptés pour permettre un suivi efficace des condamnés terroristes à leur sortie de détention.

Actuellement, face à leur dangerosité et afin d'éviter toute sortie « sèche » de détention, les pouvoirs publics privilégient des mesures administratives et de suivi judiciaire sans que celles-ci n'offrent, au regard de leur durée limitée et des mesures susceptibles d'être prononcées, un cadre de surveillance suffisant et durable pour prévenir et empêcher la récidive de tels faits.

Ainsi, la mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) a une durée limitée à douze mois et offrent, de ce fait, des possibilités de surveillance jugées insuffisantes par les services de renseignement. Cette durée ne saurait, pour autant, être allongée, comme l'a récemment rappelé le Conseil constitutionnel. En outre, à l'instar de la surveillance exercée par les services de renseignement, la MICAS se révèle un outil incomplet dans la mesure où elle se limite à soumettre la personne à des mesures de surveillance, sans offrir d'accompagnement à la réinsertion, volet pourtant essentiel au développement d'une politique efficace de prévention de la récidive.

Dès lors, si les outils administratifs ont récemment été renforcés, la commission des lois du Sénat a, de longue date, insisté pour la mise en place d'un suivi des sortants de détention par des mesures judiciaires, qui constituent la voie juridiquement la plus pertinente et la plus protectrice des libertés individuelles, pour répondre à l'enjeu que représente, en termes de sécurité publique, l'élargissement des condamnés terroristes. À l'inverse, le prononcé d'une mesure administrative de surveillance à l'issue d'une peine n'apparaît pas satisfaisant eu égard aux objectifs fixés par le législateur au prononcé d'une peine, singulièrement en matière pénale.

Alors qu'ils devraient assurer cette finalité d'accompagnement à la réinsertion, les outils judiciaires, pourtant multiples, souffrent également de nombreuses lacunes.

Ainsi, depuis le 1er janvier 2021, 234 condamnés pour des actes de terrorisme en lien avec la mouvance islamiste, dénommés « TIS », sont sortis de détention.

Parmi celles-ci :

- 37 ont été soumis à un suivi socio-judiciaire ;

- 72 ont été placées sous surveillance judiciaire ;

- 23 ont fait l'objet d'une mesure de suivi post-peine ;

- 1 personne a fait l'objet d'une mesure judiciaire de prévention de la récidive et de réinsertion ;

- 68 personnes ont fait l'objet d'un sursis probatoire ou d'un aménagement de peine ;

- 33 personnes sont sorties sans mesure de suivi, soit qu'aucune mesure n'est juridiquement possible, soit que le profil de ces personnes ne justifiait aucune mesure de suivi. De fait, si les sorties « sèches » sont rares, celles-ci ne peuvent, en l'état du droit, pas toujours être évitées comme l'a rappelé le PNAT lors de son audition par le rapporteur.

Ceci étant, les mesures de suivi judiciaire susceptibles d'être prononcées se révèlent soit difficiles à appliquer, soit très insuffisantes au regard des profils concernés, y compris celles votées récemment par le législateur et applicables à ces seuls profils.

Il en va ainsi de la mesure de la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion, votée par le législateur en 2021 à l'occasion de la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 dite « PATR ».

De l'aveu de l'ensemble des personnes auditionnées, le bilan de cette mesure est particulièrement décevant. Près de deux ans après sa création, celle-ci n'a pu être mise en oeuvre qu'à une seule reprise en raison de l'inadéquation entre les conditions requises par le législateur et la réalité des situations rencontrées.

Aux yeux des acteurs judiciaires chargés des réquisitions comme du prononcé de cette mesure, celle-ci s'avère particulièrement insuffisante pour deux raisons principales :

- d'une part, compte tenu de la rigueur et de la complexité des critères fixés par le législateur, la caractérisation des critères prévus par le législateur est particulièrement complexe ;

- d'autre part, elle n'offre pas, eu égard au contenu des obligations susceptibles d'être prononcées dans ce cadre, un suivi suffisamment adaptée à ces profils.

2. La proposition de loi ambitionne de substituer à cette mesure une nouvelle mesure mixte de réinsertion et de surveillance

L'article 1er reprend les dispositions visant à instituer une mesure de sûreté judiciaire applicable aux auteurs d'infractions terroristes, votée à deux reprises au Sénat en 2021, en lieu et place de la mesure de prévention de la récidive terroriste adoptée par l'Assemblée nationale en lecture définitive, après échec de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement.

Le dispositif proposé diffère des dispositions existantes sur deux points essentiels :

- il prévoit une mesure mixte tant d'accompagnement à la réinsertion que de surveillance, en lieu et place d'une simple mesure de réinsertion.

Ainsi, le contenu de la mesure serait renforcé en ce qu'il permettrait au juge de l'application des peines de prononcer des mesures de réinsertion supplémentaires par renvoi aux 3° de l'article 132-44 du code pénal et 5° de l'article 132-44 du même code, mais également de nouvelles interdictions ou obligations telles que : prévenir le SPIP de tout changement de résidence ou déplacement qui excéderait 15 jours (4° de l'article 132-44), informer le même juge de tout déplacement à l'étranger ou obtenir l'autorisation préalable pour tout déplacement à l'étranger (6° de l'article 132-44, 19° de l'article 132-45), interdiction de paraitre en tout lieu ou catégorie de lieux (9° de l'article 132-45), interdiction de contacts avec certains condamnés (12° de l'article 132-45) et d'entrer en relation avec certaines personnes ou catégories de personnes (13° de l'article 132-45), et une interdiction de détention ou port d'arme (14° de l'article 132-45).

- cette mesure serait prononcée par la juridiction régionale de la rétention de sûreté, après avis du juge de l'application des peines chargé du suivi de la personne.

3. Des ajustements nécessaires pour garantir la sécurité juridique et l'opérationnalité de la mesure de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion

Compte tenu du bilan non-concluant du déploiement de la mesure de prévention de la récidive terroriste près de deux années après son vote au Parlement, le rapporteur a pu, lors de ses auditions, constater que des évolutions étaient particulièrement attendues par les services du parquet national antiterroriste (PNAT) comme des juges d'application des peines antiterroristes afin d'améliorer l'opérationnalité de la mesure et son adéquation aux profils des individus concernés.

La commission a donc, tout en conservant l'économie générale d'un dispositif qu'elle a déjà validé à deux reprises, souhaité, à l'initiative du rapporteur modifier sur cinq points les équilibres auxquels elle avait abouti lors de ces précédents travaux, à la lumière des observations formulées par les acteurs judiciaires après deux années d'application de la mesure.

En premier lieu, la commission a proposé une nouvelle caractérisation du critère de dangerosité, qui conditionne le prononcé de la mesure de sûreté existante et que la proposition de loi laissait sans modification.

La rédaction actuelle, si elle a le mérite de la précision, apparaît en effet peu opérationnelle. Les critères retenus sont à ce point restrictifs qu'ils se rapprochent de la définition de l'infraction d'association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste et rendent de ce fait la mesure quasiment inapplicable voire inopportune - les services du PNAT préférant ouvrir une nouvelle information judiciaire pour de tels faits.

Afin de garantir l'opérationnalité de la mesure, sans la fragiliser sur le plan constitutionnel, la commission a, à l'initiative du rapporteur, adapté la notion de dangerosité :

- en abaissant le critère de dangerosité à celui d'un risque élevé de récidive ;

- en visant l'adhésion avérée à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme, plutôt qu'une adhésion persistante, particulièrement difficile à caractériser après une longue période de détention et face à des profils qui font usage de techniques de dissimulation ;

- en introduisant un critère alternatif pour caractériser la particulière dangerosité en ajoutant le fait de souffrir de troubles graves de la personnalité, terreau particulièrement favorable à la récidive.

En deuxième lieu, la commission a élargi l'application de la mesure aux personnes condamnées à des peines supérieures à trois ans, non plus en cas de récidive mais dès réitération d'infractions à caractère terroriste, afin de faciliter le prononcé de cette mesure de réinsertion au contenu adapté à des condamnés présentant des troubles psychiatriques.

En troisième lieu, la commission a souhaité compléter les obligations susceptibles d'être prononcées dans le cadre de la mesure de sûreté créée par la proposition de loi, à la lumière des difficultés rencontrées par les juges d'application des peines spécialisés en matière terroriste pour assurer un suivi adapté à ces profils.

Ainsi, il lui est apparu nécessaire de renforcer tant l'accompagnement médical et psychiatrique, essentiel à la prévention de la récidive, que les obligations de déclaration ou d'autorisation des condamnés dans ce cadre. Pour ce faire, elle a prévu une obligation d'exercice d'activité professionnelle ou de formation, une possibilité d'interdiction par le juge de l'exercice de certaines activités, une obligation d'informer le juge d'application des peines de tout déplacement à l'étranger ou d'obtenir son autorisation préalable pour tout déplacement à l'étranger, une faculté d'interdiction de contacts avec certains condamnés et d'entrer en relation avec certaines personnes ou catégories de personnes, et une injonction de soins, sur le modèle existant pour le suivi socio-judiciaire.

De la même manière, la commission a supprimé certaines mesures, telles que l'interdiction de port d'arme - non nécessaire compte tenu des interdictions déjà en vigueur - ainsi que l'interdiction de paraitre en certains lieux ou d'établir sa résidence dans un lieu donné. Cette modification répond à une exigence constitutionnelle. Saisi de la conformité à la Constitution de l'allongement de la durée des MICAS à deux ans, le Conseil constitutionnel a en effet également apprécié la nécessité et la proportionnalité de ces mesures au regard de l'existence de mesures moins attentatoires aux droits et libertés individuelles existantes. Dès lors, un renforcement non strictement nécessaire du volet surveillance de cette mesure de sûreté judiciaire pourrait fragiliser les MICAS en dépit de leur bilan opérationnel très positif.

Enfin, dans le souci d'assurer la pleine opérationnalité de la mesure, la commission a souhaité allonger le délai d'évaluation du condamné quant à l'éligibilité d'une telle mesure de trois à six mois, délai opérationnel minimal compte tenu des délais d'attente pour le placement obligatoire dans un service d'évaluation de la dangerosité de l'intéressé.

Convaincue que l'ensemble de ces évolutions permettraient d'améliorer effectivement l'opérationnalité d'une mesure réservée aux seules condamnés terroristes et applicable à l'issue de leur peine de manière rétroactive, la commission a adopté l'article 1er ainsi modifié afin de doter les magistrats de l'ensemble des outils nécessaires au suivi des condamnés terroristes et ce, quels que soient leurs profils.

La commission a adopté l'article 1er ainsi modifié.

Article 1er bis (nouveau)
Retrait d'un sursis probatoire et d'un suivi socio-judiciaire
pour inconduite notaire

Sur le modèle des dispositions applicables pour la révocation d'une mesure de semi-liberté, de détention à domicile sous surveillance électronique mobile ou d'une libération conditionnelle, la commission a estimé pertinent d'instituer, dans un article additionnel à l'initiative du rapporteur, la commission d'une nouvelle infraction comme motif de révocation d'une mesure de surveillance judiciaire ou d'un suivi socio-judiciaire pour les condamnés terroristes.

À l'initiative du rapporteur, la commission a souhaité, par l'adoption d'un amendement COM-3 portant création d'un article 1er bis, instituer la commission d'une nouvelle infraction et sa condamnation comme motif de révocation d'une mesure de surveillance judiciaire ou d'un suivi socio-judiciaire.

Depuis la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, les auteurs de crimes ou de délits terroristes encourent, à titre de peine principale ou de peine complémentaire, une peine de suivi socio-judiciaire. Prononcé ab initio , par la juridiction de jugement, le suivi socio-judiciaire consiste à astreindre, pour une durée maximale de 10 ans en matière correctionnelle et de 20 ans en matière criminelle, la personne condamnée à des mesures de surveillance ainsi qu'à des obligations sociales ou médicales, dont la méconnaissance peut conduire à la réincarcération de l'individu.

En outre, lorsqu'ils ont été condamnés à une peine supérieure ou égale à 7 ans d'emprisonnement, ils sont éligibles à une mesure de surveillance judiciaire. Prévue par les articles 723-29 à 723-39 du code de procédure pénale, cette mesure ne peut être appliquée qu'aux personnes qui présentent une dangerosité élevée à leur sortie de détention et un risque important de récidive, établis par une expertise médicale.

En application des articles 723-35 et 763-5 du code de procédure pénale, ces mesures deux peuvent être révoquées en cas d'inobservation par le condamné des obligations et interdictions qui lui ont été imposées. Cette révocation peut conduire à un retrait prononcé par une décision du juge d'application des peines, de tout ou partie de la durée des réductions de peine dont il a bénéficié et ordonner sa réincarcération.

Les obligations susceptibles d'être prononcées dans le cadre
d'une surveillance judiciaire ou d'un suivi socio-judiciaire

Les obligations susceptibles d'être prononcées dans le cadre d'une surveillance judiciaire sont notamment, en application des articles 723-29 et suivants du code pénal :

- les obligations susceptibles d'être prononcées dans le cadre du suivi socio-judiciaire ;

- le placement sous surveillance électronique mobile ;

- l'obligation d'assignation à domicile en cas de condamnation à une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour certains crimes sexuels et de sang ;

- l'injonction de soin, sauf décision contraire motivée de la juridiction.

Les obligations susceptibles d'être prononcées dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire sont celles prévues pour la probation, énumérées aux articles 132-44 et 132-45 du code pénal. Elles comprennent notamment :

- l'obligation de répondre aux convocations du juge de l'application des peines ou du service d'insertion et de probation ;

- l'obligation d'obtenir l'autorisation du juge de l'application des peines pour tout changement d'emploi ;

- l'obligation d'exercer une activité professionnelle ou suivre un enseignement ou une formation professionnelle ;

- l'obligation d'informer le juge de l'application des peines de tout déplacement à l'étranger ;

- l'interdiction de paraitre dans certains lieux définis par le juge ;

- l'interdiction d'entrer en relation avec certaines personnes énumérées par le juge ;

- le placement sous surveillance électronique mobile à titre de mesure de sûreté ;

- l'assignation à résidence, uniquement pour des individus condamnés à des peines de réclusion criminelle supérieure ou égale à 15 ans ;

- l'obligation de respecter les conditions d'une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologie, destinée à permettre sa réinsertion et l'acquisition des valeurs de la citoyenneté ;

- l'injonction de soin, sauf décision contraire motivée de la juridiction.

La commission a, en conséquence, introduit, aux articles 723-35 et 763-5 du code de procédure pénale qui prévoient les motifs de révocation des deux mesures de sureté précitées, un nouveau motif, le prononcé d'une nouvelle condamnation, afin de prendre en considération des observations favorables par les acteurs judiciaires de la lutte antiterroriste.

La commission a adopté l'article 1er bis ainsi rédigé.

Article 1er ter (nouveau)
Révocation d'une mesure de surveillance judiciaire
ou d'un suivi socio-judiciaire en cas de réitération

Sur le modèle des dispositions applicables pour la révocation d'une mesure de semi-liberté, de détention à domicile sous surveillance électronique mobile ou d'une libération conditionnelle, la commission a introduit un article additionnel à l'initiative du rapporteur afin de faire de la notion d'inconduite notoire un motif de retrait d'un sursis probatoire et d'un suivi socio-judiciaire pour les condamnés terroristes.

La commission a, à l'initiative du rapporteur (amendement COM-2), adopté un article additionnel complétant les motifs de la révocation de ces deux mesures judiciaires, l'une étant une modalité d'exécution des peines - le sursis probatoire - et l'autre étant une peine - à savoir le suivi socio-judiciaire.

De l'aveu des services compétents auditionnés par le rapporteur, en l'état du droit, un individu condamné pour des faits de terrorisme ou lourdement radicalisé peut parfaitement respecter « facialement » les obligations qui lui sont fixées dans le cadre d'un sursis probatoire ou d'un suivi socio-judiciaire tels que définis ci-avant tout en adoptant un comportement qui, sans constituer une infraction pénale ou une violation stricto-sensu de ces obligations, fait notamment obstacle à sa réinsertion - ce qui est dès lors incompatible avec les finalités poursuivies par la mesure judiciaire lui étant ainsi appliquée.

Sur le modèle des dispositions existantes en matière de semi-liberté, de détention à domicile sous surveillance électronique mobile et de libération conditionnelle, la commission a jugé opportun d'introduire la notion d'inconduite notoire aux motifs de retrait d'un sursis probatoire et d'un suivi socio-judiciaire. Notion initialement jurisprudencielle, l'inconduite notoire est une notion déjà largement appliquée par les magistrats de l'application des peines et éprouvée. À ce titre, elle a trouvé une consécration législative aux articles 713-44, 732-13 et 733 du code de procédure pénale qui prévoient les motifs de retrait des mesures, respectivement, de semi-liberté, de détention à domicile sous surveillance électronique et de libération conditionnelle.

Plus précisément, la commission a considéré, s'agissant du sursis probatoire, que dès lors qu'il était une modalité d'exécution d'une peine d'emprisonnement visant à dispenser l'intéressé de son exécution en tout ou partie, il était justifié qu'en cas d'inconduite notoire de l'intéressée, cette dispense puisse être révoquée. De façon analogue, elle a estimé qu'en ce qu'il constituait une peine, le suivi socio-judiciaire pouvait se voir appliquer le même raisonnement. Elle ne l'a en revanche pas retenue s'agissant de la surveillance judiciaire, eu égard à sa différence nature - à savoir une mesure de sûreté qui ne saurait emporter des prescriptions quant au comportement de l'individu.

La commission a adopté l'article 1er ter ainsi rédigé.

Article 2
Mesures de rétention de sûreté applicables aux condamnés terroristes

Constant à la fois la sortie de détention sans prise en charge médicale adaptée de condamnés terroristes souffrant de troubles graves de la personnalité et l'élargissement de condamnés terroristes dont l'ancrage idéologique présente une dangerosité avérée, la commission des lois a, à l'initiative du rapporteur, accueilli favorablement les deux mesures de rétention de sûreté applicables aux condamnés terroristes proposées par les auteurs du texte.

Consciente des craintes que la seconde mesure pouvait susciter eu égard à à l'absence de critère médical, elle a, par l'adoption d'un amendement du rapporteur, restreint le champ d'application de la mesure et préciser ses finalités.

Elle a adopté l'article 2 ainsi modifié.

1. Le suivi post-peine des condamnés terroristes souffrant de graves troubles psychiatriques ou encore particulièrement engagés dans une idéologie radicale

D'un constat partagé par l'ensemble des acteurs judiciaires et administratifs dans la lutte contre le terrorisme, l'élargissement des condamnés terroristes et leur prise en charge constitue un enjeu majeur et concentre les inquiétudes des services de renseignement spécialisés en la matière.

Depuis l'été 2018, 486 détenus islamistes ont été libérés selon la DGSI. Selon l'appréciation portée par ses représentants devant le rapporteur, si plus de la moitié de ces sortants présentent aujourd'hui un profil considéré comme « désengagé », parmi l'autre moitié, aux profils plus ambivalents, certains restent ancrés dans l'idéologie radicale. L'acuité du suivi après leur peine des condamnés terroriste est aujourd'hui entière : la DGSI estime ainsi que parmi les 391 détenus aujourd'hui incarcérés pour des faits de terrorisme, un noyau dur d'une cinquantaine d'individus présentent, à ce stade de leur peine qui est encore longue, un profil particulièrement inquiétant.

Auditionné par le rapporteur, le procureur de la République antiterroriste a affirmé que cette problématique des sortants de détention était aujourd'hui nouvelle pour deux raisons cumulatives :

leur nombre, estimé à 70 pour les deux prochaines années ;

leurs profils, dès lors que les deux prochaines années verront des sorties de détention d'individus ayant été condamnés, en moyenne, à des peines significativement plus lourdes que les détenus libérés ces trois dernières années.

Partageant ce constat, la juge d'application des peines antiterroristes (JAPAT), Françoise Jeanjacquet, a indiqué au rapporteur qu'il existe 35 % de condamnés terroristes pour lesquels il y a une incertitude ou un questionnement sur leur volonté de se réinsérer au sein de la société française et où le risque de récidive ne peut être totalement exclu et que, parmi eux, la moitié peut apparaître particulièrement dangereuse avec un risque de récidive important.

De façon analogue, parmi les 5 200 objectifs inscrits au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste et suivis par la DGSI, 20 % présentent un trouble psychique documenté. Son directeur, Nicolas Lerner, a d'ailleurs récemment rappelé, dans la presse, que « sur les douze attentats que la France a connus depuis fin 2018, sept auteurs présentaient des troubles soit psychiatriques, dans un nombre restreint de cas, soit psychologiques ».

Sur ce point, le PNAT a quant à lui estimé que la part des condamnés terroristes sortant de détention qui souffrent de tels troubles était comprise entre 10 à 20 %. De façon plus inquiétante, la JAPAT a, lors de son audition, indiqué au rapporteur que si les profils psychiatriques ou présentant des troubles de la personnalité actuellement incarcérés sont peu nombreux -de l'ordre d'une dizaine-, ils représentaient des cas très lourds et des individus potentiellement très dangereux, dont la prise en charge était particulièrement difficile au regard des outils juridiques existants.

2. La proposition de loi ambitionne d'introduire deux mesures de rétention de sureté applicables aux condamnés terroristes

Fort de ce constat, l'article 2 de la proposition de loi poursuit un double objectif :

- d'une part, il vise à ouvrir la rétention de sûreté prévue à l'article 706-53-13 du code de procédure pénale aux condamnés pour des crimes terroristes à des peines d'emprisonnement supérieures à quinze ans ou à dix ans en cas de récidive d'un tel crime ;

- d'autre part, il ambitionne de créer une nouvelle mesure de rétention de sûreté pour les condamnés TIS ne souffrant pas de troubles graves de la personnalité mais présentant une grande dangerosité, caractérisée, notamment par une possibilité très élevée de récidive, en introduisant un nouvel article 706-53-14-1 au sein du code de procédure pénale.

S'agissant du premier volet de la mesure, l'article 2 ne procède qu'à un élargissement du champ des personnes éligibles à la rétention de sureté à raison du type de crime qu'ils auraient commis, les autres critères ou conditions demeurant inchangées.

De ce fait ; il ne revient pas sur les équilibres existants et dont la conformité avec la Constitution a déjà été admise.

La rétention de sûreté

Définie par le quatrième alinéa de l'article 706-53-13 du code de procédure pénale, la rétention de sûreté « consiste dans le placement de la personne intéressée en centre socio-médico-judiciaire de sûreté dans lequel lui est proposée, de façon permanente, une prise en charge médicale, sociale et psychologique destinée à permettre la fin de cette mesure ».

L'article 706-53-13 du CPP exige trois conditions préalables pour que la rétention de sûreté puisse être envisagée :

la personne doit avoir été condamnée par une cour d'assises pour des faits d'homicide volontaire, de viol, de tortures et actes de barbarie ou d'enlèvement et séquestration. Si la victime était mineure, la présence d'une circonstance aggravante n'est pas exigée sinon la rétention de sûreté n'est applicable que si ces crimes ont été commis avec des circonstances aggravantes spécialement énumérées ;

la personne doit avoir été condamnée pour une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans, ou dix ans en cas de récidive légale ;

- la juridiction de jugement doit avoir « expressément prévu dans sa décision de condamnation que la personne pourra faire l'objet à la fin de sa peine d'un réexamen de sa situation en vue d'une éventuelle rétention de sûreté ».

À l'issue de ce réexamen, la rétention de sûreté peut être prononcée, à titre exceptionnel, si deux autres conditions sont réunies :

- il doit être établi que cette personne présente une « particulière dangerosité » et une « probabilité très élevée de récidive » parce qu'elle « souffre d'un trouble grave de la personnalité » ;

- il ne doit pas exister d'autre dispositif de prévention de la récidive suffisant.

Afin de permettre l'évaluation de cette dangerosité, la personne est placée pendant une durée d'au moins six semaines dans un service spécialisé chargé de son observation. La commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté (CPMS) se prononce sur la dangerosité et, le cas échéant, propose la mesure de rétention. Saisie par le procureur général sur proposition de la CPMS, la juridiction régionale de la rétention de sûreté peut prononcer la rétention de sûreté si elle estime que les conditions sont réunies.

Liée directement à cette mesure de rétention de sureté, la surveillance de sûreté consiste dans le prolongement des obligations de la surveillance judiciaire ou du suivi socio-judiciaire imposé au condamné. Elle est soumise aux mêmes conditions préalables que la rétention de sûreté, s'agissant des crimes commis et de la peine prononcée par la cour d'assises. Toutefois, il n'est pas nécessaire que cette dernière ait prévu un éventuel réexamen à l'issue de la peine.

La juridiction régionale de la rétention de sûreté peut décider de la mesure de surveillance de sûreté afin de prévenir un risque très élevé que la personne commette l'un des crimes mentionnés à l'article 706-53-13 du CPP.

La durée de la mesure est d'un an. Elle peut être renouvelée selon les mêmes modalités qui président à la décision initiale. La loi ne prévoit aucune limite au renouvellement de la mesure.

Le Conseil constitutionnel, saisi de la constitutionnalité d'une telle mesure, en a validé le principe ainsi que les principales modalités1(*). Ainsi, en s'appuyant sur un faisceau d'indices pour reconnaitre à cette mesure le caractère de mesure de sureté et non de peine. Il a considéré, sans exclure le caractère de sanction, qu'une telle mesure constituait une mesure de sureté, et ce pour quatre raisons :

- La mesure n'est pas prononcée par la juridiction de jugement ;

- « elle repose non sur la culpabilité de la personne condamnée (...), mais sur sa particulière dangerosité » ;

- « elle n'est mise en oeuvre qu'après l'accomplissement de la peine par le condamné » ;

- « elle a pour but d'empêcher et de prévenir la récidive par des personnes souffrant d'un trouble grave de la personnalité ».

De surcroit, le juge constitutionnel a considéré, eu égard à « l'extrême gravité des crimes visés et à l'importance de la peine prononcée », au fait que cette mesure était réservée « aux seules personnes particulièrement dangereuses parce qu'elles souffrent d'un trouble grave de la personnalité », et qu'elle « ne pourrait être ordonnée qu'en cas de stricte nécessité », que cette mesure était adaptée, proportionnelle et nécessaire, validant ainsi sa conformité avec la Constitution.

Le juge constitutionnel a toutefois censuré le caractère rétroactif d'une telle mesure « eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu'elle est prononcée après une condamnation par une juridiction ».

S'agissant de la création d'une nouvelle mesure de sureté, liée à l'appréciation d'une dangerosité reposant sur d'autres critères, les auteurs de la proposition de loi ambitionnent :

- d'ouvrir une telle mesure de rétention de sureté à des condamnés terroristes dont la particulière dangerosité est caractérisée par un double critère de « probabilité élevée de récidive » et d' « adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme, faisant ainsi obstacle à sa réinsertion », s'inspirant des critères retenus pour la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion prévue à l'article 706-25-16 du code de procédure pénale ;

- de ne pas réserver cette mesure aux personnes souffrant de troubles psychiatriques graves ;

- d'appliquer cette mesure à l'ensemble des condamnés pour des crimes et délits terroristes, à l'exception de l'apologie et de la provocation à la commission d'actes de terrorisme.

Pour ces deux mesures, les dispositions proposées ne reviennent pas sur les autres critères - à savoir l'absence de dispositifs de prévention de la récidive suffisant - ou garanties procédurales déjà validées par le Conseil constitutionnel.

3. Deux mesures permettant de compléter utilement les modalités de prise en charge des profils les plus dangereux à leur sortie de détention en raison de troubles graves de la personnalité ou d'une probabilité très élevée de récidive

Auditionnés par le rapporteur, la JAPAT comme le PNAT ont indiqué être favorables à l'extension aux condamnés terroristes des dispositions relatives à la rétention de sûreté existante pour ceux qui remplissent le critère du trouble grave de la personnalité. La JAPAT a ainsi estimé que ces profils pouvaient, au titre de leurs profils psychiatriques, être pris en charge dans le centre médico-social existant à Fresnes et affirmé au rapporteur l'intérêt de cette mesure pour certains profils de condamnés terroristes rencontrés, particulièrement difficiles à suivre à l'issue de leur peine en l'état du droit.

La direction générale de la sécurité intérieure a pour sa part estimé que ces dispositifs revêtaient un intérêt opérationnel non négligeable, mais que, compte tenu de leur non-rétroactivité, ils ne seraient utiles que pour « préparer l'avenir » sans permettre de traiter le « stock » existant de condamnés terroristes.

Forte de ces constats, la commission a considéré qu'il était indispensable de se doter de l'ensemble des outils permettant, à l'issue de leur peine, de prendre en charge de façon adaptée les profils des condamnés terroristes souffrant de troubles graves de la personnalité ou encore particulièrement dangereux, aux seules fins de prévenir la récidive. Elle a, par conséquent, validé sur leur principe ces deux mesures de sûreté judiciaire.

S'il ne fait pas de doute que le premier volet de la mesure ne présente pas de difficultés constitutionnelles, la commission a estimé que le second volet, en l'état initial de sa rédaction, devait être enserré de garanties supplémentaires afin d'en assurer la constitutionnalité.

C'est pourquoi, à l'initiative de son rapporteur, elle a limité l'application de la mesure de rétention de sûreté en l'absence de troubles psychiatriques aux personnes condamnées à des peines supérieures à quinze ans d'emprisonnement, ou dix ans en cas de récidive, pour les seuls crimes terroristes. Cette modification répond à une exigence constitutionnelle : saisi de la conformité à la Constitution de la surveillance et de la rétention de sûreté2(*) , le Conseil constitutionnel a en effet apprécié la nécessité et la proportionnalité de ces mesures non seulement au regard de la gravité des infractions commises, mais également de l'importance de la sanction prononcée par la juridiction.

Or, si la rédaction retenue dans la proposition de loi initiale limite bien le champ de la mesure à des quantums de peines particulièrement élevés, elle inclut dans son champ d'application des délits terroristes, ce qui pourrait induire une fragilité, sur le plan constitutionnel, de la mesure créée. 

En outre, par ce même amendement, elle a précisé les conditions de prise en charge des personnes soumises à cette mesure qui seraient double et les adapter à leurs profils : d'une part, permettre la prise en charge médicale, sociale et psychologique, de façon permanente, de la personne et, d'autre part, lui permettre l'acquisition des valeurs de la citoyenneté.

La commission a adopté l'article 2 ainsi modifié.

TITRE II : RENFORCER LE SUIVI DES MINEURS RADICALISÉS ET ADAPTER L'ARSENAL PÉNAL APPLICABLE EN CAS DE COMMISSION D'ACTES DE TERRORISMES PAR DES MINEURS

Article 3
Mesures applicables aux mineurs mis en examen pour des infractions
à caractère terroriste

Prenant acte des évolutions de la menace terroriste endogène, et singulièrement son rajeunissement, la commission a approuvé l'article 3 visant à faire évoluer, pour les seules poursuites et instructions d'infractions à caractère terroriste, les dispositions applicables aux mineurs radicalisés, sous réserve d'un amendement visant à préserver la cohérence des mesures applicables aux mineurs de moins et de plus de seize ans.

1. La radicalisation croissante de mineurs, parfois particulièrement jeunes, s'opère désormais directement sur le territoire national

Alors qu'un rapport d'information d'Esther Benbassa et Catherine Troendlé soulignait déjà en 2017 « l'augmentation préoccupante du nombre de mineurs suivis dans un cadre pénal pour des faits de radicalisation »3(*), force est de constater que cette tendance n'a fait que se confirmer depuis lors.

Comme l'a rappelé le 6 décembre dernier Nicolas Lerner, « nous constatons depuis plus d'un an que la menace [islamiste] est de nouveau orientée à la hausse sous l'effet (...) d'abord d'une redynamisation de la mouvance endogène, singulièrement portée par de très jeunes individus ».

Le profil de ces jeunes n'est pas sans interroger les services qui rapportent que, dans plusieurs affaires - parfois traitées avec les services d'autres États européens, dans la mesure où ce phénomène n'est pas que français -, ces jeunes individus ne fréquentaient pas de mosquées ni des lieux de socialisation mais se structuraient en ligne, sur les réseaux sociaux, à travers un « enfermement idéologique et numérique très préoccupant ».

Partageant ce constat lors de son audition, le procureur national de la République antiterroriste a affirmé observer en 2023 une nette augmentation des mineurs impliqués pour des faits de terrorisme, 14 mineurs ayant été mis en examen pour des faits exclusivement commis en tant que mineurs dont 4 étaient âgés de moins de 16 ans. Abondant en ce sens, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse a affirmé pour sa part que « 2023 constitue la troisième année ayant connu le plus de mise en examen de mineurs, les deux autres étant 2016 et 2017 (...) et concernaient plutôt des tentatives de départs sur zone irako-syrienne » mais observe désormais « des profils de mineurs plus jeunes et également avec des projets d'attentats assez aboutis ». Cela représente un changement majeur par rapport à la période 2015-2017, où le départ vers les zones de combat de groupements terroristes était le plus souvent l'objectif poursuivi.

Ce constat est, enfin, partagé par le directeur des affaires civiles et des grâces (DACG) qui, auditionné par le rapporteur, a affirmé que « les enquêtes diligentées concernant [les mineurs radicalisés] démontrent un niveau d'engagement élevé de même que des modes opératoires relativement aboutis ».

2. La nécessaire adaptation des moyens de poursuites et d'instruction des affaires impliquant des mineurs radicalisés mis en cause pour des faits de terrorisme

Dans ce contexte, l'article 3 de la proposition de loi ambitionne, d'après l'exposé des motifs, de « faire évoluer, pour les seules poursuites et instructions d'infractions à caractère terroriste, les dispositions applicables aux mineurs radicalisés ».

Il propose, à cette fin, quatre évolutions des mesures de poursuites et d'instruction à la main des juges des enfants, à savoir :

le placement sous contrôle judiciaire des mineurs de treize à seize ans s'ils encourent une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à cinq ans pour une infraction à caractère terroriste, étant donné qu'un tel seuil de cinq ans est déjà prévu pour les délits de violences, d'agression sexuelle et de délit commis avec la circonstance aggravante de violences (article L. 331-1 du code pénal de la justice des mineurs) ;

le placement en centre éducatif fermé d'un mineur, dans le cadre d'un contrôle judicaire, pour une durée pouvant aller jusqu'à deux ans, pour les seules actes de terrorisme, au lieu de six mois actuellement (article L. 331-2 du CJPM) ;

la possibilité d'assigner à résidence sous surveillance électronique lorsque le mineur âgé de treize à seize ans encourt une peine de cinq ans d'emprisonnement pour infraction à caractère terroriste - cela est prévu en l'état du droit pour les seuls mineurs âgés d'au moins 16 ans qui encourent une peine d'au moins trois ans d'emprisonnement (article L. 333-1-1 du CJPM) ;

le placement en détention provisoire pour une durée de trois mois à un an pour les mineurs de moins de seize ans pour l'instruction des délits et crimes à caractère terroriste à l'exception du délit d'apologie du terrorisme (nouvel article L. 433-5-1 du CJPM).

Comme l'ont démontré les auditions conduites par le rapporteur, l'augmentation préoccupante du nombre de mineurs judiciarisés pour des faits en lien avec le terrorisme invite à faire évoluer les mesures de poursuites et d'instruction leur étant applicables afin de permettre, aux magistrats de bénéficier de l'ensemble des moyens nécessaires à l'instruction de dossier de nature terroriste impliquant des mineurs, y compris de moins de treize ans, sans revenir sur le principe d'une distinction entre les mesures applicables aux majeurs et aux mineurs ainsi qu' entre les différents stades de la minorité.

En conséquence, sous réserve d'une correction d'erreur matérielle et par cohérence avec l'élévation de la durée de placement en détention provisoire des mineurs de moins de seize ans, la commission a relevé à deux ans la durée maximum de placement en détention provisoire d'un mineur de plus de seize ans mis en examen pour des faits d'entreprise individuelle à caractère terroriste (amendement COM-5 du rapporteur).

La commission a adopté l'article 3 ainsi modifié.

Article 4
Poursuite de la prise en charge par la protection judiciaire de la jeunesse de jeunes impliqués dans des actes de terrorisme après leur accession à la majorité

Reprenant une recommandation d'une mission d'information de 2017 de la commission des lois, l'article 4 autorise la poursuite de la prise en charge pré-sentencielle par la protection judiciaire de la jeunesse d'un jeune mis en examen pour des faits relevant du terrorisme au-delà de son accession à la majorité, y compris sans son accord. La commission a approuvé l'esprit de ce dispositif complétant utilement la palette des outils disponibles pour prévenir les ruptures de prise en charge à la majorité et a adopté l'article 4, sous réserve de modifications rédactionnelles.

1. Une reprise préoccupante des mises en examen de mineurs pour des faits en lien avec le terrorisme

Alors qu'un rapport d'information d'Esther Benbassa et Catherine Troendlé soulignait déjà en 2017 « l'augmentation préoccupante du nombre de mineurs suivis dans un cadre pénal pour des faits de radicalisation »4(*), force est de constater que cette tendance n'a fait que se confirmer depuis lors.

En termes quantitatifs, le nombre cumulé de mineurs déférés devant le pôle anti-terroriste de Paris pour association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste s'élevait à 58 entre 2012 et le 1er avril 2017, tandis que, selon les informations communiquées par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ), 19 mineurs ont été déférés pour la seule année 2023. Il s'agit du troisième plus total le plus élevé constaté depuis 20125(*). Par ailleurs, au 3 janvier 2024, 29 mineurs poursuivis pour ces faits sont pris en charge par les services de la DPJJ, dont sept sont condamnés et 22 mis en examen.

Sur un plan qualitatif, une évolution particulièrement préoccupante des profils peut être observée. Selon la DPJJ, les mineurs concernés sont de manière générale plus jeunes et présentent des projets d'attentats relativement aboutis. Cela représente un basculement majeur avec la période 2015-2017, où le départ vers les zones de combat de groupements terroristes était le plus souvent l'objectif poursuivi.

2. L'article 4 : poursuivre la prise en charge par la PJJ des jeunes sous main de justice pour des faits en lien avec le terrorisme au-delà de leur majorité

Dans ce contexte, l'article 4 traduit une recommandation du rapport d'information d'Esther Benbassa et de Catherine Troendlé précité qui vise à autoriser la poursuite de la prise en charge pré-sentencielle par la protection judiciaire de la jeunesse de jeunes sous main de justice pour des faits en lien avec le terrorisme au-delà de leur majorité et y compris sans leur accord. Cette préconisation partait du constat que l'accession à la majorité était parfois synonyme d'une regrettable « rupture de la prise en charge éducative lors de l'accession à la majorité, qui, bien que n'étant pas spécifique à la situation des mineurs radicalisés, se révèle particulièrement critique pour une population requérant une attention et un suivi renforcés ». Si la PJJ est en effet systématiquement saisie de la situation des mineurs mis en examen pour des faits en lien avec le terrorisme, que ce soit dans le cadre du bilan éducatif prévu par l'article L. 432-1 du code de la justice pénale des mineurs ou d'une mesure éducative judiciaire provisoire prononcée en application de l'article L. 321-1 du même code, cette prise en charge ne peut, en l'état du droit, se poursuivre au-delà de la majorité qu'avec l'accord de l'intéressé.

En conséquence, l'article 4 modifie l'article L. 112-15 du code de la justice pénale des mineurs afin d'autoriser, sur décision spécialement motivée du juge, la poursuite sans son accord du placement auprès de la PJJ d'un jeune majeur sous main de justice pour l'instruction du délit d'association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste ou de certains crimes à caractère terroriste6(*).

3. La position de la commission : un dispositif qui pourrait utilement prévenir les ruptures de prise en charge à la majorité

Si les auditions du rapporteur ont montré que la problématique des ruptures de prise en charge à la majorité est aujourd'hui moins prégnante qu'en 2017, l'augmentation préoccupante du nombre de mineurs judiciarisés pour des faits en lien avec le terrorisme invite à se doter de l'ensemble des moyens disponibles pour garantir la continuité de la prise en charge des jeunes radicalisés.

À cet égard, la poursuite du placement auprès de la PJJ pourrait ponctuellement offrir une alternative utile au suivi spécialisé dit « PAIRS », assimilable à un placement contraint et le plus souvent ordonné à la majorité dans le cadre d'un contrôle judiciaire (en application du 18° de l'article 138 du code de procédure pénale). La commission n'a en conséquence pas remis en cause l'esprit de l'article 4, auquel elle n'a apporté, par l'adoption d'un amendement COM-6 du rapporteur, que des modifications rédactionnelles.

La commission a adopté l'article 4 ainsi modifié.

Article 5 (supprimé)
Double prise en charge des mineurs en danger par l'aide sociale à l'enfance et la protection judiciaire de la jeunesse

L'article 5 vise à pérenniser le dispositif expérimental adopté en 2017 permettant au juge des enfants, si la protection de l'enfant l'exige, de prononcer de manière cumulative son placement auprès du service départemental de l'aide sociale à l'enfance et une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert mise en oeuvre par les services du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse.

Ce dispositif ayant été pérennisé en loi de finances pour 2020, la commission a, à l'initiative du rapporteur, supprimé l'article 5.

L'article 31 de la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique avait, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, autorisé le juge des enfants, sur réquisitions du ministère public et lorsque la situation et l'intérêt de l'enfant le justifient, à prononcer à la fois un placement auprès de l'aide sociale à l'enfance (ASE), qui relève du conseil départemental, et une mesure d'action éducative en milieu ouvert dispensée par les seuls services du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

Cette expérimentation visait notamment à garantir la prise en charge la plus adaptée possible d'un nombre croissant d'enfants de retour des zones de combat en Irak et en Syrie. Pour rappel, le nombre de mineurs présents dans ces zones était estimé en février 2018 à 5007(*), tandis que la secrétaire d'État chargée de l'enfance indiquait le 25 janvier 2023 que « 295 mineurs [...] sur notre territoire [étaient] considérés comme de retour de zone »8(*) et que près des deux tiers d'entre eux étaient rentrés âgés de moins de 10 ans. Selon les dernières informations transmises par la DPJJ, au 3 janvier 2024, 320 mineurs étaient présents sur le territoire national après un séjour dans une zone d'opérations de groupements terroristes, dont 259 étaient pris en charge par leurs services.

Selon l'exposé des motifs, la situation particulièrement complexe et le besoin d'une prise en charge spécifique des intéressés justifiaient de faire exception au principe fixé par l'article 375-4 du code civil excluant toute prise en charge simultanée par les services de l'ASE et la PJJ9(*). Face aux difficultés rencontrées par les services départementaux pour la prise en charge d'enfants particulièrement exposés au risque de radicalisation, le législateur a souhaité qu'ils puissent bénéficier de l'expertise et des compétences de la PJJ en la matière, avec une participation financière complémentaire bienvenue de l'État. François Grosdidier, rapporteur de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi relatif à la sécurité publique précité, estimait ainsi qu'outre « la mise à profit de l'expertise de la PJJ dans le traitement de la radicalisation, notamment au travers des référents laïcité et citoyenneté, l'implication plus systématique de la protection judiciaire de la jeunesse contribuerait également au développement d'une politique nationale, cohérente et harmonisée sur l'ensemble du territoire pour la prise en charge de la radicalisation »10(*). Du reste, ses travaux avaient mis en lumière le fait que des mesures d'assistance éducative étaient d'ores et déjà mises en oeuvre par la PJJ, en accord avec les conseils départementaux mais en dehors de tout cadre légal.

Ce dispositif a par la suite été pérennisé par l'article 241 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, introduit par un amendement du Gouvernement en première lecture à l'Assemblée nationale11(*). Si le rapport d'évaluation de cette expérimentation n'a pas été remis au Parlement comme le prévoyait la loi de 2017, le Gouvernement en tire néanmoins un bilan positif dans l'exposé des motifs de son amendement. Il estime en particulier que « l'intervention conjointe des services de l'ASE et de la PJJ permet de croiser les points de vue et de garantir une prise en charge renforcée de ces jeunes, dont la situation est d'une grande complexité. Il faut en effet tenir compte du vécu des enfants en zone de guerre, de l'endoctrinement au contact de l'État islamique, de la situation des parents incarcérés ou qui sont restés, voire décédés sur zone, et de la nécessité de travailler avec la famille élargie de l'enfant, alors même que les enfants, les parents incarcérés et la famille élargie vivent sur des territoires souvent éloignés les uns des autres ». Les auditions conduites par le rapporteur, et en particulier celle de Pascale Bruston, présidente du tribunal pour enfants de Paris, ont confirmé l'utilité de ce dispositif qui est régulièrement mis en oeuvre dans la pratique.

La commission des lois a pris acte de la pérennisation de ce dispositif, qui prive de son objet l'article 5 de la proposition de loi. À l'initiative du rapporteur, elle a en conséquence adopté un amendement COM-7 supprimant cet article.

La commission a supprimé l'article 5.

TITRE III : COMPLÉTER ET AJUSTER LES MOYENS ADMINISTRATIFS ET LE CADRE PÉNAL POUR LUTTER PLUS EFFICACEMENT CONTRE LE TERRORISME

CHAPITRE IER : RENFORCER LES MOYENS D'ENQUÊTE
ET DE SURVEILLANCE À DISPOSITION
DES SERVICES DE RENSEIGNEMENT

Article 6
Allégement de la procédure d'autorisation d'achat de fournitures
dans le cadre d'enquêtes sous pseudonyme

L'article 6 tire les conséquences de la censure par le Conseil constitutionnel d'une disposition de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur qui visait à dispenser d'autorisation les achats ou transmissions de produits licites dans le cadre d'enquêtes réalisées sous pseudonyme sur des infractions commises en ligne. La commission a adopté l'article 6 mais, afin de garantir sa sécurité juridique, a, à l'initiative du rapporteur, substitué au dispositif d'autorisation générale ex post prévu par l'article 6, un assouplissement de la procédure ex ante actuelle applicable aux seuls produits licites. L'autorisation délivrée par le magistrat serait valable 48 heures et s'appliquerait à l'ensemble des opérations effectuées portant sur une ou plusieurs catégories de produits déterminées.

1. L'état du droit : une lourdeur de la procédure d'autorisation des achats ou transmissions de produits sous pseudonyme qui pénalise les enquêteurs

1.1. L'infiltration sous pseudonyme, une technique d'enquête numérique qui s'est progressivement généralisée

L'infiltration sous pseudonyme est une technique d'enquête numérique utilisée pour constater et recueillir les preuves d'infractions commises en ligne. Elle a initialement été créée par l'article 35 de la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance qui l'a autorisé dans le cadre des enquêtes portant sur des faits de traitre des êtres humains, de proxénétisme et d'atteinte aux mineurs. Le législateur a par la suite progressivement étendu ses cas d'usages12(*) aux faits, par exemple, d'apologie du terrorisme13(*) ou aux infractions relevant de la délinquance et de la criminalité organisée14(*), avant de la généraliser en 201915(*) à l'ensemble des crimes et des délits punis d'une peine d'emprisonnement commis par la voie des communications électroniques.

Concrètement, l'enquête sous pseudonyme relève d'une « cyber-infiltration » par des enquêteurs travaillant sous une identité d'emprunt, qui est le « pendant numérique de la technique d'infiltration prévue aux articles 706-81 et suivants du code pénal »16(*). Elle est régie par l'article 230-46 du code de procédure pénale qui prévoit sa mise en oeuvre, lorsque les nécessités de l'enquête ou de l'instruction le justifient, par des officiers ou des agents de police judiciaire appartenant à un service spécialisé et spécialement habilités à cette fin. Sous le contrôle du procureur de la République ou du juge d'instruction, ces derniers peuvent échanger par voie électronique avec les personnes susceptibles d'être les auteurs des infractions visées (1°) et extraire ou conserver des données susceptibles de les confondre (2°). Ils peuvent également, sur autorisation du procureur de la République ou du juge d'instruction saisi des faits et sous réserve que ces actes ne constituent pas une incitation à commettre ces infractions :

- acquérir tout contenu, produit, substance, prélèvement ou service ou transmettre tout contenu en réponse à une demande expresse (3°) ;

- mettre à la disposition de personnes susceptibles d'être les auteurs des infractions visées des moyens juridiques ou financiers ainsi que des moyens de transport, de dépôt, d'hébergement, de conservation et de télécommunication en vue de la transmission ou de la vente par lesdites personnes de contenu, produit, substance, prélèvement ou service, y compris illicite (4°). Cette dernière catégorie a été introduite par l'article 10 de la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI) afin de « compléter la palette des outils à la disposition des enquêteurs et de renforcer l'efficacité de leurs investigations »17(*).

1.2. Des lourdeurs procédurales qui complexifient la mise en oeuvre de certains actes d'enquêtes sous pseudonymes

L'enquête sous pseudonyme est un outil particulièrement précieux de la lutte contre les infractions commises dans l'espace numérique. François-Noël Buffet et Yves Détraigne la décrivait ainsi en 2019 dans leur rapport précité comme un « moyen efficace de lutter contre les crimes et délits commis sur internet. Qu'il s'agisse de la vente de drogue ou d'armes sur le dark web ou de la vente de biens volés sur des plateformes en ligne, cette technique facilite l'identification des auteurs et la collecte d'éléments de preuve ». Pour autant, certaines lourdeurs procédurales complexifient aujourd'hui singulièrement sa mise en oeuvre et limitent son efficacité.

C'est principalement le cas s'agissant des actes d'acquisition ou de transmission de produits visés par le 3° de l'article 230-46 du code de procédure pénale précité et qui concernent le plus souvent du matériel informatique et de téléphonie, des armes légales ainsi que des prestations d'hôtellerie. Le temps nécessaire à l'obtention par les enquêteurs de l'autorisation préalable par le procureur de la République ou le juge d'instruction révèle en effet régulièrement leur qualité aux personnes suspectées d'infraction avec lesquelles ils sont en contact.

Ce constat a conduit le législateur, sur l'initiative du rapporteur pour la commission des lois de l'Assemblée nationale, à prévoir à l'article 10 de la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI) une dispense d'autorisation pour les cas où les produits concernés étaient licite. L'objet de l'amendement précisait ainsi que « le dispositif actuel, insuffisamment souple, ne correspondait pas au temps des investigations judiciaires dans le cadre d'une cyber-infiltration qui exige une réactivité du service qui en a la charge »18(*). Le Conseil constitutionnel a toutefois estimé « qu'eu égard à la nature particulière et aux conditions de réalisation de ces actes d'enquête »19(*), une telle dispense privait de garanties légales le droit à un procès équitable et a censuré le dispositif, laissant de facto persister ces importantes difficultés opérationnelles.

2. L'article 6 : une procédure d'autorisation ex post de portée générale

Tirant les conséquences de cette censure par le Conseil constitutionnel, l'article 6 propose de soumettre, lorsque les nécessités de l'enquête l'exigent et par une demande spécialement motivée, l'acquisition ou la transmission de produits dans le cadre d'une enquête sous pseudonyme à une autorisation ex post sous quarante-huit heures du magistrat chargé de la direction de l'enquête. Contrairement au dispositif issu de la LOPMI, l'article 6 s'applique en outre indifféremment aux produits licites et illicites.

3. La position de la commission : maintenir une procédure d'autorisation ex ante mais en assouplir les modalités pour les acquisitions ou transmissions de produits licites

La commission partage sans réserve l'objectif d'assouplissement de la procédure d'autorisation de certains actes d'enquête sous pseudonyme. Elle a toutefois estimé que la conformité à la Constitution du dispositif d'autorisation ex post proposé ne pouvait être garantie avec certitude, notamment en ce qu'il s'applique indifféremment aux produits licites et illicites. Comme l'a rappelé la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur au cours des travaux du rapporteur, l'introduction d'un tel mécanisme dans la procédure pénale serait en outre inédit et pourrait, en mettant le magistrat chargé des investigations devant le fait accompli, le priver de ses prérogatives de direction de l'enquête.

À l'initiative du rapporteur, la commission a en conséquence adopté un amendement COM-8 maintenant le caractère obligatoire d'une autorisation judiciaire préalable pour l'ensemble des opérations d'acquisition ou de transmission effectuées sous pseudonyme, tout en aménageant les modalités de sa délivrance lorsque les produits concernés sont licites. Ladite autorisation serait délivrée sur demande motivée et pour une durée maximale de quarante-huit heures ; elle s'appliquerait à l'ensemble des opérations effectuées pendant cette durée et portant sur une ou plusieurs catégories de produits exclusivement licites dont la liste serait déterminée par décret en Conseil d'État. Sans remettre en cause le droit à un procès équitable, cet assouplissement de la procédure d'autorisation facilitera le travail des enquêteurs infiltrant sous pseudonyme des réseaux terroristes ou mafieux dont l'efficacité pâtît aujourd'hui fortement des délais nécessaires à son obtention.

La commission a adopté l'article 6 ainsi modifié.

Article 7
Interdiction de paraitre dans les transports
en commun dans le cadre des MICAS

La commission a, à l'initiative du rapporteur, substitué à la rédaction de la proposition de loi, superfétatoire, visant à introduire un régime d'interdiction de paraitre dans les transports en commun dans le cadre des MICAS, une nouvelle mesure administrative autonome d'interdiction de paraitre pour les grands évènements, dans la perspective de grands évènements à venir, en particulier les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.

Elle a adopté l'article ainsi modifié.

L'article 7 de la proposition de loi tend à introduire dans le régime de l'interdiction de paraître déjà susceptible d'être prononcée dans le cadre d'une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) une faculté d'interdire à un individu de paraître dans les transports en commun.

Depuis la loi relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement du 30 juillet 2021, dite « PATR », il est désormais possible, dans ce cadre et sous réserve des garanties applicables à la protection de la vie professionnelle et familiale de l'intéressé, d'imposer à la fois une interdiction de déplacement en dehors d'un périmètre déterminé et une interdiction de paraître dans un lieu déterminé.

Dès lors, d'un constat partagé avec la DLPAJ, le rapporteur a considéré que la notion de « lieu déterminé » permet une lecture extensive des lieux susceptibles d'être visés par la mesure et qu'en l'état de la rédaction, les dispositions de l'article 7 de la proposition de loi étaient superfétatoires.

Le régime des MICAS

Introduits par la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi « SILT », les articles L. 228-1 et suivants du code de la sécurité intérieure définissent le régime des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS).

Les MICAS permettent au ministre de l'intérieur, aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, de soumettre des personnes à plusieurs obligations afin d'en faciliter la surveillance. Deux critères doivent être réunis pour pouvoir mettre en oeuvre cette mesure à l'encontre d'une personne : il doit, d'une part, exister des raisons sérieuses de penser que le comportement de la personne constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre public et cette personne doit, d'autre part, soit entrer en relation de manière habituelle avec des personnes ou organisation incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutenir, diffuser ou adhérer à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes.

La MICAS est prononcée par le ministre de l'intérieur pour une durée de trois mois, renouvelables dans la limite d'une durée cumulée de douze mois. Des éléments nouveaux et complémentaires sont nécessaires pour renouveler la mesure au-delà d'une durée de six mois.

Les mesures susceptibles d'être prononcées à l'encontre de ces personnes se rangent en trois blocs d'obligations et interdictions respectivement prévues aux articles L. 228-2 et L. 228-3 (« premier bloc » de MICAS), L. 228-4 (« deuxième bloc ») et L. 228-5 (« troisième bloc »).

Initialement conçus comme des mesures alternatives, le contenu des mesures susceptibles de s'appliquer dans les deux premiers blocs a été modifié par la loi relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement du 30 juillet 2021.

? Pour mémoire, le premier bloc de MICAS contient les obligations et interdictions les plus contraignantes pour la personne qui en fait l'objet.

Elles consistent, en substance, en :

l'interdiction de se déplacer à l'extérieur d'un périmètre géographique déterminé, qui ne peut être inférieur au territoire de la commune (1° de l'article L. 228-2, qui aménage ainsi sous une forme assouplie le régime de l'assignation à résidence prévu dans le cadre de l'état d'urgence, puisqu'il ne peut en aucun cas s'agir ici d'obliger l'intéressé à rester à son domicile pendant une partie de la journée) ;

l'obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite d'une fois par jour (2° de l'article L. 228-2), sauf si la personne, qui fait par ailleurs l'objet de la mesure prévue au 1°, consent à être placée sous surveillance électronique mobile (article L. 228-34) ;

l'obligation de déclarer son domicile et tout changement de lieu d'habitation (3° de l'article L. 228-2).

? Le deuxième bloc d'obligations et interdictions contient des mesures de surveillance moins contraignantes pour la personne qui en fait l'objet. Ces mesures n'ont d'ailleurs vocation à s'appliquer que si le ministre de l'intérieur estime qu'il n'y a pas lieu de faire application du premier bloc de MICAS.

L'article L. 228-4 prévoit à ce titre que la personne peut se voir imposer, le cas échéant cumulativement :

l'obligation de déclarer son domicile et tout changement en la matière (1°) ;

l'obligation de signaler ses déplacements à l'extérieur d'un périmètre déterminé, qui ne peut être plus restreint que le territoire de la commune de son domicile (2°) ;

l'interdiction de paraître dans un lieu déterminé ne pouvant inclure son domicile (3°). Il est alors prévu que cette obligation tient compte de la vie familiale et professionnelle de la personne intéressée.

? En complément ou à la place des obligations et interdictions prévues au titre des deux premiers blocs de MICAS, l'article L. 228-5 du CSI prévoit que le ministre de l'intérieur peut imposer à la personne de ne pas se trouver en relation directe ou indirecte avec certaines personnes, nommément désignées, dont il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité publique.

Pour autant, les services du ministère de l'intérieur ont fait état d'un besoin opérationnel, en particulier dans la perspective des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, de disposer d'une mesure administrative, aux seules fins de lutte contre le terrorisme, permettant d'interdire de paraitre, pendant toute la durée de ce type d'évènement, en certains lieux particulièrement exposés, sans pour autant soumettre l'individu concerné au régime particulièrement attentatoire aux libertés individuelles prévue par la Micas.

La commission a, en conséquence, à l'initiative du rapporteur substitué à la rédaction de la proposition de loi, superfétatoire, visant à introduire un régime d'interdiction de paraitre dans les transports en commun dans le cadre des MICAS, une nouvelle mesure administrative complètement autonome du régime de la MICAS d'interdiction de paraitre pour les grands évènements.

Plus précisément, cette mesure vise à permettre à l'autorité administrative d'interdire à une personne de paraître dans un ou plusieurs lieux accueillant des évènements exposés, par leur ampleur ou par leurs circonstances particulières, à un risque de menace terroriste, le cas échéant associé à une obligation de pointage, dont le non-respect serait sanctionné d'une peine de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.

En l'état du droit, l'autorité administrative ne peut prononcer à l'encontre d'une personne présentant une menace de nature terroriste, une interdiction de paraître dans certains lieux que dans le cadre d'une Micas. Or la commission a considéré que ce régime, compte tenu de la rigueur des mesures auxquelles les personnes sont astreintes, pouvait être disproportionné par rapport aux seuls besoins de protection d'un évènement de courte durée.

Compte tenu de l'atteinte plus faible qu'une telle mesure emporte sur les libertés individuelles - en particulier celle d'aller et de venir - que celles résultant d'une Micas, le rapporteur a estimé possible, tout en conservant pour seule finalité la prévention des actes de terrorisme, d'assouplir les critères permettant à l'autorité administrative de la prononcer en retenant une menace d'une particulière gravité pour l'ordre et la sécurité publics.

En contrepartie, la mesure étant destinée à être ponctuelle à l'inverse d'une Micas, il a estimé que son prononcé serait plus restreint dans le temps et l'espace qu'une Micas, en ce qu'elle serait limitée aux lieux déterminés dans lesquels se tient un événement exposé, par son ampleur ou ses circonstances particulières, à un risque de menace grave ou terroriste - l'on pense en particulier à de grands évènements sportifs, culturels ou politiques - et limitée à la durée des évènements, dans un délai maximum de deux mois - là où les Micas sont prononcés pour a minima trois mois.

En outre, il ne serait pas possible de cumuler une telle mesure avec une Micas ou une interdiction de stade, lorsque ces deux dernières mesures permettent déjà d'atteindre l'interdiction de paraitre visée.

Ainsi, l'économie générale de la mesure, plus circonscrite que s'agissant des obligations susceptibles d'être imposées au titre d'une MICAS, apparait répondre à l'ensemble des exigences fixées par le Conseil constitutionnel en la matière.

Au surplus, son prononcé étant décorrélée d'une Micas, une telle mesure revêtirait, aux yeux des acteurs auditionnés par le rapporteur, un intérêt opérationnel majeur : elle pourrait être prononcée à l'encontre d'individus ayant déjà fait l'objet d'une Micas pendant une année mais qui dont il demeure des éléments permettant d'établir leur dangerosité ou leur intention de commettre des actes terroristes à l'occasion de grands évènements.

En conséquence, la commission a adopté, l'amendement COM-11 du rapporteur modifiant l'article 7 en ce sens.

La commission a adopté l'article 7 ainsi rédigé.

Article 7 bis (nouveau)
Introduction du caractère suspensif de l'appel interjeté
par le ministère de l'intérieur à l'encontre du jugement d'annulation
du renouvellement d'une Micas

Pour répondre aux difficultés observées lorsque certaines décisions d'annulation de renouvellement des Micas sont réformées, la commission a souhaité, par l'adoption d'un amendement du rapporteur portant création d'un article additionnel, rendre suspensif l'appel interjeté par le ministère de l'intérieur à l'encontre de ce jugement d'annulation.

Auditionnés par le rapporteur, les services du ministère de l'intérieur ont fait état de difficultés dans le suivi d'une personne radicalisée à l'encontre de laquelle une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance (Micas) aurait été prononcée, tenant au caractère non-suspensif de l'appel interjeté à l'encontre d'une décision d'annulation de ce renouvellement.

En effet, prévu par l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, le régime du renouvellement d'une Micas est particulièrement strict, eu égard à la rigueur de cette mesure ainsi. Il est prévu qu'une telle mesure soit notifiée à la personne concernée au plus tard cinq jours avant son entrée en vigueur, celle-ci disposant alors d'un délai de quarante-huit heures pour saisir le tribunal administratif aux fins d'annulation de sa demande - tribunal qui se prononce dans un délai de soixante-douze heures. Lorsque le tribunal administratif annule la mesure de renouvellement, la surveillance de l'intéressé prend fin, y compris lorsque le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel du jugement. Dans certains cas, il a été observé que la personne préalablement surveillée disparaissait, empêchant, en cas de réformation de la décision de première instance, le renouvellement effectif de la mesure de surveillance.

C'est pourquoi, la commission a souhaité, par l'adoption d'un amendement COM-12 du rapporteur, prévoir que l'appel formé par le ministre de l'intérieur contre un jugement d'annulation d'un renouvellement d'une Micas entraîne de plein droit la prolongation des effets de la mesure initiale, afin d'éviter une rupture dans la surveillance de la personne concernée, et ceci jusqu'à ce que le juge d'appel se soit prononcé - et ce, dans un délai réduit dérogatoire au droit commun et qui serait fixé à soixante-douze heures.

La commission a adopté l'article 7 bis ainsi rédigé.

Article 7 ter (nouveau)
Harmonisation des voies de recours contre les décisions de saisie
et d'exploitation des données dans le cadre d'une visite domiciliaire

Afin de corriger une malfaçon de la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement, dite « PATR », la commission a introduit, à l'initiative du rapporteur, un article additionnel prévoyant explicitement une voie de recours à l'encontre de la décision du juge des libertés et de la détention (JLD) de refus d'exploitation de documents et données saisies dans le cadre d'une visite domiciliaire.

1. Les visites domiciliaires obéissent à une procédure complexe visant à garantir les droits et libertés individuelles

La loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi « SILT », a intégré dans le droit commun, à titre expérimental, une mesure inspirée des perquisitions administratives possibles pendant l'état d'urgence : les visites domiciliaires. Celle-ci a, par la suite, été pérennisée par la loi la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement, dite « PATR ».

Le caractère attentatoire aux libertés individuelles de la mesure de visite domiciliaire a justifié l'encadrement du dispositif par une série de garanties se traduisant par une procédure complexe l'application de telles mesures.

Ainsi en application de l'article L. 229-1 du code de la sécurité intérieure, la visite doit être autorisée par l'autorité judiciaire - le préfet ne disposant que d'un pouvoir d'initiative. Il revient en effet au juge des libertés et de la détention (JLD), sur saisine motivée du préfet, d'autoriser la visite, par une ordonnance écrite et motivée prise après avis du procureur de la République antiterroriste, et de vérifier, par ce moyen l'adéquation entre les motifs particulièrement restrictifs prévus par le législateur pour ordonner une visite domiciliaire et la demande ainsi formulée.

De surcroit, les facultés de saisies ouvertes aux enquêteurs à l'occasion des visites domiciliaires sont largement encadrées par la loi. Ainsi, s'il est possible, en application de l'article L. 229-5 du code de la sécurité intérieure, de saisir tout document, objet ou donnée à cette occasion, ce n'est qu'avec l'autorisation du JLD. Cette saisie ne peut être autorisée qu'aux fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, et uniquement si la visite a révélé l'existence d'un lien entre ces données et la menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics que constitue le comportement de la personne concernée.

Une fois la visite terminée, l'exploitation des documents et données est soumise à l'autorisation du juge de la liberté et de la détention, qui statue dans un délai de 48 heures. En cas de refus, les données copiées sont détruites et les supports saisis sont rendus à leur propriétaire. En cas d'autorisation, les supports saisis sont rendus à leur propriétaire à l'issue d'un délai maximal de quinze jours. Les copies des données sont détruites à l'issu d'un délai maximal de trois mois.

Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité sur ce point, le Conseil constitutionnel a indiqué que, contrairement à la saisie des données et des supports informatiques et équipements terminaux qu'il a jugées conformes à la Constitution, le législateur n'avait pas entouré la saisie de documents et d'objet, de règles encadrant leur exploitation, leur conservation et leur restitution et que, par conséquent, les dispositions concernées méconnaissaient le droit de propriété20(*).

2. Un vide juridique nécessitant d'être comblé quant aux voies de recours contre la décision de refus d'exploitation de documents et données saisies dans le cadre d'une visite domiciliaire

Le rapporteur a été alerté, lors de ses auditions, sur un vide juridique particulièrement dommageable tenant à l'absence de voie de recours clairement édictée par le législateur à l'encontre de la décision du juge des libertés et de la détention (JLD) du refus d'exploitation de documents informatiques et données saisies dans le cadre d'une visite domiciliaire.

S'il est explicitement prévu que l'ordonnance autorisant l'exploitation des documents et données saisis peut faire l'objet d'un appel devant le premier président de la cour d'appel pendant un délai de quarante heures aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 229-5 du code de la sécurité intérieure, il n'est pas, en revanche, prévu de possibilité d'appel de la part du ministère de l'intérieur dans l'hypothèse inverse où le JLD refuserait d'autoriser le préfet à exploiter les données saisies.

La commission a donc, à l'initiative de son rapporteur, unifié le régime (voies et délais) d'appel pour l'ensemble des ordonnances, qu'elles autorisent ou refusent l'exploitation des données saisies lors d'une visite domiciliaire (amendement COM-9).

La commission a adopté l'article 7 ter ainsi modifié.

Article 7 quater (nouveau)
Renforcement des informations communiquées aux préfets du lieu d'hospitalisation et du lieu domicile
sur la prise en charge d'une personne radicalisée hospitalisée
sans son consentement

La commission a souhaité, par l'introduction d'un article 7 quater, corriger une malfaçon de la loi du 30 juillet 2021 dite « PATR » en renforçant les informations communiquées quant à la prise en charge d'une personne radicalisée hospitalisée sans son consentement aux préfets du lieu d'hospitalisation et du lieu domicile. Elle a considéré qu'eu égard aux besoins opérationnels de la lutte contre le terrorisme, il était indispensable que l'ensemble des services de renseignement comme les préfets du lieu d'hospitalisation et de domicile puissent se voir communiquer les informations relatives à la prise en charge médicale sans leur consentement des personnes radicalisées et à son évolution.

Déjà consacré par le code de la santé publique en matière d'hospitalisation sans consentement, le rôle du préfet du département d'hospitalisation a été récemment renforcé à l'occasion de l'examen de la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement, dite « PATR » afin de lui permettre de se voir communiquer davantage d'informations pour assurer le suivi des personnes radicalisées faisant l'objet de soins sans leur consentement.

Comme exposé par Marc-Philippe Daubresse et Agnès Canayer, rapporteurs au nom de la commission des lois du Sénat de ce texte, le législateur avait alors poursuivi un double objectif visant d'une part, à « permettre un accès plus large aux informations relatives aux soins sans consentement dans le cadre de la lutte contre le terrorisme au préfet d'hospitalisation et de résidence » et d'autre part, à « donner une base légale à l'accès des services de renseignement et des préfets du lieu de résidence aux informations obtenues par le croisement du fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) et du fichier HOPSYWEB, qui recense les entrées et sorties d'hospitalisation sans consentement »21(*).

Il a ainsi été permis, en modifiant l'article L. 3211-12-7, la communication aux services de renseignement ainsi qu'aux préfets, au titre du suivi de la radicalisation dans leur département, de données d'identification ainsi que de données relatives à la situation administrative d'une personne hospitalisée sans son consentement aux seules fins d'assurer son suivi lorsqu'elle représente par ailleurs une menace grave pour la sécurité et l'ordre publics en raison de sa radicalisation à caractère terroriste.

Toutefois, auditionnée par le rapporteur, la DLPAJ a indiqué que ce dispositif était incomplet et posait des difficultés opérationnelles aux préfets et services de renseignement dans la mesure où une partie des informations qui leur seraient utiles ne pouvait pas, en l'état du droit, leur être communiquées.

Ainsi, l'article précité du code de la santé publique ne permet la communication du préfet d'hospitalisation des seules données d'hospitalisation sans consentement à la demande d'un tiers ou en cas de péril imminent, la levée de la mesure à la demande d'un médecin ou d'un psychiatre prononcées en application des articles L. 3212-5, L. 3212-8 et L. 3212-9 du code de la santé publique ainsi que l'article 706-135 du code de procédure pénale. Sont dont exclues de cette communication l'information de la levée de la mesure d'hospitalisation à la demande d'un tiers ou en cas de péril imminent, lorsqu'elle est prononcée sur le fondement de l'article L. 3212-9 du code de la santé publique, alors même que ces informations revêtent une importance opérationnelle indiscutable pour les préfets du lieu d'hospitalisation, comme du lieu de domicile, et plus encore, pour les services de renseignement.

De façon analogue, certaines informations relatives à la forme et aux évolutions de la prise en charge d'une personne faisant l'objet de soins sans consentement, alors même qu'elles sont de nature identique, ne sont pas communiquées à ces mêmes acteurs quand elles sont prises sur un fondement différent.

La commission a jugé que cette situation n'était pas acceptable, compte tenu de l'importance de ces informations pour assurer la sécurité des personnes et des biens, ainsi que l'ordre public et la prévention des actes de terrorisme.

Ainsi compte tenu de l'importance indiscutable au regard de l'objectif de prévention des actes de terrorismes et des atteintes à la sureté des personnes et de l'ordre public et de la nécessité, à cet égard, pour le préfet du lieu d'hospitalisation comme pour le préfet du lieu de domicile ou les services de renseignement de disposer d'informations sur la levée ou l'évolution d'une prise en charge psychiatrique d'une personne radicalisée, la commission a, par l'adoption d'un amendement COM-10 du rapporteur, permis :

- d'une part, au préfet du lieu d'hospitalisation d'informer les autres préfets et services de renseignement de la levée d'une mesure d'hospitalisation, et ce, y compris à la demande d'un tiers ou en cas de péril imminent ;

- d'autre part, au préfet du lieu d'hospitalisation d'être informé des évolutions de la prise en charge d'une telle personne, et ce, à chaque modification apportée à celle-ci.

La commission a adopté l'article 7 quater ainsi modifié.

CHAPITRE II : RÉNOVER LES MOYENS D'ENTRAVE ADMINISTRATIVE AUX ACTIVITÉS ET GROUPEMENTS TERRORISTES

Article 8
Adaptation des critères de dissolution administrative
d'une association ou d'un groupement de fait

L'article 8 aménage les critères de dissolution administrative d'une association ou d'un groupement de fait qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens, d'une part, en substituant à la notion de manifestation armée celle de « l'appel à commettre des violences en groupe » et, d'autre part, en autorisant la dissolution en cas d'inaction de l'association ou du groupement à faire cesser ces agissements.

Dans un contexte de persistance d'une menace terroriste de haute intensité, la commission a pleinement reconnu la nécessité d'adapter les critères de dissolution administrative aux situations rencontrées dans la pratique et adopté l'article en conséquence. Elle a toutefois estimé que, pour atteindre cet objectif, la consécration législative de la définition de la « provocation » telle qu'elle ressort des récentes décisions du Conseil d'État offrait davantage de sécurité juridique. À l'initiative du rapporteur, elle a en outre créé un régime ad hoc de dévolution des biens des associations dissoutes.

1. La dissolution administrative des associations ou groupements de fait : un outil indispensable à la lutte antiterroriste

1.1 Le régime juridique de la dissolution administrative

Si la dissolution non volontaire d'une association relève traditionnellement en droit commun d'une décision judiciaire, prononcée en application des articles 3 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association ou à titre de peine complémentaire prononcée par une juridiction pénale22(*), le législateur a introduit de longue date, à titre dérogatoire, une procédure administrative de dissolution23(*). Celle-ci était initialement prévue par l'article 1er de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées avant sa codification en 2012 à l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure24(*).

En l'état du droit, la dissolution administrative d'une association ou d'un groupement de fait, entendu comme un groupe de personnes organisé en vue de leur expression collective25(*), peut être prononcée par décret du Président de la République en conseil des ministres dans sept cas de figure :

- en cas de provocation à des manifestations armées dans la rue ou, depuis la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République26(*), à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens (1°) ;

- lorsque l'association ou le groupement présente le caractère d'un groupe de combat ou d'une milice privée (2°) ;

- lorsque l'objet ou, depuis la loi du 24 août 2021 précitée, l'action de l'association ou du groupement tend à porter atteinte à l'intégrité du territoire national ou à attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement (3°) ;

- lorsque l'activité de l'association ou du groupement tend à faire échec aux mesures concernant le rétablissement de la légalité républicaine (4°) ;

- lorsque l'association ou le groupement a pour but de rassembler des individus ayant fait l'objet de condamnation du chef de collaboration avec l'ennemi ou d'exalter cette collaboration (5°) ;

- lorsque l'association ou le groupement soit (6°) :

? provoque ou contribue par ses agissements à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée. Ce dernier critère a également été complété par l'article 16 de la loi du 24 août 2021 précitée27(*) ;

? propage des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ;

- en cas d'agissements, sur ou à partir du territoire français, en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger (7°).

En 2021, le législateur a également introduit un nouvel article L. 212-1-1 au code de la sécurité intérieure visant à faciliter la dissolution administrative d'une association ou d'un groupement à raison des agissements individuels d'un ou plusieurs de ses membres agissant en cette qualité ou directement liés à ses activités lorsque les dirigeants se sont abstenus, en connaissance de cause, de faire cesser lesdits agissements.

Enfin, il convient de préciser que le maintien ou la reconstitution d'une association ou d'un groupement de fait est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende, en application de l'article 431-15 du code pénal.

1.2 Une procédure utilisée de manière croissante dans la lutte antiterroriste

Si la procédure de dissolution administrative a été régulièrement utilisée par les pouvoirs publics depuis sa création, une nette intensification de son usage peut être observée sur les cinq dernières années. À titre d'illustration, 135 dissolutions ont été prononcées depuis 1936, dont 19 depuis 2019 soit environ 20 %. À cet égard, la commission a réaffirmé sa position exprimée en 2021 où elle s'était « montrée favorable au renforcement de ce régime de police administrative qui a fait ses preuves pour rétablir ou maintenir l'ordre public en cas d'atteintes graves »28(*).

En outre, le profil des associations ou groupement dissous a sensiblement évolué sur la période récente, avec une montée en puissance d'entités en lien avec la mouvance islamistes. Ainsi, 19 des 35 dissolutions prononcées depuis 2016 sur le fondement du 6° ou du 7° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure concernaient ces entités. La commission a estimé que cette politique volontariste, qui faisait par ailleurs partie des recommandations du rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur les réponses apportées par les autorités publiques au développement de la radication islamiste et les moyens de la combattre29(*), allait dans le bon sens.

2. L'article 8 : un aménagement des critères de dissolution à raison de provocation à des manifestations armées ou d'agissements violents

Traduisant des préconisations d'un rapport de l'Assemblée nationale sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en France30(*), l'article 8 aménage les critères de dissolution administrative d'une association ou d'un groupement de fait qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens, d'une part, en substituant à la notion de manifestation armée celle de « l'appel à commettre des violences en groupe » et, d'autre part, en autorisant la dissolution en cas d'inaction de l'association ou du groupement à faire cesser ces agissements. Sur ce second point, les auteurs de la proposition de loi estiment que cette modification permettrait de « faire échec aux stratégies de contournement existantes et de rattacher des agissements individuels à une personne morale - l'association ou le groupement de fait ».

3. La position de la commission : consacrer la définition jurisprudentielle de la « provocation » et créer un régime ad hoc de dévolution des biens des associations dissoutes

Dans un contexte de persistance d'une menace terroriste de haute intensité, le rapporteur a pleinement reconnu la nécessité d'adapter les critères de dissolution administrative aux situations rencontrées dans la pratique. Rejoignant l'analyse exprimée par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur (DLPAJ) au cours de son audition, il a toutefois estimé que, pour atteindre cet objectif, la consécration législative de la définition de la « provocation » telle qu'elle ressort des récentes décisions du Conseil d'État offrirait davantage de sécurité juridique et de marges de manoeuvres opérationnelles aux services compétents.

À l'initiative du rapporteur, la commission a en conséquence adopté un amendement COM-13 inscrivant à l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure la définition de la « provocation » justifiant la dissolution d'une association ou d'un groupement de fait sur le fondement du 1°, du 6° ou du 7° telle qu'elle a été énoncée par le Conseil d'État, dans sa jurisprudence récente relative notamment aux Soulèvements de la Terre31(*). Pour rappel, la provocation est, aux termes du Conseil d'État, notamment constituée dans trois cas de figure :

- l'incitation explicite ou implicite, par propos ou par actes, à se livrer aux agissements mentionnés aux 1°, 6° et 7° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure précité ;

- la légitimation publique de ces agissements ;

l'abstention à mettre en oeuvre les moyens de modération à disposition pour réagir à la diffusion d'incitations à commettre ces agissements.

Par l'adoption du même amendement COM-13 du rapporteur, la commission a par ailleurs créé un régime de dévolution des biens des associations ayant fait l'objet d'une dissolution. Cette modification vise à combler une lacune de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association qui ne fait aucune mention du devenir des biens des associations dissoutes, dès lors régi par les dispositions civiles de droit commun. Un tel dispositif apparaît pourtant indispensable pour prévenir la transmission du patrimoine d'une association dissoute à une association ou groupement poursuivant un objet similaire. Comme l'a rappelé la DLPAJ au cours de son audition, ces comportements ont pu être constatés dans la pratique et privent les mesures de dissolution d'une grande partie de leur effet.

Le dispositif adopté par la commission prévoit la désignation, à la demande de l'autorité administrative, d'un curateur par le président du tribunal judiciaire. Il reviendrait à celui-ci de procéder à la liquidation des biens de l'association en convoquant pour ce faire une assemblée générale. Afin d'éviter que les biens puissent être transmis à une association dont l'objet ou les agissements sont de même nature, l'autorité administrative pourrait saisir le tribunal judiciaire aux fins d'annulation de la décision de l'assemblée générale et de désignation d'une association ou d'une fondation reconnue d'utilité publique ou d'une personne morale de droit public à laquelle les biens seraient dévolus. Concrètement, la dévolution des biens ne pourrait intervenir qu'à l'expiration du délai de recours précité pour saisir le tribunal judiciaire aux fins de désignation d'une association ou d'une fondation, ou, le cas échéant, lorsque cette demande est rejetée, ou, lorsque la dissolution a fait l'objet d'un recours en annulation, à la date du rejet.

La commission a adopté l'article 8 ainsi modifié.

CHAPITRE III : GARANTIR L'EXPULSION
D'ÉTRANGERS TERRORISTES

Article 9
Assouplissement du régime de protection contre l'expulsion et l'interdiction du territoire français

Reprenant une disposition de la loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration adoptée le 19 décembre 2023 par le Parlement, l'article 9 entend faciliter la levée des protections contre les mesures administratives d'expulsion et les peines complémentaires d'interdiction du territoire français dont bénéficient certaines catégories d'étrangers à raison de l'importance de leurs liens personnels et familiaux avec la France. Dans l'attente de la décision du Conseil constitutionnel sur ce sujet, la commission a, à titre conservatoire, adopté l'article 9 sans modification.

L'article 9 est une reprise de l'article 35 de la loi n° 304 (2022-2023) pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, définitivement adoptée par le Sénat et l'Assemblée nationale le 19 décembre 2023. Il aménage le régime de protection applicable à certains étrangers dont les liens avec la France sont d'une particulière intensité contre deux décisions d'éloignement32(*).

La première est la mesure administrative d'expulsion, dont le régime est fixé aux articles L. 631-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et qui permet d'éloigner durablement un étranger dont le comportement « constitue une menace grave pour l'ordre public », sans considération de son statut au regard du droit au séjour. Elle est prononcée, selon les cas, par arrêté du préfet ou du ministre de l'intérieur et après avis de la commission d'expulsion, sauf urgence absolue. Le prononcé d'un arrêté d'expulsion entraîne un éloignement immédiat du territoire national, le recours en annulation n'étant, le cas échéant, pas suspensif. L'arrêté d'expulsion vaut interdiction de retour sur le territoire national, avec un réexamen quinquennal de l'intéressé par la suite.

À partir des années 198033(*), le législateur a toutefois entendu protéger contre l'expulsion les étrangers disposant de fortes attaches personnelles et familiales. En l'état du droit, ce dispositif de protection est défini aux articles L. 631-2 et L. 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui établit deux régime distincts :

les protections relatives : les étrangers concernés ne peuvent être expulsés que si cette décision « constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique » et sous réserve qu'ils ne bénéficient pas d'une protection absolue par ailleurs. Par exception, cette protection ne s'applique en outre pas aux étrangers condamnés définitivement à une peine d'emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans ou vivant en France en état de polygamie ;

les protections absolues : leurs bénéficiaires ne peuvent faire l'objet d'un arrêté d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État, liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence. Par ailleurs, les protections peuvent être levées en cas de polygamie ou, pour certaines catégories d'étrangers protégés, de violences sur conjoint ou enfant.

La seconde est l'interdiction du territoire français (ITF), qui est une mesure judiciaire prononcée à titre de peine principale ou complémentaire et dont le régime est fixé principalement par les articles 131-30, 131-30-1 et 131-30-2 du code pénal. Elle peut être prononcée par le juge pénal lorsque le texte d'incrimination le prévoit expressément. De la même manière que pour l'expulsion, le prononcé d'une ITF se traduit par la reconduite de plein droit de l'intéressé à la frontière, le cas échéant à l'expiration de sa peine d'emprisonnement ou de réclusion.

En « miroir » du régime de l'expulsion, le code pénal prévoit un système de protection à double-niveau s'agissant des ITF. Les ITF visant des étrangers bénéficiant d'une protection relative doivent faire l'objet d'une motivation spéciale, sauf en cas de polygamie. Les protections absolues ne peuvent quant à elle être levées qu'en cas d'atteintes aux intérêts fondamentaux de l'État, d'infractions en matière de groupes de combat ou de mouvements dissous, de fausse monnaie ainsi que, pour certaines catégories d'étrangers protégés ou de polygamie.

Ce dispositif de protection permet le maintien sur le territoire français d'étrangers menaçant gravement l'ordre public et parfois lourdement condamnés. À titre d'exemple, le ministère de l'intérieur estime que sur le seul mois de juillet 2022, 60 expulsions n'avaient pu être prononcées du fait34(*). Le Parlement a entendu mettre fin à cette situation intolérable en réservant le bénéfice de ces protections contre l'éloignement aux seuls étrangers respectant les lois et les valeurs de la France. De nouvelles exceptions aux protections ont, par conséquent, été introduites au cours des débats au Sénat sur le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, qui sont retranscrites dans les tableaux ci-après.

Évolution des motifs de levée des protections contre les expulsions au cours de l'examen du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration

 

Droit en vigueur

Texte initial

Texte de commission (Sénat)

Texte adopté

Protections relatives

(L. 631-2 Ceseda)

Nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique (sans changement)

Vie en état de polygamie (sans changement)

· Condamnation définitive à une peine de prison ferme au moins égale à 5 ans

Condamnation définitive pour des faits passibles d'au moins 5 ans de prison

Condamnation définitive pour des faits passibles d'au moins 3 ans de prison

· -

Violences sur enfant ou conjoint (pour 2 des 4 catégories d'étrangers protégés)

Violences sur enfant ou conjoint pour l'ensemble des étrangers protégés

Violences sur enfant, ascendant ou conjoint pour l'ensemble des étrangers protégés

· -

Irrégularité du séjour

· -

Violence contre des élus, personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargée d'une mission
de service public

Protections absolues

(L. 631-3 Ceseda)

Atteintes aux intérêts fondamentaux de l'État (sans changement)

Activité terroriste (sans changement)

Vie en état de polygamie (sans changement)

Provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence (sans changement)

· Violences sur enfant ou conjoint (pour 2 des 5 catégories d'étrangers protégés)

-

Violences sur enfant ou conjoint pour l'ensemble des étrangers protégés

Violences sur enfant, ascendant ou conjoint pour l'ensemble des étrangers protégés

 

· Condamnation définitive pour des faits passibles d'au moins 10 ans de prisons

Condamnation définitive pour des faits passibles d'au moins 5 ans
de prison

· -

Irrégularité du séjour

· -

Atteintes aux principes de la République

· -

Violence contre des élus, personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public

Source : Commission des lois du Sénat

Évolution des motifs de levée des protections contre les ITF au cours de l'examen du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration

 

Droit en vigueur

Texte initial

Texte de commission (Sénat)

Texte adopté

Prononcé des ITF

(131-30 code pénal)

Nécessité d'une disposition législative le prévoyant explicitement pour chaque crime ou délit

Possibilité supplémentaires de prononcer une ITF en cas de condamnation pour violences à l'encontre du conjoint ayant entraîné une ITT de moins de 8 jours, de membres des forces de l'ordre ou en cas de vol aggravé

Possibilité de prononcer une ITF pour tout crime ou délit passible d'au moins 5 ans de prison

Possibilité de prononcer une ITF pour tout crime ou délit passible d'au moins 3 ans de prison

Protections relatives en matière correctionnelle

(131-30-1 code pénal)

Exigence de motivation spéciale de la décision d'ITF

Suppression des protections relatives

· -

Violences sur enfant ou conjoint

 

· · Condamnation pour un délit passible d'au moins 5 ans de prison

· Protections absolues

(131-30-2 code pénal)

Atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État (sans changement)

Activités terroristes (sans changement)

Infractions en matière de groupes de combat ou de mouvements dissous (sans changement)

Infractions en matière de fausse monnaie (sans changement)

Délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence (ajout texte initial)

· Violences sur enfant ou conjoint (pour 2 des 5 catégories d'étrangers protégés)

-

Violences sur enfant ou conjoint pour l'ensemble des étrangers protégés

Violences sur enfant, ascendant ou conjoint pour l'ensemble des étrangers protégés

· -

Condamnation pour des faits passible d'au moins 10 ans de prison

Condamnation pour des faits passibles d'au moins 5 ans de prison

Source : Commission des lois du Sénat

La conformité de l'article 35 de la loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration à la Constitution a fait l'objet de contestations devant le Conseil constitutionnel, en application de l'article 61 de la Constitution. Sa décision devrait intervenir le 25 janvier prochain. Dans l'attente, la commission a, à titre conservatoire, adopté l'article 9 sans modification.

La commission a adopté l'article 9 sans modification.

Article 10
Extension du contradictoire asymétrique devant le juge administratif

Reprenant l'article 73 de la loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration adopté le 19 décembre 2023 par le Parlement, l'article 10 propose d'autoriser le recours à un dispositif de contradictoire asymétrique devant le juge administratif pour le jugement de décisions fondées sur des motifs en lien avec la prévention d'actes de terrorisme. Dans l'attente de la décision du Conseil constitutionnel sur ce texte, la commission a, à titre conservatoire, adopté l'article 10 sans modification.

L'article 10 est une reprise de l'article 73 de la loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration. Issu d'un amendement du Gouvernement adopté en séance publique par le Sénat35(*), il entend autoriser le recours à une procédure de contradictoire asymétrique devant le juge administratif pour le jugement de décisions fondées sur des motifs en lien avec la prévention d'actes de terrorisme. En effet, aux termes de l'exposé des motifs de l'amendement précité, « en l'état actuel de la législation, la défense contentieuse de certaines mesures de police administrative visant des étrangers dangereux (dégradation de titre, expulsion, etc.) bute sur la difficulté liée au fait que certaines informations sensibles qui ont motivé la décision ne peuvent pas être produites car leur versement au contradictoire serait contre-productif du point de vue des méthodes des services de renseignement et conduirait à compromettre des opérations de surveillance ou à exposer des méthodes opérationnelles des services ».

En conséquence, cet article propose d'instaurer un régime de contradictoire aménagé applicable au contentieux des décisions administratives suivantes, et ce dès lors qu'elles sont fondées sur des motifs en lien avec la prévention d'actes de terrorisme :

s'agissant des mesures prévues au code de la sécurité intérieure : la dissolution d'une association ou d'un groupement de fait, l'interdiction de sortie du territoire français, le contrôle administratif des retours sur le territoire national, la fermeture d'un lieu de culte ainsi que la mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance36(*) ;

- s'agissant de la mesure prévue au code monétaire et financier : le gel des avoirs37(*) ;

- s'agissant des mesures prévues au code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : l'interdiction administrative du territoire, les refus de visas court et long séjour, l'interdiction administrative du territoire, le refus d'entrée à la frontière, le refus de délivrance ou le retrait d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle, le refus ou le retrait du statut de réfugié ou de protégé subsidiaire, l'expulsion ainsi que l'assignation à résidence en cas de report de l'éloignement38(*) ;

s'agissant des mesures prévues au code civil : l'opposition à l'acquisition de la nationalité française par mariage au titre de l'article 21-4 et le rejet des demandes d'acquisition de la nationalité française sur le fondement de l'article 21-27.

Concrètement, ce dispositif pourrait être mis en oeuvre « lorsque des considérations relevant de la sûreté de l'État s'opposent à la communication d'informations ou d'éléments sur lesquels reposent les motifs de l'une des décisions précitées ». Cette situation serait caractérisée dans deux cas de figure : d'une part lorsque ladite communication compromettrait une opération de renseignement et, d'autre part, lorsqu'elle dévoilerait des méthodes opérationnelles des services de renseignement du premier et deuxième cercle. Sous réserve que la protection de ces éléments ne puisse être assurée par un autre moyen, l'administration pourrait les transmettre par un mémoire séparé à la juridiction administrative, en exposant les raisons impérieuses qui s'opposent à ce qu'ils soient versés au débat contradictoire.

Deux options s'offriraient par la suite à la juridiction administrative, le cas échéant après avoir procédé à toute mesure d'instruction complémentaire en lien avec ces pièces :

lorsque le recours au contradictoire aménagé est juridiquement justifié : statuer sur le litige sans verser les éléments transmis au contradictoire, ni en révéler l'existence et la teneur dans sa décision ;

lorsqu'il estime que le recours au contradictoire aménagé est injustifié : il reviendrait à l'administration, dûment informée par la juridiction administrative de l'impossibilité de prendre en compte les éléments transmis sans les verser au contradictoire, de décider de leur communication.

Le rapporteur a souligné qu'une telle procédure de contradictoire aménagé existe déjà en matière de renseignement depuis la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015. Elle est actuellement régie par les articles L. 773-1 à L. 773-8 du code de justice administrative. De la même manière, l'exposé des motifs de l'amendement du Gouvernement précité rappelle à juste titre que des dispositifs ponctuels de contradictoire aménagé ont été régulièrement validés, tant par le juge européen39(*) que national40(*).

La commission a de nouveau émis un avis favorable à ce dispositif indispensable pour mettre fin à des situations où l'administration doit renoncer à l'émission de décisions pourtant nécessaires à une lutte antiterroriste efficace par crainte de se voir par la suite contrainte à révéler des informations sensibles au cours d'une éventuelle procédure contentieuse. Parce qu'il est limité aux seules décisions administratives fondées sur des motifs de terrorisme et qu'il préserve une possibilité pour le juge administratif de décider du retour à une procédure contradictoire de droit commun, l'article 10 offre par ailleurs de robustes garanties s'agissant du droit à un procès équitable.

Dans l'attente de la décision du Conseil constitutionnel sur le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration précité, la commission a, à titre conservatoire, adopté l'article 10 sans modification.

La commission a adopté l'article 10 sans modification.

Article 10 bis (nouveau)
Rétention administrative de l'étranger dont le comportement est lié à des activités à caractère terroriste pénalement constatées

Reprenant une disposition adoptée par la commission des lois de l'Assemblée nationale dans le cadre de l'examen du projet de loi n° 304 (2022-2023) pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, la commission a, à l'initiative du rapporteur, étendu explicitement la possibilité de prolonger jusqu'à 210 jours la rétention administrative d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'expulsion édictée en raison d'une provocation directe à des actes de terrorismes ou de leur apologie pénalement constatée.

Les étrangers condamnés à un peine d'interdiction du territoire pour des actes de terrorismes prévus par le titre II du livre IV du code pénal ou faisant l'objet d'une décision d'expulsion « édictée pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste pénalement constatées » sont soumis depuis 2011 à un régime de rétention administrative aménagé, qui se manifeste principalement par un séquençage et une durée maximale de la rétention dérogatoires. Ce régime ad hoc résultait initialement de l'adoption d'un amendement du Gouvernement à l'article 56 de la loi n° 011-672 du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité lors de son examen en première lecture par la commission des lois du Sénat41(*). En dépit du nombre relativement restreint d'étrangers alors concernés, l'exposé des motifs de l'amendement précisait que « compte tenu de l'intérêt particulier qui s'attache à leur éloignement [et] eu égard à l'exceptionnelle gravité de la menace à la sécurité publique qu'ils représentent, il apparaît nécessaire de prévoir une procédure de rétention administrative adaptée », dont la durée maximale était alors portée à six mois42(*).

Ce régime est aujourd'hui défini aux articles L. 742-6 et L. 742-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Aux termes de l'article L. 742-6, le juge des libertés et de la détention peut être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention de l'intéressé au-delà de 30 jours (soit à l'issue de la première prolongation de vingt-huit jours prévue par l'article L. 742-3 du même code) lorsque, d'une part, l'éloignement de l'intéressé demeure une perspective raisonnable et, d'autre part, qu'aucune décision d'assignation à résidence ne permettrait de le contrôler de manière suffisante. La prolongation court alors pour une durée de 30 jours renouvelable, dans la limite de 180 jours au total. Depuis 2018, le juge des libertés et de la détention peut toutefois, à titre exceptionnel, étendre cette mesure jusqu'à 210 jours43(*). Ces durées maximales de rétention s'inscrivent dans le cadre fixé par la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, dite « Retour », dont les paragraphes 5 et 6 de l'article 15 autorisent, selon les cas, des durées de rétention qui peuvent aller jusqu'à six ou dix-huit mois.

Dans ce contexte, la commission des lois de l'Assemblée nationale a, lors de l'examen en première lecture du projet de loi n° 304 (2022-2023) pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, adopté un amendement visant à appliquer explicitement cette possibilité de prolonger jusqu'à 210 jours la rétention administrative d'un étranger lorsque celui-ci fait l'objet d'une mesure d'expulsion édictée en raison d'une provocation directe à des actes de terrorisme ou de leur apologie pénalement constatée44(*). Les termes « d'activités à caractère terroriste » sont en effet spécifiques au code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile45(*) et n'ont pas d'équivalent dans le code pénal, si bien que le champ d'application réel de ce dispositif ne peut être déterminé avec certitude. L'inclusion des faits de provocation ou d'apologie dans cette catégorie n'est notamment pas expresse.

Si cette modification n'a pas pu être retenue par la commission mixte paritaire du fait de l'application des règles de recevabilité (article 45 de la Constitution), la commission a estimé que cette clarification du périmètre de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile était de nature à faciliter le maintien en rétention d'individus présentant un profil particulièrement dangereux. À l'initiative du rapporteur, elle a en conséquence adopté un amendement COM-14 reprenant cette disposition de clarification.

La commission a adopté l'article 10 bis ainsi rédigé.

CHAPITRE IV : COMPLÉTER L'ARSENAL PÉNAL
RÉPRESSIF ANTITERRORISTE

Article 11
Délit sanctionnant la détention ou l'enregistrement d'images ou de représentations d'un ou plusieurs crimes d'atteintes aux personnes commis par des individus agissant en relation avec une entreprise terroriste

Compte tenu de la nécessité de corriger les effets de la censure par le Conseil constitutionnel du délit de recel d'apologie du terrorisme - création jurisprudentielle - qui permettait d'engager des poursuites judiciaires à l'encontre d'individus détenant des centaines de vidéos et images relayant des crimes commis par des groupements islamistes, la commission a adopté l'article 11 en le sécurisant, permettant de sanctionner les individus détenant des contenus apologétiques.

Elle a ainsi, par l'adoption d'un amendement de réécriture globale du rapporteur, plutôt que de retravailler les dispositions du délit de recel d'apologie, souhaité introduire un nouveau délit de la détention ou l'enregistrement d'images ou de représentations d'un ou plusieurs crimes d'atteintes aux personnes commis par des individus agissant en relation avec une entreprise terroriste.

1. Le délit de recel d'apologie du terrorisme, une création jurisprudentielle censurée en 2020 par le juge constitutionnel

Sur le fondement d'une combinaison des dispositions des articles 321-1- et 421-2-5 du code pénal, saisie d'un recours à l'encontre d'une jurisprudence de la cour d'appel de Rouen, la Cour de cassation a, par un arrêt du 7 janvier 2020, incriminé la détention de fichiers faisant l'apologie du terrorisme comme constitutif d'un recel d'apologie du terrorisme46(*).

Elle a, pour ce faire, confirmé le raisonnement proposé par la cour d'appel qui avait relevé d'une part, qu'« en effectuant des téléchargements volontaires de fichiers faisant l'apologie du terrorisme », le mis en cause avait « détenu en toute connaissance de cause des choses provenant d'une action qualifiée de crime ou de délit par la loi », autrement dit qu'il s'était rendu coupable de recel.

D'autre part, la cour avait également jugé que « démontr[ait] une certaine adhésion aux propos apologétiques et que la multiplicité, la diversité et le caractère volontaire de la sélection des documents téléchargés exclu[aient] qu'il ait pu agir de bonne foi par simple curiosité, quête spirituelle ou parce qu'il se retrouvait dans une situation de détresse psychologique, matérielle et familiale ainsi qu'il le prétendait ».

Ainsi, avait été par voie jurisprudentielle consacré le recel d'apologie du terrorisme. Le mis en cause avait formulé une question prioritaire de constitutionnalité que la Cour de cassation avait renvoyée au juge constitutionnel au motif qu' « il convient que le Conseil constitutionnel puisse apprécier, au regard de ses décisions n° 2016-611 QPC du 10 février 2017 et n° 2017-682 QPC du 15 décembre 2017 qui ont, pour incriminer la consultation de sites faisant l'apologie du terrorisme, exigé que soit caractérisé chez l'auteur de cette consultation une intention terroriste, si les dispositions susvisées, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, qui admet que le recel de fichiers ou de documents apologétiques notamment issus de la consultation de tels sites puisse être incriminé si est au moins caractérisée, en la personne du receleur, une adhésion à l'idéologie exprimée dans de tels fichiers, ne sont pas susceptibles de porter une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression et de communication »47(*).

Saisi de la conformité à la Constitution du délit d'apologie du terrorisme, le Conseil constitutionnel avait préalablement jugé qu'il ne méconnaissait pas la liberté d'expression et de communication. Il a estimé que « apologie publique, par la large diffusion des idées et propos dangereux qu'elle favorise, crée par elle-même un trouble à l'ordre public » et que « le juge se prononce en fonction de la personnalité de l'auteur de l'infraction et des circonstances de cette dernière, notamment l'ampleur du trouble causé à l'ordre public »48(*). Il a également admis que l'atteinte portée à la liberté d'expression et de communication était nécessaire, adaptée et proportionnée à l'objectif poursuivi.

Toutefois, en l'espèce et s'agissant du seul délit de recel d'apologie du terrorisme, le Conseil constitutionnel49(*), a émis trois critiques, à titre principal, à l'encontre du caractère adapté et proportionné du délit ainsi créé, le conduisant à censurer ces dispositions et émettre une réserve d'interprétation mettant en échec une telle interprétation par le juge.

Ainsi, en premier lieu, il a estimé que « si l'apologie publique d'actes de terrorisme favorise la large diffusion d'idées et de propos dangereux, la détention des fichiers ou documents apologétiques n'y participe qu'à la condition de donner lieu ensuite à une nouvelle diffusion publique ».

En deuxième lieu, il a jugé que « l'incrimination de recel d'apologie d'actes de terrorisme n'exige pas que l'auteur du recel ait la volonté de commettre des actes terroristes ou d'en faire l'apologie ». Dès lors, que l'élément intentionnel, qui constituait un des éléments de caractérisation du délit ainsi créé, ne pouvait ni se déduire d'une détention d'image ni être constituée par une simple adhésion à une idéologie. En effet, il a estimé que « si, conformément à l'interprétation qu'en a retenue la Cour de cassation, la poursuite de cette infraction suppose d'établir l'adhésion du receleur à l'idéologie exprimée dans les fichiers ou documents apologétiques, ni cette adhésion ni la détention matérielle desdits fichiers ou documents ne sont susceptibles d'établir, à elles seules, l'existence d'une volonté de commettre des actes terroristes ou d'en faire l'apologie ».

Enfin, il a relevé que « le délit de recel d'apologie d'actes de terrorisme réprime donc d'une peine qui peut s'élever, selon les cas, à cinq, sept ou dix ans d'emprisonnement le seul fait de détenir des fichiers ou des documents faisant l'apologie d'actes de terrorisme sans que soit retenue l'intention terroriste ou apologétique du receleur comme élément constitutif de l'infraction ».

Pour l'ensemble de ces raisons, il a estimé que le délit de recel d'apologie du terrorisme portait, dans cette rédaction, une atteinte qui n'était pas nécessaire, adaptée et proportionnée à la liberté d'expression et de communication. Il a en conséquence supprimé ce dispositif.

Plus de trois ans après cette décision, les auteurs de la proposition de loi ont réintroduit, à l'article 11 du texte, des dispositions visant à réprimer le délit de recel d'apologie du terrorisme. Le rapporteur fait pleinement siennes les justifications à la réintroduction d'un tel délit telles qu'énoncées dans l'exposé des motifs par les auteurs de la proposition de loi : « Si les évolutions récentes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel ont entraîné la censure du délit de consultation habituelle de contenus à caractère terroriste introduit par le législateur et celle du délit de recel d'apologie du terrorisme créé par voie prétorienne, plusieurs acteurs judiciaires appellent à la création d'un nouveau délit permettant de sanctionner la détention et la consultation régulière de contenus, principalement numériques, à caractère terroriste. Ainsi, le 16 octobre 2023, à la suite de la mise en examen d'un homme de 24 ans, proche de la mouvance islamiste, pour port illégal d'un couteau de neuf centimètres à proximité d'un lycée, la procureure de la République, Maryvonne Caillebotte a déclaré : « il télécharge effectivement des images [de décapitation] mais il ne les diffuse pas. Il n'encourage pas non plus à un acte terroriste. En clair, sur le plan pénal, on ne peut le poursuivre que pour le port d'arme. L'apologie du terrorisme ou même le recel ne tiendraient pas. On n'est pas naïfs pour autant. S'il n'avait pas ce profil, il aurait sans doute écopé d'une simple ordonnance pénale et n'aurait pas été déféré en vue d'une comparution immédiate ».

Malgré l'ensemble de ces éléments, le prévenu n'encourt, en l'espèce et en l'état du droit, qu'une peine d'un an de prison, pour une infraction de droit commun et non à caractère terroriste. ». Toutefois, conscient des difficultés des difficultés constitutionnelles à la réintroduction d'un délit de recel d'apologie du terrorisme, le rapporteur a privilégié la création d'une nouvelle incrimination ; plutôt que de retravailler le délit de recel d'apologie.

2. La nécessaire création d'un délit de détention ou d'enregistrement des contenus apologétiques les plus graves, proportionnée et adaptée aux exigences constitutionnelles

Compte tenu de la nécessité de corriger les effets de la censure par le Conseil constitutionnel du délit de recel d'apologie du terrorisme - création jurisprudentielle - qui permettait d'engager des poursuites judiciaires à l'encontre d'individus détenant des centaines de vidéos et images relayant des crimes commis par des groupements islamistes, le rapporteur s'est attaché à sécuriser la rédaction proposée par la proposition de loi afin de sanctionner les individus détenant des contenus apologétiques.

En réponse à la censure du Conseil constitutionnel et plutôt que de retravailler les dispositions du délit de recel d'apologie, la commission a souhaité introduire un nouveau délit de détention ou d'enregistrement d'images ou de représentations d'un ou plusieurs crimes d'atteintes aux personnes commis par des individus agissant en relation avec une entreprise terroriste.

Elle a, à l'initiative du rapporteur (amendement COM-15), restreint le champ d'application de ce délit, par rapport au délit de recel d'apologie, par deux moyens :

- d'une part, en introduisant un critère de gravité particulièrement restreint, sur le modèle des dispositions incriminant la détention d'images pédopornographiques. Ainsi, plutôt que de sanctionner la détention de contenus apologétiques de manière générale comme c'était le cas du délit de recel d'apologie, elle a souhaité ne sanctionner que la seule détention des contenus les plus graves, exhibant des crimes terroristes ;

- d'autre part, en introduisant, à la différence du délit de recel d'apologie, un élément intentionnel dans la caractérisation de ce nouveau délit. L'infraction permettant de sanctionner les individus détenant de telles images apologétiques ne serait constituée qu'à condition que l'adhésion de l'auteur à un ou plusieurs crimes terroristes ainsi exhibés soit manifeste.

Un tel délit constituerait, aux yeux du rapporteur, une nouvelle possibilité d'entrave judiciaire à l'encontre de personnes fortement susceptibles de passer à l'acte et présentant donc, par la nature de leurs actes et la gravité des contenus qu'ils détiennent, une menace de trouble particulièrement grave à la sécurité des biens, des personnes et de l'ordre public.

Poursuivant le même objectif de garantir la constitutionnalité du dispositif, la commission a réduit la peine d'amende encourue de 45 000 à 30 000 euros, montant inférieur à celui initialement retenu pour sanctionner le délit de recel d'apologie.

De la même manière, plusieurs motifs légitimes de détention de tels contenus apologétiques sont prévus comme motifs d'exclusion de ce délit, à savoir « la détention résultant de l'exercice normal d'une profession ayant pour objet d'informer le public, intervenant dans le cadre de recherches scientifiques ou réalisées afin de servir de preuve en justice, ou le fait que cette détention s'accompagne d'un signalement de l'origine de ces images ou représentations aux autorités publiques compétentes ».

La commission a adopté l'article 11 ainsi rédigé.

Article 11 bis (nouveau)
Extension du délit d'apologie du terrorisme
à la diffusion de contenu sur les réseaux privés

Prenant acte du fait que certaines évolutions permises par le développement de nouvelles solutions technologiques permettant de contourner la frontière de la publicité entendue au sens de « réseau public de communication », la commission a adopté un amendement du rapporteur portant création d'un article 11 bis, visant à intégrer dans la définition de la condition de publicité du délit d'apologie la diffusion la diffusion de contenus apologétiques sur les réseaux privés de communication, lorsque cette diffusion présente une ampleur telle qu'elle est assimilable à de l'apologie publique et a les mêmes effets en matière de diffusion d'idées et de propos dangereux.

D'un constat partagé par l'ensemble des acteurs engagés dans la lutte contre le terrorisme auditionnés par le rapporteur, l'utilisation des fonctionnalités des réseaux sociaux dits « privés » ou des fonctionnalités messageries cryptées ont induit un renouvellement du mode opératoire de l'apologie du terrorisme en permettant aux auteurs de commettre de tels faits en dehors des réseaux de communication publics, alors que le critère de publicité de l'apologie est constitutif de sa répression en matière terroriste.

Pour mémoire, le Conseil constitutionnel n'a admis la constitutionnalité d'un tel délit qu'au motif que « l'apologie publique, par la large diffusion des idées et propos dangereux qu'elle favorise, crée par elle-même un trouble à l'ordre public »50(*).

Si ces délits commis dans l'espace virtuel prennent la même forme que celles commises dans le monde réel ou sur des réseaux publics, permettant de qualifier aisément le caractère public de cette apologie, le détournement des fonctionnalités offertes par ces moyens de communication « privés » est susceptible d'entrainer des conséquences encore plus dommageables en ce qu'elles permettent à des individus de se rendre coupables d'apologie devant une large audience de personnes sans lien avec une communauté d'intérêts en contournant les critères juridiques en vigueur.

Ainsi, la jurisprudence de la Cour de cassation considère que le caractère privé de certains échanges doit faire l'objet d'une analyse casuistique et admet que le caractère privé de certains espaces d'échanges puisse être remis en cause. À titre d'exemple, elle considère qu'un échange dématérialisé est public s'il est diffusé à un « nombre indéterminé de personnes nullement liées par une communauté d'intérêts »51(*).

La commission a considéré que ces apports de nature jurisprudentielle n'offrent pas les garanties nécessaires quant à l'application uniforme sur le territoire et durable dans le temps de telles appréciations

Il lui est, au surplus, apparu nécessaire d'actualiser le droit existant afin de mieux prendre en compte ces nouvelles réalités et d'adapter en conséquence l'arsenal répressif, ce que ne fait pas, en l'état, la proposition de loi.

Sur proposition du rapporteur, elle a introduit, par l'adoption de l'amendement COM-16, un article 11 bis visant, pour ce faire, à consolider la définition du critère de publicité constitutif du délit d'apologie du terrorisme afin de tenir compte des évolutions permises par le développement de nouvelles solutions technologiques permettant de contourner la frontière de la publicité entendue au sens de « réseau public de communication ».

Ainsi, reprenant les notions dégagées et éprouvées par la jurisprudence de la Cour de cassation, elle a intégré dans la définition de la condition de publicité du délit d'apologie la diffusion de contenus apologétiques sur les réseaux privés de communication, lorsque cette diffusion présente une ampleur telle qu'elle est assimilable à de l'apologie publique et a les mêmes effets en matière de diffusion d'idées et de propos dangereux. Seraient donc constitutif d'un délit d'apologie du terrorisme, et sanctionné des mêmes peines, « le fait de diffuser des documents, images ou supports de toute nature faisant l'apologie du terrorisme sur des réseaux privés de communication lorsque ces réseaux, à raison de leur nature, de leurs conditions d'accès, du nombre de personnes y accédant ou de leur appartenance ou non à une communauté d'intérêts, peuvent être assimilés à des services de communication au public en ligne ».

La commission a adopté l'article 11 bis ainsi rédigé.

Article 12
Aggravations de peine en cas de délit d'apologie ou de provocation
à des actes de terrorisme dans l'exercice du culte ou dans un lieu de culte par un ministre du culte

La commission a adopté sans modifications l'article 12, qui traduit opportunément une recommandation ancienne du Sénat visant à mieux réprimer la commission par un ministre du culte des infractions d'apologie ou de provocation à des actes de terrorisme.

Traduisant une recommandation formulée par la commission d'enquête sénatoriale sur la radicalisation islamiste rapportée par Jacqueline Eustache-Brinio en 2018, l'article 12 de la proposition de loi créée une nouvelle circonstance aggravante au délit d'apologie ou de provocation à des actes de terrorisme lorsque les propos incriminés sont tenus dans l'exercice du culte ou dans un lieu de culte par un ministre du culte.

Les peines seraient portées à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 euros d'amende dès lors que ces faits auraient été commis, dans un lieu de culte ou dans l'exercice du culte, considérant qu'en raison de la qualité de la personne se rendant coupable de tels actes, les conséquences dommageables et la diffusion de telles idées sont d'une ampleur démultipliée.

Les personnes auditionnées par le rapporteur ont, dans leur ensemble, salué cette avancée dans la répression de comportements particulièrement néfastes dès lors qu'ils étaient commis par des ministres du culte ou dans des lieux de culte. Certaines ont toutefois souligné que les ministres du culte et les responsables de lieux de culte ont, depuis les opérations conduites sous l'état d'urgence jusqu'en 2019, globalement cessé de se rendre coupables, en ces lieux, de telles infractions. Pour autant, la commission a jugé que la mesure proposée restait bien nécessaire.

En conséquence, la commission a adopté, sans modification, cet article qui traduit opportunément une recommandation ancienne du Sénat.

La commission a adopté l'article 12 sans modification.

Article 13 (supprimé)
Aggravations de peine en cas d'apologie ou de provocation à la commission d'actes de terrorisme

Compte tenu des importantes réserves formulées par le procureur national de la République antiterroriste quant aux effets de bord dommageables susceptibles d'être induits par les dispositions proposées par cet article, la commission l'a supprimé.

Comme le précise l'exposé des motifs avec cet article 13, les auteurs de la proposition de loi ambitionnent « face à l'évolution du profil des auteurs d'actes de terrorisme, parfois incités par des individus entrant en contact via les réseaux sociaux avec les auteurs et les ciblant du fait de leur état psychologique ou de leur vulnérabilité, d'introdui[re] une nouvelle circonstance aggravante au délit de provocation directe à la commission d'un acte terroriste lorsqu'elle est commise sur une personne vulnérable à raison de son âge, de son état de santé ou de sa précarité économique, les peines sont alors portées à sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende ».

De surcroit, cet article propose que lorsque la provocation à la commission d'un acte terroriste ou l'apologie publique du terrorisme sont commises avec, au moins, deux circonstances aggravantes du fait de l'état de la victime, des moyens utilisés ou de la nature de l'auteur, les peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende.

Poursuivant un raisonnement analogue, le même article 13 introduit également une circonstance aggravante lorsque la provocation à la commission d'un acte terroriste ou à son apologie a été suivie d'effet, portant les peines encourues à sept années d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende. Les auteurs de la proposition de loi souhaitaient ainsi que « cette disposition permette de prendre en compte le fait que l'utilisation des fonctionnalités des réseaux sociaux et plus largement des supports numériques a induit un renouvellement du mode opératoire de certains individus ou groupements en permettant aux auteurs de maintenir un contact quasi permanent avec leurs victimes favorisant en conséquence leur passage à l'acte ».

Si l'ensemble des acteurs auditionnés ont confirmé la pertinence des constats posés par les auteurs de la proposition de loi tels que décrits dans l'exposé des motifs52(*), le procureur national de la République antiterroriste ainsi que la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice ont, au cours de leur audition, alerté le rapporteur sur les importantes réserves suscitées par cet article compte tenu des conséquences dommageables susceptibles d'être induits par les dispositions proposées.

En premier lieu, l'aggravation de peine à raison de la qualité des victimes ainsi que de leur effet complexifie la caractérisation d'une infraction qui, en l'état du droit, ne requiert pas la désignation formelle d'une victime pour être constituée. Une telle évolution emporte, dès lors, le risque d'amoindrir le champ d'application d'une telle infraction en imposant « en creux » l'exigence d'identification d'une victime.

Au surplus, si une victime était identifiée et qu'elle se rendait coupable d'une infraction terroriste, la reconnaissance de sa qualité de victime pourrait faire obstacle à l'application d'un régime de sanctions plus sévère et aboutirait, de manière contreproductive, à l'application d'un régime protecteur et très favorable à son endroit.

Enfin, une jurisprudence constante du PNAT permet, en l'état du droit, de poursuivre et condamner des individus sur le fondement de l'association de malfaiteurs terroristes criminelle par « inspiration », infraction plus sévèrement sanctionnée que les dispositions de la propositions de loi qui proposent de sanctionner la provocation à un acte de terrorisme suivi d'effets.

Pour l'ensemble de ces raisons, la commission a jugé plus opportun de procéder, en accord avec les auteurs de la proposition de loi, à la suppression de ces dispositions qui pourraient, en dépit de leurs louables intentions, s'avérer contreproductives dans la répression des actes terroristes. Elle a, dès lors, adopté un amendement COM-17 de suppression de cet article.

La commission a supprimé l'article 13.

Article 14
Peine complémentaire de « bannissement numérique » pour les condamnés terroristes

La commission a, à l'initiative du rapporteur, approuvé l'économie générale du dispositif de cet article qui reprend une disposition adoptée par le Sénat dans le cadre de l'examen du projet de loi n° 1514 (2022-2023) visant à sécuriser et réguler l'espace numérique, et, dans l'attente de la réunion de la commission mixte paritaire, adopté un amendement visant à reprendre des améliorations apportées par l'Assemblée nationale lors de l'examen de ce texte.

1. L'utilisation des réseaux sociaux comme vecteur de radicalisation, une réalité nouvelle et particulièrement préoccupante

L'ensemble des acteurs auditionnés par le rapporteur ont fait état du caractère central des moyens de communication numérique, et singulièrement des réseaux sociaux, comme vecteur de radicalisation et de passage à l'acte, en particulier chez les mineurs.

Ainsi, les informations transmises au rapporteur démontrent que les groupes terroristes organisés et connus des services de renseignement ont récemment opéré un changement stratégique visant, plutôt que d'inciter et de recruter des personnes susceptibles de se rendre sur des théâtres d'opérations, à endoctriner et provoquer à la commission d'actes de terrorisme sur le sol national des individus par des contacts opérés au moyen des réseaux sociaux.

À cet égard, le chercheur Xavier Crettiez, sur la base d'une analyse de plus de 200 condamnés terroristes, a distingué cinq modes de socialisation islamiste : « la socialisation militante, qui passe par des associations ou des groupes organisés de type salafistes, la socialisation amicale, la socialisation familiale, la socialisation cultuelle et institutionnelle, par des mosquées ou les clubs de sport, et enfin la socialisation par l'Internet ». Comme il l'indiquait dans une interview au journal Le Monde, « cette dernière socialisation, de type virtuel, écrase toutes les autres formes. La dimension cultuelle est deux fois moins importante, la socialisation amicale trois fois moins »53(*).

Vecteurs de la socialisation djihadiste
(forts ou très forts, en pourcentage)

Source : Infographie Le Monde, d'après les données de J. Boirot, X. Crettiez, R. Sèze,
Sociologie du djihadisme français, 202154(*).

Plus inquiétant encore, le procureur national antiterroriste Jean-François Ricard a alerté le rapporteur sur le rôle essentiel joué par les réseaux sociaux pour alimenter les phénomènes « d'auto-radicalisation » qu'il juge « plus difficiles à suivre et à judiciariser » puisqu'il résulte de la consultation répétée de contenus en ligne à caractère religieux ou terroriste sans mise en relation, même virtuelle, avec un individu incitant au passage à l'acte. Partageant ce constat, Nicolas Lerner, ancien directeur général de la sécurité intérieure, a indiqué constater que « les jeunes velléitaires ne fréquentaient pas de mosquées ni des lieux de socialisation : ils se structuraient en ligne, sur les réseaux sociaux, à travers un enfermement idéologique et numérique très préoccupant ».

2. En réponse à ce phénomène, l'introduction d'une peine complémentaire de bannissement des réseaux sociaux apparait particulièrement adaptée aux évolutions de la menace terroriste

L'article 14 de la proposition de loi tend à créer une nouvelle peine complémentaire de « bannissement » des réseaux sociaux pour les personnes s'étant rendues coupables de provocation à la commission d'actes de terrorisme ou de leur apologie publique.

Dans sa nouvelle rédaction issue du présent article, l'article 421-2-5 du code pénal prévoit que pour les délits de provocation à la commission d'actes de terrorisme ou d'apologie du terrorisme prévus aux deux premiers alinéas l'article, une peine complémentaire de suspension du compte d'accès au service de plateforme en ligne ayant été utilisé pour commettre l'infraction peut être prononcée par le tribunal, pour une durée qui ne peut excéder six mois. Cette durée peut être portée à un an si la personne mise en cause est en état de récidive légale.

Le deuxième alinéa de l'article 14 introduit des dispositions visant à organiser la notification de la condamnation aux plateformes. Ainsi, la décision de condamnation serait signifiée au fournisseur de service de plateforme en ligne concerné. Ledit fournisseur devrait ensuite, pendant la durée d'exécution de la peine :

- procéder au blocage du compte ayant fait l'objet d'une suspension ;

- mettre en oeuvre des mesures pour bloquer les autres comptes d'accès à sa plateforme de la personne concernée par la condamnation, ainsi que l'empêcher de créer de nouveaux comptes.

Le fournisseur qui ne procèderait pas au blocage du compte ayant fait l'objet d'une suspension est, en application des dispositions de la proposition de loi, passible de 75 000 euros d'amende.

En outre, il est prévu, au dernier alinéa de l'article 14, dans sa rédaction initiale, que la personne condamnée à cette peine complémentaire peut en solliciter le relèvement devant la juridiction compétente à l'issue d'un délai de trois mois après la décision initiale de condamnation. Ce délai constitue une dérogation au troisième alinéa de l'article 702-1 du code de procédure pénale, qui prévoit qu'une telle demande ne peut être portée devant la juridiction compétente qu'à l'issue d'un délai de six mois après la décision initiale de condamnation. Elle doit dans ce cas spécialement motiver sa décision.

Ainsi, comme l'a rappelé l'exposé des motifs de la proposition de loi « l'intensification et la multiplication des supports de diffusion de contenus permises par les moyens numériques sont susceptibles d'entraîner des conséquences encore davantage dommageables, en particulier s'agissant de la provocation à la commission d'actes de terrorisme ou à leur apologie, ce qui n'est pas correctement appréhendé en l'état du droit ». C'est pourquoi, la commission a considéré qu'une telle modification en ce qu'elle préserve la caractérisation existante et éprouvée des délits de provocation et d'apologie du terrorisme tout en l'actualisant du fait du renforcement des effets négatifs induits par la commission sur l'espace numérique - donc à grande échelle et à l'appui de techniques nouvelles - de telles infractions, était particulièrement pertinente.

À l'initiative de son rapporteur, elle a approuvé l'économie générale de ce dispositif tout en adoptant un amendement COM-17 d'harmonisation des dispositions avec celles retenues par l'Assemblée nationale lors de l'examen du projet de loi dit « SREN ».

La commission a adopté l'article 14 ainsi rédigé.

Article 15
Peine complémentaire d'interdiction de paraître
dans les transports en commun pour les condamnés terroristes

La commission a, à l'initiative du rapporteur, adopté sans modification cet article reprenant une disposition adoptée par le Sénat dans le cadre de l'examen du projet de loi n° 2731 (2019-2020) relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée. Il vise à introduire opportunément une peine complémentaire d'interdiction de paraître dans les transports en commun pour les auteurs d'infractions terroristes, dès lors que celles-ci auraient été commises dans les transports en commun.

L'article 15 de la proposition de loi tend à créer une nouvelle peine complémentaire d'interdiction de paraître dans les transports en commun au sein d'un nouvel article L. 1633-1 du code des transports applicable aux personnes condamnées pour des faits de terrorisme qui seraient commis dans les transports en commun.

Il reprend le dispositif d'un amendement du Gouvernement adopté en première lecture et portant article additionnel au projet de loi d'orientation des mobilités, examiné en 2019 au Parlement et devenu la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités. Cet article 104 a été censuré par le Conseil Constitutionnel, sur le fondement de l'article 45 de la Constitution, dans la mesure où il ne présentait pas de lien, même indirect, avec le texte et était à ce titre un « cavalier législatif »55(*). Faisant suite à cette censure, le Gouvernement avait réintroduit à l'article 11 du projet de loi n° 2731 (2019-2020) relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée, des dispositions similaires, qui n'avaient finalement pas été retenues, malgré leur vote par le Sénat, par la commission mixte paritaire.

La nécessité de créer cette nouvelle peine est justifiée par le besoin de compléter la palette des mesures permettant la sanction effective des infractions à caractère terroriste, y compris les projets d'attentats aboutis mais non réalisés, commises au sein des transports en commun.

La commission de certaines infractions dans les transports en commun constitue déjà une circonstance aggravante. C'est notamment le cas pour le vol (7° de l'article 311-4 du code pénal), les violences (art. 222-12, 222-13 du même code) ou l'outrage sexiste (art. 621-1 du même code). Néanmoins, l'état actuel du droit ne permet pas de se fonder sur cette circonstance pour empêcher l'accès effectif aux transports en commun de la personne reconnue coupable. Ainsi, la peine complémentaire d'interdiction de séjour déjà prévue à l'article 131-31 du code pénal emporte la « défense de paraître dans certains lieux déterminés » mais les véhicules de transport qui composent les réseaux de transport public ne peuvent être qualifiés de « lieux ». En conséquence, cette peine complémentaire pourrait être prononcée que lorsque la personne s'est rendue coupable d'un crime ou d'un délit à caractère terroristes, en application des articles 421-1 à 421-8, autrement dit, à l'inclusion de la provocation à un acte de terrorisme et de l'apologie publique de terrorisme.

Cette peine complémentaire consisterait, pour la personne majeure reconnue coupable, à être interdite de « paraître dans un ou plusieurs réseaux de transport public déterminés par la juridiction ou dans les lieux permettant l'accès à ces réseaux ». Cette description couvrirait ainsi les véhicules affectés au transport, mais également les gares ou stations d'accès. Elle ne pourrait être prononcée que pour une durée maximum de trois ans à compter de la déclaration de culpabilité.

Consciente du caractère particulièrement contraignant d'une telle peine lorsqu'elle s'applique à des personnes ne disposant pas d'autres moyens de transport, les auteurs de la proposition de loi ont précisé que cette interdiction pouvait concerner « tout ou partie » du réseau de transport et prévoir que la peine puisse être suspendue ou fractionnée par le parquet en cours d'exécution. Ces deux dispositions poursuivent donc un double objectif : d'une part, garantir que la peine complémentaire puisse s'adapter aux éventuels changements intervenus dans la vie de la personne condamnée ; d'autre part, que la peine prononcée soit strictement adaptée aux impératifs de la vie privée, professionnelle et familiale de la personne condamnée et ne constitue pas une interdiction obligatoirement générale de paraitre dans les transports en commun.

Le manquement à l'interdiction de paraître constituerait en lui-même un délit puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende, en application de l'article 434-41 du code pénal auquel renverrait le nouvel article 1633-1 du code des transports que tend à créer le présent article 15.

Ainsi, il est apparu à la commission que cette mesure, permettait tout en présentant des garanties importantes, de compléter utilement l'arsenal pénal existant afin de protéger les lieux spécifiques et particulièrement soumis à des menaces que sont les transports en commun. À l'initiative du rapporteur, elle a, en conséquence, adopté cet article sans modification.

La commission a adopté l'article 15 sans modification.

Article 15 bis (nouveau)
Information systématique du procureur de la République en cas de demande changement de nom d'un condamné pour crimes terroristes

Faisant le constat de détournements préjudiciables de la procédure simplifiée de changement de nom par des condamnés terroristes, la commission a, à l'initiative du rapporteur, souhaité prévoir dans cet article 15 bis une information systématique du procureur de la République lorsque de telles demandes émanent d'un condamné pour des crimes terroristes.

1. Les détournements préjudiciables de la procédure simplifiée de changement de nom par des condamnés terroristes

Lors de leur audition par le rapporteur, Céline Berthon, directrice générale de la sécurité intérieure, et Pascale Léglise, directrice des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur, ont fait état des difficultés rencontrées par les services du ministère de l'intérieur du fait d'un détournement de la procédure simplifiée de changement de nom par des condamnés terroristes - procédure introduite par la loi n° 2022-301 du 2 mars 2022 relative au choix du nom issu de la filiation, dite loi « Vigal ».

Pour rappel, l'article 2 de la loi précitée a modifié l'article 61-3-1 du code civil afin de créer une procédure simplifiée de changement de nom ouverte à toute personne majeure permettant à celle-ci de prendre :

- soit l'un des noms mentionnés sur l'extrait d'acte de naissance de la personne (nom du père, nom de la mère, leurs deux noms accolés dans l'ordre choisi par le demandeur) ;

- soit, en cas de double nom d'un ou des parents, une partie de ces doubles noms.

Les seules limites enserrant cette procédure résident dans le nombre de fois où celle-ci peut être utilisée par une personne, à savoir : une seule fois dans sa vie, son applicabilité aux seules personnes majeures et la limitation du changement au nom de la parentèle.

Deux différences majeures ont été introduites avec la procédure de changement de nom préexistante et prévue au premier alinéa de l'article 61-3-1 précité :

aucune formalité préalable de publicité n'est requise pour procéder à un tel changement ;

aucun contrôle tenant à la légitimité de la demande n'est opéré par l'état civil. Autrement dit, ce changement de nom est réalisé de droit.

La procédure facilitée de changement de nom en pratique

En pratique, en application de la circulaire du 3 juin 2022 du garde des Sceaux, la demande de changement de nom est remise par la personne demanderesse à l'officier d'état civil compétent ou lui est directement adressée par courrier simple accompagné des formulaires et pièces utiles à la demande. Le demandeur doit, à l'issue d'un délai d'un mois, confirmer, en personne, sa volonté de changer de nom devant le même officier et est, à cette fin, contacté par tous moyens par l'officier.

Si les conditions précitées sont remplies, l'officier de l'état civil consigne le changement de nom dans le registre de l'état civil en cours et appose la mention sur l'acte de naissance de l'intéressé s'il le détient. S'il détient l'acte de mariage, l'acte de naissance de l'époux ou du partenaire, l'acte de naissance des enfants et leur acte de mariage le cas échéant, il procède également à la mise a jour de ces actes. S'il ne détient pas ces actes, il adresse un avis de mention aux officiers de l'état civil détenteurs de ces derniers aux fins de mise a jour.

Source : circulaire NOR JUSC2215808C du 3 juin 202256(*)

L'application d'une telle procédure, à l'inverse de celle « non simplifiée », ne requiert pas la saisine obligatoire du procureur de la République, celle-ci n'étant prévue en application du quatrième alinéa de l'article 61-3-1 du code civil qu'en cas de « difficultés ». Ces difficultés, comme le précise la circulaire mentionnée ci-avant, résident principalement en « un doute quant a l'existence du lien de filiation du demandeur avec le parent dont il sollicite de porter le nom »57(*). En pareil cas, soit le procureur de la république estime que la demande satisfait aux conditions légales et ordonne à l'officier de l'état civil d'y procéder, soit il estime qu'elle ne satisfait pas lesdites conditions et avise le demandeur sans délai de son opposition. La copie de cette décision d'opposition est versée aux pièces annexes de l'acte de naissance.

Eu égard à la facilité d'opérer un changement de nom selon la procédure ainsi décrite, certains individus condamnés pour des faits de terrorisme ont pu changer de nom sans que l'autorité judiciaire n'ait été avertie ou qu'il ne soit possible d'en retrouver, de manière centralisée via une publication au Journal officiel de la République française, la traçabilité.

Comme l'a fait valoir la directrice générale de la sécurité intérieure, Céline Berthon, lors de son audition, cela a induit des difficultés dans l'établissement de certains fichiers pouvant aller jusqu'à des ruptures, particulièrement préjudiciables, de prise en charge de ces profils radicalisés.

2. Une solution équilibrée pour mettre fin à ces détournements : l'information systématique du procureur de la République compétent lorsqu'un condamné terroriste est auteur de la demande

En conséquence, la commission a souhaité, à l'initiative du rapporteur et par l'adoption d'un amendement COM-19 portant création d'un article additionnel, introduire une saisine systématique et sans délai du procureur de la République par l'officier d'état civil en cas de demande de changement de nom émanant d'une personne condamnée pour un crime terroriste.

Plus précisément, cette saisine s'inscrit dans la même logique que celle déjà prévue « en cas de difficultés » rencontrées par l'officier d'état civil compétent. Ainsi, quelle qu'en soit l'issue, cette saisine est versée au dossier. En outre, le procureur de la République territorialement compétent dispose d'un pouvoir d'opposition à celle-ci, permettant soit d'y faire échec, soit en cas de confirmation de la demande, d'en assurer la traçabilité.

La commission a adopté l'article 15 bis ainsi rédigé.

Article 15 ter (nouveau)
Information des responsables d'établissements scolaires et des personnes hébergeant les personnes mises en examen ou condamnées en matière terroriste

En réponse à l'augmentation inquiétante du nombre de mineurs radicalisés et mis en cause pour des faits de terrorisme sur le sol national, la commission a, sur le modèle des dispositions existantes pour les crimes ou délits à caractère sexuels, souhaité l'information obligatoire de l'autorité académique et du chef d'établissement d'une mise en examen ou condamnation pour une infraction terroriste - y compris l'apologie - d `une personne scolarisée ou ayant vocation à être scolarisée dans un établissement scolaire, public ou privé.

Elle a, en conséquence, adopté un amendement du rapporteur portant création d'un article 15 ter.

1. La radicalisation des mineurs scolarisés, un phénomène particulièrement préoccupant

Les auditions menées par le rapporteur, en particulier celles du procureur national antiterroriste, Jean-François Ricard, et de la directrice générale de la sécurité intérieure, Céline Berthon, ont confirmé le constat posé par les auteurs de la proposition de loi dans leur exposé des motifs : « les attentats des 16 octobre et 2 décembre 2023 mettent en lumière deux phénomènes de radicalisation particuliers : [au premier titre desquels ] la radicalisation, sur le sol national, de mineurs ayant été scolarisés en France ».

Alors qu'un rapport d'information d'Esther Benbassa et Catherine Troendlé soulignait déjà en 2017 « l'augmentation préoccupante du nombre de mineurs suivis dans un cadre pénal pour des faits de radicalisation »58(*), force est de constater que cette tendance n'a fait que se confirmer depuis lors.

En termes quantitatifs, le nombre cumulé de mineurs déférés devant le pôle anti-terroriste de Paris pour association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste s'élevait à 58 entre 2012 et le 1er avril 2017, tandis que, selon les informations communiquées par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ), 19 mineurs ont été déférés pour la seule année 2023. Il s'agit du troisième nombre le plus important constaté depuis 201259(*). Par ailleurs, au 3 janvier 2024, 29 mineurs poursuivis pour ces faits sont pris en charge par les services de la DPJJ, dont 7 sont condamnés et 22 mis en examen.

Sur un plan qualitatif, une évolution particulièrement préoccupante des profils peut être observée. Selon la DPJJ, les mineurs concernés sont de manière générale plus jeunes et présentent des projets d'attentats relativement aboutis. Cela représente un basculement majeur pour la période 2015-2017, où le départ vers les zones de combat de groupements terroristes était le plus souvent l'objectif poursuivi.

2. En réponse au nombre de mineurs radicalisés sur le sol national, un renforcement nécessaire de l'information des autorités académiques, des chefs d'établissement et des personnes hébergeant les mis en examen ou les condamnés en matière terroriste

En réponse à l'augmentation inquiétante du nombre de mineurs radicalisés et mis en cause pour des faits de terrorisme sur le sol national, la commission a souhaité, à l'initiative du rapporteur, renforcer l'information des autorités académiques, des chefs d'établissement et des personnes hébergeant les personnes mises en examen ou condamnées en matière terroriste.

Ainsi, sur le modèle des dispositions existantes pour les crimes ou délits à caractère sexuels, elle a adopté un amendement COM-20 prévoyant l'information obligatoire de l'autorité académique et du chef d'établissement d'une mise en examen ou condamnation pour une infraction terroriste - y compris l'apologie - d'une personne scolarisée ou ayant vocation à être scolarisée dans un établissement scolaire, public ou privé.

Le régime dérogatoire d'information obligatoire existant
en cas de mise en examen ou de condamnation d'un mineur
pour des infractions à caractère sexuel ou criminel

L'article 6 de la loi de programmation relative à l'exécution des peines du 27 mars 2012 a introduit dans le code de procédure pénale deux nouveaux articles 138-2 et 712-22-1 prévoyant que, pour certaines infractions à caractère criminel ou sexuel, l'autorité judiciaire est tenue de transmettre aux autorités scolaires, une copie des décisions de placement sous contrôle judiciaire, de condamnation, d'aménagement de peine, de surveillance judiciaire ou de surveillance de sûreté. Le magistrat a également la possibilité de transmettre copie de ces décisions à la personne hébergeant la personne poursuivie ou condamnée.

Les infractions pour lesquelles ces dispositions sont applicables sont limitativement énumérées et recouvrent tout crime, quelle que soit sa nature, ainsi que les délits à caractère sexuels suivants : l'agression sexuelle, l'atteinte sexuelle sur mineur, le proxénétisme à l'égard d'un mineur et le recours à la prostitution d'un mineur.

Dans le détail, le deuxième alinéa de l'article 138-2 du code de procédure pénale prévoit que lorsque la personne mise en examen pour l'une des infractions précitées est scolarisée ou a vocation à poursuivre sa scolarité dans un établissement scolaire, public ou privé, la copie de l'ordonnance de placement sous contrôle judiciaire doit être obligatoirement transmise par le magistrat qui a ordonné la mesure de contrôle judiciaire :

- d'une part, dans tous les cas, à l'autorité académique, à savoir en pratique aux directeurs académiques des services de l'éducation nationale, territorialement compétents pour les lieux de résidence et de scolarisation de la personne scolarisée, agissant sur délégation du recteur d'académie à l'inspecteur d'académie,

- d'autre part, si la personne est scolarisée, au directeur d'école ou au chef d'établissement concerné.

De façon analogue, le deuxième alinéa de l'article 712-22-1 du code de procédure pénale prévoit que lorsque la personne condamnée pour les infractions précitée est scolarisée ou a vocation à poursuivre sa scolarité dans un établissement scolaire, public ou privé, le juge d'application des peines doit transmettre à ces mêmes autorités :

- une copie de la décision de condamnation ou de la décision d'aménagement de la peine, de surveillance judiciaire ou de surveillance de sûreté ;

- une copie des décisions modifiant les obligations imposées au condamné ayant une incidence sur le lieu où le mode de scolarisation du condamné.

Les deux premiers alinéas des articles précités permettent quant à eux une information facultative de la personne chez qui le mis en examen ou le condamné, pour les mêmes infractions, est hébergé, sur décision du magistrat.

Pour ce faire, elle a prévu la transmission de la copie de l'ordonnance de placement sous contrôle judiciaire, de condamnation, ou d'aménagement de peine à l'autorité académique - à savoir en pratique aux directeurs académiques des services de l'éducation nationale territorialement compétent - et au chef d'établissement concerné. Toutefois, seuls les écoles élémentaires, collèges, lycées, écoles régionales du premier degré et établissements régionaux d'enseignement adapté sont ainsi visés60(*).

En outre, ces dispositions seraient applicables non seulement aux personnes scolarisées, mineures ou majeures, mais également aux personnes ayant vocation à poursuivre leur scolarité dans un établissement scolaire : il s'agit donc, en pratique, des mineurs de seize ans non scolarisés mais soumis à l'obligation scolaire.

En l'état du droit, les conditions et modalités de partage de ces informations sont particulièrement encadrées par les articles 138-2 et 712-22-1. Ainsi, les personnes à qui des décisions ont été transmises en application de ces dispositions ne peuvent faire état des renseignements ainsi obtenus qu'aux personnels qui sont responsables de la sécurité et de l'ordre dans l'établissement. Comme le précise la circulaire du garde des Sceaux précitée, « sont ainsi concernés les personnels de direction, les conseillers principaux d'éducation et, le cas échéant, dans les structures chargées de l'hébergement des élèves, les personnels sociaux et de santé tenus au secret professionnel, chargés du suivi des élèves »61(*). Ces dispositions interdisent ainsi que ces informations judiciaires soient divulguées de façon injustifiée, notamment auprès des enseignants de l'établissement, des parents d'élèves ou des élèves.

En conséquence, la commission a considéré que ce dispositif éprouvé en matière d'infractions à caractère sexuelle trouverait toute sa place en matière terroriste et présentait un équilibre satisfaisant entre la divulgation d'informations judiciaires aux fins de prévention de la commission de nouvelles infractions et protection du secret de l'enquête et de l'instruction, principe constitutif de la présomption d'innocence. À l'initiative du rapporteur, elle a, en conséquence, adopté l'amendement COM-20 portant création de l'article additionnel 15 ter.

La commission a adopté l'article 15 ter ainsi rédigé.

Article 16
Gage financier

L'article 16 de la proposition de loi a pour objet de compenser la charge résultant pour l'État de l'application de la nouvelle loi, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs prévues au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

La commission a adopté l'article 16 sans modification.

EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 17 JANVIER 2023

M. François-Noël Buffet, président. - Nous passons à l'examen du rapport sur la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Monsieur le président, puis-je intervenir au préalable sur la transmission aux membres de notre commission, hier, des observations que vous-même et les deux rapporteurs - Muriel Jourda et Philippe Bonnecarrère - avez adressées au Conseil constitutionnel à la suite des quatre recours déposés sur le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration ? Nos collègues ont sans doute lu avec intérêt la somme de 22 pages qui a été élaborée. Pour ma part, je m'étonne de cette démarche, prise de votre propre initiative, même si je la sais possible. En outre, je ne suis pas certaine que vous ayez mentionné le fait que, dans le cadre des travaux de notre commission, certaines dispositions finalement reprises avaient initialement fait l'objet d'une irrecevabilité « à titre indicatif ». Nous savons que la question de l'application de l'article 45 s'est posée avec acuité ! Je ne pense pas qu'écrire au Conseil constitutionnel pour soutenir de manière véhémente la constitutionnalité de dispositions dont vous savez, pour une partie d'entre elles, qu'elles ne le sont pas soit une démarche opportune, au regard notamment de vos éminentes fonctions de président de la commission des lois du Sénat. J'aurais aimé que vous vous placiez au-dessus de cela, d'autant que la presse a présenté cette contribution comme l'avis de notre commission, alors même que nous n'en avons jamais délibéré.

M. Philippe Bonnecarrère. - Je me permets de réagir à cette intervention, qui mérite notre attention. Pas plus que les rapporteurs dudit texte, le président Buffet, ne s'est permis de s'exprimer au nom de la commission des lois ; nous n'avons jamais prétendu que celle-ci était engagée par cette contribution, qui n'est signée es qualités que par le président Buffet et les rapporteurs du projet de loi, Muriel Jourda et moi-même.

Par ailleurs, il nous semble depuis assez longtemps que monde politique et monde judiciaire, à force d'avoir intériorisé le principe de séparation des pouvoirs, ne se parlent plus vraiment, que leur relation est empreinte de défiance, ce qui est préjudiciable à la démocratie. C'est pourquoi, d'ailleurs, nous avons encouragé « le dialogue, plutôt que le duel » dans un rapport d'information de votre serviteur déposé le 29 mars 2022.

Enfin, le parcours de ce texte est tout à fait atypique : une partie de l'opinion publique et du monde politique appelle à ce que le Conseil constitutionnel devienne une chambre d'appel du Parlement ; une autre espère qu'une large censure de sa part démontrera la nécessité de changer la Constitution. Ce sont tout de même des sujets lourds, d'où notre décision de prendre nos responsabilités, en adressant une contribution au Conseil constitutionnel. Même si je comprends vos observations, madame de La Gontrie, cette démarche n'est pas de nature à vexer quiconque.

M. François-Noël Buffet, président. - Nous avons effectivement la possibilité de déposer une contribution devant le Conseil constitutionnel et, compte tenu des circonstances générales et des débats sur ce texte, il nous a paru utile de le faire. Dès lors que le Président de la République et, dans une moindre mesure, la présidente de l'Assemblée nationale ont saisi le Conseil constitutionnel, notre apport contribue également à alimenter la réflexion et permettre au débat contradictoire de se développer pleinement. Nous avions d'ailleurs évoqué cette démarche lors de la réunion du bureau de la commission le 20 décembre dernier. Cela étant, madame de La Gontrie, je dois vous remercier d'avoir attiré mon attention sur l'utilité de communiquer auprès des commissaires sur le sujet.

Je rappelle également que la commission a certes voté le périmètre d'application de l'article 45 mais également la recevabilité de certains amendements au regard de cet article. Laissons donc le Conseil constitutionnel travailler ! Il me semble vraiment essentiel, indépendamment de ce que l'on pense du texte concerné, de laisser fonctionner le système institutionnel.

Je vous propose maintenant d'en venir au rapport de ce jour.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Nous examinons aujourd'hui la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste, déposée par les présidents François-Noël Buffet, Bruno Retailleau et Hervé Marseille le 12 décembre dernier, à la suite des tragiques attentats d'Arras et de Bir-Hakeim.

Cette proposition de loi, assez technique, se présente comme un cheminement le long d'une ligne de crête avec, d'un côté, les objectifs visés par les auteurs et, de l'autre, les impératifs constitutionnels.

Elle vise à combler plusieurs lacunes de la législation pénale en vigueur et à octroyer aux pouvoirs publics les moyens judiciaires et administratifs indispensables à une lutte antiterroriste efficace, autant de sujets que nous avons déjà eu l'occasion d'aborder au sein de notre commission au cours des dernières années, lors de l'examen de textes dont j'ai été rapporteur. Elle reprend certaines dispositions déjà votées par le Sénat n'ayant pas été retenues en commission mixte paritaire et tient également compte du contexte nouveau en matière de menace terroriste.

Tout en approuvant fortement les objectifs du texte, je propose à la commission 20 amendements pour, d'une part, garantir la sécurité juridique et l'opérationnalité des dispositifs et, d'autre part, compléter la proposition de loi par des mesures attendues par les acteurs judiciaires et administratifs de la lutte contre le terrorisme.

Le diagnostic est implacable. La menace terroriste a profondément évolué depuis les attentats du Bataclan. Dans les années 2015 et 2016, elle venait principalement de l'extérieur, avec des modalités d'action très caractéristiques ; au cours des prochaines années, elle sera plutôt endogène et nous devrons affronter d'autres types d'actions.

Les enjeux sont donc au nombre de trois.

Premièrement, nous devons réfléchir à la prise en charge à l'issue de leur peine des condamnés terroristes.

Lors de son audition, le procureur de la République antiterroriste m'a affirmé que cette problématique des sortants de détention était aujourd'hui d'une acuité renouvelée pour deux raisons cumulatives : leur nombre, estimé à 70 pour les deux prochaines années, ce qui éclaire l'ampleur de l'enjeu, notamment à la veille des jeux Olympiques et Paralympiques et, surtout, leur profil, dès lors que figurent parmi ces personnes des profils suscitant une grande inquiétude des services de renseignement, puisqu'elles ont été condamnées, en moyenne, à des peines significativement plus lourdes que les détenus libérés au cours des dernières années.

Nicolas Lerner, ancien directeur général de la sécurité intérieure (DGSI) et récemment nommé à la tête de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), a d'ailleurs rappelé dans la presse que « sur les douze attentats que la France a connus depuis fin 2018, sept auteurs présentaient des troubles soit psychiatriques, [...] soit psychologiques ».

Deuxièmement, il faut relever le caractère plus imprévisible des attaques terroristes, qui sont désormais le plus souvent perpétrées par des « loups solitaires » ne s'étant jamais rendus sur des zones de combats, ne bénéficiant pas de l'appui de réseaux djihadistes organisés, mais qui se sont radicalisés essentiellement sur les réseaux sociaux et ont recours à des armes blanches vendues librement.

Cette évolution de la menace endogène inquiète particulièrement nos services secrets. Ainsi, Nicolas. Lerner m'a indiqué que, malgré l'investissement des services, ces individus restent à la merci d'un passage à l'acte soudain, soit au terme d'un comportement dissimulateur, soit du fait d'une décompensation, sans qu'il y ait forcément de signes avant-coureurs, et parfois désorganisé.

Troisièmement, la radicalisation croissante de mineurs, parfois particulièrement jeunes, s'opère désormais directement sur le territoire national.

On observe en 2023 une nette augmentation des mineurs impliqués pour des faits de terrorisme, 14 mineurs ayant été mis en examen pour de tels faits dont 4 âgés de moins de 16 ans. La direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) a affirmé pour sa part observer des profils de mineurs plus jeunes, avec des projets d'attentats assez aboutis.

Les auditions que j'ai menées ont confirmé le constat établi par les auteurs de la proposition de loi : pour faire face à ce défi de taille, les outils à disposition des pouvoirs publics, qu'ils soient administratifs ou judiciaires, sont incomplets ou inadaptés. Dans le contexte, ce texte est donc tout à fait pertinent.

De façon générale, l'arsenal pénal actuel a été profondément modifié entre 2014 et 2016 pour tenir compte de deux manifestations de la menace terroriste qui ne semblent plus être les plus importantes aujourd'hui, à savoir le retour de ressortissants ou résidents français s'étant rendus sur zone et la commission d'actes terroristes par des « filières » djihadistes.

De façon analogue, l'ensemble des mesures applicables aux mineurs visent à prendre en charge ceux qui reviennent sur le sol national après avoir été emmenés ou être nés dans une zone de conflits. Elles ont donc essentiellement une vocation d'assistance éducative, alors que le profil des mineurs a nettement évolué.

Sur le plan administratif, si les instruments de prévention et d'investigation en matière de lutte antiterroriste ont progressivement été renforcés, puis améliorés, ils sont insuffisants. À titre d'exemple, les condamnés terroristes font aujourd'hui tous l'objet d'une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance (Micas) à leur sortie de détention. Comme vous le savez, la tentative du ministère de l'intérieur d'accroître la durée de ce dispositif a été censurée par le Conseil constitutionnel, l'amplitude maximale étant toujours de 12 mois.

Je vois une autre limite au suivi administratif : réduit à l'exercice d'une surveillance, il n'offre aucune possibilité de suivi médical, psychiatrique ou d'accompagnement à la réinsertion. Tous les acteurs que j'ai entendus ont insisté sur ce point : il faut travailler sur la réinsertion et le suivi des troubles psychiatriques dont souffrent certains pour prévenir la récidive.

Or - et c'est là toute la difficulté à laquelle nous sommes confrontés - l'autorité judiciaire n'apparaît pas mieux outillée que l'autorité administrative pour traiter les condamnés terroristes sortant de détention.

Dans la pratique, les « sorties sèches » sont rares, mais les différentes mesures de suivi ou de surveillance existantes souffrent de nombreuses lacunes. Sans entrer dans le détail, je citerai la mesure de sûreté judiciaire que nous avons votée voilà près de deux ans. Ses résultats sont très peu probants : elle n'a été mise en oeuvre qu'à une seule reprise, en raison de la difficulté à caractériser le critère de dangerosité exigé par la loi.

Le présent texte n'entend pas bouleverser les équilibres construits en matière de lutte contre le terrorisme au cours des trente dernières années. Son objectif principal est de consolider cet édifice juridique et de remédier aux lacunes judiciaires et administratives que je viens d'évoquer.

Il propose la création de trois nouvelles mesures de sûreté applicables aux condamnés pour terrorisme, afin de renforcer leur surveillance à leur sortie de détention : une mesure de suivi et de surveillance judiciaire déjà votée par le Sénat, l'ouverture de la rétention de sûreté en raison de troubles psychiatriques graves aux criminels terroristes et la création d'une nouvelle forme de rétention de sûreté réservée aux condamnés terroristes encore engagés dans une idéologie radicale à l'issue de leur peine, indépendamment de critères psychiatriques.

Prenant acte de l'implication croissante de mineurs, y compris de moins de 16 ans, dans des projets parfois très aboutis à caractère terroriste, les auteurs de la proposition de loi prévoient par ailleurs plusieurs évolutions de l'arsenal pénal applicable en cas de commission d'actes de terrorisme par des mineurs.

Le texte ambitionne également d'adapter l'arsenal pénal aux nouveaux modes opératoires des terroristes, en réintroduisant un délit de recel d'apologie du terrorisme, en créant des circonstances aggravantes à ce délit et en introduisant des peines complémentaires de bannissement numérique et d'interdiction de paraître dans les transports en commun pour les condamnés terroristes.

Enfin, une série de dispositions visent à permettre à l'administration d'agir en urgence, selon des procédures adaptées et simplifiées, pour prévenir des dérives susceptibles de mener à des actes terroristes. Ainsi, il est proposé de simplifier l'acquisition de produits licites et illicites par des agents infiltrés dans le cadre d'enquêtes conduites sous pseudonyme ; d'introduire une interdiction de paraître dans les transports en commun dans le cadre du régime des Micas ; de moderniser les critères permettant la dissolution administrative des associations et groupements de fait ; de faciliter la levée des protections contre l'éloignement dont bénéficient certaines catégories d'étrangers aux liens particuliers avec la France.

Il est nécessaire, comme je viens de le dire, d'apporter certains correctifs aux dispositions pénales et administratives antiterroristes, notamment au moment où notre pays s'apprête à accueillir, pendant près de deux mois et sur plusieurs sites, les jeux Olympiques et Paralympiques, avec des outils qui, au regard d'autres pays comme le Royaume-Uni, paraissent très limités.

Les dispositions contenues dans ce texte me semblent particulièrement bienvenues car elles apportent des réponses proportionnées et pragmatiques face à une menace de haute intensité. C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous propose d'en approuver l'économie générale.

Je vous propose notamment d'adopter sans modification les articles 9, 10, 12, 15 et 16, qui reprennent pour l'essentiel des mesures déjà votées par notre assemblée.

Inversement, les articles 5 et 13 me semblent, soit satisfait en l'état du droit, soit porteurs d'effets de bords trop importants. À ce titre, je vous propose leur suppression.

Sur le reste, j'ai cherché un équilibre entre efficacité et garantie des droits et libertés constitutionnels, ce souci étant partagé par l'ensemble des acteurs auditionnés. Je vous propose donc 18 amendements, visant plusieurs objectifs : s'assurer du caractère opérationnel des mesures ; apporter toutes les garanties nécessaires pour respecter la stricte proportionnalité des mesures et éviter leur censure par le Conseil constitutionnel ; compléter le texte par des propositions émanant directement des observations des acteurs judiciaires et administratifs impliqués dans la lutte contre le terrorisme.

S'agissant des mesures judiciaires de sûreté, je vous propose trois principales modifications.

Compte tenu du bilan non concluant du déploiement de la mesure de prévention de la récidive terroriste, il m'est apparu indispensable d'en améliorer l'opérationnalité et de trouver des critères moins exigeants que ceux qui existent dans la version actuelle de la loi, en visant une probabilité « élevée » - plutôt que « très élevée » - de récidive et une adhésion « avérée » - plutôt que « persistante » - à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme.

De manière à garantir la proportionnalité et ne pas fragiliser le dispositif des Micas, je suggère de contrebalancer cet élargissement par l'ajout de plusieurs garanties : le renforcement du volet de réinsertion et d'accompagnement de la mesure, en permettant aux juges d'application des peines de prononcer une injonction de soins pour certains profils, d'une part, et, de l'autre, l'exclusion des trois mesures de surveillance particulièrement attentatoires aux libertés individuelles que sont l'interdiction de paraître en certains lieux, l'obligation d'établir son domicile en un lieu donné et l'interdiction de port d'une arme.

De même, afin d'assurer l'opérationnalité et la sécurité juridique des mesures de rétention de sûreté, je vous propose de limiter le champ de ces mesures aux seuls condamnés pour des crimes à caractère terroriste à des peines supérieures à quinze ans d'emprisonnement et de prévoir une prise en charge adaptée aux profils radicalisés.

Sur le volet administratif, je vous propose tout d'abord de maintenir le caractère obligatoire d'une autorisation judiciaire préalable pour l'ensemble des opérations d'achat effectuées par des enquêteurs sous pseudonyme, tout en aménageant les modalités de sa délivrance pour une plus grande efficacité.

Par ailleurs, un amendement vise à substituer à l'interdiction de paraître dans les transports en commun dans le cadre de la Micas, une interdiction de paraître autonome, moins attentatoire aux libertés individuelles, mais aux critères de prononcé plus souples. Vous aurez l'occasion de revenir sur la question des transports en commun dans le cadre de l'examen de la proposition de loi de notre collègue Philippe Tabarot.

Enfin, en matière de dissolution administrative des associations et des groupements de fait, je présente une disposition permettant de consacrer au niveau législatif la définition de la « provocation » énoncée par le Conseil d'État dans sa jurisprudence récente.

En matière pénale, je vous propose un amendement réécrivant l'infraction visant à réprimer la détention de contenus apologétiques, tout en veillant à la constitutionnalité de la mesure.

Pour terminer, je vous propose plusieurs mesures additionnelles en réponse à des demandes très pragmatiques formulées par les acteurs auditionnés.

La première vise à conférer un caractère suspensif au recours en appel formulé par le ministère de l'intérieur à l'encontre d'une décision d'annulation du renouvellement d'une Micas.

La deuxième vise à harmoniser les voies de recours contre les décisions d'autorisation de saisie et d'exploitation des données dans le cadre des visites domiciliaires.

La troisième vise à accroître la durée de rétention administrative applicable aux étrangers condamnés pour des infractions terroristes, y compris pour des faits d'apologie du terrorisme ou de provocation à des actes de terrorisme.

La quatrième vise à intégrer au délit d'apologie du terrorisme la diffusion de contenu apologétique sur les réseaux privés de communication lorsque son ampleur ou l'absence de communauté d'intérêts entre les destinataires permettent de l'assimiler à de l'apologie publique.

La cinquième vise à renforcer les informations communiquées sur la prise en charge d'une personne radicalisée hospitalisée sans son consentement aux préfets du lieu d'hospitalisation et du lieu domicile.

La sixième vise à introduire une obligation d'information du procureur de la République en cas de demande de changement de nom d'une personne condamnée pour des crimes à caractère terroriste.

La septième vise à prévoir l'information obligatoire de l'autorité académique et du chef d'établissement d'une mise en examen ou condamnation pour une infraction terroriste - y compris l'apologie - d'une personne scolarisée ou ayant vocation à être scolarisée dans un établissement scolaire, public ou privé.

La huitième vise à ajouter la notion d'inconduite notoire comme motif de retrait d'un sursis probatoire et d'un suivi socio-judiciaire.

La neuvième vise à instituer la commission d'une nouvelle infraction comme motif de révocation d'une mesure de surveillance judiciaire ou d'un suivi socio-judiciaire.

Face au défi du terrorisme, la commission des lois du Sénat a toujours fait preuve de responsabilité. Dès 2014, nous avons pris l'initiative de plusieurs évolutions législatives, bien plus équilibrées que celles qui émanaient de l'Assemblée nationale et ayant considérablement renforcé notre arsenal pénal antiterroriste, dans le strict respect des libertés individuelles.

Ce même état d'esprit doit aujourd'hui nous guider et nous amener à, collectivement, approuver ce texte, sous réserve des amendements proposés.

M. Francis Szpiner. - M. le rapporteur peut-il préciser la nature du dispositif relatif à la notion d'inconduite notoire ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Effectivement, cette formulation ne passera pas le barrage du Conseil constitutionnel car elle ne garantit pas la lisibilité de la loi. Il faut une définition qui tienne la route !

Mme Corinne Narassiguin. - D'une manière générale, cette proposition de loi soulève des difficultés en matière de conformité à la Constitution et d'efficacité. Hormis la volonté d'améliorer le suivi des personnes atteintes de graves troubles psychiatriques, elle présente le plus souvent des mesures attentatoires aux libertés individuelles, sachant qu'il existe déjà un arsenal législatif conséquent en la matière. Nous avons donc, au sein du groupe SER, de larges inquiétudes sur ce texte et des doutes sur son utilité. En outre, si l'objectif de garantir la sécurité en vue des jeux Olympiques et Paralympiques peut paraître louable, le risque de voir ces mesures exceptionnelles perdurer est problématique. Enfin, il conviendrait selon nous, en particulier pour les mineurs, de privilégier les mesures de déradicalisation, plus que de répression.

M. Jérôme Durain. - L'intention des auteurs de la proposition de loi est clairement de consolider un dispositif législatif, sur lequel nous revenons d'ailleurs très souvent.

J'entends les préoccupations exprimées par le rapporteur et sa volonté de concilier caractère opérationnel et respect du principe de proportionnalité pour éviter la censure du Conseil constitutionnel. Cela étant, nous ne sommes pas totalement convaincus... Il s'agit avant tout d'une tentative de recyclage de mesures déjà déclarées inconstitutionnelles, avec des dispositions dépassant le seul cadre de la lutte contre le terrorisme, s'apparentant à de la justice prédictive ou reposant sur des notions effectivement à définir, comme l'inconduite notoire.

Le texte est d'une relative ampleur, avec un nombre élevé d'amendements, ce qui traduit aussi une forme d'imprécision de la rédaction. Cela, sans compter la présence d'articles figurant déjà dans la loi sur l'immigration actuellement soumise à l'avis du Conseil constitutionnel. Dernier point, ces dispositions auraient été plus solidement étudiées si elles avaient trouvé leur place dans un texte proposé par le Gouvernement, pourquoi pas dans un texte relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques.

M. François-Noël Buffet, président. - Pour prendre l'exemple des Micas, la dernière fois que nous avons eu à connaître de ce sujet, nous avons attiré l'attention du Gouvernement sur la nécessité de recourir à des mesures judiciaires pour sécuriser le dispositif. Le Gouvernement, n'ayant pas souhaité retenir notre proposition, a légitimement été sanctionné par le Conseil constitutionnel, ce qui a conforté la position du Sénat.

Mme Agnès Canayer. - Je souhaite apporter mon soutien au texte proposé et aux amendements du rapporteur. Dans le cadre de la mission que nous menons avec Marie-Pierre de La Gontrie, nous avons effectivement entendu les mêmes constats sur la sécurisation des jeux Olympiques et Paralympiques et le niveau des menaces, dont la première est terroriste. Tous les acteurs de la sécurité soulignent qu'il manque des outils, notamment pour le suivi des personnes radicalisées et condamnées pour terrorisme. Ce texte me semble donc répondre de manière pragmatique à une attente forte.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Comme indiqué dans l'objet de l'amendement COM-2, le procureur national antiterroriste m'a signalé qu'en l'état du droit, un individu pouvait parfaitement respecter « facialement » les obligations imposées dans le cadre d'un sursis probatoire ou d'un suivi socio-judiciaire, tout en adoptant un comportement qui, sans constituer une infraction pénale ou une violation stricto sensu de ces obligations, faisait obstacle à sa réinsertion. Il m'a suggéré, pour la rédaction, de m'inspirer des dispositions existantes en matière de semi-liberté, détention à domicile sous surveillance électronique mobile ou libération conditionnelle, ce que j'ai fait dans mon amendement visant à introduire la notion d'inconduite notoire. Je me rallierai évidemment aux éventuelles propositions faisant évoluer utilement la rédaction d'ici la séance.

M. Francis Szpiner. - Une personne fait ou ne fait pas ! En d'autres termes, il est impossible de s'appuyer sur une notion d'inconduite notoire. Indépendamment du problème constitutionnel, trente magistrats interrogés sur l'attitude d'une personne au regard de cette notion donneraient trente décisions différentes, ce qui conduit automatiquement à de l'arbitraire.

Par ailleurs, je suis globalement favorable à cette proposition de loi et j'estime qu'il est pertinent d'impliquer les juges dans notre processus décisionnel. Cela étant, quand le parquet demande que son recours soit suspensif, je ne vois pas ce qui justifie, dans l'architecture de la procédure pénale, que cette possibilité soit retenue pour l'appel d'une des parties, mais pas pour celui de l'autre. Face au terrorisme, nous devons maintenir l'État de droit. C'est notre force ; c'est notre capital moral. Avec tout le respect que je porte à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ou au parquet national antiterroriste, ils ne peuvent pas écrire la loi à notre place !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Nous parlons, je le rappelle, d'un motif de retrait d'un sursis probatoire ou d'un suivi socio-judiciaire.

M. Francis Szpiner. - Ce n'est pas rien : c'est renvoyer la personne en prison !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'appel concerné est en outre un appel interjeté par le ministère de l'intérieur dans le cadre d'une décision d'annulation, par le tribunal administratif, d'une mesure de renouvellement d'une Micas, dans un délai réduit à 72 heures. La disposition me paraît donc pertinente et équilibrée.

Par ailleurs, Je comprends les réactions de nos collègues du groupe SER. J'ai indiqué dès le début de mon intervention que nous suivions une ligne de crête : tous les acteurs, y compris les magistrats, estiment qu'il faut prendre des mesures, mais il y a un réel enjeu technique à le faire.

S'agissant de la proportionnalité, j'ai repris toutes les décisions du Conseil constitutionnel, qui présentent systématiquement les motifs d'inconstitutionnalité et indiquent sous quelles conditions une mesure retoquée pourrait être considérée comme constitutionnelle. C'est à partir de ces indications que j'ai tenté de proposer d'autres rédactions.

Nous essayons donc de trouver une voie, dans un contexte où la menace change radicalement et où nous abordons l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques avec des outils administratifs et judiciaires qui, de l'avis général, sont inadaptés, incomplets ou obsolètes.

Dans le cadre du débat en séance, je serai à l'écoute de toute proposition permettant d'améliorer la rédaction, mais je soutiens ce texte dans son économie générale.

M. François-Noël Buffet, président. - Une précision concernant la procédure d'appel à caractère suspensif : il est incontestable que cette mesure est une entrave à la liberté, mais le délai donné au président de la juridiction administrative pour rendre sa décision est de 72 heures, étant rappelé que la procédure demeure contradictoire.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Encore heureux !

M. François-Noël Buffet, président. - Je ne voudrais pas qu'on laisse entendre que la procédure mise en place empêcherait une personne de se défendre, l'objectif étant uniquement de maintenir une personne potentiellement dangereuse à la disposition de l'administration pendant ce très bref délai accordé à la justice pour statuer.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Les membres du groupe SER sont évidemment préoccupés par la lutte contre le terrorisme. Nous sommes vigilants et volontaires dans ce domaine, en particulier en matière d'accompagnement de la sortie des personnes condamnées pour ce motif. Je suggère donc, déjà, de ne pas nous intenter d'éventuels procès d'intention.

Cela étant, et je rejoins Francis Szpiner sur ce point, il faut veiller à l'équilibre des dispositifs : il ne faut basculer ni dans l'arbitraire ni dans la justice prédictive, et il ne faut pas faire n'importe quoi sous prétexte d'une inquiétude et d'un besoin véritables. Il me semble, à cet égard, qu'Agnès Canayer force un peu le trait s'agissant de l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques puisque seule la DGSI nous a transmis ce message : on ne nous a pas non plus suppliées pour avoir des dispositions supplémentaires !

Enfin, monsieur le rapporteur, il ne me semble pas avoir entendu de réponse à l'observation formulée par Jérôme Durain. Vous avez repris deux articles figurant dans le texte sur l'immigration... Anticipez-vous une censure de ces dispositions ?

C'est donc bien le respect de l'État de droit qui guidera notre positionnement sur la présente proposition de loi.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'expertise est forte au sein de cette commission et je respecte l'ensemble des positions défendues. Mais chacun essaie de trouver le chemin pertinent pour faire avancer les dossiers. Respecter l'État de droit et trouver un juste équilibre est une préoccupation partagée par tous. Enfin, s'agissant des articles identiques à ceux de la loi sur l'immigration, je vous rappelle que le texte que nous examinons aujourd'hui a été déposé le 12 décembre, soit bien avant l'issue que nous lui connaissons aujourd'hui !

M. François-Noël Buffet, président. - Nous partageons effectivement tous cet état d'esprit et, nous sommes preneurs de toute proposition nous permettant d'améliorer la notion d'inconduite notoire, dès lors que l'objectif de lutte contre le terrorisme et de garantie de la sécurité de nos concitoyens est bien partagé.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la conférence des présidents, il nous revient d'arrêter le périmètre indicatif du projet de loi. Je vous propose, mes chers collègues, d'indiquer que ce périmètre comprend les dispositions relatives aux moyens judiciaires et administratifs de lutte contre le terrorisme.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-1 tire les conséquences du bilan non concluant du déploiement de la mesure de prévention de la récidive terroriste près de deux ans après son vote au Parlement.

Trois leviers sont mis en oeuvre pour adapter la notion de dangerosité : l'abaissement du critère à un risque élevé de récidive ; la mention d'une adhésion avérée à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme, plutôt qu'une adhésion persistante ; l'introduction d'un critère alternatif pour caractériser la particulière dangerosité, en ajoutant le fait de souffrir de troubles graves de la personnalité.

L'amendement tend également à élargir l'application de la mesure aux personnes condamnées à des peines supérieures à trois ans, non plus en cas de récidive, mais dès réitération d'infractions à caractère terroriste, afin de faciliter le prononcé de la mesure de réinsertion.

Il vise à compléter les obligations susceptibles d'être prononcées dans le cadre de la mesure de sûreté créée par la proposition de loi, à la lumière des difficultés rencontrées par les juges d'application des peines. On renforce l'accompagnement médical et psychiatrique, essentiel à la prévention de la récidive, ainsi que les obligations de déclaration ou d'autorisation des condamnés dans ce cadre.

On supprime également du contenu de la proposition de loi certaines mesures, telles que l'interdiction du port d'arme, l'interdiction de paraitre en certains lieux ou d'établir sa résidence dans un lieu donné.

Enfin, dans le souci d'assurer la pleine opérationnalité de la mesure, l'amendement vise à allonger le délai d'évaluation du condamné quant à l'éligibilité d'une telle mesure de trois à six mois.

M. Francis Szpiner. - La notion de réitération est complexe sur le plan juridique. On se situe en réalité à un moment où une personne condamnée en récidive se trouve à nouveau poursuivie, mais pas encore condamnée. Ne faut-il pas plutôt écrire : « en cas de nouvelles poursuites » ?

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Cette notion a été codifiée en 2013.

M. Francis Szpiner. - Je mets néanmoins quiconque au défi d'expliquer à quoi elle correspond au regard des principes généraux du droit.

M. François-Noël Buffet, président. - La notion de « réitération », contrairement à celle de « récidive », n'impose pas qu'une condamnation pénale soit intervenue. Une personne poursuivie pour une infraction peut en commettre une nouvelle en cours de procédure, sans être encore condamnée pour la première. Nous pouvons toutefois regarder si nous trouvons une meilleure rédaction d'ici à l'examen du texte en séance.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 1er

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - S'agissant de l'amendement COM-2, je vous renvoie au débat que nous venons d'avoir sur la notion d'inconduite notoire. Je suis ouvert à toute amélioration de la rédaction.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Avant même de savoir comment on pourrait l'écrire, je voudrais bien savoir de quoi on parle ! Il ne nous revient pas de vous proposer une rédaction. Laissez la formule et nous saisirons le Conseil constitutionnel...

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Je le rappelle, nous visons des personnes qui, en apparence, respectent le cadre, mais dont on a la preuve qu'elles diffusent par derrière du contenu à caractère terroriste ou consultent des sites djihadistes.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous voterons contre cet amendement.

L'amendement COM-2 est adopté et devient article additionnel.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-3 a pour objet d'instituer la commission d'une nouvelle infraction comme motif de révocation d'une mesure de surveillance judiciaire ou d'un suivi socio-judiciaire. Il est proposé d'aligner le régime existant sur le régime applicable à la révocation des mesures de semi-liberté, détention à domicile sous surveillance électronique mobile ou libération conditionnelle.

L'amendement COM-3 est adopté et devient article additionnel.

Article 2

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-4 vise à restreindre l'application de la mesure de rétention de sûreté en l'absence de troubles psychiatriques aux personnes condamnées à des peines supérieures à quinze ans d'emprisonnement, ou dix ans en cas de récidive, pour les seuls crimes terroristes.

L'amendement COM-4 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 3

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Outre une correction d'erreur matérielle, l'amendement COM-5, par cohérence avec l'élévation de la durée de placement en détention provisoire des mineurs de moins de seize ans, tend à relever également la durée maximale pour les mineurs de plus de seize ans.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Cette élévation de la durée maximale de placement en détention provisoire s'applique bien en matière criminelle pour les mineurs ?

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Je vous le confirme.

L'amendement COM-5 est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 4

L'amendement de clarification COM-6 est adopté.

L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 5

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Le dispositif expérimental permettant au juge des enfants, si la protection de l'enfant l'exige, de prononcer de manière cumulative son placement auprès du service départemental de l'aide sociale à l'enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse a déjà été pérennisé. L'amendement COM-7 vise donc à supprimer cet article superfétatoire.

L'amendement COM-7 est adopté.

L'article 5 est supprimé.

Article 6

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Afin de tirer les conséquences d'une censure par le Conseil constitutionnel, l'amendement COM-8 a pour objet de maintenir le caractère obligatoire d'une autorisation judiciaire préalable pour l'ensemble des opérations d'achat ou de transmission effectuées sous pseudonyme, tout en assouplissant la procédure lorsque les produits sont licites.

L'amendement COM-8 est adopté.

L'article 6 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 7

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-11 vise à substituer à la rédaction de la proposition de loi, superfétatoire, visant à introduire un régime d'interdiction de paraître dans les transports en commun dans le cadre des Micas, une nouvelle mesure administrative autonome d'interdiction de paraître pour les grands évènements. Cela nous paraît plus équilibré.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Dans la rédaction proposée, où figure précisément la mention d'une limitation aux grands événements ?

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Il est fait mention d'« une interdiction de paraître dans un ou plusieurs lieux déterminés dans lesquels se tient un événement exposé, par son ampleur ou ses circonstances particulières, à un risque de menace grave ou terroriste ». C'est une rédaction que nous avions déjà retenue dans de précédents textes concernant les jeux Olympiques et Paralympiques.

L'amendement COM-11 est adopté.

L'article 7 est ainsi rédigé.

Après l'article 7

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-12 concerne le caractère suspensif de l'appel interjeté par le ministère de l'intérieur à l'encontre d'un jugement d'annulation. Nous avons déjà débattu du sujet.

L'amendement COM-12 est adopté et devient article additionnel.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-9 vise à corriger une malfaçon de la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement, dite « PATR », en prévoyant explicitement une voie de recours à l'encontre de la décision du juge des libertés et de la détention du refus d'exploitation de documents et données saisies dans le cadre d'une visite domiciliaire.

L'amendement COM-9 est adopté et devient article additionnel.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-10 tend à renforcer les informations communiquées quant à la prise en charge d'une personne radicalisée hospitalisée sans son consentement aux préfets du lieu d'hospitalisation et du lieu de domicile.

Il paraît effectivement indispensable de permettre au préfet du lieu d'hospitalisation, d'une part, d'informer les autres préfets et services de renseignement de la levée d'une mesure d'hospitalisation et, d'autre part, d'être informé des évolutions de la prise en charge de la personne.

L'amendement COM-10 est adopté et devient article additionnel.

Article 8

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-13 a un double objet, dont le premier est de consacrer au niveau législatif la définition de « provocation » justifiant la dissolution d'une association ou d'un groupement de fait. Comme je l'ai expliqué précédemment, nous reprenons in extenso la jurisprudence du Conseil d'État. Deuxièmement, il crée un régime de dévolution des biens des associations dissoutes.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Pour nous, cet amendement n'entre pas dans le périmètre de l'article 45 : il ne s'inscrit pas dans la lutte antiterroriste.

M. Francis Szpiner. - Le sujet est bien au coeur de la lutte antiterroriste. Il n'y a qu'à voir le nombre d'associations finançant le terrorisme !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ma remarque concerne la rédaction de l'amendement. Si l'objectif est celui-là, il faut l'écrire.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Le régime de dissolution administrative des associations ou groupements de fait est l'objet même de l'article 8.

L'amendement COM-13 est adopté.

L'article 8 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Articles 9 et 10

Les articles 9 et 10 sont adoptés sans modification.

Après l'article 10

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Au sujet de l'amendement COM-14, je rappelle à Marie-Pierre de La Gontrie que le texte initial de la proposition de loi a été déposé en décembre, avant même l'adoption de la motion de rejet sur le projet de loi sur l'immigration à l'Assemblée nationale. Celui-ci était donc loin d'être voté.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Cela ne vous empêchait en rien de déposer, parmi vos amendements, un amendement de suppression des articles votés dans le cadre du projet de loi sur l'immigration.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Nous aurions tenu compte de la décision du Conseil constitutionnel si elle était déjà rendue. Cela ne se fera que dans quelques jours et nous pouvons toujours intervenir le cas échéant sur la présente proposition de loi dans la suite de la navette.

Nous proposons ici une extension de la possibilité de prolonger jusqu'à 210 jours la rétention administrative d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'expulsion édictée en raison d'une provocation directe à des actes de terrorismes ou de leur apologie pénalement constatée. Ce faisant, nous reprenons un amendement adopté par nos collègues députés dans le cadre de l'examen du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, mais n'ayant pas pu être retenu du fait de l'application de la règle de l'entonnoir.

L'amendement COM-14 est adopté et devient article additionnel.

Article 11

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-15 vise à corriger les effets de la censure par le Conseil constitutionnel du délit de recel d'apologie du terrorisme, qui est une création jurisprudentielle. Nous proposons d'en restreindre le champ d'application par deux moyens : l'instauration d'un critère de gravité particulièrement restreint et l'introduction, à la différence du délit de recel d'apologie, d'un élément intentionnel dans la caractérisation de ce nouveau délit.

L'amendement COM-15 est adopté.

L'article 11 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 11

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Comme dans d'autres domaines, nous proposons avec l'amendement COM-16 que l'on puisse, en fonction de critères précis, assimiler un groupe sur un réseau privé à un groupe sur un réseau public pour caractériser le délit d'apologie du terrorisme.

L'amendement COM-16 est adopté et devient article additionnel.

Article 12

L'article 12 est adopté sans modification.

Article 13

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Le procureur national antiterroriste nous indique que la mesure présentée à l'article 13 risque d'entraîner des effets de bord dommageables, conduisant à un résultat opposé à l'objectif visé. D'où l'amendement COM-17 de suppression.

L'amendement COM-17 est adopté.

L'article 13 est supprimé.

Article 14

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique en étant encore au stade de la CMP, nous reprenons, à travers l'amendement COM-18, les dispositions qu'il contient en matière de bannissement numérique.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Comme précédemment, nous observons que cet amendement n'entre pas dans le périmètre de l'article 45.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Seules les infractions terroristes commises en ligne sont concernées.

M. François-Noël Buffet, président. - Gardons en tête que le présent texte porte uniquement sur la lutte contre le terrorisme. Rien d'autre !

L'amendement COM-18 est adopté.

L'article 14 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 15

L'article 15 est adopté sans modification.

Après l'article 15

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-19 vise à empêcher le dévoiement de la procédure simplifiée de changement de nom par des condamnés terroristes.

L'amendement COM-19 est adopté et devient article additionnel.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-20 concerne les mineurs radicalisés mis en cause pour des faits de terrorisme sur le sol national. Sur le modèle des dispositions existantes pour les crimes ou délits à caractère sexuels, il prévoit l'information obligatoire de l'autorité académique et du chef d'établissement d'une mise en examen ou d'une condamnation.

L'amendement COM-20 est adopté et devient article additionnel.

Article 16

L'article 16 est adopté sans modification.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er

M. DAUBRESSE, rapporteur

1

Création d'une mesure de sûreté aux critères de prononcés et aux obligations adaptés aux profils des condamnés terroristes 

Adopté

Article(s) additionnel(s) après l'article 1er

M. DAUBRESSE, rapporteur

2

Introduire la notion « d'inconduite notoire » comme motif de révocation d'un sursis probatoire et d'un suivi socio-judiciaire

Adopté

M. DAUBRESSE, rapporteur

3

Ajouter dans les motifs de révocation de la surveillance judiciaire et du suivi socio-judiciaire la commission d'une nouvelle infraction 

Adopté

Article 2

M. DAUBRESSE, rapporteur

4

Encadrement du champ d'application de la rétention de sûreté et clarification des finalités de la mesure

Adopté

Article 3

M. DAUBRESSE, rapporteur

5

Articulation des mesures de sûreté pré-sentencielle des mineurs en moins de seize ans et de plus de seize ans

Adopté

Article 4

M. DAUBRESSE, rapporteur

6

Clarification rédactionnelle

Adopté

Article 5

M. DAUBRESSE, rapporteur

7

Suppression d'article

Adopté

Article 6

M. DAUBRESSE, rapporteur

8

Réintroduction d'une autorisation a priori pour acquérir tout produit par les enquêteurs sous pseudonyme, associée à une possibilité d'obtenir une autorisation par catégorie de produit d'une durée de 48 heures 

Adopté

Article 7

M. DAUBRESSE, rapporteur

11

Introduction d'une nouvelle mesure administrative, autonome et autoportée, d'interdiction de paraitre pour les grands évènements

Adopté

Article(s) additionnel(s) après l'article 7

M. DAUBRESSE, rapporteur

12

Introduction du caractère suspensif de l'appel interjeté par le ministère de l'intérieur à l'encontre du jugement d'annulation du renouvellement d'une Micas

Adopté

M. DAUBRESSE, rapporteur

9

Harmonisation des voies de recours existantes contre les décisions de saisie et d'exploitation des données dans le cadre d'une visite domiciliaire

Adopté

M. DAUBRESSE, rapporteur

10

Renforcer les informations communiquées quant à la prise en charge d'une personne radicalisée hospitalisée sans son consentement aux préfets du lieu d'hospitalisation et du lieu domicile

Adopté

Article 8

M. DAUBRESSE, rapporteur

13

Consolidation de la définition de la "provocation" comme motif de dissolution d'un groupement ou d'une association et institution d'un régime de dévolution des biens des associations ayant fait l'objet d'une dissolution

Adopté

Article(s) additionnel(s) après l'article 10

M. DAUBRESSE, rapporteur

14

Prolongation jusqu'à 210 jours la rétention administrative d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'expulsion édictée en raison d'une provocation directe à des actes de terrorismes ou de leur apologie

Adopté

Article 11

M. DAUBRESSE, rapporteur

15

Restriction du champ d'application du nouveau délit de détention de contenus exhibant des crimes terroristes

Adopté

Article(s) additionnel(s) après l'article 11

M. DAUBRESSE, rapporteur

16

Étendre le délit d'apologie du terrorisme à la diffusion de contenu sur les réseaux privés

Adopté

Article 13

M. DAUBRESSE, rapporteur

17

Suppression d'article

Adopté

Article 14

M. DAUBRESSE, rapporteur

18

Harmonisation de la rédaction avec celle du projet de loi dit "SREN"

Adopté

Article(s) additionnel(s) après l'article 15

M. DAUBRESSE, rapporteur

19

Rendre obligatoire l'information du procureur de la république en cas de demande par un condamné à un crime terroriste de changement de nom

Adopté

M. DAUBRESSE, rapporteur

20

Introduction d'une information obligatoire de l'autorité académique et du chef d'établissement en cas de mise en examen ou condamnation pour des faits de terrorisme

Adopté

RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45
DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)

Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 62(*).

De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie63(*). Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte64(*). Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial65(*).

En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.

En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des lois a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 17 janvier 2024, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 202 instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste.

Elle a considéré que ce périmètre incluait les dispositions relatives aux moyens judiciaires et administratifs de lutte contre le terrorisme.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES ET DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Direction des libertés publiques et des affaires juridiques

Mme Pascale Léglise, directrice

Direction générale de la sécurité intérieure

Mme Céline Berthon, directrice générale

Mme Caroline Boussion, conseillère juridique

Direction des affaires criminelles et des grâces

M. Olivier Christen, directeur

M. Thibault Cayssials, chef du bureau de la législation pénale spécialisée.

Tribunal judiciaire de Paris

Mme Pascale Bruston, première vice-présidente chargée des fonctions de juge des enfants présidente du tribunal pour enfants

Mme Françoise Jeanjaquet, première vice-présidente en charge du service des juges d'application de peines anti-terroriste

Parquet national antiterroriste

M. Jean-François Ricard, procureur de la République antiterroriste

M. Guillaume Lefevre-Pontalis, procureur de la République antiterroriste adjoint

Table ronde de médecins psychiatres et psychologues

M. Guillaume Monod, médecin-psychiatre consultant au centre pénitentiaire Paris La santé et directeur adjoint du Centre d'Etude des Radicalisations et de leurs Traitements à l'université Paris-Cité

Mme Laure Westphal, psychologue clinicienne et enseignante à Sciences Po.

Contributions Écrites

Direction de la protection judiciaire de la jeunesse

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl23-202.html


* 1 Décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008, Loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

* 2 Décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008, Loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

* 3 Rapport d'information n° 633 (2016-2017) d'Esther Benbassa et Catherine Troendlé sur le désendoctrinement, le désembrigadement et la réinsertion des djihadistes en France et en Europe (12 juillet 2017).

* 4 Rapport d'information n° 633 (2016-2017) d'Esther Benbasse et Catherine Troendlé sur le désendoctrinement, le désembrigademen et la réinsertion des djihadistes en France et en Europe (12 juillet 2017).

* 5 Ce nombre s'élevait à 27 en 2016 et 21 en 2017 (DPJJ).

* 6 Les crimes prévus au 1° de l'article 421-1, à l'article 421-5, ainsi qu'à l'article 421-6 du code pénal.

* 7 Premier Ministre, Instruction relative à la prise en charge des mineurs à leur retour de zone d'opérations de groupements terroristes (notamment la zone irako-syrienne), 23 février 2018, NOR : PRMX1806515J.

* 8 Le Monde, Interview de Charlotte Caubel, 25 janvier 2023.

* 9 Cette interdiction se justifiait notamment « par souci de cohérence de l'action éducative menée par les services de l'aide sociale à l'enfance auprès des mineurs » (Rapport n° 309 (2016-2017) de François Grosdidier, au nom de la commission des lois du Sénat, sur le projet de loi relatif à la sécurité publique, 18 janvier 2017). En outre, l'intervention de la PJJ dans le secteur de la protection de l'enfance civile est résiduelle depuis la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance qui a entendu recentrer son action sur le traitement des mineurs délinquants.

* 10 Rapport n° 309 (2016-2017) de François Grosdidier, au nom de la commission des lois du Sénat, sur le projet de loi relatif à la sécurité publique, 18 janvier 2017.

* 11 Amendement n° II-1092.

* 12 Pour un récapitulatif complet voir le rapport n° 11 (2018-2019) de MM. François-Noël Buffet et Yves Détraigne, au nom de la commission des lois, sur le projet de loi de programmation 2018-2022 de réforme pour la justice (3 octobre 2018).

* 13 Par la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.

* 14 Par la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme.

* 15 Par l'article 45 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

* 16 Rapport n° 11 (2018-2019) de MM. François-Noël Buffet et Yves Détraigne, au nom de la commission des lois, sur le projet de loi de programmation 2018-2022 de réforme pour la justice (3 octobre 2018).

* 17 Objet de l'amendement n° COM-86 de Marc-Philippe Daubresse et Loïc Hervé, rapporteurs pour la commission des lois du Sénat.

* 18 Amendement de commission n° CL 726 du député Florent Boudié.

* 19 Décision n° 2022-846 DC du 19 janvier 2023 (cons. 45).

* 20 Conseil constitutionnel, décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018, cons. 12.

* 21  Rapport n° 694 (2020-2021) sur le projet de loi relatif à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement de Marc-Philippe Daubresse et Agnès Canayer, fait au nom de la commission des lois, déposé le 16 juin 2021, pp. 53-54.

* 22 En application du 1° de l'article 131-39 du code pénal.

* 23 Pour un commentaire exhaustif sur les régimes judiciaires et administratifs de dissolution des associations ou groupement de fait, voir le commentaire de l'article 8 du projet de loi n° 3649 confortant le respect des principes de la République dans le rapport n° 454, tome I (2020-2021) de Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien.

* 24 D'autres régimes de police spéciale autorisent par ailleurs dans certains cas la dissolution administrative de dissolution ou de groupement de fait, en application notamment de l'article 6-1 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et de l'article L. 332-8 du code du sport.

* 25 Voir par exemple la décision du Conseil d'État du 17 novembre 2006, n° 296214.

* 26 Article 16.

* 27 Ce dernier a, d'une part, inséré les nouveaux critères liés au sexe, à l'orientation sexuelle ou à l'identité de genre et, d'autre part, permis la prise en compte de la contribution, par les agissements des associations visées à ces mêmes faits.

* 28 Rapport n° 454, tome I (2020-2021) de Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République (18 mars 2021).

* 29 Recommandation n° 10 : Procéder de manière plus systématique à la dissolution des associations cultuelles qui diffusent un discours incitant à la discrimination, à la haine ou à la violence. Ajuster les motifs de dissolution administrative d'une association ou d'un groupement de fait à la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison du sexe ou de l'orientation sexuelle (Radicalisation islamiste : faire face et lutter ensemble, rapport n° 595 (2019-2020) de Jacqueline Eustache-Brinio, fait au nom de la commission d'enquête, déposé le 7 juillet 2020).

* 30 Rapport d'information n° 2006 (XIV lég.) de M. Adrien Morenas au nom de la commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en France.

* 31 Conseil d'État, décision n° 476384 du 9 novembre 2023.

* 32 Pour une analyse exhaustive, se référer au commentaire de l'article 9 du projet de loi n° 304 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration (2022-2023) figurant au rapport n° 433 de Muriel Jourda et Philippe Bonnecarrère.

* 33 La loi n° 81-973 du 29 octobre 1981 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France a ainsi créé la première catégorie d'étrangers protégés contre l'expulsion.

* 34 Étude d'impact du projet de loi n° 304 (2022-2023) pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration).

* 35 Amendement n° 602 rect.

* 36 Prévus respectivement aux articles L. 212-1, L. 224-1, L. 225-1 à L. 225-8, L. 227-1 et L. 228-1 à L. 228-7 du code de la sécurité intérieure.

* 37 Prévu à l'article L. 562-2 du code monétaire et financier.

* 38 Prévus respectivement aux articles L. 222-1, L. 312-1 et L. 312-3, L. 321-1, L. 332-1, L. 432-1 et L. 432-4, L. 511-7, L. 512-2 à L. 512-4, L. 631-1 à L. 631-4, L. 731-3 et L. 731-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

* 39 La CJUE reconnaît ainsi une « exception d'asymétrie » au principe du contradictoire en matière de lutte anti-terroriste (CJUE, 18 juillet 2012, Kadi II, aff C-584/10 P).

* 40 Le Conseil d'Etat a déjà admis que la CNDA prenne en compte des informations anonymisées transmises par l'OFPRA pour ne pas dévoiler une source (Conseil d'État, 19 juin 2017, n° 389 698).

* 41 Amendement COM-83 du Gouvernement.

* 42 Le Conseil constitutionnel a toutefois censuré la possibilité de prolonger la rétention pour une durée maximale de dix-huit mois qui portait atteinte à la liberté individuelle telle que garantie par l'article 66 de la Constitution (décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011, cons. 76).

* 43 Article 29 de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.

* 44 Amendement n° CL1319 de Mathieu Lefèvre.

* 45 Une seule occurrence dans un autre code peut être relevée, à l'article 78-3-1 du code pénal.

* 46 Cass. Crim. n° 19-80.136, 7 janvier 2020.

* 47 Cass, Crim., n° 19-86.709, 24 mars 2020.

* 48 Décision n° 2016-611 QPC du 10 février 2017, M. David P.

* 49 Décision n° 2020-845 QPC du 19 juin 2020, M. Théo S.

* 50 Pour plus de précisions, voire le commentaire de l'article 11.

* 51 Cass. , crim. 19 juin 2018, n° 17-87.807.

* 52 Voir développements du commentaire de l'article 14.

* 53 Le Monde, «  Djihadisme en France : Deux tiers des détenus pour terrorisme ont vécu un choc moral sur Internet », interview de Xavier Crettiez, le 29 décembre 2021.

* 54 Op. cit.

* 55 Décision n° 2019-794 DC du 20 décembre 2019, Loi d'orientation des mobilités, paragraphe n° 60.

* 56 La circulaire présente les dispositions issues de la loi n° 2022-301 du 2 mars 2022 relative au choix du nom issu de la filiation.

* 57 Op. cit, p.21.

* 58 Rapport d'information n° 633 (2016-2017) d'Esther Benbassa et Catherine Troendlé sur le désendoctrinement, le désembrigadement et la réinsertion des djihadistes en France et en Europe (12 juillet 2017).

* 59 Ce nombre s'élevait à 27 en 2016 et 21 en 2017 (DPJJ).

* 60 Cette analyse est confirmée par la circulaire NOR JUSD12222695D présentant les dispositions de droit pénal et de procédure pénale de la loi n°2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l'exécution des peines du 31 mai 2012.

* 61 Op. cit. p. 5.

* 62 Voir le commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.

* 63 Voir par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.

* 64 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.

* 65 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.

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