TITRE II : RENFORCER LE SUIVI DES MINEURS RADICALISÉS ET ADAPTER L'ARSENAL PÉNAL APPLICABLE EN CAS DE COMMISSION D'ACTES DE TERRORISMES PAR DES MINEURS
Article 3
Mesures applicables aux mineurs mis en examen
pour des infractions
à caractère terroriste
Prenant acte des évolutions de la menace terroriste endogène, et singulièrement son rajeunissement, la commission a approuvé l'article 3 visant à faire évoluer, pour les seules poursuites et instructions d'infractions à caractère terroriste, les dispositions applicables aux mineurs radicalisés, sous réserve d'un amendement visant à préserver la cohérence des mesures applicables aux mineurs de moins et de plus de seize ans.
1. La radicalisation croissante de mineurs, parfois particulièrement jeunes, s'opère désormais directement sur le territoire national
Alors qu'un rapport d'information d'Esther Benbassa et Catherine Troendlé soulignait déjà en 2017 « l'augmentation préoccupante du nombre de mineurs suivis dans un cadre pénal pour des faits de radicalisation »3(*), force est de constater que cette tendance n'a fait que se confirmer depuis lors.
Comme l'a rappelé le 6 décembre dernier Nicolas Lerner, « nous constatons depuis plus d'un an que la menace [islamiste] est de nouveau orientée à la hausse sous l'effet (...) d'abord d'une redynamisation de la mouvance endogène, singulièrement portée par de très jeunes individus ».
Le profil de ces jeunes n'est pas sans interroger les services qui rapportent que, dans plusieurs affaires - parfois traitées avec les services d'autres États européens, dans la mesure où ce phénomène n'est pas que français -, ces jeunes individus ne fréquentaient pas de mosquées ni des lieux de socialisation mais se structuraient en ligne, sur les réseaux sociaux, à travers un « enfermement idéologique et numérique très préoccupant ».
Partageant ce constat lors de son audition, le procureur national de la République antiterroriste a affirmé observer en 2023 une nette augmentation des mineurs impliqués pour des faits de terrorisme, 14 mineurs ayant été mis en examen pour des faits exclusivement commis en tant que mineurs dont 4 étaient âgés de moins de 16 ans. Abondant en ce sens, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse a affirmé pour sa part que « 2023 constitue la troisième année ayant connu le plus de mise en examen de mineurs, les deux autres étant 2016 et 2017 (...) et concernaient plutôt des tentatives de départs sur zone irako-syrienne » mais observe désormais « des profils de mineurs plus jeunes et également avec des projets d'attentats assez aboutis ». Cela représente un changement majeur par rapport à la période 2015-2017, où le départ vers les zones de combat de groupements terroristes était le plus souvent l'objectif poursuivi.
Ce constat est, enfin, partagé par le directeur des affaires civiles et des grâces (DACG) qui, auditionné par le rapporteur, a affirmé que « les enquêtes diligentées concernant [les mineurs radicalisés] démontrent un niveau d'engagement élevé de même que des modes opératoires relativement aboutis ».
2. La nécessaire adaptation des moyens de poursuites et d'instruction des affaires impliquant des mineurs radicalisés mis en cause pour des faits de terrorisme
Dans ce contexte, l'article 3 de la proposition de loi ambitionne, d'après l'exposé des motifs, de « faire évoluer, pour les seules poursuites et instructions d'infractions à caractère terroriste, les dispositions applicables aux mineurs radicalisés ».
Il propose, à cette fin, quatre évolutions des mesures de poursuites et d'instruction à la main des juges des enfants, à savoir :
- le placement sous contrôle judiciaire des mineurs de treize à seize ans s'ils encourent une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à cinq ans pour une infraction à caractère terroriste, étant donné qu'un tel seuil de cinq ans est déjà prévu pour les délits de violences, d'agression sexuelle et de délit commis avec la circonstance aggravante de violences (article L. 331-1 du code pénal de la justice des mineurs) ;
- le placement en centre éducatif fermé d'un mineur, dans le cadre d'un contrôle judicaire, pour une durée pouvant aller jusqu'à deux ans, pour les seules actes de terrorisme, au lieu de six mois actuellement (article L. 331-2 du CJPM) ;
- la possibilité d'assigner à résidence sous surveillance électronique lorsque le mineur âgé de treize à seize ans encourt une peine de cinq ans d'emprisonnement pour infraction à caractère terroriste - cela est prévu en l'état du droit pour les seuls mineurs âgés d'au moins 16 ans qui encourent une peine d'au moins trois ans d'emprisonnement (article L. 333-1-1 du CJPM) ;
- le placement en détention provisoire pour une durée de trois mois à un an pour les mineurs de moins de seize ans pour l'instruction des délits et crimes à caractère terroriste à l'exception du délit d'apologie du terrorisme (nouvel article L. 433-5-1 du CJPM).
Comme l'ont démontré les auditions conduites par le rapporteur, l'augmentation préoccupante du nombre de mineurs judiciarisés pour des faits en lien avec le terrorisme invite à faire évoluer les mesures de poursuites et d'instruction leur étant applicables afin de permettre, aux magistrats de bénéficier de l'ensemble des moyens nécessaires à l'instruction de dossier de nature terroriste impliquant des mineurs, y compris de moins de treize ans, sans revenir sur le principe d'une distinction entre les mesures applicables aux majeurs et aux mineurs ainsi qu' entre les différents stades de la minorité.
En conséquence, sous réserve d'une correction d'erreur matérielle et par cohérence avec l'élévation de la durée de placement en détention provisoire des mineurs de moins de seize ans, la commission a relevé à deux ans la durée maximum de placement en détention provisoire d'un mineur de plus de seize ans mis en examen pour des faits d'entreprise individuelle à caractère terroriste (amendement COM-5 du rapporteur).
La commission a adopté l'article 3 ainsi modifié.
Article 4
Poursuite de la prise en charge par la
protection judiciaire de la jeunesse de jeunes impliqués dans des actes
de terrorisme après leur accession à la majorité
Reprenant une recommandation d'une mission d'information de 2017 de la commission des lois, l'article 4 autorise la poursuite de la prise en charge pré-sentencielle par la protection judiciaire de la jeunesse d'un jeune mis en examen pour des faits relevant du terrorisme au-delà de son accession à la majorité, y compris sans son accord. La commission a approuvé l'esprit de ce dispositif complétant utilement la palette des outils disponibles pour prévenir les ruptures de prise en charge à la majorité et a adopté l'article 4, sous réserve de modifications rédactionnelles.
1. Une reprise préoccupante des mises en examen de mineurs pour des faits en lien avec le terrorisme
Alors qu'un rapport d'information d'Esther Benbassa et Catherine Troendlé soulignait déjà en 2017 « l'augmentation préoccupante du nombre de mineurs suivis dans un cadre pénal pour des faits de radicalisation »4(*), force est de constater que cette tendance n'a fait que se confirmer depuis lors.
En termes quantitatifs, le nombre cumulé de mineurs déférés devant le pôle anti-terroriste de Paris pour association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste s'élevait à 58 entre 2012 et le 1er avril 2017, tandis que, selon les informations communiquées par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ), 19 mineurs ont été déférés pour la seule année 2023. Il s'agit du troisième plus total le plus élevé constaté depuis 20125(*). Par ailleurs, au 3 janvier 2024, 29 mineurs poursuivis pour ces faits sont pris en charge par les services de la DPJJ, dont sept sont condamnés et 22 mis en examen.
Sur un plan qualitatif, une évolution particulièrement préoccupante des profils peut être observée. Selon la DPJJ, les mineurs concernés sont de manière générale plus jeunes et présentent des projets d'attentats relativement aboutis. Cela représente un basculement majeur avec la période 2015-2017, où le départ vers les zones de combat de groupements terroristes était le plus souvent l'objectif poursuivi.
2. L'article 4 : poursuivre la prise en charge par la PJJ des jeunes sous main de justice pour des faits en lien avec le terrorisme au-delà de leur majorité
Dans ce contexte, l'article 4 traduit une recommandation du rapport d'information d'Esther Benbassa et de Catherine Troendlé précité qui vise à autoriser la poursuite de la prise en charge pré-sentencielle par la protection judiciaire de la jeunesse de jeunes sous main de justice pour des faits en lien avec le terrorisme au-delà de leur majorité et y compris sans leur accord. Cette préconisation partait du constat que l'accession à la majorité était parfois synonyme d'une regrettable « rupture de la prise en charge éducative lors de l'accession à la majorité, qui, bien que n'étant pas spécifique à la situation des mineurs radicalisés, se révèle particulièrement critique pour une population requérant une attention et un suivi renforcés ». Si la PJJ est en effet systématiquement saisie de la situation des mineurs mis en examen pour des faits en lien avec le terrorisme, que ce soit dans le cadre du bilan éducatif prévu par l'article L. 432-1 du code de la justice pénale des mineurs ou d'une mesure éducative judiciaire provisoire prononcée en application de l'article L. 321-1 du même code, cette prise en charge ne peut, en l'état du droit, se poursuivre au-delà de la majorité qu'avec l'accord de l'intéressé.
En conséquence, l'article 4 modifie l'article L. 112-15 du code de la justice pénale des mineurs afin d'autoriser, sur décision spécialement motivée du juge, la poursuite sans son accord du placement auprès de la PJJ d'un jeune majeur sous main de justice pour l'instruction du délit d'association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste ou de certains crimes à caractère terroriste6(*).
3. La position de la commission : un dispositif qui pourrait utilement prévenir les ruptures de prise en charge à la majorité
Si les auditions du rapporteur ont montré que la problématique des ruptures de prise en charge à la majorité est aujourd'hui moins prégnante qu'en 2017, l'augmentation préoccupante du nombre de mineurs judiciarisés pour des faits en lien avec le terrorisme invite à se doter de l'ensemble des moyens disponibles pour garantir la continuité de la prise en charge des jeunes radicalisés.
À cet égard, la poursuite du placement auprès de la PJJ pourrait ponctuellement offrir une alternative utile au suivi spécialisé dit « PAIRS », assimilable à un placement contraint et le plus souvent ordonné à la majorité dans le cadre d'un contrôle judiciaire (en application du 18° de l'article 138 du code de procédure pénale). La commission n'a en conséquence pas remis en cause l'esprit de l'article 4, auquel elle n'a apporté, par l'adoption d'un amendement COM-6 du rapporteur, que des modifications rédactionnelles.
La commission a adopté l'article 4 ainsi modifié.
Article 5 (supprimé)
Double prise en charge des
mineurs en danger par l'aide sociale à l'enfance et la protection
judiciaire de la jeunesse
L'article 5 vise à pérenniser le dispositif expérimental adopté en 2017 permettant au juge des enfants, si la protection de l'enfant l'exige, de prononcer de manière cumulative son placement auprès du service départemental de l'aide sociale à l'enfance et une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert mise en oeuvre par les services du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse.
Ce dispositif ayant été pérennisé en loi de finances pour 2020, la commission a, à l'initiative du rapporteur, supprimé l'article 5.
L'article 31 de la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique avait, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, autorisé le juge des enfants, sur réquisitions du ministère public et lorsque la situation et l'intérêt de l'enfant le justifient, à prononcer à la fois un placement auprès de l'aide sociale à l'enfance (ASE), qui relève du conseil départemental, et une mesure d'action éducative en milieu ouvert dispensée par les seuls services du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).
Cette expérimentation visait notamment à garantir la prise en charge la plus adaptée possible d'un nombre croissant d'enfants de retour des zones de combat en Irak et en Syrie. Pour rappel, le nombre de mineurs présents dans ces zones était estimé en février 2018 à 5007(*), tandis que la secrétaire d'État chargée de l'enfance indiquait le 25 janvier 2023 que « 295 mineurs [...] sur notre territoire [étaient] considérés comme de retour de zone »8(*) et que près des deux tiers d'entre eux étaient rentrés âgés de moins de 10 ans. Selon les dernières informations transmises par la DPJJ, au 3 janvier 2024, 320 mineurs étaient présents sur le territoire national après un séjour dans une zone d'opérations de groupements terroristes, dont 259 étaient pris en charge par leurs services.
Selon l'exposé des motifs, la situation particulièrement complexe et le besoin d'une prise en charge spécifique des intéressés justifiaient de faire exception au principe fixé par l'article 375-4 du code civil excluant toute prise en charge simultanée par les services de l'ASE et la PJJ9(*). Face aux difficultés rencontrées par les services départementaux pour la prise en charge d'enfants particulièrement exposés au risque de radicalisation, le législateur a souhaité qu'ils puissent bénéficier de l'expertise et des compétences de la PJJ en la matière, avec une participation financière complémentaire bienvenue de l'État. François Grosdidier, rapporteur de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi relatif à la sécurité publique précité, estimait ainsi qu'outre « la mise à profit de l'expertise de la PJJ dans le traitement de la radicalisation, notamment au travers des référents laïcité et citoyenneté, l'implication plus systématique de la protection judiciaire de la jeunesse contribuerait également au développement d'une politique nationale, cohérente et harmonisée sur l'ensemble du territoire pour la prise en charge de la radicalisation »10(*). Du reste, ses travaux avaient mis en lumière le fait que des mesures d'assistance éducative étaient d'ores et déjà mises en oeuvre par la PJJ, en accord avec les conseils départementaux mais en dehors de tout cadre légal.
Ce dispositif a par la suite été pérennisé par l'article 241 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, introduit par un amendement du Gouvernement en première lecture à l'Assemblée nationale11(*). Si le rapport d'évaluation de cette expérimentation n'a pas été remis au Parlement comme le prévoyait la loi de 2017, le Gouvernement en tire néanmoins un bilan positif dans l'exposé des motifs de son amendement. Il estime en particulier que « l'intervention conjointe des services de l'ASE et de la PJJ permet de croiser les points de vue et de garantir une prise en charge renforcée de ces jeunes, dont la situation est d'une grande complexité. Il faut en effet tenir compte du vécu des enfants en zone de guerre, de l'endoctrinement au contact de l'État islamique, de la situation des parents incarcérés ou qui sont restés, voire décédés sur zone, et de la nécessité de travailler avec la famille élargie de l'enfant, alors même que les enfants, les parents incarcérés et la famille élargie vivent sur des territoires souvent éloignés les uns des autres ». Les auditions conduites par le rapporteur, et en particulier celle de Pascale Bruston, présidente du tribunal pour enfants de Paris, ont confirmé l'utilité de ce dispositif qui est régulièrement mis en oeuvre dans la pratique.
La commission des lois a pris acte de la pérennisation de ce dispositif, qui prive de son objet l'article 5 de la proposition de loi. À l'initiative du rapporteur, elle a en conséquence adopté un amendement COM-7 supprimant cet article.
La commission a supprimé l'article 5.
* 3 Rapport d'information n° 633 (2016-2017) d'Esther Benbassa et Catherine Troendlé sur le désendoctrinement, le désembrigadement et la réinsertion des djihadistes en France et en Europe (12 juillet 2017).
* 4 Rapport d'information n° 633 (2016-2017) d'Esther Benbasse et Catherine Troendlé sur le désendoctrinement, le désembrigademen et la réinsertion des djihadistes en France et en Europe (12 juillet 2017).
* 5 Ce nombre s'élevait à 27 en 2016 et 21 en 2017 (DPJJ).
* 6 Les crimes prévus au 1° de l'article 421-1, à l'article 421-5, ainsi qu'à l'article 421-6 du code pénal.
* 7 Premier Ministre, Instruction relative à la prise en charge des mineurs à leur retour de zone d'opérations de groupements terroristes (notamment la zone irako-syrienne), 23 février 2018, NOR : PRMX1806515J.
* 8 Le Monde, Interview de Charlotte Caubel, 25 janvier 2023.
* 9 Cette interdiction se justifiait notamment « par souci de cohérence de l'action éducative menée par les services de l'aide sociale à l'enfance auprès des mineurs » (Rapport n° 309 (2016-2017) de François Grosdidier, au nom de la commission des lois du Sénat, sur le projet de loi relatif à la sécurité publique, 18 janvier 2017). En outre, l'intervention de la PJJ dans le secteur de la protection de l'enfance civile est résiduelle depuis la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance qui a entendu recentrer son action sur le traitement des mineurs délinquants.
* 10 Rapport n° 309 (2016-2017) de François Grosdidier, au nom de la commission des lois du Sénat, sur le projet de loi relatif à la sécurité publique, 18 janvier 2017.
* 11 Amendement n° II-1092.