N° 1976
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 SEIZIÈME LÉGISLATURE |
N° 181
SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024 |
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Enregistré à la Présidence de
l'Assemblée nationale |
Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 décembre 2023 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission mixte paritaire(1) chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques,
PAR M. Christophe MARION, Député |
PAR Mme Catherine MORIN-DESAILLY, Sénatrice |
(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, sénateur, président ; Mme Géraldine Bannier, députée, vice-présidente ; Mme Catherine Morin-Desailly, sénatrice, M. Christophe Marion, député, rapporteurs.
Membres titulaires : M. Max Brisson, Mmes Béatrice Gosselin, Colombe Brossel, MM. Adel Ziane, Martin Lévrier, sénateurs ; MM. Bertrand Sorre, Philippe Emmanuel, Mme Caroline Parmentier, M. Bastien Lachaud, Mme Annie Genevard, députés.
Membres suppléants : Mme Anne Ventalon, M. Jean-Gérard Paumier, Mmes Else Joseph, Sylvie Robert, MM. Pierre Ouzoulias, Pierre-Jean Verzelen, Mme Monique de Marco, sénateurs ; M. Quentin Bataillon, Mme Lisette Pollet, Mme Claudia Rouaux, M. Jérémie Patrier-Leitus, Mme Sophie Taillé-Polian, députés.
Voir les numéros :
Sénat : |
Première lecture : 551, 715, 716 et T.A. 131 (2022-2023) Commission mixte paritaire : 182 (2023-2024) |
Assemblée nationale (16e législ.) : |
Première lecture : 1347, 1837 et T.A. 179 |
TRAVAUX DE LA COMMISSION MIXTE PARITAIRE
Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande de la Première ministre, la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques s'est réunie au Sénat le mercredi 6 décembre 2023.
Elle a procédé tout d'abord à la désignation de son Bureau, constitué de M. Laurent Lafon, sénateur, président, de Mme Géraldine Bannier, députée, vice-présidente, de Mme Catherine Morin-Desailly, sénatrice, rapporteure pour le Sénat, et de M. Christophe Marion, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale.
La commission mixte paritaire a procédé ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.
M. Laurent Lafon, sénateur, président. - Chers collègues députés, nous examinons un texte d'origine sénatoriale qui nous tient à coeur, fruit d'une initiative transpartisane, porté par nos collègues Catherine Morin-Desailly, Max Brisson et Pierre Ouzoulias.
Le texte qu'il nous faut à présent élaborer doit être en mesure d'être adopté par nos deux assemblées. Rien ne servirait, en effet, que nous adoptions des dispositions susceptibles d'être rejetées par l'une ou l'autre de nos chambres. Compte tenu de la qualité du travail déjà accompli, tant à l'occasion de la navette parlementaire que lors de la préparation de cette réunion, j'espère que les propositions communes de rédaction de nos rapporteurs pourront nous rassembler.
Mme Géraldine Bannier, députée, vice-présidente. - Je remercie le président Laurent Lafon de son accueil et de la préparation de cette commission mixte paritaire (CMP). Je supplée la présidente Isabelle Rauch qui devait honorer un engagement pris de longue date.
La proposition de loi que nous examinons résulte d'un travail de longue haleine mené au sein du Sénat et a été adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale le 13 novembre dernier. Elle est la deuxième d'une série de textes simplifiant les conditions de restitution de biens appartenant aux collections publiques, dont les conditions d'acquisition justifient un tel retour : biens spoliés à des familles juives pendant la Seconde Guerre mondiale, restes humains, biens issus de la colonisation. Cette série devait initialement comporter trois lois ; elle en comptera vraisemblablement quatre, la question de la restitution des restes humains d'origine ultramarine ayant émergé durant l'examen de la présente proposition de loi et devant être réglée séparément.
À l'issue de son examen par l'Assemblée nationale, les deux articles de la proposition de loi restent en discussion. Il semble cependant que les modifications apportées par l'Assemblée ne traduisent pas des divergences de fond insurmontables et qu'une solution de compromis devrait pouvoir être trouvée. C'est en tout cas mon souhait.
M. Christophe Marion, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - La proposition de loi relative à la restitution des restes humains crée un dispositif administratif dérogatoire à l'inaliénabilité, permettant la sortie du domaine public des restes humains et leur juste restitution aux États étrangers qui en font la demande, sous réserve d'un certain nombre de conditions qui m'apparaissent équilibrées.
Ce dispositif constitue, non pas une fin en soi, mais un instrument qui devra s'accompagner de moyens nécessaires à son déploiement. En outre, la proposition de loi ne résout pas la question ultramarine, même si elle permet d'entrainer une réflexion indispensable sur ce sujet.
J'ai échangé à plusieurs reprises avec ma collègue rapporteure, Mme Catherine Morin-Desailly, et nous avons pu avancer sur les points restant en discussion, que les débats à l'Assemblée ont particulièrement mis en lumière. Je souhaite la remercier ainsi que ses collègues pour le travail entrepris depuis de nombreuses années et mené sans relâche pour faire vivre ce sujet en vue d'y apporter une solution très attendue.
Nous vous soumettons aujourd'hui plusieurs propositions de rédaction. Elles visent essentiellement à clarifier le dispositif et à accroître l'information et le contrôle du Parlement ; j'y souscris pleinement.
En ce qui concerne la suppression de l'adjectif « mémorielles » pour qualifier les fins conditionnant la restitution, ma position est plus réservée, cette précision ayant été introduite par mes soins en commission. Toutefois, afin de contribuer à notre accord sur le texte, je suis prêt à accepter la suppression, d'autant que la rapporteure m'a assuré que les fins mémorielles étaient en réalité couvertes par l'adjectif « funéraire ».
Le texte qui vous est soumis nous semble complet et équilibré. Nous vous proposons de l'adopter en l'état, sans le modifier sur le fond.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure pour le Sénat. - Permettez-moi de vous remercier chaleureusement d'avoir salué, dans vos interventions respectives en première lecture, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, mon engagement sur le sujet de la restitution de restes humains. Il est vrai que, à titre personnel, tout a commencé avec la restitution de la tête maorie du Muséum de Rouen. La proposition de loi qui nous rassemble revêt une importance particulière en ce qu'elle s'inscrit dans une démarche de promotion de la dignité de la personne, de justice, de respect des cultures et d'apaisement des mémoires.
L'expérience que j'ai acquise à l'occasion de la restitution des têtes maories me conforte dans l'idée que ces restitutions doivent être perçues, non pas comme une fin ou comme une manière de se débarrasser d'un passé devenu encombrant, mais, au contraire, comme le début d'un nouveau cycle de dialogue interculturel et de coopérations, comme un moyen de se pencher à nouveau, de manière constructive, sur notre histoire partagée. J'en veux pour exemple la numérisation de la tête maorie que le Muséum de Rouen a réalisée avant qu'elle ne retourne en Nouvelle-Zélande, et qui nous permet, encore aujourd'hui, de raconter les coutumes maories au sein des collections océaniennes et le commerce barbare qui a, par la suite, entouré ces têtes. Raconter le passé et le questionner font partie intégrante du rôle d'un musée.
Si notre texte est sur le point d'aboutir, c'est aussi que nous avons su faire collectivement preuve de patience, de méthode et de prudence. C'est l'un des enseignements que je veux retenir. Cette proposition est le fruit d'une mûre réflexion, engagée sur l'initiative de notre ancien collègue Nicolas About à la suite de la restitution de la dépouille de Saartje Baartman, puis près de dix ans après, avec celle des têtes maories. Le travail de la Commission scientifique nationale des collections (CSNC), voulue par le législateur en 2009, a grandement contribué à définir des critères de restitution qui font consensus.
C'est un point essentiel, car il ne saurait être question, par ces lois-cadres, de faire voler en éclats le principe d'inaliénabilité des collections, auquel nous restons très attachés. S'il nous est loisible d'y déroger, il est essentiel que les dérogations que nous mettons en place soient à la fois justifiées et circonscrites.
Le Sénat se félicite des nombreuses précisions rédactionnelles que l'Assemblée nationale a apportées et qui ont permis de clarifier la rédaction du texte. Il comprend le souhait qui a été le vôtre de garantir davantage de réciprocité à l'égard de l'État demandeur dans la procédure de restitution. C'est la raison pour laquelle nous acceptons, par exemple, que la date glissante de 500 ans soit remplacée par la date butoir, plus lisible, de l'an 1500, ou encore que les analyses génétiques soient subordonnées à l'accord de l'État demandeur, dans la mesure où Christophe Marion m'a assurée que dans le cas où l'État demandeur refuserait ces analyses, il en résulterait une réduction du périmètre des échantillons susceptibles d'être restitués.
Le Sénat reste, en revanche, particulièrement soucieux de la transparence de la procédure de restitution et de la bonne prise en compte du travail conduit par le comité scientifique, après l'expérience malheureuse des crânes algériens.
Il souhaite également que les restitutions qui en résulteront obéissent à des finalités clairement circonscrites, afin de justifier les dérogations au principe d'inaliénabilité des collections. C'est la raison pour laquelle il ne nous paraît pas pertinent d'élargir la faculté de restitution à la considération de fins mémorielles. Le terme « funéraire » répond déjà à cette préoccupation, sans ouvrir non plus la voie à une infinité de possibilités d'usages qui pourraient faire perdre toute portée au principe d'inaliénabilité.
Plusieurs groupes se sont abstenus lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale. Christophe Marion et moi-même vous proposons un certain nombre de propositions de rédaction qui, je l'espère, répondront aux préoccupations que vous avez exprimées.
Dans la limite de ce qu'il nous était possible de vous proposer à ce stade de la navette, nous nous sommes efforcés de renforcer la transparence de la procédure de restitution et de donner au Parlement les moyens de la contrôler d'une manière qui ne soit pas exclusivement a posteriori. Ces dispositions nous paraissent d'autant plus importantes que le Gouvernement a annoncé le dépôt à venir de la troisième loi-cadre relative à la restitution de biens culturels appartenant aux collections publiques.
Le Sénat est particulièrement sensible à l'enjeu de la restitution aux territoires d'outre-mer de restes humains. Le premier texte que nous avions voté en janvier 2022, relatif à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques, essayait d'ailleurs de traiter cette question. Il n'a pas prospéré, faute d'un accord du Gouvernement.
Avec mes collègues, nous n'avons eu connaissance de la requête guyanaise qu'une semaine avant le passage du présent texte en séance. Le seul moyen d'en tenir compte dans le délai imparti, et eu égard à l'impossibilité de transposer en l'espèce la procédure d'État à État, était cette demande de rapport. J'ai rencontré hier le ministre délégué chargé des outre-mer. Son ministère et celui de la culture ont noué contact et sont conscients de l'enjeu. Nous sommes convenus d'organiser une réunion au ministère au début de l'année prochaine, en y associant les délégations aux outre-mer de chacune de nos assemblées, afin d'approfondir la réflexion et d'identifier le plus rapidement possible une solution qui soit à la fois pertinente, globale et pérenne.
La présente proposition de loi est une amorce. Avec elle, le législateur fait sa part en levant les obstacles juridiques qui pèsent sur les restitutions de restes humains. Comme l'a indiqué Christophe Marion, il appartient de son côté au Gouvernement de donner à nos musées les moyens de mettre au jour les provenances, les origines et les identités des restes humains conservés dans nos collections.
Mme Annie Genevard, députée. - Lors d'une précédente CMP sur la loi-cadre concernant les biens des juifs spoliés pendant la Seconde Guerre mondiale, j'avais déjà exprimé les très vives réserves que je nourris à l'égard de la procédure de la loi-cadre. Ces réserves ne sont pas tombées. Elles ont même tendance à se renforcer d'un texte-cadre à l'autre. La perspective d'avoir à examiner une nouvelle loi-cadre telle que Mme la ministre de la culture nous l'a annoncée ne laisse pas de m'inquiéter.
Peut-être y verrez-vous une forme de détermination. Je voudrais en expliquer les origines.
J'ai suivi des études d'histoire de l'art afin de devenir conservateur de musée, j'ai travaillé dans des musées, y compris dans de grandes institutions. Dans mes études, le principe du caractère inaliénable des oeuvres était une espèce de totem absolu.
Comprenez-moi bien. Il ne s'agit pas de revenir sur le bien-fondé de restituer les biens spoliés aux juifs ou de restituer des restes humains, eu égard à la dignité qui s'attache à la nature même de ce que nous restituons. Mon propos porte sur le principe de la loi-cadre, d'application très générale. Ce qui me pose également problème tient à ce que, en dépit des modifications que vous avez opérées sur le texte, le Parlement soit écarté de la décision de la restitution. Nous donnons en quelque sorte un blanc-seing à l'exécutif ainsi qu'à un comité scientifique pour exercer, non pas en notre nom, mais à notre place, ce qui était jusqu'alors notre prérogative. La sortie d'un bien du domaine public relève de la compétence de la loi et des parlementaires.
Permettez-moi de vous lire un passage d'un document que je tiens à votre disposition. Il s'agit d'un éditorial paru en 2019 dans le numéro 203 de La Revue de l'art, intitulé « De l'inaliénabilité à l'aliénation » : « L'inaliénabilité des collections publiques françaises dans leur ensemble, inaliénabilité sur laquelle il ne faudrait revenir que dans quelques cas exceptionnels et motivés, selon les voies permises actuellement par le code du patrimoine, apparaît en définitive comme un de ces principes intangibles dont une mise en cause plus générale [...] pourrait avoir des conséquences irréparables dans toutes nos institutions patrimoniales et aboutirait en définitive, à un appauvrissement non seulement matériel, mais aussi idéologique, de la Nation tout entière. »
Voilà résumée la position qui est la mienne. Et c'est la raison pour laquelle je vous proposerai des amendements visant à associer le Parlement à la procédure de restitution, autrement que par une simple information.
Je ne peux donc approuver le texte en l'état, en dépit de la qualité du travail qui l'a sous-tendu. Mon abstention a valeur d'alerte. Il n'est pas acceptable, après deux lois-cadres, que se dessine la perspective d'un texte encore plus général - il n'inclura pas les objets ultramarins, qui nécessitent un texte spécifique -, à l'objet moins circonscrit qu'il ne l'est dans les textes existants. Jamais un tel texte n'obtiendra mon approbation. Je mènerai une campagne active pour en empêcher l'adoption, car je considère qu'il remet en cause un principe fondamental en matière de protection du patrimoine.
M. Pierre Ouzoulias, sénateur. - Je m'exprimerai comme archéologue et, à mon tour, comme ancien conservateur du patrimoine.
Pendant longtemps, les conservateurs ont vécu dans le déni. Ils accumulaient des quantités très importantes de vestiges humains dans les collections qu'ils exposaient. À partir des années 1980-1990, ils ont considéré que ce n'était plus acceptable. Ces vestiges ont alors migré vers les réserves où ils se trouvent toujours. André Delpuech, qui dirigeait le Musée de l'Homme, estimait le nombre de ces ossements à plusieurs milliers. Les collections de ce musée comprennent des choses effroyables, par exemple des crânes d'Arméniennes victimes du génocide perpétré à partir de 1915, qu'un militaire français avait recueilli à Deir ez-Zor. Comment peut-on imaginer qu'un musée détienne encore de tels restes humains dans ses armoires fortes ? La prise de conscience des conservateurs doit beaucoup à l'initiative de Catherine Morin-Desailly.
Nous faisons désormais face à des demandes multiples de restitutions de la part d'États. L'ambassadrice d'Australie en France, que nous avons rencontrée, relaie par exemple la demande très forte de la communauté aborigène en faveur du rapatriement des restes d'aborigènes. Vous savez combien ce dossier est politiquement sensible actuellement.
On peut considérer qu'il est possible d'agir comme par le passé et solliciter le Parlement afin qu'il adopte des lois d'espèce. Mais alors, avec des milliers de restes humains dans nos collections muséales, nous en aurons pour plusieurs décennies, voire un siècle...
On peut agir plutôt en référence à une pensée humaniste et universelle, qui considère que la dignité de l'homme se prolonge au-delà de la mort et qu'elle concerne également les restes humains.
Il a fallu, avec cette proposition de loi, trouver une solution qui autorise une restitution transparente, aisée et rapide. Des communautés attendent déjà depuis trente ou quarante ans certaines restitutions. Nous ne pouvons les faire attendre de manière indéfinie. Que leur dirons-nous, si nous ne mettons en place des procédures plus rapides ?
Le latiniste que je suis encore occasionnellement se le rappelle, « funéraire » renvoie au funus, c'est-à-dire à un rituel romain qui célébrait autant le corps du défunt que sa mémoire. Dans le rituel romain, la mémoire occupait une place importante. Dans cet esprit, le mot « funéraire » contenu dans la loi a une portée extrêmement vaste.
M. Bastien Lachaud, député. - Je me retrouve embarrassé. D'un côté, je souscris pleinement aux propos du sénateur Pierre Ouzoulias, car, en effet, la dignité humaine s'étend au-delà de la mort ; nul ne songerait à le contester et nous ne pouvons que saluer la volonté d'avancer dans le sens d'une facilitation des restitutions de restes humains, comme nous l'avions fait avec les biens spoliés aux juifs au cours de la dernière guerre mondiale. D'un autre côté, je n'ai pas un mot à retrancher aux propos de ma collègue Annie Genevard, en dépit des divergences de nos positions politiques respectives. Cela montre que le sujet n'est peut-être pas aussi simple qu'il y paraît.
Évidemment, il faut restituer et le faire rapidement. Mais comment, nous parlementaires, pouvons-nous accepter de céder à l'exécutif une part supplémentaire de notre pouvoir ? Le régime de la Ve République ne nous laisse déjà pas beaucoup de latitude. Lorsque je suis intervenu dans la discussion générale sur ce texte à l'Assemblée nationale, nous en étions au dix-septième recours à l'article 49 ; alinéa 3 de la Constitution sur les questions budgétaires. À ce jour, nous avons atteint le vingtième. Nous savons ce qu'est de voir passer des budgets sans les voter, alors que ce vote constitue la base même de la fonction parlementaire...
Il s'agit donc de trouver une solution qui concilie la nécessaire restitution, son indispensable rapidité, avec la nécessité de conserver au Parlement ses prérogatives. Les amendements présentés par Mme Annie Genevard, qui reprennent une suggestion que j'avais faite au rapporteur en séance, allient les deux exigences. Il y est question d'un vote simple du Parlement, analogue à celui qui prévaut lorsque nous ratifions des traités internationaux. La procédure peut en être très rapide. Cette solution pourrait nous conduire à une belle unanimité sur un texte qui la mérite.
M. Max Brisson, sénateur. - Ce que nous avons proposé avec Catherine Morin-Desailly et Pierre Ouzoulias est incontestablement le fruit d'une longue maturation, un travail que nous avons repris à la suite des sénateurs qui nous avaient précédés. Le sujet doit être abordé avec la plus grande précaution.
Pour des raisons d'histoire et de dignité, les textes relatifs aux biens des juifs spoliés et aux restes humains font l'objet d'un large consensus, bien que l'on puisse encore discuter de leurs modalités d'application. Je comprends les propos d'Annie Genevard et en mesure la sincérité.
Le Gouvernement évoque un triptyque et souhaite un troisième texte. Celui-ci s'inscrirait dans le prolongement de nos travaux au Sénat, où nous avons fait voter, non sans ferrailler avec le Gouvernement qui lui était hostile, une proposition de loi, dont Catherine Morin-Desailly était la rapporteure, fixant un cadre juridique à la restitution des oeuvres d'art.
Je me suis forgé une conviction : mieux vaut une loi-cadre, à condition qu'elle fixe fermement des garde-fous et des lignes à ne pas franchir, que des lois d'espèce telles que celles que nous avons connues au cours du quinquennat précédent, qui ne faisaient que régulariser des restitutions déjà négociées, en particulier avec des États africains, et non nécessairement dans un esprit d'histoire partagée, mais selon une pratique du fait du prince.
Partager une histoire suppose d'identifier le parcours des objets, d'en rappeler le contexte de l'acquisition, une coopération, une volonté de circulation des oeuvres d'art et de dialogue des cultures, ce que le président Chirac portait très haut et qui a motivé la création du musée du quai Branly. Il s'agit de fixer une méthode, car c'est son absence qui génère les polémiques.
Le Président de la République a pu sembler, à un certain moment, donner crédit à des positions qui ne sont pas partagées sur les travées du Sénat, bien au-delà de mon groupe politique. Nous ne saurions souscrire à une vision en quelque sorte déconstruite de l'histoire de notre pays et de son rapport avec les autres pays. Laissons cette approche à d'autres. Ici, nous avons fait le choix d'une coopération résolue.
Annie Genevard a mis en évidence la question du rôle et de la place du Parlement. Cette question est d'autant plus aiguë que le principe d'inaliénabilité confié au Parlement remonte aux grandes lois de la Révolution française, qui ont fondé et porté notre République jusqu'à nos jours. Le principe d'inaliénabilité renvoie aussi à l'universalisme de nos musées. Nous ne pouvons le passer par pertes et profits. Il revient au Parlement seul de décider de faire sortir des collections publiques des biens qui s'y trouvent. Je prends donc l'intervention et les amendements d'Annie Genevard, ainsi qu'elle le suggérait, comme une alerte.
Je suis personnellement engagé dans le texte que nous examinons et j'approuve les travaux de nos rapporteurs. Il est évident que, dans un troisième texte, la place du Parlement sera pour nous essentielle, à côté de celle du comité scientifique que nous avions, au Sénat, souhaitée. Il faudra éviter que, dans la procédure de restitution, le dialogue ne se réduise aux scientifiques et à l'exécutif. Telle sera la condition pour que le consensus perdure.
Mme Caroline Parmentier, députée. - Le fait du prince me semble la juste expression pour définir ce qui a présidé à la restitution de restes humains jusqu'à ce jour. Je salue les avancées de cette proposition de loi utile et juste, qui constitue une forme de réparation et tire les leçons d'une réflexion éthique sur le statut des corps humains post mortem.
J'attire votre attention sur deux points. Le premier concerne les demandes de restitution qui doivent émaner d'un État, ce qui exclut les demandes, pourtant fondées, des territoires ultramarins ; j'avais proposé, en séance publique, une extension du texte allant dans ce sens.
Le second point concerne l'emploi du terme « mémorielles », qui me semble peu clair et risque de conduire à la restitution de restes humains ne relevant pas exclusivement de fins funéraires ; j'avais proposé en séance un amendement afin de supprimer ce mot, et vous le proposez également à l'occasion de cette CMP.
M. Adel Ziane, sénateur. - Ces questions dont nous parlons, qui à la fin du XXe siècle ne se posaient pas, ont suscité une prise de conscience des musées au cours de ces dernières années. Les conservateurs, qui ne sont pas étanches aux débats de société, sont aujourd'hui plus sensibles et plus ouverts à ces problématiques liées au caractère inaliénable des oeuvres.
Dans le cadre de nos coopérations internationales, nous observons une réappropriation des enjeux patrimoniaux par nos partenaires. M. Ouzoulias a évoqué le cas de restes humains acquis ou collectés sur des champs de bataille ; les professionnels des musées expriment aujourd'hui le besoin d'un cadre. Ces derniers attendent de l'État que celui-ci leur indique un chemin et précise une méthode permettant de répondre à ces demandes susceptibles d'émerger du jour au lendemain.
Au sujet des collections nationales, je défends l'idée du caractère inaliénable des oeuvres. Mais encore faut-il s'interroger sur la manière dont ces oeuvres sont rentrées dans les collections nationales à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, et dont elles sont devenues aujourd'hui des biens publics, appartenant aux citoyens. Les musées réfléchissent à la trajectoire de ces acquisitions et s'interrogent sur la manière de répondre aux demandes. Le caractère universel des propositions et les éléments d'information précisés dans le texte sécurisent notre pays par rapport à ces demandes internationales. La France s'honorerait à apporter une réponse globale.
Nous avons adopté la loi concernant les biens culturels spoliés aux familles juives entre 1933 et 1945. Aujourd'hui, M. David Zivie est responsable d'une mission qui dispose de moyens importants pour mener des travaux de recherche sur la généalogie, les ayants droit et la provenance. De même, il sera primordial que des moyens soient mis à la disposition des personnes qui travailleront sur ces questions.
M. Bertrand Sorre, député. - Ce texte est le fruit d'un long travail. La précision des réponses apportées par les deux rapporteurs, lors des commissions et des séances publiques, a permis de lever de nombreux doutes.
Le terme « funéraires » recouvre bien celui de « mémorielles », et la rédaction conjointe des rapporteurs doit pouvoir convenir à une majorité d'entre nous.
Sur un tel sujet, nous ne pouvons pas nous contenter de lois d'espèce, très longues à faire adopter et sources permanentes d'insatisfaction tant pour les conservateurs que pour les pays demandeurs. Cette loi-cadre contribue à ce que notre pays rattrape son immense retard. Elle pose un cadre juridique clair, permettant de répondre plus rapidement et plus précisément aux demandes de restitutions légitimes de ces pays étrangers. Elle permettra également de renforcer les coopérations, notamment scientifiques, avec les pays concernés. Enfin, nous serons très attentifs à ce que le sujet ultramarin trouve des réponses satisfaisantes.
Mme Béatrice Gosselin, sénatrice. - Il a fallu attendre plus de quatre-vingts ans avant de nous intéresser aux biens culturels spoliés aux familles juives. Dans le cas présent, très différent, il fallait une autre loi-cadre. Il est temps de rendre à ces peuples les biens appartenant à leur histoire. Le travail scientifique étant réalisé, il nous revient désormais d'agir pour que ces dispositions soient effectives le plus tôt possible.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure pour le Sénat. - Pour répondre à M. Lachaud, je n'ai absolument pas l'impression, en proposant ce texte avec mes collègues, de me départir d'un pouvoir de décision. Nous résolvons un conflit entre deux lois : la loi sur l'inaliénabilité des collections, à laquelle nous sommes très attachés, et celle sur la bioéthique, précisant que le corps ne peut faire l'objet d'un droit patrimonial.
Ce conflit entre les deux lois a provoqué un imbroglio, qui a duré plus de trois ans, autour de la question des têtes maories. Je vous invite, mes chers collègues, à regarder les débats qui ont présidé à la décision du tribunal administratif de Douai, après que la ville de Rouen a souhaité rendre sa tête maorie à la Nouvelle-Zélande ; les juges ont indiqué qu'il leur était impossible de statuer en raison d'un vide juridique. À l'époque, on parlait de restes humains dits « sensibles », et non de tous les restes humains ; d'où notre proposition de précision concernant l'intitulé du texte de loi : il s'agit de restes humains collectés dans des conditions indignes, inhumaines, lorsque des actes de barbarie ont été commis afin de constituer des pièces de musée et de les transformer en objets patrimoniaux.
Le champ de la proposition de loi est donc circonscrit. Nous apportons une solution à ce conflit entre les deux textes de loi, en précisant la nature de ces restes humains. Si nous en revenions à des lois successives, le questionnement serait sans fin. Depuis dix ans, je note également une prise de conscience des musées, à l'image de ce qui se passe également dans le monde, à l'Unesco notamment. Les musées se sont débarrassés d'une forme d'omerta concernant ces restes humains, dont ils avaient un peu honte - ces restes n'étaient d'ailleurs pas toujours bien conservés.
EXAMEN DES DISPOSITIONS RESTANT EN DISCUSSION
Intitulé de la proposition de loi
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure pour le Sénat. - La proposition commune de rédaction no 1 apporte une clarification rédactionnelle à l'intitulé de la proposition de loi. En mentionnant « la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques », l'intitulé initial pourrait donner, à tort, le sentiment que le texte vise à restituer l'ensemble des restes humains conservés dans nos collections. Or tel n'est pas l'objet du texte, qui rend certes possibles de telles restitutions, mais définit les conditions dans lesquelles elles peuvent être prononcées ; d'où le remplacement du terme « des » par le terme « de ». Les reliques et les ossements archéologiques d'avant l'an 1500, date qui borne l'exercice, ne sont pas concernés.
Pour la communauté scientifique, cette faculté de restitution ne doit pas être interprétée comme un moyen systématique de jeter l'opprobre sur l'existence même de ces collections de restes humains. Elles sont certes sensibles, mais ont toute leur place dans les musées, dans la mesure où elles permettent de nourrir la connaissance et la réflexion des visiteurs qui y sont confrontés. L'enjeu reste celui de la gestion éthique de ces collections, et non leur remise en cause.
La proposition commune de rédaction n° 1 des rapporteurs est adoptée.
Avant l'article 1er
Mme Annie Genevard, députée. - Ma proposition de rédaction no 8 vise à créer une délégation parlementaire pour la détermination des conditions de sortie des restes humains appartenant au domaine public. Cette délégation parlementaire serait saisie chaque fois qu'il serait question d'une sortie des biens du domaine public.
Il existe, par exemple, entre autres, une délégation consacrée à l'évaluation des choix scientifiques et technologiques, une délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, une délégation parlementaire au renseignement et une délégation aux outre-mer. Le principe de la délégation n'est donc pas nouveau ; je lui accorde un champ supplémentaire, celui de la restitution - en l'espèce : des restes humains.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure pour le Sénat. - La valeur ajoutée de cette délégation parlementaire ne me semble pas évidente. Souvent, nos commissions déplorent que les délégations usent de leur propre pouvoir de contrôle et d'évaluation. Ce rôle peut être assumé par les commissions des deux assemblées amenées à se réunir régulièrement. Par ailleurs, la création d'une délégation supplémentaire est limitée par les règlements intérieurs de nos deux assemblées ; cela mobiliserait des ressources et des moyens dont nous disposons déjà au sein de nos commissions. Mon avis est défavorable.
M. Pierre Ouzoulias, sénateur. - Madame Genevard, vous proposez de créer une délégation interparlementaire avec pour objectif de lui donner « le pouvoir de s'assurer que les décisions de restitution sont prises de manière éthique et équilibrée ». Vous considérez donc que la décision relève de l'exécutif. Votre rédaction ne précise pas non plus si le Parlement doit donner un avis conforme ou pas. Dans la négative, l'exécutif pourrait continuer le processus de restitution, ce qui n'est pas cohérent avec votre position sur la reprise en main du Parlement.
Mme Annie Genevard, députée. - Ma proposition de rédaction no 9 précise, dans l'article 1er, le rôle de cette délégation. Ainsi est-il envisagé qu'elle émette un avis favorable sur la restitution des restes humains.
La proposition de rédaction n° 8 de Mme Annie Genevard n'est pas adoptée.
Article 1er
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure pour le Sénat. - Dans mon propos liminaire, j'ai présenté l'enjeu de la proposition commune de rédaction no 2, identique à la proposition de rédaction no 12 de Mme Annie Genevard. Le Sénat n'est pas favorable à l'élargissement de la faculté de restitution à des fins mémorielles pour plusieurs raisons.
Il s'avère d'abord que la France n'a jamais reçu de demande de restitution de restes humains pour d'autres motifs que des fins funéraires. Ensuite, ce terme paraît redondant avec le terme de funéraire. Le dictionnaire de l'Académie française, dans son édition actuelle, définit l'adjectif funéraire comme ce qui est lié au souvenir d'une personne. De même, Le Robert le définit comme tout élément qui concerne le culte des morts et l'hommage rendu aux morts. On ne peut pas considérer que les fins funéraires réduisent les restitutions au seul but d'inhumation ou d'incinération ; ces deux mots ne sont d'ailleurs pas prononcés dans les définitions.
J'en veux pour preuve le fait que les têtes maories, lorsqu'elles ont été restituées, ont été déposées au musée Te Papa, dans une salle spéciale, qui n'est pas accessible au public et qui constitue un mémorial, en attendant qu'elles soient identifiées pour être rendues à leur communauté d'origine ; ces communautés les traiteront ensuite à leur manière, selon les cultes dus aux morts dans leur tradition. Les fins funéraires ouvrent déjà la voie à d'autres possibilités que la seule inhumation ou incinération.
Lors des débats à l'Assemblée nationale, certains ont pu s'inquiéter que ces restitutions empêchent l'évocation de l'histoire, notamment dans nos musées. Je tenais à vous rassurer : la restitution des têtes maories a, au contraire, suscité davantage d'expositions et de dialogues partagés.
Enfin, le terme « mémorielles » ne nous paraît pas assez précis. Comme l'a souligné mon collègue rapporteur de l'Assemblée nationale dans son intervention en séance publique, il recouvre une infinité de possibilités d'usage. N'oublions pas que le texte met en place une dérogation au principe d'inaliénabilité des collections. Il est important que la motivation soit suffisamment forte pour justifier cette dérogation, mais aussi qu'elle soit suffisamment précise pour que le législateur ne soit pas taxé d'incompétence négative en se dessaisissant à l'avenir de sa compétence pour lever le principe d'inaliénabilité.
La proposition commune de rédaction n° 2 des rapporteurs est adoptée.
Mme Annie Genevard, députée. - Ma proposition de rédaction no 11 prévoit d'ajouter, après le mot « demandeur », les termes suivants : « associant les parlements respectifs ».
La proposition de rédaction n° 11 de Mme Annie Genevard n'est pas adoptée.
M. Christophe Marion, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - La proposition commune de rédaction de rédaction no 3 prévoit d'insérer la phrase suivante : « Le Gouvernement informe les commissions permanentes chargées de la culture de l'Assemblée nationale et du Sénat de la création d'un tel comité et de sa composition. »
Afin de répondre aux inquiétudes d'un certain nombre de parlementaires s'interrogeant sur le rôle du Parlement dans le cadre de ces restitutions, il nous a paru important d'ajouter dans la loi que les parlementaires seraient informés de la constitution des comités scientifiques. De la sorte, ils pourront, s'ils le souhaitent, conduire des auditions de leurs membres au sein des commissions chargées de la culture de l'Assemblée nationale et du Sénat, de manière à réaliser un travail de contrôle.
M. Bastien Lachaud, député. - Je crains que l'on ne confonde l'information au Parlement et le contrôle parlementaire. Plus le Parlement est informé, mieux la démocratie se porte. Mais, une fois celui-ci informé, où se situe la dimension de contrôle ? Si le Parlement n'est pas satisfait, que peut-il faire ?
M. Christophe Marion, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Les auditions peuvent être l'occasion d'interpeller le Gouvernement, de même qu'une question d'actualité au Gouvernement dans l'hémicycle, à l'Assemblée nationale ou au Sénat. Il est également possible de s'adresser à l'opinion publique. Il existe de multiples manières de s'exprimer, sans que cela passe nécessairement par un vote.
M. Max Brisson, sénateur. - Je me réjouis de cet ajout proposé. En informant les deux commissions du Parlement, on assure la publicité de la procédure du début à la fin. À l'occasion des lois d'espèce, nous avons eu le sentiment qu'avant l'arrivée des textes en commission, puis en séance publique, un dialogue exclusif avait eu lieu entre le pouvoir exécutif et l'État demandeur. Cette information permet de renouer avec la capacité d'agir du Parlement, et favorise la publicité.
M. Pierre Ouzoulias, sénateur. - La mission de contrôle du Parlement est constitutionnelle ; elle n'a pas besoin de la loi pour être affirmée. Lorsque la commission de la culture du Sénat s'est saisie de la question des crânes algériens, il est apparu que, parmi ces crânes restitués, certains appartenaient non pas à des résistants algériens, mais à des soldats de l'armée coloniale ; le travail de vérification de la commission de la culture du Sénat a permis de le démontrer. Nous pouvons réaliser notre mission de contrôle quand nous le voulons, nul besoin d'une loi.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure pour le Sénat. - Nous avons souhaité que le Parlement soit informé du début jusqu'à la fin de la procédure, afin qu'il puisse exercer son rôle constitutionnel de contrôle. À chaque demande émise, les commissions de la culture du Parlement doivent être informées. Ensuite, le comité scientifique nous remettra son rapport, et un bilan sera également dressé a posteriori. Cette procédure est préférable à celle qui prévaut : par le biais d'une procédure de dépôt, les crânes algériens ont été restitués à l'Algérie avant que nous ne puissions assumer notre mission de contrôle, et avant même que le comité scientifique n'ait eu le temps de terminer son travail. Notre proposition de loi permettra d'éviter ces détournements de procédure et les erreurs de restitution qui en découlent.
Mme Annie Genevard, députée. - Actuellement, pour sortir un bien d'une collection publique, il faut en passer par une loi. Avec cette loi-cadre, le Parlement s'en remet à l'avis d'un comité scientifique, nommé sur proposition de l'exécutif. La création de ce comité scientifique est certes une bonne chose, mais nous passons d'un système où le Parlement est décisionnaire à un système où il est seulement informé. Le poids cumulé du comité scientifique et du pouvoir exécutif sera déterminant. À aucun moment, le Parlement ne valide une décision, alors que, jusqu'à présent, cela relevait de ses prérogatives.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure pour le Sénat. - Jusqu'à présent, nous donnions un blanc-seing à des situations décidées au préalable, via des procédures détournées. N'oublions pas que le Conseil d'État exercera désormais lui aussi un rôle de contrôle. Par ailleurs, nous avons toujours la possibilité de lancer des missions de contrôle.
Mme Annie Genevard, députée. - Vous évoquez beaucoup le traumatisme des expériences passées, ainsi que la nature des biens restitués par cette loi-cadre. Personne ne trouve à redire à la dignité attachée au corps humain qui commande de restituer ces restes pour leur donner une sépulture, avec les rites qui s'y attachent ; et je suis, comme vous madame la rapporteure, tout à fait hostile à ces restitutions déguisées sous la forme de prêts prolongés. Le seul sujet concerne la préservation du pouvoir parlementaire.
M. Max Brisson, sénateur. - Le débat porté par Mme Genevard est noble, et nous n'y échapperons pas lors de l'examen du troisième texte. Un accord devra être trouvé, en tenant compte des positions des uns et des autres.
J'ai très mal vécu une nuit dans l'hémicycle, en présence de la ministre de la culture, alors que nous débattions de la restitution du trésor du roi Béhanzin. Au même moment, un avion décollait de l'aéroport du Bourget afin de restituer le dais de la reine de Madagascar. On peut se demander si l'avion n'a pas survolé le jardin du Luxembourg en forme d'humiliation absolue...
M. Bastien Lachaud, député. - Pour vous prémunir de semblable humiliation, vous acceptez de renoncer à votre pouvoir plutôt que de réfléchir à une manière de l'organiser. Aujourd'hui, un vote du Parlement est nécessaire, alors que demain ce dernier sera seulement informé. Vous ne pouvez pas nier, madame la rapporteure, que cette proposition de loi entérine le renoncement à un pouvoir. Et le contrôle que nous exercerons n'y changera rien ; si l'exécutif a décidé de restituer, il le fera. En votant cette loi-cadre, nous remettons en question un principe d'inaliénabilité.
M. Christophe Marion, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Nos débats concernant le rôle du Parlement seraient, à mon avis, très mal perçus par les communautés étrangères qui attendent aujourd'hui la restitution des restes de leurs ancêtres, notamment ceux qui ont été exposés dans les zoos humains au XXe siècle. Il est beaucoup question de dignité dans ce texte ; sans doute devrions-nous en avoir davantage, afin d'éviter certains débats.
M. Max Brisson, sénateur. - Si nous n'examinions que ce texte sur les restes humains, le débat n'aurait pas lieu. Le Gouvernement a fixé un calendrier et, si mes informations sont bonnes, il compte même l'accélérer. Cela explique notre débat du jour, qui anticipe le troisième texte dont nous devrions être saisis.
Mme Annie Genevard, députée. - Monsieur le rapporteur, je ne peux pas admettre, au regard de la nature des biens dont il est question, qu'il soit indigne de débattre de l'inaliénabilité des collections publiques. Si nos deux heures de discussion sont indignes, alors j'ignore à quoi nous servons. La question du rôle du Parlement est parfaitement légitime. Monsieur le rapporteur, j'ose espérer que vos propos ont dépassé votre pensée, car j'attache la même importance que vous à la dignité du corps humain et à la nécessité d'en restituer les restes.
M. Laurent Lafon, sénateur, président. - Nous travaillons actuellement sur le texte concernant la restitution des restes humains, même si nous pouvons avoir un autre texte à l'esprit. Le cadre de la CMP ne doit pas vous inciter à refaire le débat.
La proposition commune de rédaction n° 3 des rapporteurs est adoptée.
M. Christophe Marion, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - La proposition commune de rédaction no 4 prévoit d'ajouter les commissions permanentes chargées de la culture de l'Assemblée nationale et du Sénat comme destinataires du rapport détaillant les travaux conduits et fixant la liste des restes humains établie par le comité scientifique, de manière que les parlementaires aient accès au même niveau d'information que le pouvoir exécutif et l'État demandeur.
La proposition commune de rédaction n° 4 des rapporteurs est adoptée.
M. Laurent Lafon, sénateur, président. - La proposition de rédaction n° 9 de Mme Annie Genevard est devenue sans objet du fait du rejet de la proposition de rédaction n° 8.
Mme Annie Genevard, députée. - Nous sommes amenés à voter pour ratifier des traités ; ceux-ci ne sont ni débattus ni amendés, mais ils doivent être ratifiés par le Parlement. Avec cette proposition de rédaction, la sortie du domaine public ne pourrait être prononcée qu'après le vote du Parlement. Tel est l'objet de la proposition de rédaction n° 10.
La proposition de rédaction n° 10 de Mme Annie Genevard n'est pas adoptée.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure pour le Sénat. - La proposition commune de rédaction no 5 permet au Parlement de comprendre les raisons qui auraient pu conduire le Gouvernement à s'écarter des conclusions du rapport du comité scientifique au moment de la restitution. L'objectif est de valoriser le rôle du comité scientifique et de donner au législateur les moyens de contrôler la motivation de la décision de restitution.
M. Bastien Lachaud, député. - Madame la rapporteure, vous assumez donc que l'exécutif puisse prendre une décision de restitution, et donc de sortie du domaine public, en dehors du cadre déterminé par le comité scientifique. Les humiliations que vous avez décrites continueront d'exister, nous serons éclairés seulement a posteriori. Cette rédaction est beaucoup plus inquiétante encore !
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure pour le Sénat. - Vous oubliez toujours le rôle du Conseil d'État. Sur ces questions de procédure, je vous invite à relire le texte.
La proposition commune de rédaction n° 5 des rapporteurs est adoptée.
M. Christophe Marion, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - La proposition commune de rédaction no 6 prévoit de rédiger ainsi la fin de l'alinéa 24 : « Lorsque l'instruction de ces demandes a donné lieu à la création d'un comité scientifique en application de l'article L. 115-7 du même code, le rapport de ce comité est joint. » En cas de refus de restitution, cet ajout permettra que soit joint au rapport annuel au Parlement le rapport du comité scientifique. Cela garantira que les élus puissent déterminer si le refus tient à des causes scientifiques, comme, par exemple, l'impossibilité d'une identification, ou à d'autres motifs, et d'interroger le Gouvernement sur ce sujet.
Mme Annie Genevard, députée. - Je m'interroge sur la formulation ; il n'est pas question ici de la création du comité scientifique, mais du rapport émis par ce dernier.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure pour le Sénat. - Je vous renvoie à l'article L. 115-7 : « Lors d'une demande de restitution de restes humains dont l'identification est incertaine, un comité scientifique est créé de façon concertée avec l'État demandeur. »
Mme Annie Genevard, députée. - Ce n'est pas le sujet. Il est indiqué que l'instruction de ces demandes ayant donné lieu à la création d'un comité scientifique, le rapport de ce dernier est joint ; en fait, le comité scientifique est d'abord créé, puis saisi.
M. Christophe Marion, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Ce n'est pas toujours le cas. Si aucun problème n'apparaît concernant l'identification des restes humains, aucun comité scientifique ne sera constitué. Pour rappel, la création de ce comité n'est pas obligatoire et dépend des doutes qui peuvent subsister sur la nature des restes humains demandés.
Mme Annie Genevard, députée. - À chaque loi correspond donc la création d'un comité scientifique ad hoc ?
M. Christophe Marion, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Pour chaque restitution, en cas de besoin, un comité scientifique spécifique est créé.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure pour le Sénat. - Selon la spécificité des restes humains en question, on fera appel à certains experts plutôt que d'autres.
M. Laurent Lafon, sénateur, président. - La précision est utile à la compréhension du texte.
La proposition commune de rédaction n° 6 des rapporteurs est adoptée.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure pour le Sénat. - Toujours dans le souci de donner au Parlement la possibilité d'assurer un meilleur suivi des procédures de restitution, la proposition commune de rédaction no 7 prévoit une information automatique du Parlement par le Gouvernement, dès que des demandes de restitution portant sur des restes humains lui parviennent.
La proposition commune de rédaction n° 7 des rapporteurs est adoptée.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 2
L'article 2 est adopté dans la rédaction de l'Assemblée nationale.
La commission mixte paritaire a adopté, ainsi rédigées, l'ensemble des dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques.
M. Max Brisson, sénateur. - Nos débats n'ont pas été inutiles, et je souhaite que l'on parvienne à un accord. Il n'est pas simple de rompre avec cet absolu, certes malmené, qui donnait depuis 1793 à la représentation nationale le pouvoir exclusif de mettre fin à l'inaliénabilité d'un bien dans des collections publiques. Je mesure que nous avons encore du chemin à parcourir ; en effet, le fait d'informer le Parlement ne suffit pas à rencontrer le consensus nécessaire sur ces sujets.
Dans les autres pays d'Europe, ces débats avancent. Nous avons tout intérêt à les mener ici, en étant forts de notre histoire et de ce qui constitue la spécificité française concernant l'universalisme de nos musées et la question de l'inaliénabilité. Il s'agit de construire un cadre assurant la possibilité au Parlement de donner son avis tout au long de la procédure ; en cela, cette CMP, fort utile, nous a permis de préparer la suite.
Mme Annie Genevard, députée. - Notre débat a le mérite de soulever un certain nombre de questions. Prochainement, nous allons nous retrouver pour évoquer d'autres lois portant sur des restitutions d'oeuvres d'art ; la ministre a indiqué vouloir avancer à marche rapide. Nous saurons tirer profit des échanges qui ont animé notre débat aujourd'hui, afin d'enrichir notre réflexion dans le sens que j'appelle de mes voeux, à savoir le respect du Parlement.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure pour le Sénat. - Avec mon collègue rapporteur de l'Assemblée nationale, nous avons essayé de construire un consensus. Cela nécessite du temps et de la réflexion. Dans la perspective d'un troisième texte, nous devrons mener beaucoup de travaux et d'auditions.
Je me réjouis que la France puisse avancer sur ces questions. Comme je l'avais évoqué en 2009 dans cadre de la loi sur la restitution des têtes maories, il convient de s'emparer lucidement de ces sujets qui interrogent notre histoire, non pas dans un sens de repentance, mais de vérité historique. Mieux vaut légiférer et bien cadrer les choses, plutôt que de procéder à des lois de contournement.
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En conséquence, la commission mixte paritaire vous demande d'adopter la proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.