B. UN RENOUVEAU DES MISSIONS ASSUMÉES PAR LES JURIDICTIONS FINANCIÈRES MAIS QUI N'ONT PAS ENCORE DÉPLOYÉ TOUS LEURS EFFETS

1. Des nouvelles méthodes de travail plus transparentes et enrichies par la participation citoyenne

Depuis janvier 2023, la Cour des comptes publie l'ensemble de ses productions sur son site internet conformément à sa démarche 100 % publication.

Entre janvier et juillet 2023, 91 publications de la Cour des comptes ont été rendues publiques, contre 71 sur la même période en 2022.

Si le rapporteur spécial salue cette démarche de transparence et d'ouverture aux citoyens, il s'inquiète toutefois des effets que cette publicité complète pourrait avoir sur le contenu même des rapports.

S'agissant de la mission de contrôle, la Cour a lancé en 2022 une plateforme citoyenne pour recueillir les propositions de contrôles de citoyens. Les trois premiers rapports d'initiative citoyenne ont été publiés sur le site internet de la Cour des Comptes (la politique d'égalité entre les femmes et les hommes menée par l'État ; les soutiens publics aux fédérations de chasseurs ; le recours par l'État aux prestations intellectuelles de cabinets de conseils). Une nouvelle campagne a été ouverte en 2023, dont il sera possible d'évaluer les résultats en termes de nombre de rapports en 2024.

Par ailleurs, la Cour des comptes a également lancé fin 2022 une plateforme de signalement, qui permet aux citoyens de signaler, en ligne, des irrégularités ou dysfonctionnements constatés dans le bon emploi de l'argent public. Au 31 août 2023, 1 120 signalements ont été déposés sur la plateforme, soit une moyenne de pratiquement 100 signalements déposés chaque mois, quand la Cour en traitait environ 100 par an auparavant.

Le développement, le paramétrage, l'hébergement, l'homologation et la maintenance de cette plateforme ont fait l'objet de prestations auprès de prestataires externes pour un total de 38 000 euros en 2022 et 25 000 euros en 2023.

Un premier bilan des suites données, en termes de contrôles engagés et de suites contentieuses, sera effectué au début de l'année 2024 afin de bénéficier d'un recul suffisant sur le traitement de ces signalements.

2. Une mission d'évaluation des politiques publiques confiées aux cours régionales des comptes encore en devenir

À l'échelle de toutes les juridictions financières, le projet stratégique de réforme des juridictions financières, dit « JF 2025 », prévoit que 20 % des moyens humains des juridictions financières soient dédiés à l'évaluation des politiques publiques à horizon 2025. En 2023, 8 % des ressources y ont été consacrés. Pour 2024, la proportion devrait doubler, pour s'établir à 20 % en 2025.

Ainsi, la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale a reconnu aux chambres régionales des comptes (CRC)20(*) une nouvelle mission d'évaluation des politiques publiques territoriales. Ainsi, l'article L. 211-15 du code des juridictions financières dispose désormais que la « chambre régionale des comptes contribue, dans son ressort, à l'évaluation des politiques publiques ». Jusqu'à présent, les CRC ne pouvaient prendre part à de telles évaluations que dans le cadre d'enquêtes menées conjointement avec la Cour.

Ainsi, les exécutifs locaux peuvent saisir, de leur propre initiative ou de celle de l'organe délibérant, la CRC régionalement compétente aux fins de réaliser l'évaluation d'une politique publique relevant de la compétence des collectivités territoriales ou établissements publics auteurs de la saisine21(*).

Un décret du 8 décembre 202222(*) précise les modalités de cette saisine et instaure également une faculté d'autosaisine pour les CRC.

De plus, les exécutifs locaux peuvent saisir la CRC pour avis « sur les conséquences de tout projet d'investissement exceptionnel dont la maîtrise d'ouvrage est directement assurée par la collectivité territoriale ou l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre »23(*).

Pour l'heure, les CRC ne se sont pas pleinement saisies de cette nouvelle compétence.

Au 31 août 2023, seule la chambre régionale d'Auvergne-Rhône-Alpes a été saisie par le président de région pour évaluer les investissements de la SNCF en trains de desserte régionale et leur impact sur la qualité de service et la satisfaction des usagers. Les CRC se sont par ailleurs autosaisies d'une demi-douzaine de projets d'évaluation, dont certains ont déjà commencé à être mis en oeuvre.

L'emballement du nombre de saisines n'a pas eu lieu, mais ne peut pas être totalement exclu lorsque les collectivités se seront acculturées à l'évaluation. À moyens et effectifs constants, cette nouvelle compétence pourrait empiéter sur les autres missions des CRC. Auditionnée par le rapporteur spécial dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023, la Cour des comptes avait estimé que cette montée en compétences des juridictions financières en matière d'évaluation de politiques publiques nécessiterait des créations d'emploi pour les trois prochains exercices.

3. Un bilan pour l'heure prématuré de la centralisation des missions juridictionnelles au profit de la Cour des comptes

L'ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 a créé un régime de responsabilité unifiée des gestionnaires publics, qu'ils exercent des fonctions d'ordonnateur ou de comptable, à partir du 1er janvier 2023.

En conséquence, le schéma contentieux de la responsabilité des gestionnaires publics a été unifié au profit de la 7ème chambre de la Cour des comptes. Cette chambre juridictionnelle a été créée par le décret n° 2021-604 du 18 mai 2021 modifiant la partie réglementaire du code des juridictions administratives, à partir du 1er septembre 2021. À partir du 1er janvier 2023, une chambre du contentieux a succédé à la 7ème chambre, et exerce dès lors l'ensemble des compétences juridictionnelles dévolues à la Cour des comptes. Dans le même temps, la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) a été supprimée et les CRTC ont perdu leurs compétences juridictionnelles.

a) Une parité opportune de la chambre contentieuse entérinée au niveau réglementaire qui doit s'accompagner d'une clarification statutaire

La chambre du contentieux est composée 8 magistrats de la Cour des comptes et 8 magistrats de CRC à temps plein, 2 magistrats de la Cour des comptes et 2 magistrats de CRC à mi-temps, 4 magistrats de la Cour des comptes et 6 magistrats de CRC à temps partiel (pour 20 % de leur temps au maximum), soit près de 21 ETP de magistrats, ainsi que 6 vérificateurs, 6 agents de greffe et un assistant, tous à temps plein.

La création de cette chambre contentieuse a été effectuée sous plafond et par redéploiements internes, sans moyens nouveaux. Une réévaluation sera effectuée à l'aune de la montée en charge éventuelle issue du nouveau régime de responsabilité financière des gestionnaires publics.

Cette composition paritaire, prévue par décret24(*), entendait répondre aux inquiétudes des magistrats de CRC quant à la centralisation de ce contentieux.

La chambre du contentieux comporte trois sections : deux présidées par des conseillers maîtres et une par une présidente de section de CRC25(*). Elles sont composées d'un nombre équivalent de magistrats de la Cour des comptes et de magistrats de CRC. Elles ne sont pas spécialisées. Lorsqu'une affaire est instruite par un et, pour les plus complexes, deux magistrats d'une section, le jugement de cette même affaire ne peut être attribué qu'à l'une des deux autres sections. Par exception aux règles qui prévalent dans les autres chambres de la Cour, les fonctions délibératives ne sont pas réservées aux seuls conseillers maîtres : tout magistrat affecté à la chambre peut exercer les fonctions d'instructeur, de juge, de réviseur voire de président de section.

Si cette parité est saluée par le rapporteur spécial, force est de constater que la situation statutaire des magistrats de CRC au sein de cette chambre contentieuse n'est pas abordée par l'ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022. Les magistrats de CRC sont simplement affectés à cette chambre contentieuse. Ceux qui ne sont pas affectés à temps plein à la chambre du contentieux, mais qui continuent d'exercer la moitié ou plus de leur activité dans une CRC, tout en demeurant administrativement rattachés à cette CRC. Le président de celle-ci est leur évaluateur et formule les propositions relatives à leur avancement et à leur régime indemnitaire. Pour les magistrats de CRC affectés à temps plein à la chambre du contentieux, ces attributions sont exercées par le président de cette chambre.

La Cour des comptes a toutefois rappelé au rapporteur spécial que dans le cadre de leur affectation à la chambre du contentieux, les magistrats des CRC conservent leur grade ainsi que les garanties statutaires d'indépendance et d'inamovibilité qui s'attachent à leur corps d'origine.

Cette insécurité statutaire n'est cependant pas satisfaisante, et conduit par exemple à ce que les magistrats de CRC affectés à la chambre contentieuse ne soient pas représentés au Conseil supérieur de la Cour des comptes, qui est pourtant seul compétent sur les questions relatives à l'organisation, au fonctionnement et à la compétence de cette chambre.

Le rapporteur spécial appelle donc de ses voeux à une clarification statutaire des magistrats de CRC affectés à temps plein au sein de cette chambre contentieuse.

b) Un ordre juridictionnel complet avec l'installation de la Cour d'appel financière à partir de juillet 2023

La Cour d'appel financière complète la mise en oeuvre du nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics. Elle a été installée le 17 juillet dernier.

Elle est présidée par le Premier président de la Cour des comptes et est composée de quatre conseillers d'État, quatre conseillers maîtres à la Cour des comptes et deux personnalités qualifiées justifiant d'une expérience supérieure à dix ans dans le domaine de la gestion publique.

Un projet de décret et un projet d'arrêté fixant les dispositions relatives aux indemnités versées aux membres et aux personnes qui prêtent leur concours à la Cour d'appel financière sont, à la date du présent rapport, en cours d'examen. Il s'agit d'adapter les indemnités aux nouvelles caractéristiques de la Cour d'appel financière. En particulier, les membres de la Cour d'appel financière seront chargés d'assurer eux-mêmes l'instruction des affaires portées devant celle-ci, ce qui n'était pas le cas devant la Cour de discipline budgétaire et financière où l'instruction était confiée à des rapporteurs extérieurs.

c) Un contentieux encore très récent

Au cours du premier semestre 2023, 45 instructions ont été ouvertes par la chambre du contentieux, 75 ordonnances de mise en cause ont été notifiées, 23 auditions de personnes mises en cause se sont tenues et 8 arrêts ont été prononcés. Ces premiers arrêts viennent seulement d'être prononcés par la Cour des comptes. Ni la Cour d'appel financière ni le Conseil d'État en cassation n'ont donc eu à se prononcer sur les éléments structurants du nouveau régime de responsabilité unifié des gestionnaires publics.

Par conséquent, le rapporteur spécial considère qu'il est encore trop tôt pour se prononcer sur des évolutions éventuelles de la procédure contentieuse. Il relève toutefois que les CRC pourraient être amenées à être plus incluses dans ce nouveau régime, en assurant par exemple un rôle précontentieux en cas d'accroissement des affaires devant la chambre contentieuse.


* 20 La réforme ne s'étend pas aux chambres territoriales qui relèvent d'une loi organique.

* 21 Article L. 235-1 du code des juridictions financières.

* 22 Décret n° 2022-1549 du 8 décembre 2022 relatif à l'évaluation des politiques publiques territoriales par les chambres régionales des comptes.

* 23 Article L. 235-2 du code des juridictions financières.

* 24 Décret n° 2022-1604 du 22 décembre 2022 relatif à la chambre du contentieux de la Cour des comptes et à la Cour d'appel financière et modifiant le code des juridictions financières.

* 25 L'engagement d'octroyer au moins une présidence de section à un magistrat de CRTC avait été formulé par le Premier président lors du Conseil supérieur du 7 juillet 2022.

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